présentation des peintures synchronistiques

lundi, mars 05, 2018

Les souvenirs heureux

« J'ai grandi dans la mer et la pauvreté m'a été fastueuse, puis j'ai perdu la mer, tous les luxes alors m'ont paru gris, la misère intolérable. » Noces, Albert Camus.
Gilles Chambon, Souvenirs heureux, huile sur toile 120 x 145 cm, 2018
Le vrai paradis n’existe que dans le vif de nos souvenirs heureux : ceux de la jeunesse et du corps flexible où circule la sève. Ceux des désirs ardents, pleins de langueur et d’aventure mêlés. 
Au bord de l’eau nous exposions alors nos chairs, et nous nous rapprochions pour mieux nous désirer. Nous rêvions aussi de jonques paresseuses, de filles exotiques aux coquetteries étranges, et d’îles paradisiaques cernées d’azur liquide. 

Ce paradis rêvé du bord de l’eau se cristallise dans mon tableau synchronistique sur fond des notes musicales ambrées de « Chanson nègre II » de Picabia :

Francis Picabia « Chanson nègre II », 1913, aquarelle sur panneau 55,6 x 65,7 cm, Met N.Y.

Le groupe de baigneurs, les filles exotiques, et l’île paradisiaque sont issus de trois œuvres d’André Maire :

Les Baigneurs, 1937, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts, Orléans
"Venise, Composition", 1977, huile sur isorel, 60 x 92cm
"La plage de Niatrang" (Vietnam), Gouache 50 x 65cm, 1955

Enfin, sur la droite, flotte l’estampe du groupe de baigneurs le plus fameux de Paul Cézanne :

Cézanne, "Baigneurs", 1890-91, huile sur toile 54,2 × 66,5 cm, Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg 

jeudi, février 22, 2018

Le songe d'Orphée, distingué au Grand Palais

Dans le cadre de "ART CAPIAL" 2018, le "Songe d'Orphée..." de G. Chambon exposé au Salon des Artistes français
Le Grand Palais a été construit entre 1898 et 1900 par la Société des Artistes Français pour accueillir les salons et manifestations artistiques. Voici d'abord le résumé de son histoire, en images.



À partir de 1900, il remplaça le Palais de l'Industrie:
Le Palais de l'Industrie, détail d'une gravure montrant Paris en 1860
Situé au même endroit, celui-ci avait été construit en 1855 pour l'Exposition Universelle, et les salons artistiques s'y déroulaient précédemment :

- Salon des Artistes français qui remplaça en 1881 le Salon de Peinture et de Sculpture (1725-1880), lui-même succédant à "l'Exposition" de l'Académie royale, qui se tenait depuis 1673 à l'initiative de Colbert;

- Salon des refusés (1863-1886);

- Et Salon des Indépendants (à partir de 1884).

Depuis 2000, la FIAC se tient aussi sous la verrière du Grand Palais, et depuis 2006, Art Capital y regroupe chaque année le Salon de Artistes français, le Salon des Indépendants, le Salon Comparaisons (né en 1956), et le Salon du dessin et de la peinture à l'eau.

Au XIXe siècle, de nombreux peintres de renom ont participé au salon officiel et ont reçus des distinctions : par exemple Delacroix, Courbet, et Manet. Courbet et Manet ont aussi participé au salon des refusés pour leurs œuvres non acceptées au salon officiel (la plus célèbre étant le déjeuner sur l'herbe de Manet).

Aujourd'hui la Société des Artistes français continue chaque année à réunir un jury, d'abord pour sélectionner des œuvres (plus de 600), puis pour attribuer des médailles à certaines d'entre elles... En février 2018, le jury a attribué à mon tableau "Le songe d'Orphée, ou les funérailles de la Licorne" une médaille de bronze.

