présentation des peintures synchronistiques

lundi, février 24, 2014

La fin d’un rêve

Gilles Chambon, "La fin d'un rêve", huile sur toile 50 x 62 cm, 2014

En composant  « La fin d’un rêve », j’ai pensé à deux romans d’Arturo Perez-Reverte :

-    « Le tableau du Maître flamand », où il est question d’une partie d’échec représentée sur une peinture de Van Huys, énigmatique maître flamand du XVe siècle : pour qui sait décrypter cette peinture, elle contient la clef du meurtre commis sur la personne d’un des deux joueurs, le chevalier/cavalier, ami de Van Huys…

-    l’autre roman, « Le peintre de batailles », raconte l’histoire d’un photographe de guerre reconverti dans la peinture, et qui cherche à retrouver dans l’espace pictural d’une vaste fresque synthétisant toutes les batailles, une sorte de topologie de la mort, que ses photos de guerre lui avaient peu à peu révélée.

Dans un cas comme dans l’autre, l’espace de représentation devient une équation complexe dont la morphologie, comme dans la théorie de catastrophes de René Thom, décrit brusquement une rupture de symétrie, un basculement. Subitement, ce qui était insignifiant devient primordial.
La synchronicité de Jung est du même ordre : sans cause logique, une configuration banale prend soudainement un sens universel et s’impose à l’esprit.

C’est ce type de configuration que cherche à recréer la peinture synchronistique.

Sur mon tableau, la mystérieuse chute du cavalier, empruntée à une peinture de bataille d’Antonio Tempesta (1612), elle-même reprise d’un dessin d’Otto Van Veen, semble due à une brisure de l’espace et du temps provoquée par la violente collision entre « L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi » (1912) de Giorgio de Chirico, et la « Nature morte à l’échiquier » (1915), de Juan Gris. Au même moment, la première guerre mondiale créait, dans l’espace réel cette fois, une terrible fêlure où s’engouffrèrent dix neuf millions de morts.

mercredi, février 19, 2014

Peindre à rebours, peindre à côté, peindre avec : plaidoyer pour une peinture synchronistique

Gilles Chambon, "Les dés sont jetés", huile sur toile 54 x 61cm, 2014

Cette année, je travaille à rebours : d’abord je retourne les toiles et peins le côté écru, non préparé. Le support fait alors buvard : il boit la peinture avec beaucoup d’avidité, et les pigments prennent cette tonalité rude et matte qui exclut toute transparence. Les blancs ajoutés sont de vrais blancs épais et intenses, et les couleurs, qui ne se mélangent plus à la clarté du fond, prennent aussi davantage de force matérielle.  Les traits de limites entre les surfaces sont absorbés par le grain de la toile et donnent au rendu des formes une sorte d’imprécision, comme une petite vibration un peu floue.

Mais là n’est pas l’essentiel : je travaille aussi à rebours de ma manière figurative habituelle, en faisant retour vers l’éclatement et la fragmentation propres à l’espace cubiste, que je confronte – ou mélange ? – à l’expressivité irréelle de certaines figures « extatiques » de la peinture occidentale.

Ce n’est pas par pur caprice d’artiste.

Je tente en fait de développer un nouvel espace pictural, apte à associer la logique esthétique et la poésie distanciées du réel, propres au cubisme, avec la prégnance de figures hypersuggestives, propres la tradition picturale occidentale de Giotto à Van Gogh, en passant par Léonard, Caravage, Rembrandt, Goya, et tant d’autres. 
En diffractant les figures pour respecter leur doctrine, les cubistes les avaient en effet rendues oniriquement et sentimentalement inactives, comme un vaccin rend inactif le principe infectieux qu’il utilise. 

Mon hypothèse est que la fusion, le maillage d’un espace cubiste avec les figures dramatiques de la grande peinture classique peuvent recréer une association musicalité / théâtralité, comparable à celle que produisent l’opéra et la comédie musicale dans le domaine du spectacle.

Dans la grande dissertation moderne de la peinture, après la thèse réaliste qui explora successivement toutes les nuances du monde visible, jusqu’à la surréalité, et son antithèse cubiste, qui découvrit les immenses ressources de la déconstruction figurative, poussant jusqu’à l’abstraction, il manquait une synthèse capable de réensemencer notre imaginaire pictural ramolli par un demi-siècle d’errance. N’étant sans doute pas assez créatif pour produire ex nihilo cette nouvelle peinture synthétisante, je vais m’aventurer dans une peinture plutôt "synchronistique" (rappelons-nous la "synchronicité" de C.G. Jung), puisqu’elle fait coexister en une association nouvelle et mystérieusement signifiante, des fragments ou des réminiscences d’œuvres du patrimoine, proche ou lointain. C’est donc en m’appuyant sur les béquilles que me prêtent les grands maîtres du passé que je peux avancer, et les tableaux produits sont aussi pour moi une façon de leur rendre hommage.

La peinture que je présente ici est née d’un mélange au départ improbable entre une « étude avec crâne » de Georges Braque, et le terrible tableau de Goya représentant les Moires : Clotho, qui tisse le fil de l’existence, Lachésis, qui le mesure, et Atropos, qui le coupe. Le point commun des deux œuvres réside seulement dans le fait qu’elles font l’une et l’autre référence à l’inexorabilité du destin.

Francisco Goya, Atropos, ou les Parques, transposé sur toile, 123x266 cm, Madrid, musée du Prado

Georges Braque, Studio avec crâne, huile sur toile 92 x 92 cm, 1938, Collection privée
C’est pourquoi j’ai intitulé ma toile « Les dés sont jetés ».
Ceux qui connaissent mon histoire récente trouveront peut-être aussi un sens à la petite figure qui orne le pot d’étain.

dimanche, février 09, 2014

La mathématique du plaisir


Gilles Chambon, "La mathématique du plaisir", 2014, huile sur toile 65 x 54 cm
La mathématique du plaisir... Pour certains, cette formule sonne sans doute comme un oxymoron. 
Mais sous des dehors arides, les mathématiques sont pleines de mystère et de ressources infinies, exactement comme le plaisir. Aussi j'ai cherché dans cette peinture à tracer une infaillible épure du plaisir, selon les lois paranoïaques-critiques découvertes par Dali.
Cette épure repose donc sur les données suivantes, que l'on peut considérer comme le sous-titre du tableau :

Etant donné :
a) La naissance de Vénus
b) Le grand roque
c) La géométrie hyperbolique du dollar
d) La parade nuptiale du Grebe
e) La localisation du point G

Pour aider le lecteur à y voir plus clair, voici deux strophes extraites d’un poème de Federico Garcia Lorca « Ode à Salvador Dali », dans une traduction de Paul Eluard

…/…
Un désir nous gagne, de formes, de limites.

Voici l’homme qui voit à l’aide d’un mètre jaune.

Venus est une blanche nature-morte.

Voici que les collectionneurs de papillons s’effacent.
…/…
Le courant du temps s’apaise et s’ordonne

Dans les formes numériques d’un siècle, et d’un autre siècle.

La Mort vaincue se réfugie en tremblant

Dans le cercle étroit de la minute présente.
…/…

samedi, janvier 25, 2014

Le retour des pêcheurs


Rodolphe Defontaine (1878-1962), Retour de pêche à Douarnenez, vers 1920, huile sur panneau, collection privée
On sait que le Romantisme a redécouvert, dans la première moitié du XIXe, une France profonde jusque-là ignorée, voire méprisée par les élites : celle des provinces, de leurs histoires oubliées, de leurs monuments médiévaux, de leurs paysages spécifiques, de leurs modes de vie et de leur traditions. Les voyages pittoresques de l’ancienne France de Taylor et Nodier ont beaucoup contribué à élaborer et diffuser ce regard à la fois nostalgique, rêveur, et attentif aux spécificités locales.

Cette glorification de la beauté mémorielle des provinces fait une large place au paysage rural, souvent représenté dans les lithographies avec un pathos inspiré par les peintures romantiques d’un Caspar Friedrich d'un Carl Joseph Vernet, ou d’un Eugène Isabey, surtout lorsqu’il s’agit des régions montagneuses ou des contrées maritimes. Ces dernières sont aussi explorées dans « La France Maritime » d’Amédée Gréhan (1837-1842). La Normandie et Bretagne sont particulièrement intéressantes dans leur représentation picturale : on y voit converger l’attrait pour le paysage maritime, et l’intérêt nouveau que l’on pourrait qualifier d’ethnographique porté sur la population des bourgs et villages de pêcheurs.

Rivages de Normandie, Lithographie extraite de "La France Maritime"
Eugène Isabey, Tempête et naufrage, huile sur toile

Joseph Vernet, Port au clair de lune, St Louis Art Museum, Missouri

William Turner, Pêcheurs en mer, 1796, Tate Gallery, Londres

Caspar Friedrich, Les trois états de l'homme, 1835, Musée de Beaux-Arts de Leipzig

Le paysage des rivages maritimes, dont la tradition principale vient des peintres de marines du XVIIe siècle aux Pays-bas, se prête parfaitement aux envolées romantiques faisant ressortir les aspects « sublimes » de la nature : contraste et réverbération des lumières, ciels chargés de nuages menaçants, effets de tempête, de couchés de soleil, ou de clairs de lune ; mais aussi rochers décharnés battus par les vagues, grèves désertes et désolées à marée base, falaises vertigineuses, etc…

Petrus van Schendel, Naufrage, vers 1840, Breda's Museum

Dans ces décors grandioses, l’attrait pour l’activité humaine vient parfois magnifier l’héroïsme - et c’est en particulier tous ces tableaux de naufrages – ou parfois, au contraire,  endiguer la violence potentielle des éléments naturels, en montrant ce petit peuple des pêcheurs, aux conditions de vie certes rudes, mais qui semblent avoir réussi à apprivoiser la sauvagerie des éléments.
Eugène Lepoittevin, La grève de Port-en-Bessin. Huile sur toile, 1832, musée de l'île Tatihou
Le retour des pêcheurs est un thème pictural de prédilection, qui traverse les époques, parce qu’il symbolise le cœur de cette activité maritime traditionnelle ancrée dans un paysage spécifique, et parce qu’il est le point de rencontre entre ces héros ordinaires qui bravent chaque jour la houle imprévisible, assujettis au rythme des marées, et ces petites communautés villageoises littorales dont toute la vie est réglée par la pêche. Au tout début du XVIIe siècle, quand le genre picturale de la "Marine" ne s'est pas encore autonomisé, l'univers des pêcheurs apparaît cependant dans l'illustration de l'épisode évangélique du prêche sur le lac de Tibériade, ou comme "pêche miraculeuse", en arrière plan d'une nature morte de poissons:

Abraham Willaerts, Jésus prêchant sur la rive du lac de Tibériade, première moitié du XVIIe s.
Marcus Ormea et Cornelis Claesz. van Wieringen, Pêche miraculeuse, vers 1625-30

Comme on le voit sur les quelques peintures que je propose ci-après à titre d’exemple, la représentation du « retour des pêcheurs » s’adapte à tous les styles, du « Classicisme topographique » le l’âge d’or néerlandais au fauvisme, en passant par le romantisme, le naturalisme, et l’impressionnisme. (On peut aussi suivre cette évolution à travers les représentations de la plage et du port de Scheveningen, près de La Haye, où sont passés beaucoup de grands peintres, dont Van Gogh ; voir ici et )

Hendrik Cornelisz. Vroom, La plage de Scheveningen, 1623, Gallery Rob Kattenburg, Bergen
Jean-Louis Demarne (attribué), Scène de plage avec pêcheurs, vers 1800, musée de l'île Tatihou

Alexandre Thomas Francia, Retour de pêche, avant 1850
James Clark Hook, Clovelly, retour du pêcheur, 1856, Harris & Art Gallery

Vincenot, Retour de pêche, huile sur bois, seconde moitié du XIXe siècle, collection privée

Eugène Boudin, Femmes de pêcheurs sur la plage, étude
Eugène Boudin, Berk, pêcheurs à marée basse
Claude Monet, Bateaux de pêche, 1883, Art Museum, Denver

Claude Monet, Halage d'un bateau à Honfleur, 1864, Memorial Gallery, University of Rochester, New York

Vincent Van Gogh, La plage de Scheveningen par gros temps, 1882, Van Gogh Museum, Amsterdam
Karl Daubigny,_Le retour des pêcheurs sur la plage de Villerville, 1882, Galerie Ary Jane
Fernand Marie Eugène Le Gout-Gérard (1856-1924), Retour de pêche, vente Trinité-sur-Mer, juillet 2013

Henri Moret (1856-1913), L'attente du retour des pêcheurs, vers 1894, Musée du Petit palais, Genève
Alfred Guillou (1844-1926), Le retour de pêcheurs, 32 x 45 cm, Galerie Doyen, Vannes

André Derain, Bateaux de pêche à Collioure, 1905, MoMA, New York

dimanche, janvier 05, 2014

Rétrospective Pierre Huyghe à Beaubourg, une exposition qui décoiffe… Les chauves !



« Il est rarissime qu’un plasticien contemporain aussi exigeant provoque une émotion tellement unanime ; rare de voir les visiteurs errer durant deux heures dans l’espace plutôt restreint de la salle Sud ; exceptionnelle, enfin, cette communion des générations, bambins enchantés et retraités fascinés. » (Emmanuelle Lequeux, Le Monde 30/12/13).

Les journalistes spécialisés n’arrêtent pas de s’émerveiller de l’affluence de spectateurs à une exposition dont l’artiste, prisé dans les milieux branchés Art Contemporain et bardé de distinctions institutionnelles, n’avait jusqu’aujourd’hui aucune véritable aura médiatique. Mais dans notre monde complexe où les médias et les réseaux sociaux titillent la curiosité de tout un chacun, l’affluence ne signifie nullement adhésion. J’en veux pour preuve ma propre visite et celle de quelques personnes croisées dans l’exposition, qui avouaient ne rien comprendre, et qui se jetaient sur le catalogue dans l’espoir de ne pas mourir idiots. Pour cela d’ailleurs, il vaut mieux se reporter à quelques blogs comme ceux de Maxence Alcade ou de Lunettes Rouges.

Comme le note justement Emmanuelle Lequeux, « L’accrochage est ardu, sans concession, pas séduisant pour un sou »… Bref, l’expo n’est pas très sexy. On y retrouve en particulier quelques poncifs de l’AC : le tas de sable (rose), des manteaux de fourrure posés sur le sol ; les cimaises blanches récupérées de l’expo précédente (juste ce qu’il faut de négligé) et placées sans logique apparente, avec fenêtre découpée donnant à voir la coulisse/débarras ; le recours à la technologie pour produire la glace d’une patinoire et celle d’un tas de glaçons, et en même temps la critique de la technologie par des commandes lumineuses factices (à moins qu’elle aient été en panne lors de ma visite) ; l’intégration d’entités vivantes dans les œuvres (poissons, araignées de mer, bernard-l’ermite, abeilles, tortue) et dans la scénographie de l’installation (chien à patte rose, pauvre type affublé d’une tête d’aigle en peluche) ; des vidéos « engagées » donnant au demeurant une lecture insipide et théâtrale d’événements ayant marqués jadis l’actualité politique, où d’autres, esthétisantes, et parfois plus convaincantes, montrant la nature et les souvenirs exotiques de Pierre Huyghe …. Pas de quoi fouetter un chat, me direz-vous, et rien qui puisse expliquer une fréquentation si assidue du public.
Il y a bien quelques beautés étranges, comme ces aquariums mystérieux, dans l’un desquels flotte une énorme pierre ponce.

Mais à mon sens, la clef du succès vient des gadgets animaliers : dame ! Un lévrier à patte rose, une statue à tête de ruche éventrée, dénommée "Alive entities and inanimate things, made and not made", un bernard-l’ermite voyageant dans une tête de Brancusi, et de très élégants Stenorhynchus seticornis en provenance des Caraïbes, arpentant l’eau diaphane des aquariums et semblant aussi égarés et faméliques que le pauvre toutou à patte rose déambulant dans l’exposition.
J’y vois donc la confirmation que l’AC est avant tout un art du gadget, où les artistes s’amusent à brouiller les cartes pour que le concept remplace la compréhension, pour que le décryptage de l’intention artistique remplace la recherche d’un savoir nouveau ou d’une émotion inédite.
Si vous êtes sans repère artistique et sans imagination, peut-être l’expo de Pierre Huyghe vous transportera, et si vous êtes chauve, sûrement elle vous décoiffera !

Dépêchez-vous, l’expo ferme le 6 janvier

jeudi, décembre 26, 2013

Lombok, Indonésie, les plus belles plages du monde

Passer Noël dans l'hémisphère sud, avec le cri strident des cigales, la lourde chaleur de mousson, et les reflets laiteux du ciel sur l'eau transparente des plages, à l'ombre des grands feuillages vernissés, voilà une expérience unique.
Ces quelques croquis aquarellés faits sur le motif sont mon modeste hommage à la la beauté des antipodes.






dimanche, décembre 08, 2013

Albert Camus, ses amis peintres - Exposition à Lyon



« La force de Camus, lors même […] que l'idée court encore, tel un préjugé tenace, qu'il prêchait une pensée tiède, est d'avoir su y résister par son humanisme intransigeant, réfractaire aux dogmes et à toutes les idéologies. » Macha Séry, Le Monde du 07/10/13, extrait d’un article publié suite à l’exposition controversée « Albert Camus », à Aix-en-Provence. Sartre a dit de lui qu’ « il était de ces hommes rares qu’on peut bien attendre parce qu’ils choisissent lentement et restent fidèles à leur choix. […] par l’opiniâtreté de ses refus, il réaffirmait, au cœur de notre époque, contre les machiavéliens, contre le veau d’or du réalisme, l’existence du fait moral. » Cité par Benjamin Stora et Jean-Baptiste Péretié dans « Camus brûlant », pp. 107-108, éd. Stock, 2013.

Le domaine de la critique d’art n’était pas la spécialité de Camus ; mais il ne s’en intéressait pas moins à la peinture. Il a fréquenté au cours de sa vie de nombreux peintres et sculpteurs : certains ont été approchés à Alger dans sa jeunesse, d’autres au gré de rencontres et d’amitiés communes, d’autres encore en lien avec la mise en scène de ses pièces de théâtre. On a parfois ironisé sur ses choix artistiques, arguant qu’il ne s’intéressait qu’à des « peintres locaux » (cf article de Jérôme Serri, L’Express, 5 fév. 2010 : « Camus ou l’étranger… à la peinture »). C’est que dans ce domaine aussi, Camus était « réfractaire aux dogmes et aux idéologies ». L’intérêt qu’il portait aux peintres figuratifs de son époque ne lui était pas dicté par la pensée des théoriciens des avant-gardes, tournés alors vers l’abstraction, mais par le lien sourd et sensuel qu’il établissait entre peinture et enracinement dans une condition  humaine, toujours marquée par la terre et par l’amitié, toujours écartelée entre amour, consentement, et révolte. Des artistes qu’il aimait et dont il a commenté l’œuvre, seul Balthus figure aujourd’hui parmi les grands.

Les manifestations actuelles autour du centenaire de Camus sont une occasion pour redécouvrir ses amis peintres, en particulier ceux qu’il connût en Algérie, dont certains méritent qu’un éclairage nouveau soit porté sur leur oeuvre. Maurice Adrey, Armand Assus, Baya, Hacène Benaboura, Louis Bénisti, Henri Caillet, Marcel Damboise, Jean Degueurce, Raoul Deschamps, Sauveur Galliéro, Richard Maguet, Jean de Maisonseul, René Sintès, Sauveur Terracciano, sont des noms qui ne parlent plus guère aujourd’hui au grand public.

Jean-Pierre Bénisti (fils du peintre Louis Bénisti) et l’association « Coup de soleil en Rhône-Alpes » présentent en janvier 2014 une exposition de ces peintres et sculpteurs à Lyon, au Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation*. À ne pas manquer, pour tous ceux qui passeront en janvier par notre belle capitale des Gaules.

*Du 11 au 24 janvier 2014, vernissage le samedi 11 janvier à 11 heures Salle Edmond Locard, Centre Berthelot 14 avenue Berthelot 69007 Lyon - ouvert tous les jours de 14 à 19 heures sauf le dimanche. 

 Mise à jour 20 février 2014 :
Un catalogue de cette belle exposition va être édité par l'association "Coup de soleil en Rhône-Alpes", au prix très raisonnable de 12€ (en souscription). La commande se fait par le bulletin de souscription ci-après. N'hésitez pas !

Mise à jour octobre 2014:
Le catalogue est disponible ; il s'intitule "Camus et les peintres d'Algérie, une longue amitié (1930-1960)" ; La couverture est un tableau de Richard Maguet représentant l'atelier de la Villa Abd-el-Tif

dimanche, novembre 24, 2013

Émile Boursier, architecte moderne et aquarelliste occasionnel


Emile Boursier, Immeuble 34 rue Chomel, Paris, 1934
Émile Boursier (1878-1956), est un architecte moderne peu connu : sur le site de partage de photos en ligne Flickr, on voit seulement de lui, dans la mouvance d'Auguste Perret et de Michel Roux-Spitz, un immeuble parisien de 1934, commandité par la compagnie d’assurance vie « La Populaire », au 14 rue Chomel, en face du square du Bon Marché dans le 7ème arrondissement -aujourd’hui au n°34 (cette réalisation est parue en 1935 dans le n°32 de la revue "LA CONSTRUCTION MODERNE").
L’immeuble ne suit pas l’alignement : son plan forme un V, dégageant entre les deux ailes une petite cour d’honneur agrémentée d’un bassin. En haut de la façade centrale, en tympan, une sculpture de R. Delamarre représentant la Famille, affirme le caractère typiquement Art Déco du bâtiment.
Immeuble 34 rue Chomel, le bassin
Raymond Delamarre, La Famille, bas-relief de la façade du 34 rue Chomel

On trouve de cet architecte, toujours à Paris, dans le XVe arrondissement, un autre immeuble plus ancien d’une dizaine d’années : il s’agit du siège de « La Populaire ». Émile Boursier travaillait depuis les années 1910 avec le Bureau Technique Central des Bétons Armés Hennebique ; d’où sans doute le caractère moderne de son travail, tourné vers les nouvelles techniques de construction, et exprimant une esthétique géométrique et sobre.

Emile Boursier, ancien siège de "La Populaire", angle rue de Lourmel et rue de la Convention, 1924, Paris

Mais son bâtiment le plus innovant fut l’un de ses premiers travaux : l’Hôtel du Parc, à Bagnoles-de-l’Orne, édifié en 1913, et présentant un toit plat, ce qui était vraiment novateur dans cette petite ville thermale de province, où la plupart des établissements construits à cette période affichaient le pittoresque de décors chargés et de grandes toitures éclectiques ou Modern Style.
Emile Boursier, Hôtel du Parc, 1913, Bagnoles-de-l'Orne

Emile Boursier, Hôtel du Parc, 1913, Bagnoles-de-l'Orne, vue actuelle


Émile Boursier, né à Chartres, avait pourtant eu une sensibilité traditionnelle : il s’intéressait aux vieilles pierres, et avait illustré, en 1900, l’ouvrage « Églises et chapelles du diocèse de Chartres » publié par Charles Métais. Il y avait fait notamment des croquis d’églises du département, à Maintenon, Manou, Gallardon, etc...
Il était, comme beaucoup d’architectes de sa génération, un excellent dessinateur d’observation et un excellent aquarelliste. En témoigne cette petite vue de la cour du Manoir de Guernachanay, à Plouaret, dans les Côtes d’Armor.

Emile Boursier, La cour du Manoir de Guernachanay, Plouaret, aquarelle, 24,5 x 18 cm, entre 1905 et 1930 ?

Manoir de Guernachanay, XVe-XVIe s., classé monument historique, Plouaret

Elle est fidèle à la disposition architecturale des lieux, mais il y a cependant une incongruité : le château est en Bretagne, et les toitures sont évidemment en ardoise. Sur son aquarelle, Boursier les a représentées en tuiles. Est-ce parce qu’il avait fait sur place un simple dessin, qu’il a aquarellé longtemps après, oubliant la nature des toits (ce qui est très étrange pour un architecte) ? Est-ce par préoccupation artistique, pour l’équilibre de la couleur ? Ou n’est-ce pas plutôt parce qu’il n’est jamais allé sur place, et qu’il a fait son aquarelle d’après une carte postale, sans couleur à l’époque ? Habitué aux toits en tuiles plates de l’Eure-et-Loir, il aura alors extrapolé. C’est ce qui paraît le plus logique, d’autant que j’ai retrouvé la carte postale en question :



Mais qu’importe, l’aquarelle est jolie. Elle me vient de mon grand-père maternel. Dans les années 30, Marcel Craffe (c’est son nom) avait son domicile et son cabinet de médecin au square La Bruyère, dans le 9ème arrondissement, précisément à côté de l’agence d’Émile Boursier. Nul doute qu’en remerciement de bons soins, ce dernier lui offrît la petite peinture.