présentation des peintures synchronistiques

jeudi, décembre 16, 2021

Les temps modernes

 

Gilles Chambon, "Les temps modernes", huile sur toile 50 x 65 cm, 2021

Le merveilleux film de Charlie Chaplin, dans l’une de ses scènes culte, nous montre le corps de Charlot livré aux engrenages d’une machine improbable, symbole angoissant du progrès technique et de la mécanisation qui phagocyte les corps. Cet univers de bielles, de pistons, de rouages d’acier, fut aussi à l’inspiration de beaucoup de tableaux de Fernand Léger. Il est d’ailleurs le premier peintre à avoir mélangé la mécanique des machines et la mécanique des corps. 

 

C’est que la première moitié du XXe siècle fut marquée par le mythe de l’homme nouveau, qui devait résulter de l’avènement d’une société idéale, hygiénique et égalitaire. Les artistes abandonnent alors l’esthétique des canons bourgeois, qu’ils soient classiques ou impressionnistes, pour ceux de la vitesse de la simplification géométrique cubiste ou abstraite. Tamara de Lempicka, icone du style art déco, redonne néanmoins de la chair et de la sensualité aux corps géométrisés.

 

Aujourd’hui le mythe de l’homme nouveau réapparaît comme un éternel retour, mais il n’est plus lié à la société industrielle, qui a montré ses limites et ses effets délétères sur nos écosystèmes. Il resurgit sous deux formes diamétralement opposées : d’un côté le transhumanisme, qui cherche à fusionner la biologie et les nanotechnologies à l’intérieur du corps humain. De l’autre le déconstructivisme identitaire, dont le projet est de modifier psychologiquement l’individu, de le reprogrammer afin qu’il corresponde à ce qui est attendu des citoyens d’une hypothétique société idéale.

 

En reprenant Léger et Lempicka, et en y ajoutant la baigneuse à mi-corps de Jean-Auguste-Dominique Ingres, mon tableau synchronistique tente de monter qu’à travers la recherche d’idéaux utopiques, les artistes, de siècle en siècle, en suivant le mouvement des vagues de la pensée, ne révolutionnent rien du tout, mais dessinent peu à peu de nouveaux contours aux rivages de l’art éternel.

samedi, décembre 04, 2021

Pourquoi la peinture synchronistique ?

 

G. Chambon, La clairvoyance du cyclope, huile sur toile, 60x73cm, 2014
 

Le XXe siècle fut le siècle de l’ébullition humaine : mondialisation, progrès scientifique et technologique exponentiels, mais aussi massacres de masse, idéologies totalitaires, et prémices de catastrophes écologiques.

Le XXIe siècle doit donc être un siècle de prise de conscience, peut-être même un siècle réactionnaire, en ce sens qu’il doit s’inscrire en réaction salutaire aux excès du XXe siècle. Nous avons pris conscience que notre globe terrestre est un monde fini et fragile, qui ne peut supporter une expansion continue et insoucieuse de ses conséquences.

 

Dans le domaine de l’art, on retrouve le même schéma : depuis les avant-gardes du début du XXe siècle jusqu’à l’art conceptuel et ses avatars nommés « art contemporain », l’art occidental a voulu se lancer dans une course à la nouveauté, supprimant toutes les frontières, submergeant comme un stunami les anciennes disciplines artistiques, et se lançant à corps perdu dans une fuite en avant, sa seule finalité semblant être dorénavant d’affirmer sa contemporanéité, c’est-à-dire sa rupture avec le passé, avec la mesure humaine, avec la permanence esthétique des messages délivrés.

 

Le résultat est terrible : la sensibilité artistique collective se délite peu à peu, d’autant qu’elle est aussi victime des ravages produits par la culture consumériste et ses publicités, qui la tirent sans cesse vers le bas. Heureusement, le goût pour les musées, les concerts, les spectacles, qui pérennisent les arts traditionnels et savants, n’a pas disparu, et tempère la déliquescence de notre sens artistique.

 

Il est donc temps, en art aussi, de prendre conscience des effets pervers de la marche en avant sans limite, et de réaliser que notre imaginaire, notre sens poétique, ne sont pas malléables à l’infini. D’autant que les sollicitations disruptives de l’art contemporain ne reposent sur aucune nécessité, ni sur aucun projet humaniste.

 

L’esprit ressemble à un écosystème : si on rompt de manière trop brutale un équilibre, c’est l’ensemble qui ne parvient plus à se réguler. Cela ne signifie pas qu’il faut abandonner toute idée de progrès et d’évolution, mais qu’ils doivent se faire en respectant un certain nombre d’équilibres métastables.

