présentation des peintures synchronistiques

samedi, avril 21, 2007

ANACHRONISME ET MODERNITE

Une de mes premières peintures, faite in situ, à Santorin, en 1970
La peinture semble un art du passé. La production d’images signifiantes passe aujourd’hui par les procédés virtuels et mécaniques (photographie, image de synthèse, impressions et reproductions pilotées par informatique), et ces images ne sont plus, pour l’essentiel, des œuvres d’art. Alors les peintres sont aux abois, et le pire pour eux, à mon avis, est d’imiter avec les techniques artisanales archaïques les effets expressifs propres aux procédés informatisés et mécanisés (Lichtenstein ou Fromanger). La plupart des peintres cherchent une niche de repli dans une stylisation personnelle excessive. L’art de brouiller l’image, d’en faire une soupe plus ou moins digeste, semble être la seule réponse que les artistes plasticiens aient trouvée pour affirmer la persistance de leur rôle artistique de premier plan, quand du moins ils s’attachent encore à rester fidèles à la production de tableaux. Triste agonie d’un art qui fût si profond et éblouissant, parfois presque divin.

Et pourtant… la première moitié du XXe siècle, qui a enclenché la dynamique de désintégration picturale et d’installation progressive du chaos, la première moitié du XXe s. est aussi une période de remarquables conquêtes picturales : Klimt fait la démonstration qu’une orgie de beauté peut surgir du rapprochement de cultures picturales éloignées dans l’espace et dans le temps. Max Ernst et Salvador Dali déchaînent les chimères de l’imagination, et montrent que la peinture peut encore se renouveler dans ses thèmes et ses procédés. Giorgio de Chirico rappelle que la poésie et le mystère d’une image sont intemporels, et que la peinture est encore le meilleur moyen, à travers la fulgurance qu’elle permet, de jouer savamment et simplement avec les grands archétypes de l’imaginaire. Matisse invente une forme intense de plasticité et de beauté dans la saisie rapide et caricaturale du réel. Zao Wou Ki, fort sans doute des traditions asiatiques, travaille autour du mystérieux point d’équilibre où l’image se fond dans l’écriture et le geste, où la toile aspire l’espace, la lumière, et l’ombre, où le pinceau effleure les évocations sans jamais les dessiner. Alors pourquoi tous ces peintres n’ont pas eu de réelle postérité pendant ces quarante ou cinquante dernières années ? Pourquoi les meilleurs ont-ils cessé de croire à la force poétique de l’image peinte, et ont préféré se jeter à corps perdu dans le maelström médiatique des postures d’artistes, et de leurs grimaçants oripeaux?

Peut-être ont-ils cessés d’y croire parce que le public lui-même s’était détourné : ou du moins parce qu’il ne semblait plus apprécier, ni même voir la différence entre une image poétique et une construction expérimentale. Ou peut-être en était-il même venu à préférer celle-ci à celle-là. Dans l’imaginaire contemporain, en effet, les belles images peintes, la poésie plastique du représenté (rêve, mythe, ou simplement paysage ou portait), sont toujours reliées très fortement au passé, parce que celui-ci donne aux choses la force du mythe. Et donc cette beauté simple, cette poésie sans fard, ne peuvent coexister avec la production contemporaine, à laquelle il est demandé de porter d’autres valeurs. Ainsi, ce qui pour moi est le véritable art pictural, n’est plus apprécié aujourd’hui qu’à travers des œuvres peintes il y a plus de quarante ans. Un peintre actuel qui voudrait continuer dans cette grande tradition de l’image peinte, devrait peut-être avancer masqué, ou mentir, et donner ses œuvres pour des toiles anciennes et anonymes restées jusque-là inconnues. On sait que certains poètes ont utilisé ce procédé : il y a cent ans, Pierre Louÿs publiait les Chansons de Bilitis comme une œuvre de la Grèce Antique.
C’est pourquoi je me sens personnellement, d’une certaine façon, condamné à l’anachronisme. Mais les choses peuvent changer. Les notions de développement durable, de cultures en péril, de nouvelle alliance culture/nature, modifient peu à peu le visage de la modernité, et l’imaginaire qui y est associé. Peut-être le public est-il à nouveau prêt à rechercher la poésie éternelle dans les œuvres du présent. Mais bien sûr, il faut alors que les artistes ne le déçoivent pas, et se montrent à la hauteur de la tâche. Ils le seront si leurs créations savent allier la virginité du présent à la force des invariants.

