Descente de croix - Rembrandt, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage
Il y a du mystère et de la magie dans beaucoup de tableaux de Rembrandt.
Mais la Descente de croix du musée de l’Ermitage est pour moi le sommet de cet art de l’émotion contenue, qui arrive à transmettre, sur un banal rectangle de toile ou de bois, et à plusieurs siècles de distance, toutes les profondeurs de la vie, toutes les notes de l’âme humaine, grandes joies ou petits bonheurs, souffrances taciturnes ou désespoir absolu.
Non seulement les visages, mais les corps patauds, les mouvements lents, les pâleurs livides dispensées par une lumière nocturne de source mystérieuse, les matières noircies, griffées, et décomposées, tout dans ce tableau nous bouleverse. Quelque chose de terrible se loge là, dans les clairs obscurs, dans cette admirable maîtrise des tremblements du pinceau, et dans cette délicatesse parcimonieuse de la couleur.
C’est une peinture sombre qui contient déjà en elle toute la sinistre puissance expressive des peintures noires de Goya, mais il s’y ajoute encore de la douceur, de la commisération, une sorte de générosité infinie.
Je dois d’ailleurs avouer que malgré les conditions effroyables de ma visite au musée de l’Ermitage, sous une chaleur suffocante, lorsque des centaines de groupes de touristes hagards et en sueur montaient à l’assaut des œuvres phares, exhortés par leur guide vociférant, malgré cette démonstration tapageuse d’une négation absolue de l’émotion artistique, j’ai tout de même été happé par la Descente de croix, et ému jusqu’aux larmes.
Je ne sais si l’on peut analyser à quoi cela tient, sinon à l’immense talent, au génie inégalé de Rembrandt.
Disons d’abord que la composition générale, le corps flasque et avachi du Christ, le clair obscur irradiant de lumière Jésus et son linceul, avaient déjà été mis au point l’année précédente, en 1633, dans la Descente de croix de plus petite dimension et peinte sur bois, qui se trouve à la Alte Pinakothek de Munich. Elle sont d’ailleurs toutes deux largement inspirées par le panneau central du triptyque de Rubens, peint en 1612 pour la cathédrale d’Anvers.
Mais la Descente de croix du musée de l’Ermitage est pour moi le sommet de cet art de l’émotion contenue, qui arrive à transmettre, sur un banal rectangle de toile ou de bois, et à plusieurs siècles de distance, toutes les profondeurs de la vie, toutes les notes de l’âme humaine, grandes joies ou petits bonheurs, souffrances taciturnes ou désespoir absolu.
Non seulement les visages, mais les corps patauds, les mouvements lents, les pâleurs livides dispensées par une lumière nocturne de source mystérieuse, les matières noircies, griffées, et décomposées, tout dans ce tableau nous bouleverse. Quelque chose de terrible se loge là, dans les clairs obscurs, dans cette admirable maîtrise des tremblements du pinceau, et dans cette délicatesse parcimonieuse de la couleur.
C’est une peinture sombre qui contient déjà en elle toute la sinistre puissance expressive des peintures noires de Goya, mais il s’y ajoute encore de la douceur, de la commisération, une sorte de générosité infinie.
Je dois d’ailleurs avouer que malgré les conditions effroyables de ma visite au musée de l’Ermitage, sous une chaleur suffocante, lorsque des centaines de groupes de touristes hagards et en sueur montaient à l’assaut des œuvres phares, exhortés par leur guide vociférant, malgré cette démonstration tapageuse d’une négation absolue de l’émotion artistique, j’ai tout de même été happé par la Descente de croix, et ému jusqu’aux larmes.
Je ne sais si l’on peut analyser à quoi cela tient, sinon à l’immense talent, au génie inégalé de Rembrandt.
Disons d’abord que la composition générale, le corps flasque et avachi du Christ, le clair obscur irradiant de lumière Jésus et son linceul, avaient déjà été mis au point l’année précédente, en 1633, dans la Descente de croix de plus petite dimension et peinte sur bois, qui se trouve à la Alte Pinakothek de Munich. Elle sont d’ailleurs toutes deux largement inspirées par le panneau central du triptyque de Rubens, peint en 1612 pour la cathédrale d’Anvers.
Descente de croix, Rembrandt, Munich, Alte Pinakothek
Descente de croix (Triptyque de la cathédrale d’Anvers) - Rubens
Mais là où le maître flamand est dans la théâtralité baroque, avec une chorégraphie de corps d’athlètes qui occupent tout le devant de la scène, des draperies généreuses et colorées magnifiant le mouvement des personnages, un lointain servant essentiellement à marquer la ligne d’horizon, et apparaissant comme une toile de fond dissociée du premier plan, Rembrandt nous montre tout autre chose : des personnages au physique ordinaire, campées dans des attitudes tordant leur anatomie fruste ; à la fois plus d’espace entre protagonistes, donnant de la profondeur à la scène, et une proximité troublante entre la chair du Christ et ceux qui le soutiennent. Et surtout cet éclairage si particulier où la lumière semble se répandre dans l’obscurité comme un nuage de brume, perlant des gouttes d’or sur les franges des vêtements, et faisant surgir de la grisaille quelques lambeaux de couleur pure.
On pourrait parler d’une sorte de paradoxe permanent dans cette peinture : violence des contrastes mais infinie douceur des transitions ; expression parfois juste ébauchée des personnages, mais formidable subtilité du rendu des âmes ; composition par opposition de grandes masses claires et sombres, mais démultiplication infinie des lisières ; statisme et pesanteur des attitudes, mais dynamisme puissant insufflé par la lumière.
Dans le tableau de Saint-Pétersbourg, tout y est : la lueur extatique émanant des linceuls, qui attise la désolation silencieuse des visages ; le groupe central agrippant le Christ, qui nous fait ressentir ardemment la lourdeur d’un corps sans vie, et la douleur affectueuse de ceux qui s’attèlent à cette difficile besogne. L’absence de ciel, remplacé par un fond noir, qui referme la scène et donne l’impression d’un lieu ténébreux, comme si le monde entier s’était transformé en caveau.
Et pourtant Rembrandt a peint cette toile juste après son mariage, dans une période très heureuse de sa vie. Il n’y a donc pas de corrélation, comme on l’a suggéré parfois, entre cette capacité à exprimer la douleur, et les blessures personnelles à l’âme de l’artiste ; ou alors, cette relation est terriblement prémonitoire.