Je suis donc très fier d'inscrire aujourd'hui mon nom dans une lignée d'artistes qui ont témoigné depuis 350 ans de l'excellence de la peinture française, et dont le cœur continue de battre malgré les coup portés aux techniques d'expression picturale traditionnelles par les avatars médiatisés, subventionnés, et financiarisés de l'art post-duchampien.


vendredi, février 09, 2018

Isis

Gilles Chambon, La compassion d'Isis, huile sur toile 56x70cm, 2018
Isis, divinité de l’ancienne Egypte, sœur et épouse d’Osiris, est une déesse mystérieuse qui a traversé le temps. Isis, que l’on qualifiait de « Maîtresse de la vie », est un avatar de la grande déesse mère proto-historique, et représente les forces cachées de la Nature. Plutarque dit avoir vu l’inscription suivante sur le pavé du temple d’Isis à Saïs : " je suis tout ce qui a été, ce qui est, et qui sera, et nul d'entre les mortels n'a encore levé mon voile ".
Dans l’antiquité, la grande déesse égyptienne a été souvent assimilée et confondue avec plusieurs déesses gréco-romaines. Apulée parle d’elle en ces termes dans Les Métamorphoses ou l’Âne d’Or, au IIe siècle : 
« Je suis la Nature, mère des choses, maîtresse de tous les éléments, origine et principe des siècles, divinité suprême, reine des Mânes, première entre les habitants du ciel, type uniforme des dieux et des déesses. C’est moi dont la volonté gouverne les voûtes lumineuses du Ciel, les souffles salubres de l’Océan, le silence lugubre des Enfers.
Puissance unique, je suis par l’univers entier adorée sous plusieurs formes, avec des cérémonies diverses, avec mille noms différents. Les Phrygiens, premiers nés sur la terre, m’appellent la Déesse Mère de Pessinonte ; les Athéniens autochtones me nomment Minerve la Cécropienne ; chez les habitants de l’île de Chypre, je suis Vénus de Paphos ; chez les Crétois armés de l’arc, je suis Diane Dictynna ; chez les Siciliens qui parlent trois langues, Proserpine la stygienne ; chez les habitants d’Eleusis, l’antique Cérès. Les uns m’appellent Junon, d’autres Bellone ; ceux-ci Hécate, ceux-là la Déesse de Rhamnonte.
Mais ceux qui les premiers, sont éclairés par les rayons du Soleil naissant, les peuples de l’Ethiopie, de l’Asie et les Egyptiens, puissants par leur antique savoir, ceux-là seuls me rendent mon véritable culte et m’appellent de mon vrai nom : la reine Isis. » 

Au Moyen-âge, Isis est encore là, comme inventrice de l’agriculture chez Christine de Pisan, et probablement derrière les vierges noires, dont on trouve en Europe de nombreux lieux de culte, le plus célèbre en France étant Rocamadour. 

À la Renaissance, le Corpus Hermeticum, recueil de textes antiques remis à la mode, conduit à faire d’Isis la fille d’Hermès Trimégiste, détentrice de savoirs secrets. Par la suite, les érudits ont continué à s’intéresser à cette déesse ésotérique ; on la retrouve chez  Lully, Mozart, chez Villiers de L'Isle-Adam, ou chez Gérard de Nerval. Sous Napoléon, elle devient la patronne de Paris. Gérard Encausse, alias Papus, en 1890, nomme sa revue occultiste « Le voile d’Isis ».  De nos jours, le goût d’une Égypte imaginaire et ésotérique trouve encore des amateurs et donne à la figure d’Isis une dimension qui dépasse largement sa place originelle. 

