présentation des peintures synchronistiques

mercredi, décembre 28, 2011

Palmeraie de Marrakech

Golf dans la palmeraie de Marrakech, pastel, G. Chambon, 2011 


La grande palmeraie de Marrakech, qui s’étend sur 130 000 ha entre l’oued Tensift au nord, les murs de la Médina à l’ouest, et les terres arides du Haouz à l’est et au sud, subit depuis un siècle un lent processus de dégradation, qui va maintenant en s’accélérant, notamment en raison de la spéculation immobilière.

Les princes Almoades avaient organisé au XIIe siècle la palmeraie en vaste jardin cultivé, notamment grâce au système de canalisations souterraines appelées khettarra, qui apportaient aussi l’eau aux fontaines de la ville intra muros. Faute d’entretien, l’irrigation traditionnelle a disparu au fil des siècles ; le pompage des nappes phréatiques, lié à l’urbanisation récente (et notamment à la création de nombreux terrains de golf), participe à la salinisation des terres et à la régression de l’agriculture maraîchère. Si l’on ajoute à cela la prolifération des résidences de luxes et des hôtels haut de gamme, on comprend que ce qui était autrefois un vaste poumon vert collectif et agricole, est devenu aujourd’hui un patchwork de quartiers fermés pour riches résidences ou équipements touristiques de luxe, entre lesquels dépérissent les lambeaux subsistant de la palmeraie historique ; quelques touaregs miteux y attendent encore les groupes de touristes pour une dérisoire promenade à dos de chameau. Et d’anachroniques calèches sillonnent les axes résidentiels pour montrer aux badauds les villas des grandes stars internationales.

Affligeante, donc cette impression qu’un des plus beaux paysages du monde, dominé à l’horizon par la majestueuse silhouette de l’Atlas, est aujourd’hui dépecé par les rapaces de la riche bourgeoisie, marocaine et internationale, dont chacun arrache un fragment de paradis, n’ayant cure de l’enfer qui prolifère à l’extérieur. Formons le vœu que 2012 conduira les responsables Marrakchis à davantage d’équité et de bon sens dans la gestion de cet immense patrimoine collectif, qui peut peut-être encore être sauvé. 
Bonne année à tous.

samedi, novembre 26, 2011

Erotique et esthétique

Gilles, Chambon, "Trois baigneuses", huile sur toile 2011

Les fresques des lupanars de Pompéi ou les estampes japonaises shunga nous rappellent que l’érotisme et l’art pictural ont souvent eu partie liée au cours de l’histoire. En occident, de la Renaissance au post-impressionnisme, représenter le corps dénudé des femmes est un exercice quasi incontournable pour les peintres.

C’est d’abord la mythologie qui sert de prétexte : Vénus, Diane, Psyché, les trois grâces… Mais on a aussi à la Renaissance des exemples d’une manière plus directe de vanter la beauté féminine, tels le portrait de Diane de Poitiers dans sa baignoire par Clouet, ou ceux, dus à des peintres de l’école de Fontainebleau, de Gabrielle d’Estrées et sa sœur la duchesse de Villars, ou des nombreuses femmes au bain ou à leur toilette découvrant les charmes de leur poitrine, et parfois davantage.
Les représentations mythologiques perdureront dans la peinture aux XIXe et XXe siècles, ainsi que les femmes à leur toilette, mais de nouvelles façons de glorifier le corps féminin apparaîtront aussi : simples anatomies d’étude, odalisques, danseuses de cabarets, baigneuses, prostituées.

Davantage que la diversité des thèmes à travers lesquels sont représentées des femmes plus ou moins dénudées, c’est la rupture du rapport entre érotique et esthétique qui est particulièrement intéressante dans la peinture moderne, et cela dès la fin du XIXe siècle. Auparavant, de la « naissance de Vénus »  de Botticelli (1495) aux « Grandes baigneuses » de Renoir (1887), beauté sensuelle et esthétique picturale restaient intimement mêlées : les peintres faisaient preuve de suffisamment de réalisme pour suggérer directement au spectateur la volupté des corps, et de suffisamment de recul pour que l’écriture plastique élève et distancie la représentation, et conduise l’esprit vers la sphère supérieure de l’émotion artistique.

Au cours des 150 dernières années, cet équilibre sensualité féminine / esthétique picturale a été triplement rompu :

-    Par Courbet d’abord qui, avec « L’origine du monde » (1866), ouvre le champ de l’hyperréalisme fétichiste qui s’épanouira un siècle plus tard, surtout en Amérique (John Kacere, Betty Tompkins, Omar Ortiz, Alyssa Monks, Monica Cook) et dans lequel toute la plastique de l’œuvre se met au service de la simple suggestion érotique.
Gustave Courbet, "L'origine du monde", musée d'Orsay


-    Par Cézanne ensuite, avec « Trois baigneuses » (1879-82), parce qu’il est le premier à évacuer totalement la charge sensuelle des corps féminins qu’il représente pour les inféoder à cette esthétique quasi musicale, où les formes figurées ne sont plus en réalité que des cordes vibrantes dans une orchestration de couleurs.
Paul Cézanne, "Trois baigneuses", Petit-Palais, Paris


-    Par Schiele enfin, avec « Jeune fille assise » (1910), dessin dans lequel il détourne l’équilibre sensualité du corps / esthétique picturale vers un nouvel équilibre laideur du corps / esthétique picturale ; après lui Lucien Freud, Francis Bacon, ou Jean Rustin, développeront cette mise en scène picturale des anatomies imparfaites, et travailleront l’expressionnisme des corps disloqués, déformés, vieillis, avilis et souillés ; ils mettront l’expression plastique (pâteuse ou grumeleuse, grise ou congestionnée) au diapason des chairs adipeuses ou fanées.
Egon Schiele, "Jeune fille assise", aquarelle et gouache, 1910



Fétichisation, défiguration, et déliquescence ne sont-elles pas d’ailleurs les trois muses de l’art contemporain ? Ce dernier ne cesse en effet de dénoncer / parodier les travers du monde actuel : société de consommation (fétichisation), accumulation des déchets et gaspillage (déliquescence), déshumanisation par la machine et règne de l’artificiel (défiguration).

Mais en marge de ces ruptures assumées avec la poétique picturale et, pourrait-on dire, ancestrale de la sensualité féminine, mais peut-être s’en nourrissant aussi, des artistes comme Bonnard, Suzanne Valadon, Grace Crowley, Tamara de Lempika, Modigliani, Aristide Maillol, André Lhote, Charles Kvapil, Mavro Mania, etc… continuèrent tout au long du XXe siècle à marier amoureusement les mille aspects de la beauté féminine avec les mille facettes de l’expression plastique. C’est encore le chemin qu’humblement j’essaie d’emprunter.

samedi, novembre 12, 2011

Les charmes de l'hiver

"Paysage idéalisé du château de Queyras en Dauphiné", anonyme, entre 1790 et 1794, dans la mouvance de Francesco Foschi et de Johann Christian Vollerdt,  collection privée

Les XVIIe et XVIIIe siècles ont vu s'épanouir et se propager dans l'Europe entière la sensibilité à la nature, à ses paysages, à ses saisons.
En peinture, les Flamands et les Hollandais sont passés maîtres dans l'art de restituer (et d'imaginer) toutes sortes de contrées, depuis le plat pays aux lumières changeantes, magnifié par Ruysdael et Hobbema, jusqu'aux antiques paysages d'Italie restitués par Paul Bril,  Hans Bol, van Nieulandt, et tous les peintres de l'Europe du nord qui faisaient le grand tour à Rome, en passant par les paysages de montagne, reconstitués d'après les Alpes ou totalement imaginés, par Roelandt Savery, Joos de Momper, Tobias van Haecht, Frederick van Valckenborch, Lambert Doomer, et bien d'autres encore.

