présentation des peintures synchronistiques

lundi, mai 28, 2018

Rêve avec irruption d’un incube

Gilles Chambon, "Rêve avec irruption d'un incube", huile sur toile 52 x 40 cm, 2018
Les anciens pensaient que certains cauchemars étaient provoqués chez les hommes par les succubes et chez les femmes par les incubes, démons qui se matérialisaient pour abuser de leur victime pendant le sommeil. 

Ici un incube descend (ou remonte) le long d’une corde avant (ou après) un acte sexuel avec une femme dénudée nonchalamment étendue.

Cet incube voltigeur emprunte son corps à Daumier (l’homme à la corde) et sa tête à l’un des nombreux minotaures de Picasso. 

Honoré Daumier, "L'homme à la corde", c.1856-58, huile sur toile 110.5 x 72.4 cm, Musée des Beaux-Arts, Boston
Pablo Picasso "Dora et le Minotaure", 1936, dessin crayon de couleur et encre, 40,5 x 72 cm, musée Picasso Paris

Quant à la jeune femme, elle est reprise d’un dessin d’Egon Schiele.

Egon Schiele, "Femme allongée les jambes écartées", 1914, dessin crayon et pinceau, 31,2 x 48 cm, Albertina, Vienne

Ce tableau synchronistique témoigne que le désir sexuel est parfois sur une corde raide, dans un inter-lieu fantasmatique hésitant entre enfer et paradis.
D’où un décor qui confronte le rougeoiement des flammes à la luminosité blanche et diaphane de l’éther. Il est construit à partir d’une composition renversée de Zao Wou-ki (10-01-91, huile sur toile 130 x 162 cm, dont il existe aussi un tirage lithographique).

Zao Wou-ki, peinture 10.01.91, huile sur toile 130 x 162 cm

samedi, mai 19, 2018

L'angoisse du grand remplacement

Gilles Chambon, "Rêve causé par la lecture de Renaud Camus au son du King Oliver's Creole Jazz Band, une seconde après l'endormissement", huile sur toile 70 x 45 cm, 2018
Aujourd’hui beaucoup d’Européens s’inquiètent à l’idée que leur culture ancestrale puisse être subvertie par celle des immigrants, dont la visibilité ne cesse d’augmenter. Renaud Camus, Eric Zemmour, Alain Finkielkraut, Michel Ouellebeck, ont donné un corps politico-littéraire à ces peurs qui traversent la société occidentale. 

Curieusement, le premier « envahissement culturel » était beaucoup plus euphorique. Il a eu lieu il y a déjà un siècle, d’une part avec l’engouement pour l’art africain et ses masques si recherchés par les cubistes puis par les surréalistes, et d’autre part avec la musique afro-américaine, blues et jazz (le premier disque de jazz est paru le 7 mars 1917)… À cette époque, même si certains bourgeois traditionnalistes s’offusquaient du caractère débridé de la musique noire, la majorité des créateurs et des intellectuels vivaient cette découverte de cultures exotiques comme une richesse nouvelle capable de redynamiser la création artistique européenne. C’était un vent de liberté, une façon de remettre en question les vieux canons de l’art, de découvrir autre chose. Picabia avait ainsi, au début des années 20, composé des tableaux abstraits transposant picturalement la « musique nègre ».

Le second assaut de culture exogène remonte aux années 70, avec la vague hip-hop puis le rap, nés dans les ghettos noirs et latinos des Etats-Unis, et qui continuent de fleurir dans le monde entier parmi la jeune génération… Avec ces formes musicales, l’orage a commencé à monter. La violence, la menace, voire la haine accompagnent souvent les litanies du rap, et contrastent singulièrement avec l’ambiance joyeuse et festive que faisait rayonner le jazz et ses rythmes endiablés. D’où l’exacerbation des tensions entre des cultures qui ont de plus en plus tendance à s’affronter, au lieu de se féconder.

Alors si la vision hypnagogique que traduit mon tableau parle de l’angoisse du « grand remplacement », elle le fait sur le mode humoristique, avec un clin d’œil synchronistique à l’esprit jazz-dada de la première moitié du XXe siècle, à travers un détournement de deux peintures, l’une de Francis Picabia (Eclipse, 1922-23, musées royaux de Belgique), l’autre du peintre abstrait russe Serge Charchoune (Composition I, 1943-44, collection privée).