J’ai voulu rendre un hommage pictural synchronistique à cette grande divinité archétypale. J’ai donc représenté une Isis compassionnelle, au centre d’un mystérieux univers, primordial et inchoatif. Ce décor est interprété d’une composition de Ladislas Kijno (étude sur les totems humides):

Ladislas Kinjo, Composition, 1982, acrylique sur toile 27 x 22 cm

Quant à mon Isis, je l’ai extraite de la célèbre Déploration sur le Christ mort, de Bronzino, qui est conservée au musée des Beaux-Arts de Besançon:
Agnolo Bronzino, La Déploration sur le Christ mort, c. 1540-1545, huile sur panneau 268 × 173 cm, Musée des beaux-arts et d'archéologie de Besançon
Bronzino y a représenté sept femmes autour du Christ, alors qu’elles ne sont normalement que trois ou quatre (La vierge Marie, Marie la femme de Cléophas – sœur de la vierge, Marie-Madeleine, et Marie-Salomé, femme de Zébédée). On ne sait qui sont ces autres femmes introduites par Bronzino dans sa Déploration. Mais il m’a semblé que la mystérieuse et noble jeune femme en rouge qui surplombe directement le visage du Christ, et dont la coiffure évoque les cornes qui ornaient la tête d’Isis, pouvait tout à fait personnifier la déesse égyptienne, qui, si l’on en croit ses admirateurs, assiste en secret depuis l’origine à tous les grands drames qui marquent l’histoire de l’humanité…

vendredi, janvier 19, 2018

La malédiction du centaure Nessus

Gilles Chambon, La malédiction du centaure Nessus, huile sur toile 54x65cm, 2018
Nessus, comme tous ses congénères, était parfois la proie de pulsions sexuelles violentes et irrépressibles. 

Il occupait dans la Grèce antique la paisible fonction de passeur au bord du fleuve Événos, chargeant sur son dos ceux qui souhaitaient traverser, contre rémunération. 
Jusqu’au jour maudit où Hercule vînt sur la berge et lui confia sa femme, la belle princesse Déjanire, pour la porter sur l’autre rive. Le contact des cuisses juvéniles sur l’échine du centaure ralluma sa lubricité, et il ne put résister : une fois de l’autre côté, il tenta d’abuser de sa cavalière. C’était sans compter sur la puissance et la promptitude du héros vainqueur des plus terribles monstres ; dans l’instant, Hercule saisit son arc et décocha au centaure une de ses flèches empoisonnées dans le sang de l’hydre. Touché, Nessus comprit qu’il était perdu, mais voulu par un stratagème entraîner le fils de Zeus dans la mort avec lui. Il portait sur ses épaules une légère tunique, qu’il ôta et trempa dans son sang envenimé par le poison. Puis il confia le vêtement à Déjanire, et lui demanda de l’offrir à Hercule son époux, le jour où elle commencerait à douter de sa fidélité. La tunique était censée opérer comme un filtre d’amour. Quand ce jour arriva, elle l’offrit à Hercule, qui la passa sans se méfier. Aussitôt il ressentit d’atroces douleurs et ne put retirer le tissu empoisonné qui collait à sa peau. Pour se libérer de ce mal insupportable, il finit par s’immoler dans les flammes d’un brasier. 

Cette légende, comme d’ailleurs celle du combat des Centaures et des Lapithes, nous rappelle que ces êtres hybrides, mi hommes mi chevaux, ont l’intelligence des humains, mais l’animalité primitive des étalons. Ils peuvent, comme Chiron, être de remarquables savants, mais lorsque les circonstances les y poussent, ils sont incapables de résister aux pulsions de leur partie animale, ce qui est à coup sûr pour eux une malédiction. Nessus en fait les frais, tué par le sang venimeux d’un autre monstre hybride, l’hydre de Lernes. Ce sang venimeux, qui par ricochet tue aussi Hercule, est une sorte de métaphore de la force animale, délétère quand elle ne peut être dominée.  


