Nos démocraties occidentales sont aujourd’hui obnubilées par l’écologie, la sécurité, et le progrès social. Elles font le rêve de vivre sur une planète propre et confortable, où chacun pourrait mener une vie paisible et rassurante, ni trop riche ni trop pauvre, sans autre objectif que d’assurer de génération en génération l’éducation des enfants, les soins aux malades, et le bonheur tranquille que procure un emploi du temps dans lequel le travail occupe une place de plus en plus modique. Il s’agit bien sûr là d’une utopie, et personne ne prétend que ce programme sera un jour réalisé. Mais là n’est pas la question.
Ce qui est symptomatique, c’est en quelque sorte le manque d’ampleur, le manque de passion, le manque de grandeur et de beauté dans la substance de ce rêve démocratique. Comme si l’humain n’était advenu dans l’univers que pour mener des jours paisibles au coin du feu !
Qu’on ne se méprenne pas cependant. Je ne rejette nullement l’organisation démocratique des sociétés, pour laquelle au contraire je suis prêt à me battre.
Mais la démocratie, qui naturellement fait remonter les revendications sociales et sécuritaires, ne doit pas dissoudre dans la gestion du bonheur/malheur quotidien de chacun les aspirations plus hautes qui habitent l’homme depuis ses origines. J’appelle donc de mes vœux une utopie plus flamboyante que celles aujourd’hui distillées par la plupart des écologistes et des socio-démocrates.
À mon sens, le bonheur ne peut se concevoir sans un combat qui transcende l’espace et le temps d’une petite vie humaine, et même d’une société :
- Un combat instinctif pour découvrir et se frotter à l’univers, dont les savants ont sans cesse reculé les bornes depuis l’antiquité ;
- Un combat pour contempler et capter la beauté sous toutes ses formes, parce qu’elle séduit notre cœur et illumine notre esprit ;
- Un combat aussi, bien sûr, pour la justice sociale et le confort matériel, que beaucoup considèrent comme un préalable aux deux autres. Mais alors le risque est que, ce combat n’étant jamais gagné, les deux autres passent allègrement à la trappe.
Je suis de la génération des découvreurs de lune, de ceux qui ont suivi en direct les missions Apollo vers notre satellite, et lisent volontiers encore de la science-fiction. Et je crois fermement que, quelles que soient les difficultés rencontrées, quel que soit le délai nécessaire, quel que soit le prix à payer, l’exploration du système solaire, puis de la galaxie, et au-delà de l’espace-temps, reste la grande affaire de l’humanité. Le bourgeonnement de la vie sur une petite planète comme la Terre ne peut se limiter à une simple fantaisie de la nature sans conséquence au-delà de la couche atmosphérique. Il y a là derrière une aspiration universelle plus profonde et fondamentale, révélatrice de sens.
Je crois aussi à l’importance de l’art, c’est-à-dire, à la beauté du geste, à la finalité sans fin, à toutes ces mises en scènes, naturelles ou artificielles, qui font ressembler la réalité au rêve, qui donnent beauté et épaisseur à un environnement où sans cela, on ne verrait qu’une simple machinerie, extrêmement complexe, certes, mais dénuée d’âme.
Le moteur utopique de l’humanité est donc selon moi un moteur à trois temps : celui de l’exploration universelle, celui de l’art et de la beauté, celui de la prospérité et du bonheur social.
De cette brève réflexion, je voudrais tirer une analogie avec le monde de la peinture, et ses enjeux contemporains.
Ainsi je pense que le moteur de la peinture, considérée comme art et utopie de la représentation, doit aussi avoir trois temps, sous la forme de trois objectifs essentiels à la vitalité et à la vérité de l’art pictural :
- Figurer le monde en repoussant toujours plus loin les limites de la figuration (et du monde figuré).
- Rechercher toujours la beauté, sous quelque forme qu’elle se présente.
- Rester à l’écoute des grands contes symboliques, en particulier de ceux qui transcendent les contextes et rapprochent les cultures humaines.
La Métamorphose de Narcisse, Dali, 1937, Tate Modern Gallery, Londres
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