présentation des peintures synchronistiques

dimanche, septembre 18, 2011

Les baigneuses au chien

Baigneuses au chien, Gilles Chambon, Huile sur toile, 2011

Les baigneuses au chien sont un lointain souvenir de Diane et Actéon, maintes fois représentés par les peintres… 
Pour avoir surpris nues la déesse et ses servantes, Actéon le chasseur fût transformé en cerf et dévoré par sa meute. Heureusement les déesses d’aujourd’hui sont moins farouches ; elles ignorent le chasseur qui les observe et préfèrent cajoler son chien.

dimanche, septembre 11, 2011

Exploration

Les citadines, pastel, G. Chambon 2011

Ce week-end, j'ai continué à explorer le monde doux et ensoleillé du pastel à l'huile.

dimanche, septembre 04, 2011

Quatre pastels

Baigneuse 1, pastel, G. Chambon
Baigneuse 2, pastel, G. Chambon


Nu allongé, pastel, G. Chambon

Nu assis, pastel, G. Chambon

C’est aujourd’hui la première fois que j’utilise le pastel gras.

Les bâtons de pastel, plus encore que les crayons de couleurs, avec leur nuancier raffiné de tonalités douces ou éclatantes, ressemblent à une grande palette de maquillage.

Il m’a donc semblé tout naturel d’en associer l’emploi à la représentation de corps féminins. Leur pâte généreuse et élastique colle à la plasticité des formes sensuelles, elle capte les rondeurs et les finesses, l’ivoire et le rosé du teint, le noir luisant des longues chevelures, et restitue par petites touches la musique feutrée des lumières et des ombres.

lundi, août 29, 2011

Créatures de dieu ou avatars des hommes?

L'homme, fasciné par l'étrangeté du monde animal comme par sa propre figure, n'a cessé d'inventer des êtres surnaturels équivoques, oscillant entre humains parfaits et créatures chimériques.
 
Jérôme Bosch,  Saint Jacques et le magicien Hermogène, détail
Musée des Beaux-Arts, Valenciennes

Mère femme-chien, étude pour projet de film de David Cronenberg

Sirène, bestiaire d'Ashmole, XIIIe s.
L'enfer, Très riches heures du Duc de Berry, détail, frères Limbourg, XVe s.

Naissance de Vénus, Botticelli, détail, Galerie des Offices, Florence

Le songe de Joseph, Philippe de Champaigne, détail, National Gallery, Londres

Dieu créant le soleil, Michel-Ange, plafond de la chapelle Sixtine

Extra-terrestre, photo d'un mannequin exposé à l'International UFO Museum and Research Center

Boddhisattva Avalokitesvara, Guanyin, aux mille bras et mille yeux, Chine,musée Guimet, Paris
Les sciences de la nature ont depuis le XVIIe siècle observé, analysé, et classé les différentes entités, vivantes ou non, qui peuplent notre planète ainsi que l'orbe céleste accessible aux appareils d'observation et de mesure, comme d'ailleurs avait déjà tenté de le faire Aristote il y a vingt-quatre siècles, avec des moyens beaucoup plus réduits mais une méthode déjà très élaborée. Elles ont finalement mis en évidence une loi du devenir et de l'organisation croissante de la matière, agissant à tous les niveaux, et créant des entités de structure pérenne de plus en plus sophistiquées, de l'inerte au vivant, et que l'on peut résumer grossièrement selon la chaîne suivante : l'atome, le cristal, la molécule, le virus, l'organisme unicellulaire, l'organisme végétal, l'organisme animal, et en bout de chaîne l'organisme intelligent  (doué de langage) qu'est l'homme ; mais aussi les entités géantes que sont les étoiles, les planètes, les galaxies, les trous noirs, etc.