Dans mon tableau synchronistique, le centaure et sa cavalière sont inspirés d’une gravure de 1897 d’après un dessin de Rodin (fonds Goupil, Bordeaux):


Le paysage abstrait dans lequel ils évoluent (qui évoque pour moi le sang contaminé par le noir venin) est adapté d’une composition abstraite au pastel et à l’encre (31x23,5 cm, c. 1950), de Christine Boumeester:

vendredi, décembre 15, 2017

La vie rêvée

Gilles Chambon, "La vie rêvée", huile sur toile, 50 x 65 cm, 2017
Trois femmes empruntées à Gauguin, quoi de plus naturel pour peindre "la vie rêvée" ? Le maître de Pont-Aven, en partant à l’autre bout du monde en quête de paradis terrestre, a voulu faire de sa vie un rêve éveillé. Et la plupart de ses tableaux, loin d’être des descriptions fidèles de la vie polynésienne, sont en réalité de pures compositions oniriques. 

Les deux personnages de gauche de ma peinture viennent d’un tableau conservé au Samuel Courtauld Trust, peint en 1897, et qui s’intitule justement « Le rêve » (Te Rerioa en tahitien).

Gauguin, "Le rêve" (Te rerioa), 1897,  95 x 132 cm, Collection Courtauld, Londres

La jeune femme à cheval, sur la droite, vient d’une des dernières œuvres du maître : « Les cavaliers sur la plage » (1902); c'est une composition totalement onirique, inspirée par les courses de chevaux de Degas.
Gauguin, "Les cavaliers sur la plage", 1902, huile sur toile, 73 x 92 cm, collection privée

Ma triade féminine renvoie par ailleurs aux cultes anciens de la grande déesse-mère, souvent représentée comme une divinité à trois visages, en relation avec les trois phases de la lune ou les trois âges de la vie… De ces cultes disparus dérivent la sombre Hécate, ou encore les terribles Moires, mais aussi les trois Hespérides, gardiennes des pommes d’or, et plus près de nous, les trois Maries de la Mer, icônes chrétiennes qui se sont coulées dans un moule mystique beaucoup plus ancien.

Le paysage onirique où campent mes trois déesses rêvées, sort lui aussi du songe pictural d’une femme : il s’agit de Christine Boumeester (1904-1971), née un an après la mort de Gauguin. Gaston Bachelard, dans une préface à ses peintures, disait d’elle : « on l'imagine souriant doucement - ironiquement peut-être - quand les masses colorées sous ses yeux amusés croient pouvoir mettre en paix, dans la lumière du jour, les luttes violentes du monde de la nuit. »

Christine Boumeester,  Composition, 1968 Aquarelle 25,5 x 33,5 cm

jeudi, décembre 07, 2017

Le fabuleux destin (pictural) du dauphin

Albrecht Dürer, Arion sauvé par un dauphin, encre et aquarelle, 14x23cm, 1514, Kunsthistorisches Museum, Vienne
Depuis la plus haute antiquité, le dauphin a été considéré comme une sorte de personnification de la puissance marine. Sa célérité, et ses sauts répétés dans les vagues accompagnant les navires, ont certainement facilité cette analogie. 

On le voit représenté sur une fresque du palais de Knossos, vieille de trente-cinq siècles. 

Fresque de la salle de la reine, palais de Cnossos, Crète, vers 1500 av J-C
Cette fresque se situe dans la salle de la reine, rappelant qu’avant d’être le royaume de Poséidon, la mer était associée à la déesse-mère. Et le dauphin symbolisait sa fécondité, son pouvoir de procréation.
En grec, delphus signifie la matrice. Ainsi le dauphin (delphina), de genre féminin en grec, est une sorte d’ « animal-utérus de la mer » (C. G. Jung et C. Kerényi, L’essence de la mythologie, Paris, Payot, 1980, p.77). Autour de cette « matrice linguistique », convergent la ville de Delphes et son culte d’Apollon (on verra que ce dieu solaire a quelques liens mythiques avec le dauphin), mais aussi le Dauphin de la royauté française, dont le titre dérive de la province du Dauphiné, que l’étymologie associe à adelphos, le frère (a-delphus : "lié par la même matrice").
L’homonymie entre le cétacé et le prétendant au trône a été utilisée par les artistes, comme en témoigne cette dédicace d'un livre de Bossuet destiné au Dauphin (le dessin est de Hyacinthe Rigaud):
Détail de la page de dédicace du livre "Politique tirée des paroles de l'Ecriture Sainte", par Bossuet, Pierre Cot éditeur, 1709 