"Paysage montagneux, avec une Fuite en Egypte", Tobias van Haecht, Louvre département des Arts graphiques


Au milieu du XVIIIe siècle, alors que le pré-romantisme des paysages de ruines triomphe avec Hubert Robert, et que les Canaletto et Guardi règnent sur la veduta vénitienne, un peintre italien d'Ancôme, Francesco Foschi, continue de faire écho aux grands maîtres paysagistes Flamands du siècle précédent, et se spécialise curieusement dans les paysages hivernaux, et particulièrement les paysages rocheux et montagneux (son contemporain Johann Christian Vollerdt, peintre allemand, produit aussi de petits paysages de montagne hivernaux ; et à Nüremberg, une famille de peintres, les von Bemmel, descendant de peintres d'Utrecht, réalisent aussi des vues de paysages enneigés)
"Paysage d'hiver avec voyageur devant un pont, et une ville perchée à l'arrière plan"  
Francesco Foschi, collection privée
Johann Christian Vollerdt, Paysage hivernal de montagne avec personnages sur une rivière gelée, huile sur toile 42.2 x 55 cm

"Paysage d'hiver avec des bâtiments fortifiés", Francesco Foschi, Glasgow Museum


La peinture de Foschi, un peu oubliée, a été mieux étudiée et documentée depuis le début des années 2000 par Marietta Vinci-Corsini; les tableaux qui nous sont parvenus ne manquent pas de charme et expriment une tendresse insolite pour cette froide saison, que cent ans plus tard Monet observera amoureusement sur le motif, avec une acuité inconnue avant l'impressionnisme.

"La pie", Claude Monet, Musée d'Orsay



Un autre Italien, chantre des saisons et de leur harmonie, connut la célébrité au XVIIIe siècle dans toute l'Europe; il s'agit d'Antonio Vivaldi; il composa "Les quatre saisons" (Opus 8, no 1-4, qui ouvrent le recueil Il cimento dell'armonia e dell'invenzione — « La confrontation entre l'harmonie et l'invention ») dans le premier quart du XVIIIe siècle.

Voici, extrait du texte dont il accompagna sa partition, les vers qui décrivent « L'inverno »
(Concerto n° 4 en fa mineur, op. 8, RV 297)
L'hiver

Allegro non molto

"Trembler violemment dans la neige étincelante,

"Au souffle rude d'un vent terrible,

"Courir, taper des pieds à tout moment

"Et, dans l'excessive froidure, claquer des dents;



Largo

"Passer auprès du feu des jours calmes et contents,

"Alors que la pluie, dehors, verse à torrents;



Allegro
"Marcher sur la glace, à pas lents,

"De peur de tomber, contourner,



"Marcher bravement, tomber à terre,
"Se relever sur la glace et courir vite

"Avant que la glace se rompe et se disloque.

"Sentir passer, à travers la porte ferrée,

"Sirocco et Borée, et tous les Vents en guerre.

"Ainsi est l'hiver, mais, tel qu'il est, il apporte ses joies.
 
(mise à jour nov 2021) : Mais revenons au tableau en tête d'article. Voici un montage qui le compare aux gravures du XIXe siècle représentant le fort Queyras, le village de Château Queyras (avec sa croix), et la gorge du Guil :
 
Le paysage réel est un peu différent de celui des gravures, qui accentuent les contrastes de formes; et la peinture s'en éloigne encore davantage ; mais plusieurs éléments (corps de bâtiments, pont en bois, profil des montagnes et des roches, présence d'une grande croix à proximité) sont reconnaissables et ne laissent aucun doute sur le lieu qui a inspiré ce paysage idéalisé. De plus le tableau est datable par deux éléments : la représentation en haut du château d'un donjon crénelé, qui a été supprimé vers 1793 et ne figure donc plus sur les gravures du XIXe siècle; et la présence d'un drapeau tricolore, apparu seulement à la Révolution, sous différentes formes; la bannière à bandes horizontales qui figure dans le tableau est celle qui avait été retenue pour la fête de l'Être Suprême en juin 1794, au Champ de Mars.
 

samedi, octobre 29, 2011

Dynamique de la création artistique

"En fait, tous les bons et les vrais dessinateurs dessinent d’après l’image écrite dans le cerveau, et non d’après la nature (…) Quand un véritable artiste en est venu à l’exécution définitive de son œuvre, le modèle lui serait plutôt un embarras qu’un secours. Il arrive même que des hommes tels que Daumier et M. G., accoutumés dès longtemps à exercer leur mémoire et à la remplir d’images, trouvent devant le modèle et la multiplicité de détails qu’il comporte, leur faculté principale troublée et comme paralysée".  Charles Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne

Rachid Aït Kaci, dessin extrait de l'album "Bas les voiles!"1984
René Magritte, La Clairvoyance (autoportrait), 1936, Galerie Isy Brachot, Bruxelles

Dans une société où les artistes seraient bien intégrés aux circuits généraux de l’économie (ce qui est n’est plus le cas dans la nôtre) la dynamique de la création artistique serait cadrée, comme celle du peintre devant son modèle. Elle reposerait soit sur une connaissance des types d’oeuvres et de sujets allant à la rencontre des goûts d’une clientelle identifiée, soit sur la commande directe et explicite d’un client, public ou privé.
C’était généralement ce qui se passait jusqu’au XVIIIe siècle. Mais au XIXe siècle, qui fut marqué par la montée de l’industrialisation et de la production en série, et alors que la théorie romantique du génie prenait parallèlement de l’importance, le statut de l’artiste est devenu de plus en plus flou, et le modèle de l’artiste d’avant-garde a fini par émerger ; en 1845, le critique d’art G-D Laverdant écrivait : « L’Art, expression de la Société, exprime, dans son essor le plus élevé, les tendances sociales les plus avancées ; il est le précurseur et le révélateur. Or, pour savoir si l’art remplit dignement son rôle d’initiateur, si l’artiste est bien à avant-garde, il est nécessaire de savoir où va l’Humanité, quelle est la destinée de l’Espèce ». 

Le terme avant-garde s’est définitivement imposé au XXe siècle, désignant l’artiste comme un intellectuel totalement libéré de la contingence des commandes et même du public, une sorte de prédicateur artistique capable de révéler et d’exprimer, sans cadre prédéterminé, les grands questionnements politiques, sociaux, ou métaphysiques traversant son époque. Maudit ou révolté, il se devait de ne faire aucune concession, ni au goût du public, ni aux attentes du marché.