jeudi, avril 19, 2007

LE CHOIX DU POETE

Gilles Chambon, le signe du Cancer, huile sur papier 1999
Quelle attitude adopter face aux drames de nos vies précaires, face à un réel parfois si désespérant ?
Les esprits rationnels et matérialistes choisissent une forme moderne d’épicurisme: ils consacrent leur vie à construire l’ici et maintenant, abandonnent la métaphysique et la transcendance, rejettent l’idée d’un réel supérieur et s’enferment de bonne grâce dans l’univers décrit par les scientifiques, qui leur paraît somme toute assez vaste pour y vivre et y rêver.
D’autres, plus crédules, choisissent de régresser vers les explications métaphysiques et mythologiques de l’une des quatre ou cinq grandes religions qui ont survécu au cataclysme de la modernité. Ils gagnent leur billet pour le paradis ou au pire, le purgatoire, soit à petits pas (en ménageant au mieux leur bonheur terrestre), soit en sautant à pieds joints dans la mort (et en entraînant avec eux le plus de monde possible). Ils ont l’optimisme naïf des enfants, et font une confiance aveugle au Dieu qu’ils s’inventent, comme les petits qui ne doutent pas de l’omnipotence et de l’amour infini de leurs parents.
Est-ce là les seuls choix offerts à la conscience humaine contemporaine ?
Non, car aucun des deux n’est à la hauteur du drame humain, aucun des deux n’en porte toute la noblesse et toute l’absurdité. Seul le choix du poète assume pleinement ce drame, et je vais essayer de montrer comment.
Le poète en effet, confronté à l’aporie fondamentale de l’être qui n’a d’autre destin que de mourir en cherchant à vivre, est seul en mesure d’en accepter la grandiose absurdité. Parce qu’il sent que cette absurdité même engendre la beauté fascinante et ambivalente du monde. Le poète peut se lancer à la recherche de l’éternité tout en sachant qu’il ne l’atteindra pas ; il le fait non pour garantir sa résurrection, mais pour vibrer dans le fol éclat de cette quête aussi vaine que nécessaire. Il sait rire de sa folie, et révéler l’indicible beauté que font naître les êtres en narguant le néant. Beauté sans espoir des fleurs qui périssent quand arrive le soir, des papillons de nuit qui volent vers le feu des étoiles et se brûlent les ailes sur de vulgaires lampions, beauté terrible des formes inventées pour séduire et tuer, beauté amusante des formes mimétiques imaginées pour tenter d’échapper à la loi universelle de la prédation… Folie déconcertante des millions d’êtres aux formes improbables et aux comportements si étranges qui peuplent le fond des fosses océaniques où la canopée des forêts tropicales… et dont l’apparition, si elle est bien soumise à l’implacable loi rationnelle de la sélection, reste due essentiellement à cette sorte d’inventivité désespérée qui surgit face à l’adversité.
Si la vérité du petit monde étroit qui nous entoure est bien celle de la science, la vérité du grand large, celle de l’univers imprévisible qui créé à chaque instant l’incommensurable étrangeté de la vie, cette vérité supérieure est bien du côté de la folie, du côté des poètes.