    Les hommes de science ont pris l'habitude de penser que parmi les formes vivantes, l'homme est le nec plus ultra de l'organisation de la matière, parce qu'ils n'ont rien observé de supérieur. N'oublions pourtant pas que, s'il est relativement aisé d'observer les entités d'organisation inférieure ou égale en complexité à la nôtre, il est sans doute beaucoup plus difficile de déceler - voire même d'imaginer (bien que les mathématiciens nous aient éblouis par leur faculté de raisonner sur des objets à N dimensions) - les entités plus complexes, qui ne manquent certainement pas de peupler le cosmos, sans doute à notre insu.
    Je ne sais si c'est ce pressentiment spontané - mais somme toute logique - de l'existence d'entités supérieures à l'homme qui est à l'origine des religions, mais en tout cas celles-ci ont imaginé des êtres - dieux, anges, génies, esprits, diables, etc. - créatures invisibles (inobservables) développées par toutes les cultures humaines, sans qu'il existe à ma connaissance aucune exception. Les vertigineux progrès des découvertes scientifiques au cours des trois derniers siècles écoulés ont bien sûr mis en évidence la naïveté de ces créatures imaginées pour la plupart il y a plusieurs millénaires, et l'invraisemblance des mythes qui y étaient associés.
    L'homme moderne, en réponse à cette fracture entre croyances traditionnelles et connaissance scientifique, a développé deux attitudes :

- l'une, de rupture, consiste à rejeter en bloc les mythes religieux et les divinités associées, pour ne les prendre que comme la manifestation d'un stade particulier - prélogique - de la pensée humaine, dont il est aujourd'hui temps de se libérer, comme l'enfant en grandissant se libère des contes qui ont bercés ses jeunes années ;

- l'autre attitude, liée en général à l'acceptation philosophique d'une transcendance que la science ne peut remettre en question, tend à interpréter les mythes religieux comme des métaphores polysémiques, et accepte l'idée d'une finalité universelle incompréhensible mais pénétrant et transcendant toute créature, qu'elle assimile à une divinité unique.

    Je tiens pour ma part qu'il existe une troisième voie, évidemment aussi invérifiable que les deux précédentes, mais à mon sens plus satisfaisante parce qu'elle permet de gérer dans une conception logique unique, la quasi évidence (du simple point de vue des probabilités à l'échelle de l'univers) de l'existence d'entités d'organisation supérieures à l'homme, et dans une certaine mesure, comme j'essaierai de le montrer, la convergence entre les propriétés que devraient posséder ces entités plus évoluées - selon des hypothèses logiquement établies - et certaines des propriétés transcendantales qui sont attribuées aux divinités dans la plupart des religions.

