présentation des peintures synchronistiques

samedi, octobre 30, 2010

Gauguin, peintre totémique

Parahi te Marae (Là se trouve le temple), Gauguin, 1892, Philadelphia Museum of Art  

Upa’Upa, Gauguin, 1891, Israel Museum, Jérusalem 
(Upa'Upa désigne une danse traditionnelle tahitienne à symbolisme sexuel prononcé, 
interdite sous la pression des missionnaires – code de Pomare 1819 – 
mais continuant à être pratiquée plus ou moins secrètement pendant tout le XIXe siècle)

« Parahi te Marae, Upa’upa ; paysages tour à tour écrasés par la lumière et par l’obscurité. Ici lueur rougeoyante d’un feu de bois dans la nuit, suggérant la chaleur sensuelle de rapprochements intimes ; là éblouissement d’un champ vide sous le soleil, assénant les harmonies du paysage comme autant de vérités éternelles. Ici ondulation de la flamme et trémulation trouble du bassin des femmes, là géométrie pure de l’enceinte sacrée, et fixité radieuse des couleurs et du dieu. 
 
Comment mieux dire l’essence du jour et celle de la nuit ? Gauguin est un peintre totémique ; sa sauvagerie capte la chaleur des êtres surnaturels qui hantent le réel. Dans la pensée totémique primitive, toute forme est avant tout figure expressive. Elle entre en résonance avec l’entité ou la puissance dont elle possède la marque. Toute la peinture de Gauguin : formes stylisées, symphonie des couleurs, corps empâtés encore gours, à peine sortis de leur matrice d’argile, toute cette peinture résonne d’un bout à l’autre du galop des esprits. Ses toiles mal dégrossies attirent et captent les forces invisibles mieux que ne le feraient des dessins plus raffinés, des couleurs plus policées. 
 
Mais est-ce vraiment lui qui a capté les puissances magiques d’un âge d’or révolu ? Ou bien n’est-ce pas plutôt elles qui l’ont trouvé en Bretagne, et attiré vers leur dernier refuge, dans cet improbable paradis pacifique ? » (in Itinerrances, 2004, G. Chambon, pp.137-139)

dimanche, octobre 17, 2010

Peinture et architecture : le rêve géométrique de la Renaissance et du classicisme

Personnages dans un décor d’architecture et de jardins imaginaires, école hollandaise du XVIIe s., huile sur panneau de chêne, 55x95cm, collection privée


Filippo Brunelleschi, architecte du dôme de Santa Maria del Fiore à Florence (commencé en 1420), inventeur de la perspective géométrique et découvreur de l’architecture romaine antique, est la figure princeps de l’artiste rationnel. C’est lui qui le premier repensa la scène urbaine comme une harmonie géométrique : en témoigne le projet de l’Hôpital  des Innocents, avec son arcade urbaine à colonnes corinthiennes sur la place Santissima Annunziata, qui a été complétée sur deux autres côtés dans les décennies suivantes par ses émules Michelozzo, A. Sangallo le Vieux, et B. d’Agnolo.
Veduta de la place Santissima Annunziata, estampe de Giuseppe Zocchi, XVIIe s.


Mais pour que l’espace urbain géométrique idéal conçu à Florence au quattrocento arrive à conquérir l’imaginaire européen, à une époque où relativement peu de monde était en mesure d’aller admirer de visu en Toscane, à Rome, ou en Vénétie, les réalisations de Brunelleschi, d'Alberti, et de leurs successeurs, il faudra le remarquable travail des peintres et graveurs, qui formeront et répandront le goût urbain classique, de l’Espagne à la Suède. C’est eux qui illustrent les traités d’architecture vitruvienne et les traités de géométrie, eux qui rapportent de leurs voyages en Italie des vues des palais renaissants et des ruines romaines, eux qui font de la vue de ville idéale un thème de choix pour décorer les murs des salons et les panneaux des cabinets de travail.

Dans l’Europe centrale et l’Europe du nord, les plus influents parmi ces artistes "diffuseurs" furent un peintre-architecte frison et son fils : Hans et Paul Vredeman de Vries. On doit à l’un et à l’autre de nombreux tableaux représentant des décors urbains imaginaires, composés de somptueux palais idéaux; on leur doit aussi un traité sur l’art des jardins (Hortorum viridariorvmque elegantes et multiplices formae... 1583), et surtout deux traités d’architecture vitruvienne (1577-1582), dont le premier, publié à La Haye en  1606 sous le titre Les cinq rangs de l’Architecture a scavoir Tuscane, Dorique, Ionique, Corinthiaque, et Composée, sans texte explicatif, met les cinq ordres architecturaux théorisés par Vitruve en relation avec les cinq sens. En plus des dessins techniques représentant les colonnes et leur entablement, les Vredeman livrent dans cet ouvrage des paysages géométriques idéaux, faits pour marquer l’imagination. Ces gravures, très diffusées, servent de modèles à toute une génération d’artistes hollandais qui, durant la première moitié du XVIIe siècle, délaissent le contenu architectural rigoureux du traité et  composent des caprices architecturaux propres à séduire aristocrates et bourgeois, et à préparer leur imaginaire à l’accueil d’une architecture classique, adaptée des modèles italiens.

Voici par exemple un dessin de Paul Vredeman, illustrant l’ordre ionique associé à l’odorat ; au-dessous, la gravure qu’il en a tiré pour son traité d’architecture. A comparer à une peinture anonyme hollandaise (en frontispice de cet article), sans doute réalisée entre 1620 et 1630, qui reprend la scénographie de la gravure, mais se libère du message architectural et allégorique : l’ordre est devenu toscan, l’escalier à balustres a disparu, ainsi que la femme avec son bouquet, qui , sur la gravure, symbolisait l’odorat. Elle fut sans doute jugée par le peintre trop encombrante, et de nature à porter ombrage à la pure rêverie architecturale.
Paul Vredeman de Vries, Perspective d’une rue avec l’escalier d’un palais sur la gauche, 
Plume, encre de Chine et d’indigo, 22x35cm, conservé à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris

Exemplaire gravé pour le traité d’architecture, avec une figure féminine symbolisant l’odorat.

vendredi, octobre 01, 2010

Alger, choses vues…(suite)

 Alger, rue de banlieue - huile sur toile, G. Chambon, 2010


Quelque part en hiver, dans une petite rue anonyme entre Bab-Ezzouar et Borj-el-Kiffan ; c’est le nouveau visage banal de l’agglomération algéroise. Quartier en voie de densification si l’on se fie aux fers à béton en attente… Et au loin un grand ensemble, comme il en existe des milliers partout dans le monde. Rien de très original, ni rien de très pittoresque, mais j’ai tout de même eu envie de le peindre. Peut-être parce que c’est une histoire urbaine en train de se faire, et parce que c’est aussi la beauté vivante, rugueuse et simple, d’un quartier populaire sans histoire.