Serge Charchoune, Composition I, 1943-44, huile sur carton 15 x 23,5 cm, passé en vente en 2018

Francis Picabia, Eclipse, 1922-23, huile sur toile 195,5 x 114,5 cm, Musées royaux de Belgique, Bruxelles
Le tableau de Picabia titré « éclipse » montre une Vierge de l’Immaculée Conception, sans doute copiée d’une petite gravure (voir image ci-après) dont le visage est masqué par une tête de personnage grimé comme une sorte de clown (blackface), à la façon dont on caricaturait les noirs au début du XXe siècle. Peut-être une allusion au jazz qui éclipsait momentanément la musique traditionnelle de l’Europe chrétienne.

De l’éclipse de Picabia au grand remplacement de Renaud Camus, il n’y avait qu’un pas, que mon imagination a franchi allègrement, en clonant le visage du clown noir, pour qu’il commence à envahir les pétales qui ceignent la grosse sphère blanche de Charchoune, auréolant elle-même la Vierge européenne… À regarder en musique !

mardi, mai 01, 2018

Le ramollissement imprévisible de l'espace-temps

Gilles Chambon, "Ramollissement imprévisible de l’espace-temps – ou l’invasion des montres molles"
Huile sur toile, 105 x 195 cm, 2018
La géométrie euclidienne de l’espace (symbolisée par l’architecture Renaissance à gauche du tableau, reprise d’une peinture du Tintoret) et l’écoulement régulier du temps (symbolisé par les quatre montres daliniennes qui semblent tomber du ciel comme un rayon divin) sont des illusions provoquées par l’hyperactivité rationnelle de notre cerveau. Déjà la torsion des montres indique, s’il en était besoin, que l’espace-temps est en réalité beaucoup plus courbé qu’on ne le croit, et les images doubles, empruntées elles aussi à Dali, témoignent de la solubilité totale de l’espace réel dans l’acide nitrique de l’imagination. Celle-ci est ainsi capable, comme le montre une évocation de L'afghan invisible avec l'apparition du visage de Garcia Lorca en forme de compotier aux trois figues (Dali 1938) de reconnaître la présence du grand poète disparu dans un simple compotier de figues. 

La partie droite du tableau (transposée d’un incendie de Sodome et Gomorrhe de Monsù Desiderio) démontre que lorsqu’on ouvre les tiroirs de l’inconscient, toute la belle architecture rationnelle élaborée par la partie gauche de notre cerveau vole en éclats dans un fracas évoquant à la fois le commencement (présence de l’œuf narcissique dalinien) et la fin des temps (tête de mort à moitié réincarnée issue de la résurrection des morts d’un jugement dernier du Tintoret). 

Cette composition synchronistique, donc, met en résonnance Dali, Tintoret, et Monsù Desiderio. Elle peut être interprétée comme une sorte de psychanalyse picturale de l’espace-temps. L’impression de ramollissement irrémédiable de l’espace et du temps est ressentie en particulier quand on pense à notre propre mort, et qu’on se persuade que toutes les montres vont alors s’arrêter pour indiquer de façon obsessionnelle l’heure exacte de notre disparition.

Voici l'origine des fragments de peintures détournés et réinterprétés pour ce tableau:

Tintoret : 
Le Tintoret, La translation du corps de St Marc (1562, Galerie de l’Académie, Venise)
Le Tintoret, Le jugement dernier, détail de la résurrection des morts, Chœur de Madonna dell'Orto, Venise)

Monsù Desiderio (François de Nomé) : 
Monsù Desiderio (atelier), La Fuite De Loth Ou La Destruction De Sodome Et Gomorrhe, Huile sur toile H. 50 cm L. 90 cm, collection privée

Salvador Dali : 
Salvador Dali, "Afghan invisible avec apparition, sur la plage, du visage de García Lorca, en forme de compotier aux trois figues", c. 1938, Huile sur bois, 19.2 x 24.1 cm, Collection privée
Salvador Dalí, "Désintégration de la persistance de la mémoire", 1952-1954, huile sur toile, 25,4 × 22 cm, Salvador Dalí Museum, St. Petersburg
Salvador Dalí, Métamorphose de Narcisse, 1936-1937, Huile sur toile, 51,1 × 78,1 cm, Galerie Tate Modern, Londres 
Salvador Dalí, Le Cabinet anthropomorphique, 1936, Huile sur bois,25,4 × 44,2 cm, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf
Salvador Dalí, Le Grand paranoïaque, 1936, huile sur toile, 62 × 62 cm, Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam