présentation des peintures synchronistiques

vendredi, octobre 15, 2021

Maurice Leblanc, un peintre mystérieux

 

Maurice Leblanc, fête foraine dans le port de Bordeaux, vue de la Douane, huile sur toile 58 x 88 cm

Maurice Leblanc est un peintre mystérieux. On ne sait à peu près rien de sa biographie, mais ses peintures nous révèlent un ancrage creusois. Il a peint Fresselines, Crozant, Genouillac, Soumans, Gargilesse, Gueret…

Les commissaires-priseurs qui ont eu à vendre ses tableaux, l’ont donc logiquement rattaché à l’école de Crozant (sous cette dénomination sont regroupés les nombreux peintres paysagistes qui sont allés dans la Creuse, notamment autour de Crozant et de Fresselines, à la suite d’Armand Guillaumin et de Claude Monet, et cela jusque dans les années 1920). 

 

Maurice Leblanc, L'hôtel des artistes à Fresselines

 
Maurice Leblanc, Gargilesse, huile sur toile 33 x 46 cm

Mais les catalogues de vente donnent à Maurice Leblanc, peintre, les dates de naissance et de mort 1864-1941, qui sont celles de l’autre Maurice Leblanc, le romancier devenu célèbre mondialement grâce à son personnage d’Arsène Lupin.

Par surcroit, et confirmant la désorientation des experts, ils lui ont attribué quelques sculptures d’un  Maurice Leblanc de la fin du XIXe s., lui aussi inconnu… Et le mystère se renforce encore quand on sait que l’auteur du gentleman cambrioleur avait une résidence secondaire… à Fresselines ! (il a d’ailleurs situé une partie de l’action de son roman « L’aiguille creuse » dans cette partie de la Creuse)…

 

Si l’on peut retrouver sur Internet la trace d’une cinquantaine des peintures de Maurice Leblanc (notamment sur le site http://mauriceleblanc.weebly.com/les-tableaux.html), rien, absolument rien, ne donne un début de piste pour sa biographie. A-t-il rencontré le romancier, et emprunté son nom pour lui faire un clin d’œil ? Ou est-ce une pure coïncidence liée à un patronyme assez répandu ? Et coïncidence aussi, la fréquentation par les deux hommes de Fresselines et Crozant ? Quoi qu’il en soit, si l’on se fie aux dates de 1898-1947, indiquées sans plus d’explication par le vendeur d’une des peintures de Maurice Leblanc, et si on examine attentivement les scènes qu’il a représentées (les véhicules permettent de dater approximativement), on peut déduire que son activité picturale s’est déroulée sur le quart de siècle qui va de 1920 à la fin de la seconde guerre mondiale.

 

Son style varie un peu, toutefois il reste facilement reconnaissable, dans le sillage lointain de Marquet, avec une pointe d’expressionnisme et des similitudes le reliant aux autres peintres paysagistes de l’école de Crozant.

 

Maurice Leblanc, Marins sur le port de Dieppe, huile sur conteplaqué peint biface (Honfleur au verso), 38,2 x 48,2 cm

Maurice Leblanc, Le canal Saint-Martin, huile sur toile - 54 X 81 cm

Maurice Leblanc, Fresselines, La petite Creuse, huile sur panneau - 33 x 46 cm

Maurice Leblanc, le garage, huile sur conteplaqué peint biface (chats au verso), 44 x 48 cm
 
Mais ce qui le caractérise vraiment est sa prédilection pour les paysages animés de foules – marché d’Honfleur, concours de pêche d’Armançon –, et surtout pour les foires, fêtes foraines, cirques : le 14 juillet à Genouillac, ou à Paris, la fête foraine à Soumans, à Dieppe, à Bordeaux ; la foire aux pains d’épices à Paris (foire du Trône), le cirque Pinder, et de nombreuses scènes de cirque pas toujours identifiables.

 

Maurice Leblanc, Le marché à Honfleur, huile sur conteplaqué peint biface (Dieppe au verso), 38,2 x 48,2 cm

Maurice Leblanc, Concours de pêche sur l'Armançon, huile sur toile - 65 x 81 cm

Maurice Leblanc, La foire aux pains d'épices, huile sur panneau, 73 x 59 cm

Maurice Leblanc,
Maurice Leblanc, Fête dite "de la nature", à Paris, huile sur panneau toilé, 43 x 51cm
 
Maurice Leblanc, Le cirque Pinder, dernière séance, huile sur panneau - 41 x 56 cm

Maurice Leblanc, L'entrée du cirque, huile sur panneau, 38 x 78 cm

Les articles de mon blog ont parfois permis de retrouver des éléments de biographie de peintres oubliés par la postérité. Aussi j’encourage tout lecteur de ce post, qui aurait des informations ou des pistes pour tirer les fils de la biographie du peintre Maurice Leblanc, à me contacter en me laissant un commentaire.



dimanche, octobre 03, 2021

La Roche-Maurice, près de Landerneau, un ancien dessin retrouvé

Auguste Mayer, (1805-1890, peintre de la Marine), vue de la Roche-Maurice, à côté de Landerneau, 1857, fusain, crayon noir, craie blanche, et estompe sur papier bistre 35,5 x 56 cm.

Au début des années 1840, le jeune Auguste Mayer (1805-1890, natif de Bretagne et peintre de la Marine) ainsi qu’Eugène Cicéri (1813-1890) et Léon Gaucherel (1816-1886), furent recrutés par le baron Taylor, concepteur et éditeur, avec Charles Nodier et Alphonse de Cailleux, des monumentaux « Voyages pittoresques et romantiques de l’ancienne France » (1820-1878), pour illustrer les deux volumes consacrés à la Bretagne, parus en 1845-1846. 
 