    Il est logique, à partir des connaissances scientifiques acquises dans les domaines de la biologie et de l'évolution, d'inférer l'existence sur d'autres planètes de formes de vies analogues, bien qu'évidemment assez différentes (étant donnée la diversité de formules inventées par la nature rien qu'à l'échelle de notre terre). Mon hypothèse est donc que sur toutes planètes où la vie a pu se développer, on trouve des formes de type végétal et animal, des formes de type humanoïde, et des formes supérieures, dont il sera question dans la suite de mon propos.
    Je voudrais dans un premier temps envisager avec un certain recul les formes humanoïdes, dont les seuls représentants que nous connaissions sont les hommes actuels (homo sapiens sapiens) et leurs ancêtres hominiens disparus. Nous savons que cette catégorie dans la chaîne d'évolution des entités naturelles est apparue il y a à peu près trois millions d'années, ce qui est fort peu à l'échelle de l'histoire de la planète. On peut tout à fait supposer que nous sommes encore parmi les formes les moins évoluées de la catégorie humanoïde ; les fameux petits hommes verts et leurs soucoupes volantes, réels ou imaginaires, symbolisent une forme humanoïde extraterrestre plus évoluée que l'homme terrestre. Et à l'heure du génie génétique, de la bionique, et du développement des greffes d'appareils technologiques à l'intérieur même du corps humain pour remplacer ou accompagner certains organes défaillants, il n'est pas interdit d'envisager une évolution rapide des hommes vers des formes génétiquement  plus perfectionnées, et intégrant peut-être un appareillage bio-informatique décuplant leurs performances. Ainsi les formes les plus évoluées de type humanoïdes réalisent-elles peut-être un mélange, au sein de leur organisme, d'éléments naturels et d'éléments artificiels, permettant un contrôle plus sophistiqué des fonctions biologiques, un allongement important de la durée de vie, et surtout un décuplement des formes de perception et de communication : la radio transmission d'un cerveau à l'autre est très envisageable, ainsi que la captation directe des informations transmises par toutes les catégories d'ondes lumineuses et électromagnétiques. On imagine alors à quel point les facultés cognitives et la pensée pourraient s'élargir.
    Il reste à mon sens que ce qui caractérise la catégorie humanoïde est ce lien de dépendance total entre un organisme matériel unique et une pensée consciente individuelle, impliquant en particulier le caractère mortel. Cependant, dans ses formes les plus évoluées, l'humanoïde peut tendre vers une catégorie supérieure nouvelle, où la conscience individuelle pourrait trouver des moyens de se dissocier d'un organisme unique : j'appellerai ce nouveau stade de développement des entités vivantes, le stade angélique, par analogie avec les êtres supérieurs imaginés par les religions. Ainsi la catégorie des êtres angéliques serait caractérisée par cette dissociation entre corps et esprit, engendrant certaines conséquences comme la faculté de gérer une incarnation sous différentes formes, les facultés de déplacement instantané et d'ubiquité, et enfin bien sûr l'immortalité. Le corollaire de l'immortalité est évidemment la fin de la reproduction, sexuée ou non (le débat sur le sexe des ange était donc un faux débat!).
    De tels êtres angéliques, issus de la chaîne naturelle de l'évolution, ont évidemment la possibilité de se déplacer de façon fulgurante dans l'espace cosmique, et on peut supposer que s'ils sont apparus sur une ou plusieurs planètes lointaines, ils peuvent très bien depuis longtemps être en contact direct avec notre terre, et agir sur l'imaginaire des formes moins évoluées que sont les humains ; ainsi ont peut sans invraisemblance penser qu'il existe un lien entre ces êtres et nos croyances religieuses ancestrales.
    Les anges ne sont sans doute pas l'ultime catégorie de l'évolution ; il est évidemment difficile pour nos esprits encore primitifs d'imaginer ce que peut être cette ultime catégorie, de la même façon qu'il nous est difficile d'imaginer ce que peut être Dieu : c'est pourquoi j'appellerai dieu(x) l'ultime catégorie d'entités issues de l'évolution. Je ne choisis pas entre le singulier et le pluriel, parce que le(s) dieu(x) a/ont sans doute dépassé le stade de l'individuation. On peut imaginer qu'en plus du don d'ubiquité des anges, le dieu a le don de multi-temporalité ; c'est-à-dire qu'en un certains sens il(s) coexiste(nt) depuis toujours en chacune des entités naturelles : il(s) est (sont) l'alpha et l'oméga.

    Cette façon de relier religion et vision scientifique du monde paraîtra sans doute à beaucoup comme une fantaisie inacceptable, parce qu'elle bouscule trop d'idées reçues. J'y vois pour ma part une hypothèse plausible qui à l'avantage de réconcilier naturel et surnaturel, vision scientifique de type matérialiste et vision religieuse. Il reste que selon le schéma d'interprétation globale que je viens de proposer, l'esprit de l'homme, comme celui de toutes les entités humanoïdes, indissolublement lié au corps, est détruit par la mort et perd donc le bénéfice des promesses de vies éternelles formulées par les religions. Que penser alors ? Je laisse le soin aux optimistes de trouver un complément à mes hypothèses qui permette d'imaginer un sauvetage post mortem possible de l'esprit humain, et aux autres le courage de se préparer à affronter le néant.

lundi, août 08, 2011

Apprendre à se défier de l’Art Contemporain

Chevaux, Grotte de Pech Merle, 25000 ans av. J-C

Le cavalier, la mort, et le diable, Dürer, 1513, musée de Nuremberg

Deux drôles de zèbres : Damien Hirst devant "Incroyable voyage" (Zèbre "ready-madisé" dans le formol)

Les pratiques artistiques identifiées par l’histoire de l’art renvoient grosso modo à une trilogie, dont les moments historiques successifs semblent se suivre sans espoir de retour :

la première période de cette trilogie englobe les arts anonymes et vernaculaires, dits primitifs, premiers, ou traditionnels (selon l'époque et le pays dans lequel ils ont été produits). Pour eux, aucune figure charismatique d'artiste ne vient infléchir l'appréciation esthétique ou l'interprétation que l'on en a. Ils nous plaisent par leur force expressive et leur différence, par la simplicité et l'authenticité de leur fonction au sein d’une société traditionnelle, et par l'habileté et le savoir-faire dont ils témoignent.
Etat de nature, pourrait-on dire.

