présentation des peintures synchronistiques

samedi, mai 12, 2007

LES PEINTURES NOIRES DE GOYA

Francisco Goya, « L’ermitage de San Isidoro », détail, musée du Prado
A travers le cycle des peintures de la Quinta del Sordo, Goya a développé un génie resté sans équivalent dans l’histoire de la peinture. On peut renvoyer à la lecture du livre – beau, documenté, mais un peu alambiqué – de Yves Bonnefoy (Goya, les peintures noires, Edition William Blake & Co).
Peut-être un tel génie n’aurait pas éclos, vers la fin de sa vie, avec la même force, si le peintre n’avait été auparavant gravement malade (l’hypothèse du saturnisme est la plus probable), et n’était pas resté sourd (Bonnefoy avance que lorsqu’on n’entend plus les bruits extérieurs, alors des grondements autrement plus angoissants remontent à nos oreilles des profondeurs obscures de notre être intérieur).
Mais n’oublions pas qu’il avait toujours été fasciné par l’observation de tout ce que la nature humaine peut exsuder d’étrange, d’instable, et d’angoissant. Il avait coutume, à Saragosse, d’aller faire des croquis dans l’asile des aliénés (« Le préau des fous »). Ces visages torves, ces regards hagards, se retrouvent bien évidemment dans ses peintures.
Mais ils y prennent une dimension universelle. Ils deviennent les archétypes de ce qui est caché en nous, de notre envers du décor. Et ce qu’il faut souligner, c’est que son pinceau sans concession, son regard impitoyable, ne tombent jamais dans la déréliction ni dans le voyeurisme pervers et pornographique qui caractérisent notre époque actuelle. Lui reste noble : à travers les peintures noires, ce n’est pas l'aspect misérable de la folie et de la mort que nous découvrons, mais bien plutôt leur grandeur, leur beauté hallucinatoire, et dans un certain sens, leur force rédemptrice. Goya y montre avec un sens aigu de la beauté et de la violence, le caractère éminemment sacré et païen que peut revêtir la folie. C’est l’antre de Trophonius, la mystérieuse force qui relie le monde des profondeurs au monde de la surface, monde dans lequel nous tentons de vivre, avant que le monde des profondeurs ne nous happe.
La première fois que j’ai vu ces peintures au musée du Prado, il y a vingt-cinq ans, j’ai été saisi d’une telle émotion, que je me suis interrogé sur la possibilité d’une réelle puissance magique de la peinture. Non plus simple représentation, évocation habile et séduisante de l’absence, mais présentification, invocation infernale de forces qui nous dépassent. Et cela sans la protection de pentacles ou de rituels convenus, qui permettent aux spirites et mages de toutes obédiences d’affronter ces puissances sans trop de risques. Goya marche à découvert, il accepte de se déchirer lui-même, il est à la fois le médium et le maître de cérémonie.

Mon tableau « les Géants », dont voici un détail, cherche a lui rendre un très humble et très respectueux hommage... hélas, mes géants ne sont que de fragiles nains, face au monde de titans qu'a fait naître Goya sur les murs de la Quinta del Sordo.



Mise à jour juillet 2017: mon premier tableau de peinture synchronistique, en 2014, intitulé "les dés son jetés", reprend les personnages des "Moires", peut-être la plus terrible des peintures noires de Goya:
 

samedi, mai 05, 2007

DELIRE ET BONIMENT


La période contemporaine a jeté la confusion sur ce que l’on doit appeler la valeur artistique d’une œuvre. Les ready-mades de Duchamp affirment que cette valeur ne procède que de l’intention de l’artiste, à savoir tout homme capable d’imposer sa volonté au public, par la force de sa personnalité et la justesse de la théorie qu’il illustre par son acte artistique. Celui-ci est moins alors un acte de création qu’un acte de désignation. L’œuvre n’est plus, comme jadis, représentation, transposition, imagination, interprétation, mais sélection, démonstration, manifestation, preuve.
L’artiste, qui transmet à ces contemporains la trace d’un au-delà du réel contingent, ne le fait plus sur le mode de l’oracle, mais sur celui du gourou.

La différence est la suivante : l’oracle (en tant que paradigme) est une sorte de fou désintéressé, dominé par la puissance indicible de ce qu’il ressent, et qui invente tant bien que mal une langue poétique pour communiquer cet irreprésentable. Le gourou, par contre, maîtrise parfaitement la chaîne des phénomènes qui font de lui une sorte de mage auprès de ces contemporains. Ce qui le caractérise est qu’il croit avoir compris le sens supérieur de la réalité, et qu’il enjoint les autres d’adhérer à cette connaissance, en leur distillant des preuves que lui-même élabore, et en leur promettant des clefs que lui seul possède (tout gourou n’est-il pas prosélyte ?). Si l’on pousse la caricature, on se trouve confronté d’un côté au délire d’un cinglé, et de l’autre au boniment d’un charlatan.

Personnellement, je préfère la naïve folie des artistes d’antan aux coups médiatiques des génies d’aujourd’hui.