"Antillia", aquarelle de Gilles Chambon |
La ville se vit au quotidien, mais avant tout elle se rêve. A travers les romans, les films, les projets, la science fiction… L’imaginaire tisse et entrecroise les temporalités. Et derrière chaque rêverie sur la cité contemporaine, à travers tous les fantasmes qui sous-tendent la modernité et la cyber-urbanité, on peut débusquer quelques avatars d’archétypes anciens issus de la protohistoire. Au détour des images profuses que nous livre la mythologie contemporaine de la ville, apparaît d’abord le labyrinthe.
On imagine les longues galeries sombres et sinueuses sous la roche, les salles aux parois tapissées de concrétions et de stalactites, comme de gros estomacs minéraux. C’est dans les entrailles de la terre que les chasseurs de l’âge de la pierre plaçaient leur saint des saints, ce lieu magique de communication avec les forces naturelles, cette gangue de pierre retenant prisonnières les formes des êtres sauvages, que leurs artistes avaient à révéler par le trait ou le burin. Là était la matrice universelle, la puissance inchoative de la grande déesse mère. Là se déroulaient les mystères sacrés sans lesquels la bravoure des guerriers ne pouvait rien contre les forces hostiles du monde sauvage. Ces espaces de pénombre, ces boyaux étroits, ces lacets, ces gouffres où avaient lieu les cérémonies d’initiation, tout cet environnement labyrinthique imprima profondément sa marque dans l’imaginaire des premiers citadins. Et depuis ces temps reculés, toute cité, aussi radieuse soit-elle, cache dans son ventre un lacis souterrain aux tracés inconnaissables, aux issues souvent dérobées ; catacombes, caves, oubliettes et tunnels, carrières, égouts, et réseau métropolitain. Mais il existe aussi des labyrinthes de surface, créés par la densité et l’entassement des maisons au fil du temps : arborescence des impasses des médinas, écheveau des ruelles et des canaux vénitiens, imbroglio sans fin des quartiers de Tokyo. La ville inconnue est un lieu où on se perd mais aussi où on peut se cacher. La ville se découvre par des lignes d’errements, par des parcours initiatiques qui fondent et qui nouent le destin de chaque citoyen. Le labyrinthe est une métaphore de la vie : chacun y cherche son chemin, se perd, erre, découvre un îlot de bonheur au détour d’une année propice, puis finit toujours par dériver vers le lieu de la fatalité, carrefour des chemins et des mondes où se tient, selon les uns, la grande déesse, triple Hécate ou triple Parque, et selon les autres le monstre bestial assoiffé de sang, l’inéluctable Minotaure.
Ainsi la ville labyrinthique recèle en elle les chemins du plaisir et ceux de la souffrance. Elle a pu inspirer aussi bien les séduisants caprices de Canaletto que les sinistres prisons de Piranèse.
1 commentaire:
Je trouve vos dessins très beau. Que pensez-vous de schuiten (dont j'ai parlé sur mon blogue) Je trouve qu'avec vos dessins, il y aurait de quoi largement le concurencer !
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