présentation des peintures synchronistiques

dimanche, décembre 29, 2019

Le fétichisme divin

Domenico Beccafumi, Sainte Catherine recevant les Stigmates, 1545 - 55 x 37.5 cm, musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam
Les stigmates de la Passion du Christ, en tant que traces objectives du sacrifice divin, deviennent eux-mêmes objets d’une fascination et d’un culte mystique, exactement comme certains attributs de la féminité comme les vêtements intimes, les cheveux, les pieds, les chaussures, etc.. peuvent focaliser la passion érotique chez certains hommes. On nomme cela le fétichisme.

Et chez les saints comme chez les amoureux, la passion les pousse à s’approprier d’une façon ou d’une autre l’objet de leur désir ; soit par pénétration, soit par incorporation, soit par identification.

- Chez les saints du christianisme, si l’on prend l’exemple de Thomas, qui rentre ses doigts et sa main dans les blessures du Christ, il s’agit d’une sorte d’appropriation par pénétration.

Duccio di Buoninsegna, L'incrédulité de St Thomas, détail de la Maesta (retable de la cathédrale de Sienne, 1308), Museo dell'Opera Metropolitana del Duomo, Sienne
- Chez St François d’Assise ou Catherine de Sienne, qui ont reçu les stigmates, il s’agit plutôt d’identification.
Vicente Carducho, St François recevant les stigmates, Madrid,  Hospital de la Venerable Orden Tercera de San Francisco
- Et chez la mystique Marthe Robin, qui se nourrissait exclusivement d’hosties, il s’agit d’incorporation, comme d’ailleurs, symboliquement, chez tous les chrétiens qui communient et avalent métaphoriquement à chaque messe le corps du Christ.

Luca Signorelli, la Communion avec les apôtres, 1512, _232 x 220 cm, Museo Diocesano,  Cortone

Tout rituel est une forme de fétichisme, qu’il soit rituel sexuel ou rituel religieux. Dans ce dernier domaine, disons que les idolâtres sont fétichistes au point de substituer entièrement l’amour de la trace (relique, représentation) à l’amour de l’entité à laquelle est associée cette trace. La situation religieuse « normale » étant plutôt le rôle facilitateur que doit prendre la trace ou le rituel. Ces éléments peuvent alors être considérés comme l’équivalent des préliminaires amoureux, qui favorisent la turgescence imaginative, propre aux amours humaines, qu’elles soient terrestres ou spirituelles.

En ce qui concerne l’acte d’amour sexuel, il est habituellement plutôt du type « pénétration » chez les hommes, et du type « incorporation » chez les femmes. Il devient aussi parfois identification, par exemple dans le travestisme. Et cette identification au sujet aimé, en ce qui concerne l’amour spirituel de l’homme-Dieu chrétien, se fait par l’apparition des stigmates sur le corps, qu’ils soient le résultat d’un miracle (paranormal), ou expression d’un inconscient névrotique de type manifestation hystérique, comme l’ont supposé les psychiatres freudiens.

Dans l’histoire de la peinture, l’illustration de Saint François d’Assise recevant les stigmates est en quelque sorte le paradigme de cet amour spirituel par identification.
Giotto. Saint François recevant les stigmates, 314x162cm (détail), vers 1295-1300, Louvre, Paris
Pour l’amour spirituel par incorporation, ce sont tous les tableaux qui montrent le corps du Christ assimilé à l’eucharistie. En premier lieu bien évidemment la cène (dont certaines variantes montrent d’ailleurs Jésus présentant l’eucharistie), mais aussi « la communion des apôtres », ou encore la représentation de « la messe de Grégoire le Grand », où le corps du Christ mort soutenu par des anges se confond en une vision miraculeuse avec l’eucharistie elle-même.
Juan de Juanes, La dernière cène, 1555-62, huile sur panneau 116 x 191 cm, musée du Prado, Madrid
Luca Giordano, La communion des apôtres, vers 1700, huile sur toile 188 x 305 cm, museum of Fine Arts, Boston
Michael-Wolgemut, Epitaphe d’un membre de la famille Hehel avec la Messe de Saint Grégoire, vers 1481, Nuremberg église Saint-Laurent
Messe de Saint Grégoire, Heures à l’usage de Rome, XVe s, BM de Tours

Enfin pour l’amour spirituel par pénétration, la représentation picturale paradigmatique est évidemment « l’incrédulité de Saint Thomas », qui fait allusion à un passage de l’évangile de St Jean : Thomas avait déclaré aux autres apôtres que pour croire en la résurrection du Christ, il lui faudrait non seulement voir Jésus ressuscité de ses propres yeux, mais pour être bien sûr qu’il ne s’agisse pas d’un sosie, il lui faudrait aussi pénétrer avec ses doigts dans les plaies causées par la crucifixion. Le Christ lui apparut donc lors d’une de leurs réunions, prit la main de Thomas, lui fit toucher les trous dans ses paumes et ses pieds, puis découvrit son flanc droit, et mis les doigts de Thomas dans la plaie causée par la lance. L’amour spirituel de Thomas envers l’homme-Dieu était donc lié à cette pénétration, semblable à un coït symbolique. La représentation picturale de Thomas touchant les plaies du Christ ressuscité eut en tout cas une singulière fortune, depuis les mosaïques orthodoxes du XIe siècle jusqu’au célèbre tableau du Caravage (1603, palais Sanssouci, Potsdam).