Il n’empêche que le marché avait toujours besoin de créateurs, et de fait, deux catégories d’artistes ont divergé : d’un côté les « artisans créateurs appliqués », intégrés au système de production dominant, fonctionnant sur des commandes, qui dans le domaine du design, qui dans celui de la publicité, qui encore dans celui de « l’entertainment ». De l’autre côté les artistes « purs », voués aux musées, aux collectionneurs, aux mécènes, aux galeries, aux critiques d’art, et surtout aux médias. Leur travail « libre » était au départ indépendant des marchés : comme cela se passe pour beaucoup de romanciers, leurs revenus provenaient - et proviennent encore souvent - d’une autre activité (généralement l’enseignement) permettant de dégager du temps personnel affecté la création pure.  Mais dès le moment qu’elle fut médiatisée, l’attitude avant-gardiste qui affirmait sa totale liberté, n’a pas manqué de générer un business, un marché, et donc une attente spécifique des milieux concernés, à laquelle l’artiste devait se plier pour briller.  D’où un formatage de plus en plus évident des œuvres d’art contemporain, assez paradoxal d’ailleurs, dans la mesure ou la norme appréciée est d’adopter une posture se défiant de toute norme. On connaît les inepties qui ont pu sortir de ce système schizophrène, et je n’y insisterai pas, renvoyant le lecteur aux écrits récents de Jean Clair ou de Christine Sourgins.

Mais pour les artistes véritablement libres, ceux qui par conviction n’ont pas voulu tenter leur chance dans le business de l’art contemporain, et qui continuent d’avoir une pratique artistique  sans relation avec le marché, ceux-là, dont je fais partie, doivent créer à partir de leur imaginaire personnel, de leurs préoccupations théoriques, et de leur désir d’accomplissement artistique.

La dynamique de la machine poétique humaine est assez difficile à saisir. Ses ressorts ne sont pas forcément visibles ou compréhensibles de premier abord. Pour créer, il faut d'abord concentrer l’énergie: souffler sur la braise du désir pour le faire croître. Mais un souffle dispersé ou tournant éparpille la braise et éteint le feu au lieu de le ranimer. Des éléments extérieurs (tâches professionnelles insipides, sollicitations diverses) peuvent aussi empêcher l’énergie de se concentrer autour du désir de créer. Une autre difficulté est l’absence de prise, d’angle d’attaque, pour aborder un sujet; elle peut empêcher l’enclenchement du processus de création. Alors il faut parfois, pour que s’amorce la spirale créative, un catalyseur, un élément impromptu et sans rapport avec le thème à l’étude, mais un élément qui engendre une attitude nouvelle, ou un renouvellement du désir et de la sollicitation imaginaire.

Tout se passe comme s’il existait des méridiens secrets, une carte invisible des convergences d’énergies imaginales, dont il serait nécessaire de suivre les reliefs naturels, les courants, pour avancer de façon efficace, à l’instar des navigateurs qui doivent s’appuyer sur les vents, ou des sondes spatiales qui ont besoin de profiter de l’attraction des planètes pour s’élancer vers des espaces cosmiques plus vastes. J’ai déjà remarqué le côté souvent irrationnel (du moins pour moi) de la création picturale : je pars souvent sur une idée qui a germé petit à petit, je commence à la travailler sans vraiment trouver quelque chose de convainquant, et brusquement, se présente à moi sans que je sache bien pourquoi, une configuration sortie de nulle part, mais qui s’impose très vite comme juste et définitive, même si elle n’a aucun rapport avec ma recherche première.  Beaucoup de choses qui régissent nos comportements et notre capacité à créer ne passent pas par un processus conscient. La force du créateur est peut-être simplement son habileté à saisir, sélectionner et agencer selon son art, les images (ou autres signaux) que le hasard pousse à côtoyer ses sens en éveil.

dimanche, octobre 09, 2011

La France pittoresque

Eugène Bléry, vue de Pont-en-Royans, 1844, dessin à la mine de plomb, collection privée
La France des terroirs, celle qui plaît aux touristes du monde entier, avec ses monuments de pierre rousse ou blonde, ses rue anciennes, ses maisons échelonnées aux pentes des collines ou accrochées aux escarpements rocheux, cette France pittoresque, avant d’être facilement accessible par les autoroutes et frénétiquement photographiée par les citadins, fut découverte au XIXe s. par une poignée de jeunes dessinateurs, graveurs et lithographes. Ils prenaient les diligences et parcouraient le territoire avec leur carnet de croquis, s’asseyant ici au bord d’un chemin creux et là à l’ombre d’un arbre, pour contempler ces paysages dont personne alors n’avait pris conscience de l’intérêt et de la beauté. Il travaillaient pour les éditeurs de « voyages pittoresques », qui furent les ancêtres de nos guides verts ou bleus.

Eugène Bléry, graveur émérite qui fut le professeur de Charles Meryon, a participé à ce mouvement d’exploration des provinces françaises, et a donné quelques recueils d’estampes sur l’Auvergne et le Dauphiné. Le dessin de Pont-en-Royans montré ici fut réalisé par lui sur le terrain le 26 juillet 1844. Il n’a à ma connaissance jamais été repris en gravure. La scénographie en est pourtant typique de ce « pittoresque » que recherchaient alors les artistes romantiques.

J’avais travaillé (il y a maintenant un quart de siècle !) sur la genèse de cette esthétique de nos villes et villages traditionnels, et écrit une étude universitaire sur ce sujet, abondamment illustrée de lithographies et photographies anciennes, sous le contrôle bienveillant de Françoise Choay. Je la livre aujourd’hui en format pdf, pour tous ceux que le sujet intéresse.


dimanche, septembre 18, 2011

Les baigneuses au chien

Baigneuses au chien, Gilles Chambon, Huile sur toile, 2011

Les baigneuses au chien sont un lointain souvenir de Diane et Actéon, maintes fois représentés par les peintres… 
Pour avoir surpris nues la déesse et ses servantes, Actéon le chasseur fût transformé en cerf et dévoré par sa meute. Heureusement les déesses d’aujourd’hui sont moins farouches ; elles ignorent le chasseur qui les observe et préfèrent cajoler son chien.

dimanche, septembre 11, 2011

Exploration

Les citadines, pastel, G. Chambon 2011

Ce week-end, j'ai continué à explorer le monde doux et ensoleillé du pastel à l'huile.

dimanche, septembre 04, 2011

Quatre pastels

Baigneuse 1, pastel, G. Chambon
Baigneuse 2, pastel, G. Chambon


Nu allongé, pastel, G. Chambon

Nu assis, pastel, G. Chambon

C’est aujourd’hui la première fois que j’utilise le pastel gras.

Les bâtons de pastel, plus encore que les crayons de couleurs, avec leur nuancier raffiné de tonalités douces ou éclatantes, ressemblent à une grande palette de maquillage.

Il m’a donc semblé tout naturel d’en associer l’emploi à la représentation de corps féminins. Leur pâte généreuse et élastique colle à la plasticité des formes sensuelles, elle capte les rondeurs et les finesses, l’ivoire et le rosé du teint, le noir luisant des longues chevelures, et restitue par petites touches la musique feutrée des lumières et des ombres.

lundi, août 29, 2011

Créatures de dieu ou avatars des hommes?

L'homme, fasciné par l'étrangeté du monde animal comme par sa propre figure, n'a cessé d'inventer des êtres surnaturels équivoques, oscillant entre humains parfaits et créatures chimériques.
 
Jérôme Bosch,  Saint Jacques et le magicien Hermogène, détail
Musée des Beaux-Arts, Valenciennes

Mère femme-chien, étude pour projet de film de David Cronenberg

Sirène, bestiaire d'Ashmole, XIIIe s.
L'enfer, Très riches heures du Duc de Berry, détail, frères Limbourg, XVe s.