En art plastique, et particulièrement en peinture, il est intéressant de constater que les changements volontairement recherchés, depuis les impressionnistes jusqu’aux abstraits, ont fait sauter successivement plusieurs verrous, mais ont gardé, jusqu’aux années 60, le grand système régulateur qu’était l’expressivité propre aux nuances de la peinture et de la composition picturale, préservant ainsi leur valeur poétique. Mais la boite de pandore s’étant entr’ouverte, Marcel Duchamp et ses épigones de la fin du XXe siècle ont définitivement fait sauter le couvercle, pulvérisant volontairement (et sous forme d’injonctions idéologiques) toute velléité de régulation esthétique. Depuis, le thermomètre n’a cessé de monter, à tel point que bon nombre d’esprits affûtés n’arrivent même plus à comprendre qu’il y a supercherie, et sont prêts à tout absorber, pourvu que l’estampille « art » apposée sur tout et n’importe quoi (par exemple une banane ou des excréments) soit cooptée par les élites financières.

 

Cette folie ne rend pas service à l’évolution civilisationnelle. Croyant se libérer de toutes les chaînes, l’esprit contemporain ne fait qu’éteindre une à une les lampes qui éclairaient son imaginaire, de sorte qu’il finit par errer sans but dans un univers mental obscur et chaotique.

 

L’art doit donc aujourd’hui être repris en main par tous ceux qui croient en son pouvoir d’enchantement du monde. Exactement comme l’écologie croit, d’une certaine manière, à la nécessité de préserver la nature, enchantée par la foisonnante richesse autorégulatrice de ses formes vivantes.

 

Il est vrai que dans une dynamique mondiale hostile, où le matérialisme recroqueville les êtres sur leur quotidien, et où le spirituel quitte la métaphysique pour s’enkyster dans des poches d’obscurantisme et de haine religieuse, il paraît de plus en plus difficile de forger des odes artistiques à la poésie du monde.

 

Et pourtant cette poésie ne demande qu’à renaître. Alors comme pour la végétation, paralysée dans les frimas hivernaux, c’est en puisant une sève épaisse dans ses racines profondes que l’art pourra à nouveau bourgeonner et offrir un printemps prometteur à tous ceux qui veulent croire encore en l’avenir…

Et pour le peintre, puiser dans les racines de son art, c’est tirer de toutes ces œuvres qui irriguent collections et musées, témoignages magnifiques de plusieurs siècles d’art savant, véritables sources de notre imaginaire pictural, une poésie inédite propre à nourrir notre désir de ré-enchantement.

 

C’est l’objectif que j’ai fixé à la peinture synchronistique, en cherchant intuitivement les ponts secrets qui peuvent relier les artistes à travers le temps et l’espace, et en faisant de leurs tableaux confrontés, détournés, et réappropriés, la matière même de mes nouvelles compositions. C’est pour moi en suivant ce chemin que la création du XXIe siècle, s’alignant sur le paradigme de la pensée écologique, se refondera sur le recyclage, et non plus sur le fantasme de conquête boulimique d’un ailleurs peut-être plus alléchant, mais devenu introuvable.

jeudi, décembre 02, 2021

La nuit s'empare du monde

 

Gilles Chambon, "La nuit s'empare du monde", triptyque, huile sur toile 145 x 285 cm, 2021

Pendant la nuit, entre le crépuscule et l’aube, les rêves, les songes, ou les cauchemars viennent assaillir notre esprit endormi. Ils ont un côté terrible parce qu’ils sont déstructurés, et donc toujours ambivalents, à l’image du paysage disloqué inspiré ici d’une composition de Zao Wou-Ki. Les rêves mélangent de façon inextricable désirs, angoisses, souvenirs, prémonitions, mensonges, et illusions. Et lorsqu’on tire un fil pour tenter de percer leur mystère, on ne sait jamais quel verdict va tomber.

 

Le triptyque se développe suivant la mécanique synchronistique de l’imaginaire pictural, dont j’ai fait ma spécialité depuis quelques années.

 

Dans le panneau central (La nuit), vole Nyx, déesse de la nuit, qui porte dans ses bras les deux terribles jumeaux Hypnos et Thanatos. Elle est empruntée à un dessin de Michel Dorigny, reproduisant une fresque de Simon Vouet pour le plafond du château de Chilly, aujourd’hui disparue.

 

Le panneau de gauche (Le rêve de la femme-objet), est une allégorie qui évoque la femme-objet née de la corruption du désir par l’argent. On peut reconnaître : 

 

-       La reprise d’une interprétation ironique de la Vénus anadyomène de Botticelli, imaginée le graphiste polonais Tomek Karelus (« bad dream Mr Botticelli »),

 

-       Un fragment de dessin d’étude de Raphaël pour Dieu le père,

 

-       Une cible et un dollar volant, qui viennent d’un de mes propres tableaux (« la mathématique du plaisir », 2014),

 

-       Un fragment de ville, inspiré des lointains paysages des peintres flamands de la Renaissance.

 

Quant au panneau de droite (L’opprobre), il exprime la honte que ressentent les hommes devant leurs fantasmes inassouvis, et devant la violence qu’ils engendrent parfois. L’homme recroquevillé est repris d’un croquis d’étude de Raphaël, et le paysage urbain lointain s’inspire d’un tableau de Lucas Gassel (Loth et ses filles).