Le dauphin est donc l’animal marin qui accompagne les hommes comme des frères. Nombreuses sont les légendes où on le voit prendre soin des enfants, ou sauver des naufragés. Ainsi dans le livre IX de son Histoire Naturelle, Pline l’Ancien décrit les dauphins — qui allaitent leurs petits, comme des êtres sensibles aimant la musique, et faisant preuve d’une amitié spontanée envers les humains. Il raconte qu’un dauphin du lac Lucrin s’était lié d’amitié avec un enfant qu’il transportait sur son dos pour le conduire à son école sur l’autre rive du lac. Cela dura plusieurs années, puis l’enfant mourut de maladie. Le dauphin en éprouva une telle tristesse qu’il se laissa mourir aussi.

Le dauphin est abondamment représenté dans l’art gréco-romain. Il figure sur de nombreuses monnaies, fresques, mosaïques, sculptures, bijoux, vases, etc. En voici quelques exemples
Eros chevauchant un dauphin, Ephèse IIs. av J-C

Taras, fondateur de Tarente, chevauchant un dauphin envoyé par son père Poséidon, monnaie 350 av J-C

Néréides et dauphins, décor d'un vase d'Apulie, Ve s. av J-C

Eros chevauchant les dauphins, mosaïque de Delos, IIe s. av J-C

Amours chevauchant des dauphins et tenant une boite à bijoux et un miroir, détail de la mosaïque de Vénus, maison d'Amphitrite IIe-IIIe, s. ap J-C, musée du Bardo, Tunis

Mais on le retrouve aussi en Egypte accompagnant Hatméhyt, déesse-poisson représenté généralement avec un poisson-chat sur la tête, mais aussi parfois avec un dauphin:

la déesse égyptienne Hatméhyt, figurine métallique, origine non connue

Le dauphin participe aussi, associé à une ancre, à l’un des premiers symboles du christianisme (IVe siècle). Ce symbole sera repris à la Renaissance par l’éditeur humaniste vénitien Aldus Manutius, accompagné de la devise «Festina lente» (Dépêchez-vous lentement).
À gauche, ancre et dauphin, symbolisant le Christ et l'église, mosaïque provenant des catacombes de Sousse (Tunisie, IVe s.) - à droite, sigle de l'éditeur Aldus Manutius
Curieusement, on retrouve le même dauphin faisant cette fois office du "serpent qui a précipité Adam dans une fosse profonde" sur une enluminure des "Chants royaux sur la Conception, couronnés au puy de Rouen" de 1519 à 1528 (source BNF Gallica)
Détail d'une enluminure des "Chants royaux sur la Conception, couronnés au puy de Rouen" de 1519 à 1528 (source BNF Gallica)
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À partir de la Renaissance, le dauphin va intervenir dans de nombreuses scènes mythologiques, notamment celles qui impliquent des divinités marines : Neptune, Thétis, Oceanus, Triton, Amphitrite, Galatée …

En voici quelques occurrences :

Neptune, généralement représenté sur un char tiré par des chevaux marins, est associé au dauphin dans l’épisode où il enlève Caenis (à qui il accordera ensuite le vœu d’être transformée en homme – elle deviendra alors Caeneus) :
Neptune enlevant Caenis, gravure de Johannes Sadeler I, d'après un dessin de Bartholomeus Spranger . 1580

On le voit aussi sur certains dessins tenant dans sa main un dauphin comme emblème:
Nicoletto da Modena, Le dieu Neptune, gravure, v. 1500-1510

Et on le retrouve parfois avec sa femme Amphitrite, portés par des dauphins:
Neptune et Amphitrite, gravure d'Hendrik Goltzius, 1594