Naissance de Vénus, Botticelli, détail, Galerie des Offices, Florence

Le songe de Joseph, Philippe de Champaigne, détail, National Gallery, Londres

Dieu créant le soleil, Michel-Ange, plafond de la chapelle Sixtine

Extra-terrestre, photo d'un mannequin exposé à l'International UFO Museum and Research Center

Boddhisattva Avalokitesvara, Guanyin, aux mille bras et mille yeux, Chine,musée Guimet, Paris
Les sciences de la nature ont depuis le XVIIe siècle observé, analysé, et classé les différentes entités, vivantes ou non, qui peuplent notre planète ainsi que l'orbe céleste accessible aux appareils d'observation et de mesure, comme d'ailleurs avait déjà tenté de le faire Aristote il y a vingt-quatre siècles, avec des moyens beaucoup plus réduits mais une méthode déjà très élaborée. Elles ont finalement mis en évidence une loi du devenir et de l'organisation croissante de la matière, agissant à tous les niveaux, et créant des entités de structure pérenne de plus en plus sophistiquées, de l'inerte au vivant, et que l'on peut résumer grossièrement selon la chaîne suivante : l'atome, le cristal, la molécule, le virus, l'organisme unicellulaire, l'organisme végétal, l'organisme animal, et en bout de chaîne l'organisme intelligent  (doué de langage) qu'est l'homme ; mais aussi les entités géantes que sont les étoiles, les planètes, les galaxies, les trous noirs, etc.

    Les hommes de science ont pris l'habitude de penser que parmi les formes vivantes, l'homme est le nec plus ultra de l'organisation de la matière, parce qu'ils n'ont rien observé de supérieur. N'oublions pourtant pas que, s'il est relativement aisé d'observer les entités d'organisation inférieure ou égale en complexité à la nôtre, il est sans doute beaucoup plus difficile de déceler - voire même d'imaginer (bien que les mathématiciens nous aient éblouis par leur faculté de raisonner sur des objets à N dimensions) - les entités plus complexes, qui ne manquent certainement pas de peupler le cosmos, sans doute à notre insu.
    Je ne sais si c'est ce pressentiment spontané - mais somme toute logique - de l'existence d'entités supérieures à l'homme qui est à l'origine des religions, mais en tout cas celles-ci ont imaginé des êtres - dieux, anges, génies, esprits, diables, etc. - créatures invisibles (inobservables) développées par toutes les cultures humaines, sans qu'il existe à ma connaissance aucune exception. Les vertigineux progrès des découvertes scientifiques au cours des trois derniers siècles écoulés ont bien sûr mis en évidence la naïveté de ces créatures imaginées pour la plupart il y a plusieurs millénaires, et l'invraisemblance des mythes qui y étaient associés.
    L'homme moderne, en réponse à cette fracture entre croyances traditionnelles et connaissance scientifique, a développé deux attitudes :

- l'une, de rupture, consiste à rejeter en bloc les mythes religieux et les divinités associées, pour ne les prendre que comme la manifestation d'un stade particulier - prélogique - de la pensée humaine, dont il est aujourd'hui temps de se libérer, comme l'enfant en grandissant se libère des contes qui ont bercés ses jeunes années ;

- l'autre attitude, liée en général à l'acceptation philosophique d'une transcendance que la science ne peut remettre en question, tend à interpréter les mythes religieux comme des métaphores polysémiques, et accepte l'idée d'une finalité universelle incompréhensible mais pénétrant et transcendant toute créature, qu'elle assimile à une divinité unique.

    Je tiens pour ma part qu'il existe une troisième voie, évidemment aussi invérifiable que les deux précédentes, mais à mon sens plus satisfaisante parce qu'elle permet de gérer dans une conception logique unique, la quasi évidence (du simple point de vue des probabilités à l'échelle de l'univers) de l'existence d'entités d'organisation supérieures à l'homme, et dans une certaine mesure, comme j'essaierai de le montrer, la convergence entre les propriétés que devraient posséder ces entités plus évoluées - selon des hypothèses logiquement établies - et certaines des propriétés transcendantales qui sont attribuées aux divinités dans la plupart des religions.

    Il est logique, à partir des connaissances scientifiques acquises dans les domaines de la biologie et de l'évolution, d'inférer l'existence sur d'autres planètes de formes de vies analogues, bien qu'évidemment assez différentes (étant donnée la diversité de formules inventées par la nature rien qu'à l'échelle de notre terre). Mon hypothèse est donc que sur toutes planètes où la vie a pu se développer, on trouve des formes de type végétal et animal, des formes de type humanoïde, et des formes supérieures, dont il sera question dans la suite de mon propos.
    Je voudrais dans un premier temps envisager avec un certain recul les formes humanoïdes, dont les seuls représentants que nous connaissions sont les hommes actuels (homo sapiens sapiens) et leurs ancêtres hominiens disparus. Nous savons que cette catégorie dans la chaîne d'évolution des entités naturelles est apparue il y a à peu près trois millions d'années, ce qui est fort peu à l'échelle de l'histoire de la planète. On peut tout à fait supposer que nous sommes encore parmi les formes les moins évoluées de la catégorie humanoïde ; les fameux petits hommes verts et leurs soucoupes volantes, réels ou imaginaires, symbolisent une forme humanoïde extraterrestre plus évoluée que l'homme terrestre. Et à l'heure du génie génétique, de la bionique, et du développement des greffes d'appareils technologiques à l'intérieur même du corps humain pour remplacer ou accompagner certains organes défaillants, il n'est pas interdit d'envisager une évolution rapide des hommes vers des formes génétiquement  plus perfectionnées, et intégrant peut-être un appareillage bio-informatique décuplant leurs performances. Ainsi les formes les plus évoluées de type humanoïdes réalisent-elles peut-être un mélange, au sein de leur organisme, d'éléments naturels et d'éléments artificiels, permettant un contrôle plus sophistiqué des fonctions biologiques, un allongement important de la durée de vie, et surtout un décuplement des formes de perception et de communication : la radio transmission d'un cerveau à l'autre est très envisageable, ainsi que la captation directe des informations transmises par toutes les catégories d'ondes lumineuses et électromagnétiques. On imagine alors à quel point les facultés cognitives et la pensée pourraient s'élargir.
    Il reste à mon sens que ce qui caractérise la catégorie humanoïde est ce lien de dépendance total entre un organisme matériel unique et une pensée consciente individuelle, impliquant en particulier le caractère mortel. Cependant, dans ses formes les plus évoluées, l'humanoïde peut tendre vers une catégorie supérieure nouvelle, où la conscience individuelle pourrait trouver des moyens de se dissocier d'un organisme unique : j'appellerai ce nouveau stade de développement des entités vivantes, le stade angélique, par analogie avec les êtres supérieurs imaginés par les religions. Ainsi la catégorie des êtres angéliques serait caractérisée par cette dissociation entre corps et esprit, engendrant certaines conséquences comme la faculté de gérer une incarnation sous différentes formes, les facultés de déplacement instantané et d'ubiquité, et enfin bien sûr l'immortalité. Le corollaire de l'immortalité est évidemment la fin de la reproduction, sexuée ou non (le débat sur le sexe des ange était donc un faux débat!).
    De tels êtres angéliques, issus de la chaîne naturelle de l'évolution, ont évidemment la possibilité de se déplacer de façon fulgurante dans l'espace cosmique, et on peut supposer que s'ils sont apparus sur une ou plusieurs planètes lointaines, ils peuvent très bien depuis longtemps être en contact direct avec notre terre, et agir sur l'imaginaire des formes moins évoluées que sont les humains ; ainsi ont peut sans invraisemblance penser qu'il existe un lien entre ces êtres et nos croyances religieuses ancestrales.
    Les anges ne sont sans doute pas l'ultime catégorie de l'évolution ; il est évidemment difficile pour nos esprits encore primitifs d'imaginer ce que peut être cette ultime catégorie, de la même façon qu'il nous est difficile d'imaginer ce que peut être Dieu : c'est pourquoi j'appellerai dieu(x) l'ultime catégorie d'entités issues de l'évolution. Je ne choisis pas entre le singulier et le pluriel, parce que le(s) dieu(x) a/ont sans doute dépassé le stade de l'individuation. On peut imaginer qu'en plus du don d'ubiquité des anges, le dieu a le don de multi-temporalité ; c'est-à-dire qu'en un certains sens il(s) coexiste(nt) depuis toujours en chacune des entités naturelles : il(s) est (sont) l'alpha et l'oméga.

    Cette façon de relier religion et vision scientifique du monde paraîtra sans doute à beaucoup comme une fantaisie inacceptable, parce qu'elle bouscule trop d'idées reçues. J'y vois pour ma part une hypothèse plausible qui à l'avantage de réconcilier naturel et surnaturel, vision scientifique de type matérialiste et vision religieuse. Il reste que selon le schéma d'interprétation globale que je viens de proposer, l'esprit de l'homme, comme celui de toutes les entités humanoïdes, indissolublement lié au corps, est détruit par la mort et perd donc le bénéfice des promesses de vies éternelles formulées par les religions. Que penser alors ? Je laisse le soin aux optimistes de trouver un complément à mes hypothèses qui permette d'imaginer un sauvetage post mortem possible de l'esprit humain, et aux autres le courage de se préparer à affronter le néant.

lundi, août 08, 2011

Apprendre à se défier de l’Art Contemporain

Chevaux, Grotte de Pech Merle, 25000 ans av. J-C

Le cavalier, la mort, et le diable, Dürer, 1513, musée de Nuremberg

Deux drôles de zèbres : Damien Hirst devant "Incroyable voyage" (Zèbre "ready-madisé" dans le formol)

Les pratiques artistiques identifiées par l’histoire de l’art renvoient grosso modo à une trilogie, dont les moments historiques successifs semblent se succéder sans espoir de retour :

la première période de cette trilogie englobe les arts anonymes et vernaculaires, dits primitifs, premiers, ou traditionnels (selon l'époque et le pays dans lequel ils ont été produits). Pour eux, aucune figure charismatique d'artiste ne vient infléchir l'appréciation esthétique ou l'interprétation que l'on en a. Ils nous plaisent par leur force expressive et leur différence, par la simplicité et l'authenticité de leur fonction au sein d’une société traditionnelle, et par l'habileté et le savoir-faire dont ils témoignent.
Etat de nature, pourrait-on dire.

La deuxième période contient l'ensemble de la production artistique appelée libérale depuis la Renaissance en Occident, c'est-à-dire l'œuvre d'individus, documentés ou non, mus par la recherche continuelle du perfectionnement de leur art, expérimentant dans ce but, et dont la production s'inscrit dans une histoire consciente en évolution (et non plus dans une simple transmission des modèles et des savoir-faire). On les juge habituellement sur la qualité esthétique de leur œuvre, qui est associée à leur savoir-faire et à leur génie personnel. On s'intéresse également à leur rôle novateur et au rayonnement qu'ils ont eu.

La troisième et dernière période comprend le travail des artistes dits contemporains, et dont la figure princeps est Marcel Duchamp. Ils se distinguent essentiellement des précédents par leur préoccupation, qui n'est plus la recherche artisanale et mentale du perfectionnement de l'œuvre ; cette recherche s'est mué chez eux en une nécessité impérieuse de transgression et de questionnement perpétuel, interdisant l'achèvement de l'œuvre, et substituant la déviation et l'insolite au perfectionnement. On connaît bien la théorie des avant-gardes, et la glorieuse épopée intellectuelle de la modernité.

Les catégories esthétiques traditionnelles du beau et du sublime, avec toutes leurs nuances élaborées au plus près de la sensibilité occidentale, n'ont plus cours face à des œuvres qui curieusement s'adressent à la fois à l'inconscient et à la raison — ou plutôt à une sorte de mystique (mystification ?) de la rationalité ou de la logique formelle.

Les catégories esthétiques sont donc impuissantes pour appréhender et juger la contribution à l'art des performances de ce type d’artistes qui défraient la chronique depuis la seconde moitié du XXe siècle. Leur travail trouve l’essentiel de son public, assidu et admiratif, dans le monde branché des intellectuels : ce milieu est toujours réceptif aux projets dérangeants, aux démarches qui se donnent comme point de départ une réflexion critique sur la société. C’est ainsi que l’on voit, paradoxalement, un véritable establishment se créer contre l’ordre établi des valeurs artistiques. Ce nouvel art est donc, de facto, un art de classe (pour ne pas dire de caste), même quand il prétend s’ouvrir en direction des forces jeunes d’une culture populaire en cours de recréation.

Cet art n’est à vrai dire rien sans les critiques qui l’analysent, les médias qui le portent... Et les quelques milliardaires qui l'achètent. Il existe par le fait social, par la signification symbolique qu’il véhicule. Il s’agit donc plus d’un rituel que d’un art. Et ce statut de véritable rituel que revêt la pratique artistique dominante actuelle, me pousse à rapprocher la période de l’art contemporain de celle des arts premiers. Pour les uns comme pour l’autre, l’art semble avant tout être la mise en scène d’une série de signes invocatoires ; les uns, toujours totémiques ou religieux, appellent la puissance surnaturelle à rétablir l’ordre naturel toujours menacé dans les sociétés de chasseurs, pasteurs et agriculteurs, tandis que l’autre appelle les hommes modernes à rompre un ordre établi toujours corrompu, à porter un regard critique nouveau sur la société.

Dans un cas comme dans l’autre, la pratique artistique peut être comprise comme une sorte de désir d’action  magique, surtout si l’on prend conscience que la force réelle de toute action magique réside dans l’effet psychologique qu’elle produit sur ceux à qui elle s’adresse.

On pourrait donc résumer les choses en disant que les arts premiers et le recent art sont de type invocatoire, tandis que les art libéraux de la civilisation occidentale classique et moderne (et de quelques autres) sont avant tout évocateurs. (Pour être juste, il faut aussi remarquer que notre monde industrialisé consomme aujourd’hui les arts premiers sur le mode de l’évocation).

Quelle différence y a-t-il entre invocation et évocation ?

Renvoyons d’abord le lecteur aux textes classiques très éclairants de Cassirer (Philosophie des formes symboliques) et de Vernant  (Mythe & pensée chez les Grecs), qui montrent bien la détermination magique de l’invocation, dont le but est une présentification de la puissance, tandis que l’évocation se donne pour enjeu la représentation, c’est-à-dire le rappel poétique de la chose représentée (qui engendre le désir), et la nostalgie de son absence (qui engendre la mélancolie). L’invocation et l’évocation mettent à contribution les puissants ressorts de l’imaginaire, mais d’une façon diamétralement opposée. L’évocation ouvre l’esprit à la rêverie, aux résonances poétiques et sentimentales, de façon individuelle, contemplative, hédoniste ; l’invocation interpelle le sujet dans ses angoisses et ses refoulements, viole son système de repères sensibles, le fragilise et le plonge dans une catharsis collective, en jouant sur la fascination des symboles de l’imaginaire collectif.

