L’écriture, alphabétique, et plus anciennement syllabique, que nous pratiquons en occident depuis trois mille ans, est une transcription directe de la morphologie sonore de la langue. Dans ce système de codage, chaque langue, à un moment donné, a son écriture spécifique, différente de celle d’une autre langue, même si elle utilise le même jeu de caractères.
Par contre l’écriture idéogrammatique, ou hiéroglyphique ancienne, apparue il y a cinq mille ans, et qui n’a survécu qu’en Orient, n’est pas - à l’origine du moins - une transcription de la forme sonore de la langue ; c’est une transcription directe du sens, par symboles ou composition de symboles (il en existe paraît-il douze mille en chinois) ; et cela sans passer par la forme sonore du langage ; d’ou dissociation de l’écriture et de la langue, celle-ci venant a posteriori traduire, par une parole (phonétique), les énonciations sémantiques des caractères écrits.
On pourrait dire que l’écriture de type phonétique raconte les pensées, tandis que l’écriture idéogrammatique les montre, sans passer par le verbe. Un peu comme une histoire qui dans un cas nous serait racontée à la radio, et dans l’autre montrée (mimée) par un film muet, ou une bande dessinée sans phylactère.
Or la pensée, aussi bien dans l’évolution ontogénétique que phylogénétique, apparaît avec le langage parlé, donc bien avant l’écrit. Mais cependant l’écrit, qui est comme une mémoire spatialisée, permet de stratifier, de capitaliser, et donc de complexifier la pensée.
On imagine bien alors que les transcriptions écrites de type phonétique et de type idéogrammatique ne complexifient pas la pensée tout à fait de la même façon.
Dans un cas, on code la forme de la langue, langue qui est elle-même une codification symbolique de notre rapport au réel ; dans l’autre cas, on code le sens de la langue, c’est-à-dire que l’on produit graphiquement un système de symboles analogique à celui qui structure les signifiants langagiers. Peut-être parce qu’en Chinois, la langue est ainsi structurée que les phonèmes eux-mêmes sont déjà des signifiants langagiers, qui s’articulent entre eux pour en former d’autres. Dans ce cas, on reste dans une double articulation un peu redondante du langage, tandis que dans l’autre, le codage phonétique écrit nous fait passer dans une sorte de « triple » articulation de la langue, donnant sans doute à la pensée complexe plus de volubilité, puisque moins enracinée dans un système symbolique global contraignant.
En réalité, les choses ne sont pas si tranchées : les écritures de type phonétique charrient au cours de leur histoire un formalisme grammatical et un codage symbolique indépendant de la phonétique pure, et les écritures idéogrammatiques en viennent pour elles à coder des sonorités.
On voit à travers ces remarques que la pensée, l’expression directe (en temps réel) des paroles, et l’expression différée, « recuite », des écrits, entretiennent des rapports compliqués, et différents selon le type de construction de l’expression « recuite ». L’art, que certains considèrent à tort comme un langage, est plutôt quelque chose comme une expression recuite de l’émotion.
Et, comme pour l’écriture phonétique ou idéogrammatique, il y a aussi deux sortes d’art : l’un - comparable à l’écriture idéogrammatique - qui en quelque sorte mime analogiquement ou symboliquement l’émotion elle-même (c’est grosso modo tout ce qui relève de l’art magique, de l’art vivant, et de l’art dit contemporain ou d’avant-garde), et l’autre - comparable à l’écriture alphabétique ou syllabique - qui code (analogiquement, figurativement, ou symboliquement) non l’émotion elle-même, mais la forme qu’elle prend, c’est-à-dire les situations diverses dans lesquelles cette émotion est ressentie, à l’intérieur d’une culture donnée (cette catégorie regroupe d’une façon générale ce que nous appelons les arts traditionnels et les arts savants).
Et si, depuis à peu près un siècle, les élites du monde moderne occidental montrent un engouement grandissant pour la première catégorie, c’est parce qu’elle provoque sur elles la même curiosité et le même dépaysement que l’écriture idéogrammatique a pu engendrer sur des esprits occidentaux formatés par des millénaires de codage écrit de type phonétique. Il n’en reste pas moins que, de la même façon que ce dernier codage écrit semble mieux adapté au développement libre d’une pensée complexe que ne l’est le codage idéogrammatique, l’art qui code non l’émotion elle-même, mais sa forme culturelle « en situation », paraît mieux à même de faire évoluer, et de raffiner encore notre sensibilité au monde.