Le Caravage, L'incrédulité de Saint Thomas, vers 1603, huile sur toile 107 x 146 cm, Palais de Sanssouci, Potsdam
 En voici quelques autres exemples :


Incrédulité de Saint Thomas, Icône russe du deuxième quart du XVe siècle.
Cima da Conegliano, L'incrédulité de Saint Thomas, (détail) c. 1505, tempera et huile sur panneau 215 x 151 cm, Gallerie dell'Accademia, Venise
Wouter Pietersz. Crabeth II (Gouda, 1594 - 1644), L'incrédulité de Saint Thomas, c. 1628, Rijskmuseum Amsterdam

vendredi, décembre 13, 2019

Jeune fille prise à la lettre

Gilles Chambon, Jeune fille prise à la lettre, huile sur toile 65 x 46 cm, 2019
Ce portrait synchronistique montre une jeune fille très ambivalente, empruntée au Titien. Parée de bijoux, d’un petit chapeau à plumes, et d’un manteau précieux, elle n’en est pas moins à moitié dénudée, et l’expression de son visage reste assez énigmatique. 

Cédant alors à l’érotisme voilé de cette demi mondaine (que Titien avait d'ailleurs pris comme modèle pour sa Vénus d'Urbin), j’ai placé dans sa main droite un rouleau aux dimensions suggestives, marqué d’inscriptions énigmatiques renvoyant à Picabia. 
Les figures abstraites, tirées d’Afro Basaldella, forment autour d’elle un trône et une couronne, désignant la jeune femme comme une icône de l’érotisme sacré.

vendredi, décembre 06, 2019

La légende de sainte Marguerite

Gilles Chambon, La légende de sainte Marguerite, huile sur toile 54 x 73 cm, 2019
Sainte Marguerite d’Antioche est invoquée par les femmes enceintes, qui se sont mises sous sa protection parce que la légende raconte que Marguerite est sortie indemne du ventre d’un dragon.
En fait, l’histoire n’est pas très claire : selon Jacques de Voragine, la jolie Marguerite avait été torturée et emprisonnée par Olybrius, Préfet d’Antioche (IIIe s. ap J-C), qui voulait lui faire renoncer à sa foi chrétienne pour l’épouser. C’est pendant sa captivité, et avant sa décollation, qui mit un terme à son martyre, qu’elle vainquit le dragon.

Voilà ce que dit Jacques de Voragine dans sa Légende Dorée :
« … une clarté merveilleuse éclata dans son cachot. Et la sainte pria le Seigneur de lui faire voir l'ennemi qu'elle avait à combattre, et voici qu'un énorme dragon se montra devant elle. Et lorsqu'il s'élançait pour la dévorer, elle fit le signe de la croix, et il disparut. D'autres disent que le dragon lui saisit la tête dans sa gueule, et comme il allait la dévorer, elle fit le signe de la croix, et le dragon creva, et la sainte resta sans aucun mal. Mais ce récit-là est regardé comme vain et mal fondé. » On a envie de rétorquer à Jacques de Voragine qu’une légende est une légende, et que le bien fondé est à chercher dans l’imaginaire collectif plutôt que dans la vérité historique des faits rapportés.

Marguerite est donc, avec sainte Victoire, sainte Radegonde, et sainte Marthe, l’une des rares femmes sauroctones (quatre femmes seulement pour une quarantaine de saints tueurs de dragons, dont St Michel et St Georges sont les figures princeps). Et contrairement aux hommes, qui maîtrisent les dragons par la lance, par les flèches, et par l’épée, les femmes en viennent à bout par l’eau bénite, le signe de croix, et les crucifix.

Dans ma peinture, Marguerite affronte le dragon en brandissant un crucifix géant à très haute intensité lumineuse, de fabrication probablement extraterrestre, et qui tire son énergie des entrailles mêmes du dragon qu’elle combat, par l’intermédiaire d’une sorte de cordon ombilical…

Les sources synchronistiques de cette interprétation nouvelle de la légende pourront être trouvées chez Paolo Ucello, le Tintoret, Mario Sironi, et Albert Bitran.