Pour faire ces illustrations, les jeunes artistes allaient dessiner d’après nature sur les sites remarquables, et faisaient de nombreux croquis selon divers points de vue. Ces esquisses une fois réalisées, certaines étaient choisies pour être affinées et traduites en lithographies, avec ajout de détails et de personnages (parfois exécutés par un autre dessinateur).

 

La Roche-Maurice, à côté de Landerneau, faisait partie de ces sites remarquables et fut illustrée dans les Voyages pittoresques par cinq lithographies. Le lieu est en effet très romantique : on y voit, sur un promontoire rocheux dominant le cours sinueux de l’Elorn et le village de La Roche-Maurice, les ruines de l’ancien château médiéval de Roc’h Morvan (XIIe siècle) qui, durant les guerres de religion, fut détruit par un incendie, puis abandonné : il servit dès lors de carrière de pierre aux habitants du village en contre-bas.

 

Reconstitution idéale du château médiéval du Roc'h Morvan (in http://andre.croguennec.pagesperso-orange.fr/lr/rochmorvan.htm)

Auguste Mayer (dessinateur) et Eugène Cicéri (lithographe), De la Martyre à La Roche-Maurice, in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France",1845-46

Léon Gaucherel (dessinateur) et Eugène Cicéri (lithographe), Château de La Roche, in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France",1845-46

Léon Gaucherel (dessinateur) et Eugène Cicéri (lithographe), La Roche Morice (sic), in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France",1845-46

Eugène Cicéri (dessinateur et lithographe), Château de La Roche, in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France", 1845-46

 

Eugène Cicéri (dessinateur), Bellet (lithographe), Château de La Roche, in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France", 1845-46

Sur les cinq lithographies des Voyages pittoresques montrant le Roc’h Morvan (ci-dessus), deux sont d'après des dessins de Gaucherel, deux d'après ceux de Cicéri, et une seule d'après un dessin de Mayer ; et ce n’est pas celle qui correspond au point de vue du dessin retrouvé, présenté en début d’article. Ce dessin, exécuté par Mayer au crayon noir, fusain, et craie blanche sur papier bistre, montre le monticule et les ruines au milieu d’un paysage calme, où l’Elorn et le pont qui le franchit ont une importance aussi grande que le Roc’h Morvan lui-même. Quand Mayer a présenté l’esquisse correspondant à ce point de vue, il faut imaginer que le baron Taylor lui a préféré celle de Gaucherel prise à l’opposé, depuis le sud-ouest, qui montre au premier plan des blocs rocheux plutôt que des maisons, et donne ainsi du site un aspect plus sauvage, correspondant mieux à la vision romantique.

 

Mayer, habitué à dessiner rapidement depuis les bateaux sur lesquels il naviguait, était un artiste prolixe, et ses carnets devaient regorger de dessins et croquis, dont tous n’aboutissaient pas d’emblée à une estampe ou un tableau. On lui doit une série de dessins composés à partir des esquisses faites en 1838-1840 depuis la corvette « la Recherche » pour une expédition française dans l’atlantique nord et les îles scandinaves, à but scientifique, naturaliste et ethnologique.

 

Auguste Mayer, Expédition "La Recherche", 1938, Fusain, crayon, craie blanche, estompe sur papier bistre 28 x 43.5 cm

Auguste Mayer, La corvette « La Recherche » à Bjørnøya le 7 août 1838

En 1850, nommé professeur de dessin à l’école navale de Brest, et navigant moins, il eut sans doute parfois le désir de retravailler et d’aboutir certains de ses croquis restés sans lendemain. C’est le cas pour le dessin retrouvé, présenté en en-tête de l’article, signé et daté de 1857 ; il est aussi élaboré et travaillé qu’une lithographie, et vient vraisemblablement, comme je l’ai dit, de l‘esquisse faite une quinzaine d’années plus tôt dans le cadre de son contrat avec le baron Taylor, mais non retenue.

 

Et il est amusant de constater que, si la technique lithographique avait été inventée à la fin du XVIIIe siècle pour reproduire au mieux les dessins, c’est ici le dessin qui finit par vouloir imiter la lithographie !

 

Pour bien mesurer la différence entre esquisse faite sur le motif et image définitive (lithographie ou dessin fignolé), j’ai pris deux exemples de lithographies dont les dessins préparatoires ont été conservés à la bibliothèque nationale :

 

-       D’Eugène Cicéri, une esquisse de la Roche-Maurice, et sa lithographie réalisée par lui-même.

Eugène Cicéri, Vue du chateau de La Roche, esquisse et lithographie

 

-       D’Auguste Mayer, une esquisse du « pavé » de Morlaix, et sa lithographie réalisée par le lithographe Victor Petit.

 

Auguste Mayer, esquisse pour le "Pavé de Morlaix" et lithographie correspondante de Victor Petit

Il est étonnant de voir dans cette dernière, que mis à part le redressement des perspectives et l’ajout de quelques anecdotes comme le linge aux fenêtres, le lithographe est resté très fidèle au dessin original en ce qui concerne le paysage. Par contre, alors que Mayer avait pris la peine de croquer sur le vif les personnages, montrant l’animation du lieu, Victor Petit a cru bon de les remplacer par des silhouettes en costume breton, beaucoup plus convenues et figées que celle de l’esquisse d’Auguste Mayer. J’aimerais retrouver l’esquisse originale de la vue de La Roche-Maurice de Mayer, tant il paraît évident que lui-même, imprégné par l’esprit de la lithographie, a rajouté au premier plan de son dessin des personnages convenus, comparables à ceux que Victor Petit exécutait pour ces lithographies des Voyages pittoresques et romantiques de l’ancienne France.