La deuxième période contient l'ensemble de la production artistique appelée libérale depuis la Renaissance en Occident, c'est-à-dire l'œuvre d'individus, documentés ou non, mus par la recherche continuelle du perfectionnement de leur art, expérimentant dans ce but, et dont la production s'inscrit dans une histoire consciente en évolution (et non plus dans une simple transmission des modèles et des savoir-faire). On les juge habituellement sur la qualité esthétique de leur œuvre, qui est associée à leur savoir-faire et à leur génie personnel. On s'intéresse également à leur rôle novateur et au rayonnement qu'ils ont eu.

La troisième et dernière période comprend le travail des artistes dits contemporains, et dont la figure princeps est Marcel Duchamp. Ils se distinguent essentiellement des précédents par leur préoccupation, qui n'est plus la recherche artisanale et mentale du perfectionnement de l'œuvre ; cette recherche s'est muée chez eux en une nécessité impérieuse de transgression et de questionnement perpétuel, interdisant l'achèvement de l'œuvre, et substituant la déviation et l'insolite au perfectionnement. On connaît bien la théorie des avant-gardes, et la glorieuse épopée intellectuelle de la modernité.

Les catégories esthétiques traditionnelles du beau et du sublime, avec toutes leurs nuances élaborées au plus près de la sensibilité occidentale, n'ont plus cours face à des œuvres qui curieusement s'adressent à la fois à l'inconscient et à la raison — ou plutôt à une sorte de mystique (mystification ?) de la rationalité ou de la logique formelle.

Les catégories esthétiques sont donc impuissantes pour appréhender et juger la contribution à l'art des performances de ce type d’artistes qui défraient la chronique depuis la seconde moitié du XXe siècle. Leur travail trouve l’essentiel de son public, assidu et admiratif, dans le monde branché des intellectuels : ce milieu est toujours réceptif aux projets dérangeants, aux démarches qui se donnent comme point de départ une réflexion critique sur la société. C’est ainsi que l’on voit, paradoxalement, un véritable establishment se créer contre l’ordre établi des valeurs artistiques. Ce nouvel art est donc, de facto, un art de classe (pour ne pas dire de caste), même quand il prétend s’ouvrir en direction des forces jeunes d’une culture populaire en cours de recréation.

Cet art n’est à vrai dire rien sans les critiques qui l’analysent, les médias qui le portent... Et les quelques milliardaires qui l'achètent. Il existe par le fait social, par la signification symbolique qu’il véhicule. Il s’agit donc plus d’un rituel que d’un art. Et ce statut de véritable rituel que revêt la pratique artistique dominante actuelle, me pousse à rapprocher la période de l’art contemporain de celle des arts premiers. Pour les uns comme pour l’autre, l’art semble avant tout être la mise en scène d’une série de signes invocatoires ; les uns, toujours totémiques ou religieux, appellent la puissance surnaturelle à rétablir l’ordre naturel toujours menacé dans les sociétés de chasseurs, pasteurs et agriculteurs, tandis que l’autre appelle les hommes modernes à rompre un ordre établi toujours corrompu, à porter un regard critique nouveau sur la société.

Dans un cas comme dans l’autre, la pratique artistique peut être comprise comme une sorte de désir d’action  magique, surtout si l’on prend conscience que la force réelle de toute action magique réside dans l’effet psychologique qu’elle produit sur ceux à qui elle s’adresse.

On pourrait donc résumer les choses en disant que les arts premiers et le recent art sont de type invocatoire, tandis que les art libéraux de la civilisation occidentale classique et moderne (et de quelques autres) sont avant tout évocateurs. (Pour être juste, il faut aussi remarquer que notre monde industrialisé consomme aujourd’hui les arts premiers sur le mode de l’évocation).