dimanche, avril 15, 2007

LE CERVEAU PLANETAIRE

Palimpseste - image virtuelle réalisée à partir d'œuvres de G.C., 2007


Le réseau internet avec ses connexions par centaines de milliards, ses liens instituant des boucles signifiantes privilégiées, sa plasticité, a un fonctionnement qui ressemble à celui de notre cerveau. Il est en train de devenir le grand encéphale du corps social universel, dont nous sommes les cellules agissantes.
Mais ce grand cerveau est endormi, il n’a pas encore pris conscience de lui-même, il forme des rêves au hasard des milliards de chaînes d’activations qui relient tous ses sites. Que se passera-t-il le jour où il s’éveillera ? Ce ne sera plus alors nous qui stimulerons ses connexions, mais lui qui nous intimera des commandements à travers nos séances de navigation sur la toile. Quelle forme prendront ces ordres ? Sans doute des sollicitations subliminales, de façon à ne pas éveiller en nous la méfiance individuelle. C’est-à-dire que nous ne serons pas conscients de cette conscience collective qui nous contrôlera et nous pilotera à travers internet.
Cela est dans la logique naturelle de l’évolution : tout corps se structure peu à peu et finit par créer, pour des facilités de coordination, un centre de connexions nerveuses ; puis lentement ce centre sécrète une conscience, qui un jour est amenée à prendre les rênes et orienter l’évolution globale du système vivant. En cela internet, au moment où l’individualisme semble l’emporter sur les logiques de détermination de groupe (familial, clanique, tribal, sectaire), scelle définitivement et irrémédiablement l’existence d’un corps social planétaire auquel tous les individus sont maintenant assujettis.
Car le temps est quasiment venu où aucun individu normalement constitué ne pourra plus vivre s’il n’est pas connecté à internet. Seuls quelques groupes de dissidents, archaïques, resteront en dehors et échapperont à la structure du corps social planétaire. Et il est très probable que ce dernier cherchera à les éliminer. En un certain sens, c’est le Matrix des frères Wachowski ; sauf que l’idée d’exploitation des hommes par l’intelligence artificielle (qui fait d’elle, dans le film, une puissance du mal) ne correspond pas au modèle naturel de contrôle des cellules du corps par le cerveau : celui-ci n’exploite pas les cellules en les trompant, mais les fait participer à une aventure qui est au-delà de la simple logique de survie individuelle cellulaire, et les protège à long terme. Mais cela peut, comme l’a bien montré J-C Ameisen dans « La sculpture du vivant », entraîner le suicide d’éléments cellulaires individuels pour l’intérêt général de l’organisme qu’ils composent ; c’est ce que les biologistes appèlent la mort cellulaire par apoptose. Nous connaissons bien sûr aussi cela à l’échelle sociétale : depuis que les sociétés humaines organisées existent, le sacrifice suprême peut être demandé à certains individus, en général les soldats, en cas de danger imminent pesant sur le groupe. Et nous savons, pour reprendre la métaphore de l’organisme vivant, que lorsque les cellules ne sont plus contrôlées et pilotées par le coordinateur global, les proliférations anarchiques, que l’on nomme cancer, se répandent et finissent, en tuant l’organisme sur lequel elles vivent, par entraîner aussi leur propre mort. Donc dans la réalité, c’est l’intelligence émergente globale (dont Matrix est la métaphore) qui est la force du bien, et les groupes archaïques dissidents (symbolisés dans le film par les habitants de Sion), qui sont les forces délétères.

dimanche, avril 01, 2007

La force de l’imaginaire

Gilles Chambon,"Le reniement de Saint Pierre"(détail),  huile sur toile 73x91cm, 2006
Depuis le paléolithique, la peinture a pour objet de donner un (ou plusieurs) visage familier à tous les récits, mythes, rêves, espérances, souvenirs, qui peuplent l’esprit des hommes. Il est vrai que la représentation mécanique (photo, cinéma, image de synthèse), depuis son invention, remplace la peinture dans une grande partie de cette fonction première (mais elle contribue aussi à diffuser largement les œuvres peintes). Pour autant, la peinture comme mode d’expression artistique n’est pas devenue anachronique ; le rôle de la peinture comme représentation n’est alors pas amené à disparaître, comme ont pu le croire les promoteurs de l’art abstrait puis de l’art conceptuel. Mon opinion est que la peinture figurative doit cependant se recentrer aujourd’hui principalement sur trois attentes de l’imaginaire qu’elle seule peut encore satisfaire. Quelles sont-elles ?