Pourquoi l’art contemporain se plonge-t-il à corps perdu depuis plus d’un demi siècle dans cette pratique invocatoire violente, et délaisse-t-il la douceur des arts de l’évocation, qui par ailleurs plaisent toujours davantage au grand public ? Détermination à montrer l’immonde qui affleure et sous-tend le mondain, à révéler la barbarie contenue par la civilisation — ou masquée par elle.
Volonté de transparence, contre désir de sauver les apparences.

Mais est-ce vraiment ainsi que le problème doit se poser ? Il faut être manichéen et simpliste pour penser que les forces qui sont en nous préexistent et que nous avons simplement à ouvrir ou fermer des vannes, selon que l’on veut ou non sauver des apparences. En réalité nous transformons à chaque instant les forces qui nous habitent, en agissant, ou mieux, en interagissant. Notre sexualité, pas plus que notre sens artistique, ne sont faits de simples pulsions refoulées qu’il faudrait libérer. Les fantasmes sont un moteur et non un but. Ils contribuent à modeler notre relation à l’autre, qui est un jeu subtile d’abandon et de retenue, d’expression personnelle et d’attention au partenaire. La libération sexuelle sans la conscience de ces choses risque toujours de conduire à la misère sexuelle. Un peu comme la libération d’un pouvoir oppressif risque d’entraîner les pays qui n’ont pas suffisamment de tradition de dialogue politique dans un chaos destructeur pire que le joug de la dictature (c’est ce que l’on peut craindre aujourd’hui pour le nord-est de l’Afrique).
Chaque clan ou parti doit apprendre à contrôler son utopie politique, comme chaque individu doit savoir contrôler ses fantasmes.
L’utopie est en effet aussi indispensable à la vie politique que les fantasmes le sont à la vie amoureuse. Mais il faut absolument se garder de la considérer comme un objectif à atteindre : c’est un simple moteur, destiné à libérer dans l’action quotidienne toute l’énergie des désirs qu’elle a fait naître.

Il n’en va pas autrement pour l’art : il y a danger à prendre pour objet et finalité de la pratique artistique ce qui devrait rester plus simplement son moteur. Ainsi l’expression tous azimuts des desseins artistiques les plus cérébraux ou les plus schizophrènes, libérés des contrôles traditionnels de la sensibilité esthétique collective (refus de toute concession au goût du public) a fini par produire un chaos pire pour l’esprit et les sens que le plus indigeste des académismes pompiers.

Bien sûr il y a des moments historiques où certains changements brusques sont  inéluctables : il faut parfois jeter à bas un système perverti ou à bout de souffle, incapable de s’amodier, pour aller vers un système meilleur. Mais toute solution révolutionnaire est aussi porteuse de terribles dangers, comme l’histoire moderne nous l’a enseigné. Et il est de toute façon aberrant d’ériger la révolution en système, ce qui est pourtant le cas dans la philosophie avant-gardiste de l’art contemporain.

Ainsi on prétend encore, dans beaucoup d’écoles d’art, éduquer le sens artistique des jeunes en demandant aux étudiants novices, qui quittent à peine leur milieu familial, d’abandonner tous leurs anciens repères, d’oublier leurs préjugés esthétiques pour se confronter aux formes pures, pour s’ouvrir à des phénomènes si neufs pour eux qu’ils ne possèdent aucune arme, sensible ou conceptuelle, pour en faire la critique. Cela s’apparente plus au lavage de cerveau et à l’endoctrinement qu’à l’enseignement. Au contraire, un enseignement artistique digne de ce nom devrait faire évoluer le goût et le jugement critique par étapes progressives, en s’appuyant sur le terreau qui a fait naître et qui a structuré la sensibilité de chaque personnalité ; en procédant  ainsi on ne couperait pas le jugement esthétique de ses racines imaginaires, de son humus socioculturel.
L’art contemporain est comme une culture hors sol : faute de pouvoir plonger ses radicelles dans le riche substrat de l’imaginaire collectif, il les laisse flotter au gré des ondes de la mode, se raccrochant ici où là, pour mieux se nourrir, aux concepts évanescents qui flottent dans l’air du temps.
On peut bien sûr aimer et défendre cet art à la dérive, ce que font encore aujourd’hui la plupart des médias spécialisés ; mais on a aussi le droit de s’en défier et d’espérer un réenracinement, une re-naturalisation de l’art, une sorte de réenchantement poétique de la création contemporaine.


L'art dit "contemporain" : Laurent Danchin (... par Salon_Automne

dimanche, juillet 24, 2011

À PROPOS D’UNE VIERGE À L’ENFANT

Vierge à l'enfant, oeuvre de la seconde moitié du XVIIe s. ou du début du XVIIIe siècle ; elle a fait l'objet d'une attribution erronée à Alessandro Casolani. Ecole de Pierre Mignard (mais quelques ressemblances  aussi avec des oeuvres de Pierre de Cortone et de Paolo de Matteis), collection privé

La Vierge à l’enfant est un des thèmes favoris de la peinture et de la sculpture occidentale entre le Ve siècle et le XVIIe siècle, c’est-à-dire entre le concile d’Éphèse (au terme duquel la Vierge est définitivement reconnue comme la « mère de Dieu », contre Nestorius qui ne voyait en elle que la mère de l’homme Jésus investi postérieurement par la divinité), et la Contre-réforme, qui combat le protestantisme en préconisant, à l’encontre de ce dernier, l’intercession des saints, et particulièrement celle de la Vierge Marie. 

Mais il faut aussi considérer que si le culte marial s’est implanté si profondément dans la culture chrétienne occidentale, c’est que le terrain était préparé par les religions antiques où la déesse mère occupait souvent déjà une place de premier plan. Il n’est que de rappeler les nombreuses statuettes gallo-romaines représentant la déesse mère allaitant un ou deux enfants.
Déesses mères gallo-romaines, musée de St Germain-en-Laye

On dit aussi que beaucoup de Vierges noires célébrées ici ou là sur le territoire français seraient des continuations d’un culte plus ancien de la déesse mère (on adorait en particulier Cybèle sous forme d’une pierre noire - bétyle).







Quoi qu’il en soit, les représentations picturales de la Vierge à l’enfant ont ceci de particulier qu’elle répondent à la fois à un canon - très codifié depuis les icônes byzantines ; à une volonté d’inclure dans l’image des symboles forts de la Passion du Christ et de la rédemption ; mais aussi au désir d’exprimer simplement la douceur des sentiments entre une mère et son bébé.