Par contre l’écriture idéogrammatique, ou hiéroglyphique ancienne, apparue il y a cinq mille ans, et qui n’a survécu qu’en Orient, n’est pas - à l’origine du moins - une transcription de la forme sonore de la langue ; c’est une transcription directe du sens, par symboles ou composition de symboles (il en existe paraît-il douze mille en chinois) ; et cela sans passer par la forme sonore du langage ; d’ou dissociation de l’écriture et de la langue, celle-ci venant a posteriori traduire, par une parole (phonétique), les énonciations sémantiques des caractères écrits.
On pourrait dire que l’écriture de type phonétique raconte les pensées, tandis que l’écriture idéogrammatique les montre, sans passer par le verbe. Un peu comme une histoire qui dans un cas nous serait racontée à la radio, et dans l’autre montrée (mimée) par un film muet, ou une bande dessinée sans phylactère.
Or la pensée, aussi bien dans l’évolution ontogénétique que phylogénétique, apparaît avec le langage parlé, donc bien avant l’écrit. Mais cependant l’écrit, qui est comme une mémoire spatialisée, permet de stratifier, de capitaliser, et donc de complexifier la pensée.
On imagine bien alors que les transcriptions écrites de type phonétique et de type idéogrammatique ne complexifient pas la pensée tout à fait de la même façon.
Dans un cas, on code la forme de la langue, langue qui est elle-même une codification symbolique de notre rapport au réel ; dans l’autre cas, on code le sens de la langue, c’est-à-dire que l’on produit graphiquement un système de symboles analogique à celui qui structure les signifiants langagiers. Peut-être parce qu’en Chinois, la langue est ainsi structurée que les phonèmes eux-mêmes sont déjà des signifiants langagiers, qui s’articulent entre eux pour en former d’autres. Dans ce cas, on reste dans une double articulation un peu redondante du langage, tandis que dans l’autre, le codage phonétique écrit nous fait passer dans une sorte de « triple » articulation de la langue, donnant sans doute à la pensée complexe plus de volubilité, puisque moins enracinée dans un système symbolique global contraignant.
En réalité, les choses ne sont pas si tranchées : les écritures de type phonétique charrient au cours de leur histoire un formalisme grammatical et un codage symbolique indépendant de la phonétique pure, et les écritures idéogrammatiques en viennent pour elles à coder des sonorités.
On voit à travers ces remarques que la pensée, l’expression directe (en temps réel) des paroles, et l’expression différée, « recuite », des écrits, entretiennent des rapports compliqués, et différents selon le type de construction de l’expression « recuite ». L’art, que certains considèrent à tort comme un langage, est plutôt quelque chose comme une expression recuite de l’émotion.
Et, comme pour l’écriture phonétique ou idéogrammatique, il y a aussi deux sortes d’art : l’un - comparable à l’écriture idéogrammatique - qui en quelque sorte mime analogiquement ou symboliquement l’émotion elle-même (c’est grosso modo tout ce qui relève de l’art magique, de l’art vivant, et de l’art dit contemporain ou d’avant-garde), et l’autre - comparable à l’écriture alphabétique ou syllabique - qui code (analogiquement, figurativement, ou symboliquement) non l’émotion elle-même, mais la forme qu’elle prend, c’est-à-dire les situations diverses dans lesquelles cette émotion est ressentie, à l’intérieur d’une culture donnée (cette catégorie regroupe d’une façon générale ce que nous appelons les arts traditionnels et les arts savants).
Et si, depuis à peu près un siècle, les élites du monde moderne occidental montrent un engouement grandissant pour la première catégorie, c’est parce qu’elle provoque sur elles la même curiosité et le même dépaysement que l’écriture idéogrammatique a pu engendrer sur des esprits occidentaux formatés par des millénaires de codage écrit de type phonétique. Il n’en reste pas moins que, de la même façon que ce dernier codage écrit semble mieux adapté au développement libre d’une pensée complexe que ne l’est le codage idéogrammatique, l’art qui code non l’émotion elle-même, mais sa forme culturelle « en situation », paraît mieux à même de faire évoluer, et de raffiner encore notre sensibilité au monde.
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