Je parlerai d’abord de l’attente fétichiste : là encore, depuis le paléolithique, l’œuvre qui représente est aussi dépositaire d’un certain pouvoir magique, elle est un fétiche, un condensateur de forces inconnues, occultes, surnaturelles. Elle concentre en elle, pourvu qu’on y perçoive certains signes, une charge émotionnelle intense. Cette charge est en fait la trace physique de l’émotion ressentie et du travail ritualisé qui ont permis à l’artiste de produire son œuvre ; Cette charge fétichiste a tendance, dans notre société du spectacle, à se pervertir en se repliant sur la seule signature de l’artiste vu à travers le star-system. Pourtant, l’émotion peut encore surgir de la découverte d’un tableau modeste, même s’il est anonyme. Surtout si c’est une œuvre du passé : la distance temporelle renforce la puissance du fétiche, parce que les générations disparues rejoignent le mythe. Les dieux eux-mêmes sont sans doute, à l’origine, les esprits des anciens dont la puissance magique n’a cessé de croître au fur et à mesure que la distance temporelle les éloignait du présent et les rapprochait de l’origine. En cela la force fétichiste d’une œuvre contemporaine non liée au star-system, est indissociable de la notion de permanence : elle se doit d’exprimer des archétypes, d’être une interprétation contemporaine sincère d’événements ou de sujets auxquels la distance temporelle et la place dans l’imaginaire collectif donne la force du mythe. C’est pourquoi tout le courant de la figuration narrative et de la nouvelle figuration fait fausse route : il recherche à tort, pour s’inscrire dans le stupide cliché de l’artiste engagé, l’interprétation de formes et de faits qui caractérisent le présent par opposition au passé. Alors qu’il faudrait au contraire que l’artiste sache rattacher les manifestations du monde contemporain à l’imaginaire intemporel, à la puissante mythologie collective de nos sociétés, qui, pour être modernes, n’en ont pas moins une longue histoire et une mémoire qui plonge ses racines de plus en plus loin dans les temps révolus.

La seconde attente à laquelle doit répondre, selon moi, la pratique actuelle de la peinture figurative est l’attente esthétique, dans le sens le plus traditionnel, celui de la recherche de la beauté. Je sais que pour beaucoup de critiques, ce mot banal ne veut plus rien dire en matière d’art ; et pourtant. Quand je regarde le « baiser » de Klimt, ou la « femme au chapeau rouge » de Vermeer, ou encore « le printemps » de Botticelli ; quand j’écoute « Syrinx » de Debussy, ou l’air de « Casta Diva » de Bellini, ou le Requiem de Mozart, ou encore le Stabat Mater de Vivaldi, je sais, jusqu’au plus profond de mon être et sans la moindre hésitation, ce que beauté veut dire. Percevoir la beauté dans une œuvre, dans un visage, dans un paysage, c’est entrer en communion avec l’une des nombreuses preuves d’amour, d’espoir, de bonheur, de fantaisie, ou de grandeur que le monde recèle. Or la peinture, en ce qu’elle peut moduler les couleurs et les formes avec une subtilité et une profondeur inégalables par les autres arts, reste le meilleur vecteur pour aller au devant de cette attente de beauté. Encore faut-il bien sûr qu’elle la recherche avec passion.

Enfin la troisième attente à laquelle la peinture peut encore aujourd’hui répondre mieux que tout autre art visuel, est l’attente d’expressivité. La force expressive dont la peinture est capable n’a que peu à voir avec le mouvement expressionniste, qui en est une sorte de caricature. Pour moi, un des sommets de l’expressivité est atteint par Goya dans ses peintures noires. Il s’agit de quelque chose qui résiste à l’analyse iconologique, de quelque chose de mystérieux et subtile, qui donne une fulgurance incroyable à une simple image. C’est un rapport dynamique à la fois insolite et précis entre le contenu, la scénographie, la lumière, les lignes, la stylisation des figures, et la dimension de l’oeuvre. C’est un attracteur étrange chargé d’une tempête d’évocations dicibles et indicibles, qui se manifeste tout à coup derrière la toile et subjugue le spectateur. Mais c’est aussi, à mon avis, la chose la plus difficile pour l’artiste peintre, qui doit souvent se contenter de la modeste expressivité dont il est capable ; car rien n’est pire, dans ce domaine, que l’afféterie, le mensonge, et la contorsion.