Les retrouvailles des deux sœurs (huile sur toile en cours de réalisation, détail)
Je peins ici la connivence de ma belle mère et sa sœur religieuse, qui se retrouvent de temps à autre, lorsque la hiérarchie ecclésiastique de la seconde le leur permet. Plaisir d’un moment privilégié, longue amitié de sœurs, amour irraisonné de Dieu qui les relie aussi.
Curieusement, en faisant cette toile, j’ai pensé à deux œuvres de l’histoire de la peinture en apparence totalement antithétiques : une œuvre faite d’humilité et de foi, « l’ex-voto » de Philippe de Champaigne (sans doute à cause du costume de religieuse), et une œuvre de plaisir et de sensualité, « Gabrielle d’Estrées et la duchesse de Villars », d’un peintre de l’école de Fontainebleau (plutôt à cause de la disposition des personnages, et de leur sororité).
La première de ces deux œuvres exprime la ferveur partagée d’un moment miraculeux ou la fille du peintre, soeur Catherine de Sainte Suzanne, religieuse à Port-Royal, retrouve miraculeusement la santé dans une prière avec la mère supérieure ; la seconde est un hommage à la beauté des corps, mais aussi à la fécondité, puisque Julienne, petite sœur de Gabrielle, lui pince le téton indiquant par là la royale grossesse de son aînée, heureux événement qui est confirmé par la suivante en train de coudre une layette à l’arrière plan.
Il y a dans l’histoire de la peinture quelques autres célèbres doubles portraits, comme la fresque de Bramante représentant Héraclite et Démocrite, ou encore «Les époux Arnolfini» et la Vierge au Chancelier Rollin de Jan van Eyck (dans ce tableau l’enfant Jésus ne constitue pas à proprement parler un troisième personnage, mais est traité comme une sorte de prolongation de Marie, avec laquelle il forme une seule unité).
Plusieurs choses retiennent l’attention dans ces œuvres duales :
- la résonance particulière des deux personnages ;
- le jeu des regards qui, soit se fixent sur le spectateur, soit s’évadent vers un ailleurs insaisissable, soit encore construisent un rapport asymétrique, un seul des deux s’orientant vers son voisin, car jamais les regards ne se croisent, ces portraits n’étant pas de simples vis a vis ;
- Mais le plus important, c’est le décentrement des sujets par rapport au tableau, du à la bipolarité : les personnages représentés sont rejetés sur les côtés, ouvrant le point focal sur une vacuité qu’il faut remplir : là vont donc converger le rêve, l’imaginaire, la symbolique, donnant à ces œuvres une mystérieuse complexité.
Emboîtant le pas à cette tradition, mon double portrait explore l’espace symbolique qui entoure ma belle mère et sa sœur. Il n’est pas construit intellectuellement ; il s’est imposé intuitivement, et de façon totalement irrationnelle, de sorte qu’il reste aussi pour moi une forme de rébus insolite, dont je découvre peu à peu les résonances.
Sur le détail présenté ici, on voit seulement un gros escargot qui rampe le long d’un meuble énigmatique : intrigué moi-même d’avoir placé là ce gastéropode, je me suis enquis de son symbolisme, et j’ai découvert que la « forme en spirale de la coquille de l'escargot est, selon Germaine Dieterlen, un glyphe universel de la temporalité, de la permanence de l'être à travers les fluctuations du changement » ; que « cette forme en spirale évoque aussi le tracé du labyrinthe initiatique… L'escargot, qui sort de terre après la pluie, est un symbole de régénération cyclique, de la mort et de la renaissance » ; ou encore « …l’escargot, avec sa maison sur le dos, avec son temps de petites expériences sur les épaules, mais avec la capacité de lever les yeux et les antennes au-dessus de sa tête, de son corps, au-dessus de la matière inerte et pesante… » (Délia Steinberg Guzman). Je trouve que tout cela convient assez bien à mes deux personnages.
présentation des peintures synchronistiques
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