Quelle différence y a-t-il entre invocation et évocation ?

Renvoyons d’abord le lecteur aux textes classiques très éclairants de Cassirer (Philosophie des formes symboliques) et de Vernant  (Mythe & pensée chez les Grecs), qui montrent bien la détermination magique de l’invocation, dont le but est une présentification de la puissance, tandis que l’évocation se donne pour enjeu la représentation, c’est-à-dire le rappel poétique de la chose représentée (qui engendre le désir), et la nostalgie de son absence (qui engendre la mélancolie). L’invocation et l’évocation mettent à contribution les puissants ressorts de l’imaginaire, mais d’une façon diamétralement opposée. L’évocation ouvre l’esprit à la rêverie, aux résonances poétiques et sentimentales, de façon individuelle, contemplative, hédoniste ; l’invocation interpelle le sujet dans ses angoisses et ses refoulements, viole son système de repères sensibles, le fragilise et le plonge dans une catharsis collective, en jouant sur la fascination des symboles de l’imaginaire collectif.

Pourquoi l’art contemporain se plonge-t-il à corps perdu depuis plus d’un demi siècle dans cette pratique invocatoire violente, et délaisse-t-il la douceur des arts de l’évocation, qui par ailleurs plaisent toujours davantage au grand public ? Détermination à montrer l’immonde qui affleure et sous-tend le mondain, à révéler la barbarie contenue par la civilisation — ou masquée par elle.
Volonté de transparence, contre désir de sauver les apparences.

Mais est-ce vraiment ainsi que le problème doit se poser ? Il faut être manichéen et simpliste pour penser que les forces qui sont en nous préexistent et que nous avons simplement à ouvrir ou fermer des vannes, selon que l’on veut ou non sauver des apparences. En réalité nous transformons à chaque instant les forces qui nous habitent, en agissant, ou mieux, en interagissant. Notre sexualité, pas plus que notre sens artistique, ne sont faits de simples pulsions refoulées qu’il faudrait libérer. Les fantasmes sont un moteur et non un but. Ils contribuent à modeler notre relation à l’autre, qui est un jeu subtile d’abandon et de retenue, d’expression personnelle et d’attention au partenaire. La libération sexuelle sans la conscience de ces choses risque toujours de conduire à la misère sexuelle. Un peu comme la libération d’un pouvoir oppressif risque d’entraîner les pays qui n’ont pas suffisamment de tradition de dialogue politique dans un chaos destructeur pire que le joug de la dictature (c’est ce que l’on peut craindre aujourd’hui pour le nord-est de l’Afrique).
Chaque clan ou parti doit apprendre à contrôler son utopie politique, comme chaque individu doit savoir contrôler ses fantasmes.
L’utopie est en effet aussi indispensable à la vie politique que les fantasmes le sont à la vie amoureuse. Mais il faut absolument se garder de la considérer comme un objectif à atteindre : c’est un simple moteur, destiné à libérer dans l’action quotidienne toute l’énergie des désirs qu’elle a fait naître.

Il n’en va pas autrement pour l’art : il y a danger à prendre pour objet et finalité de la pratique artistique ce qui devrait rester plus simplement son moteur. Ainsi l’expression tous azimuts des desseins artistiques les plus cérébraux ou les plus schizophrènes, libérés des contrôles traditionnels de la sensibilité esthétique collective (refus de toute concession au goût du public) a fini par produire un chaos pire pour l’esprit et les sens que le plus indigeste des académismes pompiers.

Bien sûr il y a des moments historiques où certains changements brusques sont  inéluctables : il faut parfois jeter à bas un système perverti ou à bout de souffle, incapable de s’amodier, pour aller vers un système meilleur. Mais toute solution révolutionnaire est aussi porteuse de terribles dangers, comme l’histoire moderne nous l’a enseigné. Et il est de toute façon aberrant d’ériger la révolution en système, ce qui est pourtant le cas dans la philosophie avant-gardiste de l’art contemporain.