Thétis la Néréide, qui enfanta Achille, représentée sur un char tiré par des dauphins : 
Thétys, gravure d'Hendrik Goltzius, 1589

Oceanus, frère de Thétis, à cheval sur un dauphin géant :
Oceanus, gravure d'Hendrik Goltzius, 1589

Triton, fils de Neptune et d’Amphitrite, tenant une nymphe dans ces bras, accompagné d’angelot et de dauphins :
Triton et Nymphe, gravure d'après Rubens

Galatée, autre Néréide, est souvent représentée sur un char tiré par des dauphins:
Raphaël, Le triomphe de Galatée, 1514, fresque de la loggia de la Villa Farnésine, Rome

Ou directement assise sur un dauphin :
Charles Alphonse du Fresnoy (1611-1668), Le triomphe de Galatée, huile sur toile 111,8 x 98,1 cm, vente Sotheby's 
Et sur quelques gravures, on la voit aussi surfant sur un dauphin, le vent s’engouffrant dans son voile:
Monogrammiste CG (Allemagne), Galatée, gravure, 85 x 60 mm, 1537

Mais parmi les dieux associés aux dauphins il y a surtout Vénus, née de l’écume des vagues, et par extension, Cupidon, fils de la déesse. 
Bartholomeus Spranger, Vénus et Cupidon sur un dauphin, dessin non localisé
Marco Dente, d'après Raphaël, Vénus et Cupidon montés sur un dauphin et un monstre marin, C. 1515-1527, gravure 26,5x17,2 cm
Cupidon va être ainsi très fréquemment montré chevauchant un dauphin.
Pierre Paul Rubens, Cupidon monté sur un dauphin, huile sur bois, 14,5 x 13,5 cm, Musée royaux des Beaux-Arts de Belgique

Cette iconographie déjà présente dans l’antiquité, est étendue à la Renaissance aux putti et jeunes enfants, qu’on voit s’ébattre avec les dauphins dans les cortèges des dieux. 
Thétis portée dans la chambre nuptiale de Pélée, gravure de Pietro Aquila d'après la fresque d'Annibale Carracci, 1574, plafond de la galerie du Palais Farnèse, Rome
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Mais il n’y a pas que les divinités marines pour avoir un rapport étroit avec les dauphins. j’ai mentionné Apollon, qui s’était transformé en dauphin pour prendre le contrôle d’un navire et le diriger vers Delphes (à ma connaissance, cet épisode n’a jamais été illustré), mais il faut y ajouter Bacchus, et même Diane, la chasseresse. 

Bacchus est parfois considéré comme le jumeau marin d’Apollon : c’est Dionysos Pélagios, honoré comme divinité aquatique par les habitants de la côte ionienne. Dans l’Iliade, Homère nous le montre, encore enfant, plongeant dans l’océan et se réfugiant dans la grotte de Thétis, pour échapper à Lycurgue. Le poète rapporte aussi, dans les Hymnes homériques, une autre légende concernant le dieu de la vigne : s’étant embarqué pour Naxos sur un vaisseau thyrrénien, il découvre que les matelots, qui sont en réalité des pirates, font le projet de le vendre comme esclave sur les côtes d’Asie. Alors le dieu se change en lion, fait apparaître sur le pont des animaux fantômes, et fait pousser, au son des flûtes, une vigne et du lierre sur le mât et les gréements. Les pirates effrayés plongent dans la mer, et sont instantanément métamorphosés en dauphins :
Bacchus transforme ses ravisseurs en dauphins, gravure de Jacob Matham (1571-1631), d'après David Vinckboons