À l’origine, donc, les icônes byzantines définissaient trois grands types scénographiques pour représenter Marie et l’enfant Jésus :

-    La Vierge kyriotissa, ou Vierge en majesté (sur un trône), assise sur un trône, tenant dans son bras l’enfant Jésus qui lève la mains droite pour bénir (index et majeur tendus, annulaire et auriculaire repliés), et tient dans sa main gauche baissée un rouleau des saintes écritures (remplacé plus tard par un livre, puis par un globe surmonté de la croix).
Vierge Kyriotissa, Ste Sophie, Istambul


-    La Vierge hodigitria, ou Vierge montrant la Voie ; elle ressemble à la précédente, l’enfant ayant le même maintien et la même gestuelle : mais la Vierge désigne son fils de la main droite comme étant la voie à suivre, et parfois,au lieu de regarder droit devant elle, porte ses yeux vers lui.
Vierge hodigitria, icône du musée de Kastoria


-    La Vierge eleousa, ou Vierge de miséricorde et de tendresse, avec ses variantes tardives glykophilousa (Vierge du doux baiser ou Vierge des caresses), et kardiotissa (Vierge qui a du coeur). Dans le type original, Marie tient l’enfant haut sur sa poitrine, incline son visage vers lui, et leurs joues se frôlent affectueusement. Dans le type glykophilousa, la main du Christ caresse souvent la joue ou le menton de sa mère. Dans le type kardiotissa, l’enfant lève les deux bras et prend le visage de sa mère.
Vierge kardiotissa, prov. Tolga, fin XIIIe s., Moscou, Tretyakov Gallery
Vierge glykophilousa, icône provenant de Macédoine


Vers la fin du Moyen-âge, les orthodoxes ajouteront encore d’autres types supplémentaires comme la Vierge arakiotissa (Vierge du Dieu de la Passion) où 2 anges présentent à l’enfant Jésus les instruments de la Passion, ou la Vierge galaktotrophoussa (Vierge qui allaite).
Signalons aussi certaines Vierges assises qui ont l’enfant dans leur giron mais ne le tiennent pas ; elles dérivent du type de la Vierge Orante (Vierge debout les bras écartés, avec souvent sur la poitrine une image superposée du Christ dans la même attitude).

L’art chrétien occidental, parti de cet héritage byzantin, déclinera un nombre infini de variations sur ces modèles, se libérant peu à peu de la rigidité des postures, mélangeant souvent les types, et y ajoutant volontiers, à partir de la Renaissance, quelques allusions discrètes à la Passion du Christ ou à son rôle de rédempteur, par l’intermédiaire de plantes ou d’animaux associés. On verra ainsi des Vierges à l’enfant avec, tenus par Jésus ou par sa mère, ou les accompagnant :
-    des œillets (le fruit de l’œillet ressemble à un clou et évoque la crucifixion),
-    un morceau de pain (symbole de l’eucharistie et donc du sacrifice),
-    du raisin ou des cerises (le jus du raisin, comme la couleur des cerises, évoquent le sang du Christ),
-    une grenade (symbole de résurrection et de rassemblement des peuples chrétiens),
-    une pomme ou une orange (symbole symétrique de la chute originelle et de sa rédemption),
-    une poire (fruit symbolisant la douceur, la bonté, et la vertu, attribut de Marie),
-    des ancolies (plante symbolisant la douleur, que Marie éprouvera à la mort de son fils),
-    un perroquet (son cri rappelant, paraît-il, « ave », et donc l’annonciation),
-    un chardonneret (par allusion au chardon, piquant comme la couronne d’épines),
-   un lapin blanc (symbole de pureté et de virginité, car la légende attribuait aux lapins la possibilité de se reproduire sans accouplement)
Albrecht Dürer, La Madone à l’oeillet, 1516, Alte Pinakothek Munich



La Vierge présentée en exergue de cet article, oeuvre de la seconde moitié du XVIIe siècle ou du début du XVIIIe, (Ecole de Pierre Mignard), se rattache au type « Vierge des caresses » (glykophiloussa), et y associe le symbole de la pomme tenue par Jésus (il ramasse la pomme du péché originel pour racheter la faute). On peut la rapprocher d’un tableau de Mabuse (Jan Gossaert) de 1520 (exposé à la National Gallery de Londres oct 2010-janv 2011), qui présente la même scénographie, à cela près que la droite et la gauche sont inversées, et que le Jésus de Gossaert, posé sur une table, regarde vers l’extérieur (peut-être vers un donateur ?) au lieu de regarder sa mère. L’inversion droite gauche dans le tableau de L'école de Pierre Mignard peut signifier que l'auteur s’est inspiré d’une gravure (elles étaient souvent inversées) de la peinture de Mabuse.

Jan Gossaert, Vierge à l'enfant, 1525, panneau de chêne 38,9 x 26,6 cm, collection privée

Quoi qu’il en soit, l’ambiance des deux peintures est très différente : sans doute plus de naturalisme chez Mabuse, mais beaucoup plus de douceur des visages et de paix dans l’œuvre de Masucci. Notons aussi que Mabuse, obéissant à une volonté affirmée à partir du XIVe s. d’exprimer « l’humanation » (Leo Steinberg) du fils de Dieu, montre le sexe du bébé, tandis que Masucci le voile. Ajoutons à ces différences le costume de Marie : on retrouve chez Gossaert une certaine propension nordique à habiller la Vierge d’une robe bleue (accompagnée ou non d’un manteau rouge), tandis que les Italiens et les Français préfèrent une robe rouge et un manteau bleu.
On remarque enfin dans le tableau de L'école de Pierre Mignard la présence du lange blanc qui, malgré l’intimité de sentiment exprimée entre le fils et sa mère, évite à celle-ci de le toucher directement, car dans la liturgie chrétienne, ce qui est sacré ne peut habituellement être porté à mains nues.

Un dernier rapprochement peut être fait entre le mouvement des bras de l’enfant Jésus, dans les deux tableaux, et les gestes de la parousie, que l’on a appelé la « diagonale de la Grâce » : le bras droit du Christ est levé vers le ciel, et le bras gauche baissé vers la terre (ainsi par exemple le Christ en majesté du tympan occidental de l’abbatiale de Ste Foy-de-Conque, qui de la main droite, recueille les grâces venues du Père, et de la gauche, les répand sur les pécheurs qu'il vient sauver).
Christ en majesté, abbatiale de Ste Foy-de-Conques


mercredi, juillet 13, 2011

LES BAIGNEUSES


Les baigneuses, Gilles Chambon, 2011, 100x86cm

Pourquoi peindre encore des baigneuses aujourd’hui ? Tout n’a-t-il pas été dit et exploré sur ce sujet ?
Qu’on songe aux nombreuses et théâtrales « Diane et Actéon » de la Renaissance, aux aguicheuses demoiselles champêtres de Fragonard ou de Boucher, aux orientales lascives d’Ingres dans leurs harems, aux corps dodus magnifiés par Renoir et montrés dans leur vérité nue par Courbet, aux suaves beautés exotiques de Gauguin, aux impressionnantes séries harmoniques de Cézanne, aux étonnantes compositions de Picasso, aux corps nus mécaniques et huilés de Tamara de Lempicka et de Fernand Léger, aux femmes-pictogramme bleues de Matisse, aux corps rêches et plantureux agencés au bord de l’eau par Charles Kvapil, etc., etc….


Il n’y a donc sans doute plus grand chose à inventer en matière de baigneuses.

C’est pourquoi ma toile n’a vraiment rien d’innovant ni d’original ; c’est une peinture de circonstance.
En effet, en ce début des vacances d’été, quoi de plus naturel que de rêver à une source fraîche au milieu des bosquets, et, livrant notre imaginaire fatigué au charme et aux évocations ambivalentes du lieu, le laisser se remémorer les poèmes saphiques de Pierre Louÿs et peupler la scène de belles ondines et d’hamadryades boudeuses.

jeudi, juin 30, 2011

Versailles / Stargate


Bernar Venet nous a installé une porte des étoiles devant le château de Versailles ; malheureusement, il manque le dernier chevron pour partir au septième ciel ! En cette fin de mois de juin je peux vous garantir qu’à l’intérieur du château, c’est plutôt l’enfer, façon métro à 6h du soir…. Ici le ticket est à 15 € ; les stations certes sont luxueuses, surtout celle de la galerie des glaces, mais tout cela ne mène décidément nulle part… et surtout pas à l’épanouissement culturel des visiteurs. Serrés comme sardines en boîte, tondus comme des moutons, l’accueil qui leur est réservé n’est pas digne de la grande institution culturelle qui gère ce lieu prestigieux. Finalement les choses se répètent : les gens de pouvoir d’aujourd’hui, même s’ils ouvrent à tous les portes du palais des anciens rois, n’ont pas plus de respect pour le peuple qu’ils accueillent que n’en avaient naguère les nobles résidents de Versailles qui eux le tenaient résolument (et pour cause) à l’écart.

