présentation des peintures synchronistiques

mardi, juin 05, 2018

La fuite en Égypte

Gilles Chambon, La fuite en Égypte, huile sur toile 45 x 60 cm, 2018
Marie et Joseph, prévenus par un ange que le roi Hérode projette de tuer tous les bébés de Bethléem afin d’éliminer Jésus, quittent précipitamment la ville et fuient vers l’Égypte, comme l’ange le leur a conseillé (Matthieu 2, 13-23). 

Les fuites en Egypte, si nombreuses dans l’histoire de la peinture européenne, de Giotto à Rouault, montrent la plupart du temps la Sainte Famille accompagnée d’un âne, arpentant de vaste étendues naturelles. Elles donnent rarement l’impression de précipitation, d’inquiétude, de nostalgie, et de résignation, qui devraient logiquement naître d’un abandon hâtif du pays natal et de la menace latente d’une agression. 
Au contraire, la plupart de ces représentations montrent une sorte d’aventure heureuse à travers le paysage. Plus qu’une détresse humaine, les «  fuite en Egypte » et « repos pendant la fuite en Égypte » des peintres, sont un ressourcement dans une nature rêvée, échappant aux situations conflictuelles d'un environnement humain âpre et malveillant.

Adolescent, je rêvais moi aussi de fuir vers l’Egypte mythologique, pour y retrouver les enchantements secrets qui permettent d’apprivoiser les forces primordiales de la nature, et de se concilier l’âme du monde (Zénon de Sidon comparait celui-ci à un grand animal sphérique). 

Chez les petits enfants, la représentation du monde ne dissocie pas le "réel" et l’imaginaire. C’est en grandissant que l’esprit rationnel et le principe de réalité les séparent violemment, et provoquent une cassure insupportable qui blesse la personnalité : c’est comme si le merveilleux jouet, qui procurait jusque-là le plaisir de vivre, une fois ses rouages mis à nu, ne pouvait plus être remonté et perdait à jamais son pouvoir. À cet instant, l’animal-monde rugit, s’éloigne de nous, ou nous devient hostile. 

Et toute la vie durant, chacun cherche, d’une façon ou d’une autre, à le ré-apprivoiser. Peindre, c’est peut-être avant tout cela : une façon affectueuse de caresser le monde, avec son crayon et ses pinceaux. Une manière douce de l’approcher pour qu’il nous devienne plus familier, et qu’il se love à notre côté, visible et invisible, passé, présent, et avenir mêlés.

Ma « fuite en Égypte » est donc en quelque sorte une quête de réenchantement du monde, pour laquelle j’ai convoqué synchronistiquement les protagonistes de la Fuite en Egypte de la chapelle Scrovegni, de Giotto, lesquels cheminent maintenant dans un mystérieux paysage imaginé à partir de l’inversion d’une Course de taureaux de Francisco Bores : le sable de l’arène est devenu le ciel, le picador s’est transformé en rocher, et la multitude des spectateurs se confond avec les pierres qui bordent le chemin.
Giotto, La fuite en Egypte, 1303-1306, fresque de la chapelle Scrovegni, Padoue
Francisco Bores, Course de taureaux, 1952, huile sur toile 60 x 73cm


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