Artémis (Diane) la vierge chasseresse, était aussi maîtresse des animaux ; dans certains sanctuaires côtiers, elle était vénérée comme une déesse de la mer, et portait le titre Artemis Delphinia. Mais dans l’iconographie, c’est sous la forme de Séléné / Luna, sa déesse jumelle, qu’elle est présentée en compagnie d'un dauphin.
Crispijn de Passe l'Ancien, La Lune, gravure d'une série sur les sept planètes, 1589
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Parmi les légendes impliquant des dauphins, la plus célèbre est l’histoire du poète Arion de Méthymne (VIIe s. av J.-C.), inventeur du dithyrambe, rapportée par Hérodote : 

Ayant acquis une grande renommée, et ayant fait fortune en Italie et en Sicile, Arion s’embarqua à Tarente pour revenir à Corinthe, où régnait son ami Périandre. Mais une fois en mer, les matelots voulurent le tuer pour s’emparer de ses biens. Il demanda comme ultime faveur d’être jeté à la mer avec sa cithare… Son chant attira alors les dauphins, l’un d’eux le prenant sur son dos et le conduisant au cap Ténare. Il se réfugia chez Périandre, à qui il raconta son histoire. Ce dernier le crût fou et le fit enfermer… Mais il retrouva finalement au port les marins voleurs, et libérera Arion, qui récupérera ses biens. Cette légende est le sujet de nombreuses fresques ou mosaïques antiques, et de beaucoup de tableaux et gravures des XVIe et XVIIe siècles.
Arion sauvé par un dauphin, mosaïque du IIIe siècle, issue des bains de Thyna, Tunisie
Détail d'une enluminure de "La cité de Dieu" de St Augustin, traduit par Raoul de Presles, illustré par Maître François, Paris 1478-80 (volume I folio 18) : Les marins coupable présentés devant Périandre, Arion sur le dauphin, et en fond, Jonas avalé par un poisson. exemplaire de la bibliothèque nationale de Hollande
Antoni van Leest, Arion sur le dauphin, gravure, 1577
Albbrecht Altdorfer, Arion sur le dauphin avec en arrière plan une néréide, gravure c. 1520-25
Gérard Jean Baptiste Scotin II, gravure (détail) d'après François Chauveau, 1728 : Arion jeté par-dessus bord, et sauvé par le dauphin

Pausanias, dans le livre II de ses oeuvres, reprend une autre légende, qui est à l'origine des jeux isthmiques de Corinthe, dédiés par le roi Sisyphe au dieu Palémon. 
Mélicerte, fils de Ino, avait été divinisé après sa mort sous le nom de Palémon. La légende dit qu'Ino, frappée de folie, s'était précipitée dans la mer avec le cadavre de son fils. Pausanias ajoute que le corps inanimé de Mélicerte fut retrouvé par Sisyphe grâce à un dauphin qui l'avait porté jusqu'à la côte :
Le corps de Mélicerte porté par un dauphin, gravure extraite des "Images ou tableaux de platte peinture des deux Philostrates", Paris 1617

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Esope, le célèbre conteur phrygien (VIIe-VIe s. av J.-C.), dont s’est inspiré Jean de La Fontaine, nous livre aussi quatre fables impliquant un dauphin : 

  • - Le singe et le dauphin (reprise par La Fontaine) : 
Lors d’un naufrage, des dauphins viennent sauver l’équipage ; un singe qui était à bord profite de sa ressemblance avec les hommes et enfourche un dauphin ; ils conversent ensemble et le dauphin, s’apercevant de la supercherie en raison de la stupidité des propos du singe, le laisse à la mer pour aller sauver un véritable humain. Moralité : il ne faut pas vouloir en faire accroire aux autres quand on ne sait de quoi on parle.
Illustration de la fable d'Esope, extraite de 
Fables d'Ésope par Bensérade, 1678, pour le labyrinthe de Versailles

