présentation des peintures synchronistiques

dimanche, février 06, 2011

L'Enlèvement des Sabines, ambivalence et double jeu

L'Enlèvement des Sabines, Enlèvement d'Hélène, XVIIe s. , Collection privée, reprise du plafond de la Galerie Mazarine de la Bibliothèque Nationale 1646-47 (Fresque de Giovanni Francesco Romanelli) - légende mise à jour juin 2015
 
Mise à jour été 2015 : Illustration bien mal choisie, puisqu'il s'agit en fait d'un enlèvement d'Hélène, réarrangé d'une fresque de Romanelli (ci-dessous) qui orne le plafond de la Galerie Mazarine à la Bibliothèque Nationale (Palais Mazarin)

Fresque de Giovanni Francesco Romanelli, plafond de la Galerie Mazarine de la Bibliothèque Nationale 1646-47
J'ai découvert qu'il existe aussi au Plymouth City Council-Museum and Art Gallery, un tableau identique (ci-après) titré "L'enlèvement d'Hélène par Thésée" (? on penserait pourtant plutôt à son enlèvement par Pâris) attribué à Romanelli :

Giovanni Francesco Romanelli, Hélène enlevée par Thésée,  HST 48.1 x 65.5 cm, Collection- Plymouth City Council- Museum and Art Gallery

Voici donc, avant de parler de l'enlèvement des Sabines, la fresque de Romanelli (Louvre), inspirée de son maître Pierre de Cortone, qui représente effectivement l'enlèvement des Sabines :
Fresque de Giovanni Francesco Romanelli, L'enlèvement des Sabines, Louvre, rez-de-chaussée aile Denon
Le tableau du XVIIe siècle, d’école romaine, donne une amusante version de l’enlèvement des Sabines, faite de juxtapositions ambivalentes :
  •     On y voit deux scènes de combats, où des soldats romains en armure affrontent des Sabins « en civil », qui ne s’attendaient évidemment pas à l’offensive, même si celui du fond a trouvé une hache (on est dans le registre viril de la guerre).
  •     Un couple principal qui traduit plutôt un rapt consenti mutuellement qu’un enlèvement violent : en effet les protagonistes, sans armes, forment un couple gracieux d’amoureux, malgré la gestuelle de protestation d’ailleurs sans grande conviction (reprise à Pierre de Cortone), de la jeune fille. Cette défiance est contredite  par l’expression à peine inquiète de son visage ; on la comprend, le jeune éphèbe élégant qui l’emmène a les joues roses et n’a pas l’air bien belliqueux.
  •     Enfin à droite, un groupe de deux femmes : l’une court affolée, tandis que l’autre semble l’inviter à rejoindre leur amie enlevée, et à monter dans la barque, dont le nocher débonnaire n’est certes pas celui des enfers.
Drôle d’histoire que cet épisode du mythe de la fondation de Rome :

Les premiers Romains conduits par Romulus (qui a déjà massacré son jumeau Remus) et Hostius Hostilius (littéralement « l’hôte hostile »), ne trouvent rien de mieux pour fonder des familles que de voler les femmes de leurs hôtes Sabins qu’ils ont attirés dans un traquenard : des jeux organisés en l’honneur du dieu Neptune Equestre, pendant lesquels les Sabins seront circonscrits et leurs filles enlevées.

Et ces mêmes jeunes femmes, épousées de force, finiront malgré tout par jouer les conciliatrices pour faire stopper les combats entre leurs kidnappeurs et leurs parents.

Michel Serres (Cf. Rome, le livre des fondations) y voit un écho au rapt d’Hélène et à la guerre de Troie qui s’en était suivi, et dont les rescapés troyens fonderont d’ailleurs Padoue (Antenor), et Rome (Romulus est descendant d’Enée). Dialectique des lois de la guerre, viriles et toujours dans la violence sans recul du présent, qui transgressent, par une ruse perfide, les lois de l’hospitalité, plutôt féminines et renvoyant à la longue histoire des traditions (c’est d’abord le cheval de bois, fausse offrande à Poséidon laissé par les Grecs aux Troyens ; c’est ensuite les faux jeux de Neptune Equestre offerts par les Romains aux Sabins).

Mais on peut surtout y voir, en suivant James Frazer (Le rameau d’or) et Robert Graves (La Déesse blanche, Les mythes grecs), une réminiscence, travestie par le mythe, des anciennes coutumes liées au culte de la Grande Déesse, comme le meurtre rituel du roi sacré par son successeur et jumeau, dont le meurtre de Remus est un écho. On peut y voir aussi un souvenir des pratiques propres aux conquérants indoeuropéens, comme le mariage par rapt rituel, appelé gandharva en Inde, mariage per usum par les anciens Romains, et qui existe encore aujourd’hui couramment au Kirghizistan. À moins que le rapt de l’épouse ne renvoie également à d’anciennes cérémonies liées au culte de la déesse mère.

Un tableau de Guiseppe Salviati, du Bowes Museum, est curieusement titré : « L'Enlèvement des Sabines / Castor & Pollux enlevant les filles de Leucippe » indiquant l’ambivalence de la scène représentée ; cela nous montre, s’il en était besoin, à travers l’analogie Castor-Pollux / Remus-Romulus, que les mêmes éléments de la religion ancestrale se retrouvent encore dans ces deux mythes, mais dans des ordres différents : il y a bien les deux jumeaux guerriers, dont l’un est tué, et il y a aussi le rapt des jeunes filles, toujours emprunt d’ambiguïté.

Guiseppe Salviati, "L'Enlèvement des Sabines/ Castor et Pollux enlevant les filles de Leucippe"

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