À lire absolument l’amusant et néanmoins sérieux article de Christine Sourgin du 14 juin 2011 : « Venet, le Bernard-limite de la sculpture ».

mardi, juin 28, 2011

Saint Jérôme, Marie-Madeleine, vanité et pénitence

Philippe de Champaigne, St Jérôme, collection privée
Guy François, Marie Madeleine pénitente (vers 1620/30), Louvre















Parmi les saints et les figures vénérées par le christianisme, Saint Jérôme et Marie Madeleine occupent une place particulière liée à la vanité et à la pénitence, et leurs représentations picturales montrent une certaine symétrie. Pourtant rien de commun au départ entre les deux personnages, si ce n’est leur retraite au désert.
  •     Marie-Madeleine, qui après son arrivée sur le sol gaulois a fait retraite dans une grotte de la Sainte Baume, est, dans la tradition catholique, une personne mythique qui synthétise les figures de Marie de Magdala, de Marie de Béthanie, et de la pécheresse anonyme qui lave les pieds du christ avec ses larmes (Luc : 7, 36-50) ; l’histoire de Marie l’Égyptienne, ancienne prostituée, contamine également le personnage de Marie Madeleine.
  •    Saint Jérôme est pour sa part un docteur de la foi du IVe siècle, dont la vie est très bien documentée. Il est connu pour avoir jeûné au désert de Chalcis en Syrie, traduit les saintes écritures de l’hébreu et du grec vers le latin (la Vulgate), et fondé avec la patricienne Paula un monastère à Bethléem.
Ce qui les rapproche, donc, est la pénitence et la volonté d’abandonner les plaisirs des sens : Marie Madeleine par amour du Christ et par désir de rachat des péchés de sa jeunesse, et Jérôme par acte de méditation sur les saintes Écritures, et défiance envers les tentations du Malin.

Aussi Saint Jérôme incarne-t-il très tôt dans l’iconographie chrétienne le double idéal de l’ascète mortifié, à demi nu, retiré au désert, et celui de l’érudit mélancolique, dans son cabinet de travail rempli de livres, méditant devant un crâne ou un sablier, sur la vanité des biens terrestres.

Giovanni Bellini, Saint Jérôme lisant, 1505, National Gallery of Art, Washington

Jan van Eyck, Saint Jérôme dans son cabinet, vers 1435, Institute of Arts, Detroit


















Marie Madeleine, quant à elle, à cause de son identité multiple, se retrouve dans plusieurs occurrences iconographiques :
  •    En tant que Marie de Magdala, elle est représentée avec le Christ dans le « Noli me tangere » ;
Le Titien, Noli me tangere, National Gallery, Londres
  •    En tant que fusion de Marie de Magdala (fille d’archiprêtre, donc lettrée) et de Marie de Béthanie (qui a oint le christ de parfum), elle est représentée richement vêtue, lisant un livre et accompagnée d’une fiole de parfum ;
Rogier van der Weyden, Marie Madeleine, 1445, National Gallery, Londres
  •     Enfin en tant que Marie-Madeleine anachorète de la Sainte Baume, synthétisant les trois femmes évoquées plus haut, elle est représentée en pénitente, yeux tournés vers le ciel, avec ses longs cheveux dénoués (allusion à son ancien état de prostituée) pour seul vêtement, accompagnée d’un calvaire (accessoire incontournable de tous les ermites), d’un livre (référence à sa connaissance des saintes écritures) , d’une fiole (évoquant l’onction du christ) d’un crâne (rappelant la vanité des choses terrestres), et d’un morceau de rocher (allusion à la grotte où elle s’est retirée) ; s’y ajoute aussi parfois une corde ou un fouet de flagellation, instrument de pénitence.
Orazio Gentileschi, Marie Madeleine en pénitence, 1615, collection privée
Jacopo Palma le Jeune, Saint Jérôme dans le désert, dit Le St Jérôme de Francesco (vers 1590-95), Collection privée Mark Lawrence
Ce dernier type de représentation de la sainte, ainsi que son symétrique masculin, saint Jérôme représenté dans le désert à demi nu devant un calvaire, accompagné de livres (allusion à son activité de traducteur), d’un crâne (vanité), et d’une pierre (objet avec lequel le pénitent se frappe la poitrine), se généralisent surtout après le concile de Trente, la Contre-réforme insistant sur la nécessaire intercession des saints, ainsi que sur le sacrement de pénitence, que les protestants rejettent.

On voit alors, pour saint Jérôme au désert, les représentations abandonner progressivement tous les éléments anecdotiques (paysage sauvage, présence du lion - animal fétiche du saint, et même parfois abandon du calvaire et des livres) pour se concentrer sur un vieillard à demi nu face à un crâne, emblème évident de la vanité de l’existence terrestre. La même simplification progressive s’opère pour sainte Marie Madeleine, qui devient, pour les catholiques, l’incarnation de la vanité au féminin, donc symétrique de saint Jérôme.
Anonyme, vers 1600, Saint Jérôme dans le désert,
d’après Jacopo Palma le Jeune, collection privée
(le crucifix, le lion, et le livre à terre ont disparu
pour ne garder que l’essentiel de la figure de dévotion;
la symétrie miroir correspond à une gravure de
Hendrick Goltzius)
Le Caravage, Saint Jérôme en méditation, Monastère de Montserrat, Catalogne


Georges de la Tour, Madeleine à la veilleuse, 1630/35, Louvre





















 Ainsi pendant tout le XVIIe siècle, la vanité catholique est incarnée par les deux saints, tandis que la vanité protestante (ou influancée par le protestantisme), qui montrait volontiers à la Renaissance des images de banquiers, de collecteurs d’impôts, de savants, ou d’ambassadeurs… 

Quentin Metsys, Les collecteurs d’impôt (vers 1590),
Kunstmuseum Liechtenstein
Hans Holbein le Jeune, Les Ambassadeurs , 1533, Londres, National Gallery


… Finit par entièrement se dépersonnaliser, se cantonnant dans la simple représentation d’objets, fleurs, et victuailles, emblématiques des plaisirs des cinq sens, et de leur caractère éphémère ; l’incontournable crâne vient même à disparaître, remplacé quelquefois par le symbole plus discret qu’est la chandelle éteinte ou vacillante. De ces « vanités » de dévotion dérive un engouement pour la nature morte, qui devient au XVIIe siècle une spécialité des peintres du nord, et dont le caractère religieux d’origine s’estompe jusqu’à se perdre totalement, laissant place à une célébration épicurienne des menus objets du quotidien, et à une admiration pour la virtuosité du trompe l’œil.


 
Jan Fris, Vanité au casque, à l’Apollon de marbre, et au violon,
vers 1660, collection privée
Gottfried von Wenedig, Nature morte à la bougie,
vers 1630, Hessisches Landesmuseum Darmstadt