  • - Le dauphin et le thon (il existe une variante de la même fable avec un poisson volant plutôt qu’un thon) : 
Un dauphin poursuit un thon pour le dévorer ; celui-ci, dans son élan à fuir, sort de l’eau et vient se coincer entre deux rochers ; le dauphin, poussé par la rapidité de sa course, va s’échouer sur la plage et meurt. Le thon se trouve alors satisfait de mourir aussi, du moment qu’il voit la mort de celui qui a causé la sienne. Moralité : on accepte mieux les malheurs quand ceux qui en sont la cause sont touchés aussi.
Le dauphin et le thon, recueil de 32 illustrations des fables d'Esope, gravures d'après Francis Barlow, 1749

  • - Les dauphins, les baleines, et le goujon : 
Les dauphins et les baleines se font la guerre. Un petit goujon se propose comme médiateur ; sa posture ridicule lui attire le mépris des belligérants, qui préfèrent mourir au combat que de s’en remettre à cet avorton. Moralité : dans les temps troublés, on voit les minables qui cherchent à se faire valoir.

  • - Le lion et le dauphin : 
Un lion et un dauphin font une alliance d’entre aide, mais lorsque le lion appelle le dauphin à la rescousse, celui-ci décline, ne pouvant sortir de l’eau. Moralité il faut mieux choisir ses alliés en fonction de ce qu’ils sont capables d’apporter.

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Chez les peintres, la morphologie du dauphin est très variable. Les Grecs et les Romains avaient un peu accentué certains éléments saillants de sa morphologie, mais restaient dans un certain réalisme. Par contre les artistes de la Renaissance vont aller beaucoup plus loin dans la fantaisie : ces sympathiques mammifères marins, comme on a déjà pu le voir dans certaines des images qui précèdent, deviennent des monstres improbables, à tête de chien ou de bête fauve, ou des poissons à grosse tête pourvus d’yeux menaçants, d’une sorte de bec camus garni de dents pointues, d’une nageoire dorsale formant crête, et d’une longue queue mince et sinueuse. En voici quelques autres exemples:

Hans Sebald Beham, Putti sur des dauphins, gravures, 1521
Venus sur un dauphin, accompagnée de Cupidon, gravure d'Agostino Veneziano, d'après Raphaël, Musée de la Légion d'Honneur, San Francisco
Putto sur un dauphin, détail d'une toile attribuée à Peter Casteels I, 1ere moitié du XVIIe s., collection privée
Anonyme, entourage de Romeyn de Hooghe, Détail d'une gravure caricaturant  la prise de la flotte des Indes à Vigo, en 1702
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Il faut dire que cette restitution anatomique assez fantaisiste (que l’on voyait déjà au début de l’ère chrétienne) se prêtait bien aux nécessités des motifs décoratifs. On retrouve souvent le dauphin mêlé aux rinceaux végétaux dans les frises ornementales qui décorent l’architecture et les objets luxueux:

Heinrich Aldegrever, Frise décorative avec enfants et dauphins, gravure, 1527
Lucas de Leyde, Ornement avec deux dauphins, gravure, 1527
Coin d'un panneau décoratif, non situé

Bien qu’il soit un mammifère cétacé, le dauphin, aux XVIe et XVIIe s., est la plupart du temps représenté avec des écailles, une queue, et des nageoires de poisson.

Albert Flamen, "Diverses Espèces de Poissons de Mer : Le Dauphin - gravure, c. 1650


Pour terminer, voici une représentation amusante du lamantin, qui était vu dans l’imagination des graveurs du XVIIe siècle comme un cousin américain du dauphin....

Observés par des Européens, les Amérindiens chevauchent un lamantin d'autres capturent une créature marine et une tortue - détail d'une gravure de Wolfgang Kilian, livre attribué à Honorius Philoponus (probablement pseudonyme de Caspar Plautius, Linz, 1621
... Et, pour ne pas finir en beauté, une kitscherie synthétique de Jeef Koons, de 2006, sans doute inspirée de la fable d'Esope et de Vénus ou Galatée chevauchant un dauphin....

Jeef Koons, installation sans titre (fille avec dauphin et singe), 2006, Whitney Museum of American Art