Gilles Chambon, "Impressions Japon VII", encre et brou de noix sur papier, 13x25cm, 2002 |
Les églises, les temples, la liturgie, sont le décor et la mise en scène du spectacle religieux. Mais les spectateurs, ici, sont aussi acteurs : la communion se réalise dans un auto-spectacle collectif. Il y a dans la participation aux services religieux, une façon de se donner totalement, de donner libre cours à son imaginaire, qui se fond dans un imaginaire partagé.
Expérience grisante de ce que l’on croit au coeur du mystère de l’être, et de sa finalité. Tout cela ressemble à l’expérience, tout aussi mystérieuse et grisante, de l’union des corps dans l’acte d’amour charnel : don de soi, chute des barrières de la pudeur, abandon sacré, qui seul peut engendrer un être nouveau. La liturgie religieuse est la manifestation de l’union amoureuse d’une communauté ou d’une société. Sans cette union, la société se dessècherait ; plus de créativité, plus de réel partage, plus de don de soi.
C’est là le problème de nos sociétés occidentales où la ferveur religieuse collective est devenue un phénomène marginal, une simple rémanence des temps anciens où chaque petit village n’existait qu’après avoir construit son église.
Il existe bien pourtant de nouvelles liturgies collectives, dont l’ampleur et la ferveur sont impressionnantes : je veux parler du sport, et particulièrement du football, qui provoque de réelles communions/fusions de l’ensemble des catégories sociales dans un ego collectif : le match de championnat est comparable à une grande messe, et les dévotions ne sont pas inférieures à ce qu’elles étaient jadis pour le Christ. Mais si les antiques jeux olympiques étaient en Grèce dédiés aux dieux, les jeux contemporains sont sans mystère et sans foi. La société démocratique moderne se livre donc bien à cette nécessaire « copulation liturgique collective », mais sans autre amour que celui de soi, du drapeau, et surtout des stars du ballon. Doit-on en conclure qu’il ne s’agit plus d’amour collectif mais de débauche ? Que les adorateurs du veau d’or sont revenus ? Ce serait, je crois, ne pas comprendre les fluctuations contemporaines qui atteignent le rapport entre sacré et profane. Dans notre monde occidental, la croyance s’est déplacée du paradis, du royaume des cieux qui n’est pas de ce monde, au paradis terrestre, celui de la réussite individuelle dont les Zidane, Ronaldinio, etc. sont des symboles vivants. Le culte collectif contemporain va en effet de plus en plus aux demi-dieux du show-biz. Si jadis le roi, l’empereur, le pape, étaient perçus comme les représentants de Dieu sur terre, les stars médiatiques sont aujourd’hui les hypostases du nouveau dieu profane « Homo democraticus », dont le germe est en chacun de nous, comme le Christ était autrefois sensé résider au fond de chaque âme humaine. Si l’on se plaint (à juste titre) que dans l’Islam, la société civile et le pouvoir politique sont phagocytés par la religion, on peut déplorer également que dans les sociétés occidentales hyperdéveloppées, le sacré est absorbé par le mondain, par les vérités séculières, par le mythe démocratique profane de la réussite (le paradis) à la portée de tous, ici et maintenant. Dans l’occident contemporain, le sacré s’exprime à travers le profane et se résume à lui : il est littéralement profané. Je fais partie de ceux qui s’insurgent contre cette mythologie démocratique qui profanise l’humanité, ne lui assignant comme destin que le bonheur individuel dans la réussite matérielle partagée par tous, et reléguant la spiritualité au rayon des fantaisies folkloriques respectables autant qu’inoffensives. Mais quelle alternative avons-nous réellement, si nous ne croyons plus en Dieu ? Comment lutter contre la fin des mystères, contre l’assignation des rêves humains à l’univers étriqué de la consommation, du pouvoir d’achat, ou du quart d’heure de célébrité promis à chacun par ce prophète des temps modernes que fut Andy Warhol ? D’une certaine façon, l’art contemporain a indiqué le chemin de cette profanisation généralisée du sacré, ou de cette sacralisation du profane – ce qui revient au même. N’est-ce pas de nouveau à lui, aujourd’hui, d’indiquer les voies d’une resacralisation des aspirations ultimes de l’humanité nouvelle ? Mais de quelle sacralité s’agira-t-il ?
Sacralité de toutes les choses vraies, graves, profondes, et belles. Sacralité sans préjugé idéologique ou confessionnel. Sacralité servie par une ferveur poétique enjouée, et libre des chemins qu’elle emprunte.
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