Utriusque cosmic majoris scilicet et minoris metaphysica, tome II (Oppenheim, 1617-21)
La différence entre le peintre et le politique, c’est que le premier, s’il imagine un monde idéal, peut facilement le mettre en œuvre en le figurant sur sa toile, tandis que le politique aura beau faire, il ne pourra traduire son rêve dans le monde réel. L’artiste travaille en effet dans un monde intermédiaire, celui de la représentation, qui, sans être soumis aux terribles contingences du monde réel, possède cependant une forme palpable et perceptible, qui le distingue nettement du monde abstrait des idées.
On n’imagine pas ce que serait notre cadre de vie réel s’il n’y avait pas ce monde intermédiaire de la représentation, de la comédie, du paraître ; ce serait terrible. Plus rien ne serait suggestif, chaque chose serait réduite à son aride équation mathématique. Il n’y aurait plus d’apparence, plus de mensonge, plus d’amour, plus de désir. Car c’est en effet le monde des apparences qui, dans l’aspect du monde réel, diverge de la pure essence des choses pour donner à voir autre chose, un rêve, un ailleurs, un avenir.
Le monde intermédiaire, c’est le grand miroir magique de l’art, qui distord le réel et lui donne une forme désirable, une profondeur insoupçonnée. C’est l’animus, le carburant génésique de la vie, sous toutes ses formes. Ce monde intermédiaire existe bien avant la conscience humaine. Les formes alambiquées et impures de la nature sont là pour rappeler que l’art n’est pas une invention de l’homme, mais justement la façon dont toutes les entités naturelles, dont l’humain n’est qu’une occurrence passagère, travaillent le monde intermédiaire, et sont travaillées par lui.
On peut regretter cependant que cette contorsion qui amena les artistes de l’art contemporain à renouer avec le monde de la représentation, les fit perdre en cours de route le monde réel lui-même, qu’ils ne savent plus voir avec leurs yeux, mais juste avec leur nombril.
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