Ainsi on prétend encore, dans beaucoup d’écoles d’art, éduquer le sens artistique des jeunes en demandant aux étudiants novices, qui quittent à peine leur milieu familial, d’abandonner tous leurs anciens repères, d’oublier leurs préjugés esthétiques pour se confronter aux formes pures, pour s’ouvrir à des phénomènes si neufs pour eux qu’ils ne possèdent aucune arme, sensible ou conceptuelle, pour en faire la critique. Cela s’apparente plus au lavage de cerveau et à l’endoctrinement qu’à l’enseignement. Au contraire, un enseignement artistique digne de ce nom devrait faire évoluer le goût et le jugement critique par étapes progressives, en s’appuyant sur le terreau qui a fait naître et qui a structuré la sensibilité de chaque personnalité ; en procédant  ainsi on ne couperait pas le jugement esthétique de ses racines imaginaires, de son humus socioculturel.
L’art contemporain est comme une culture hors sol : faute de pouvoir plonger ses radicelles dans le riche substrat de l’imaginaire collectif, il les laisse flotter au gré des ondes de la mode, se raccrochant ici où là, pour mieux se nourrir, aux concepts évanescents qui flottent dans l’air du temps.
On peut bien sûr aimer et défendre cet art à la dérive, ce que font encore aujourd’hui la plupart des médias spécialisés ; mais on a aussi le droit de s’en défier et d’espérer un réenracinement, une re-naturalisation de l’art, une sorte de réenchantement poétique de la création contemporaine.


L'art dit "contemporain" : Laurent Danchin (... par Salon_Automne

dimanche, juillet 24, 2011

À PROPOS D’UNE VIERGE À L’ENFANT

Vierge à l'enfant, oeuvre de la seconde moitié du XVIIe s. ou du début du XVIIIe siècle ; elle a fait l'objet d'une attribution erronée à Alessandro Casolani. Ecole de Pierre Mignard (mais quelques ressemblances  aussi avec des oeuvres de Pierre de Cortone et de Paolo de Matteis), collection privé

La Vierge à l’enfant est un des thèmes favoris de la peinture et de la sculpture occidentale entre le Ve siècle et le XVIIe siècle, c’est-à-dire entre le concile d’Éphèse (au terme duquel la Vierge est définitivement reconnue comme la « mère de Dieu », contre Nestorius qui ne voyait en elle que la mère de l’homme Jésus investi postérieurement par la divinité), et la Contre-réforme, qui combat le protestantisme en préconisant, à l’encontre de ce dernier, l’intercession des saints, et particulièrement celle de la Vierge Marie. 

Mais il faut aussi considérer que si le culte marial s’est implanté si profondément dans la culture chrétienne occidentale, c’est que le terrain était préparé par les religions antiques où la déesse mère occupait souvent déjà une place de premier plan. Il n’est que de rappeler les nombreuses statuettes gallo-romaines représentant la déesse mère allaitant un ou deux enfants.
Déesses mères gallo-romaines, musée de St Germain-en-Laye

On dit aussi que beaucoup de Vierges noires célébrées ici ou là sur le territoire français seraient des continuations d’un culte plus ancien de la déesse mère (on adorait en particulier Cybèle sous forme d’une pierre noire - bétyle).







Quoi qu’il en soit, les représentations picturales de la Vierge à l’enfant ont ceci de particulier qu’elle répondent à la fois à un canon - très codifié depuis les icônes byzantines ; à une volonté d’inclure dans l’image des symboles forts de la Passion du Christ et de la rédemption ; mais aussi au désir d’exprimer simplement la douceur des sentiments entre une mère et son bébé.

À l’origine, donc, les icônes byzantines définissaient trois grands types scénographiques pour représenter Marie et l’enfant Jésus :

-    La Vierge kyriotissa, ou Vierge en majesté (sur un trône), assise sur un trône, tenant dans son bras l’enfant Jésus qui lève la mains droite pour bénir (index et majeur tendus, annulaire et auriculaire repliés), et tient dans sa main gauche baissée un rouleau des saintes écritures (remplacé plus tard par un livre, puis par un globe surmonté de la croix).
Vierge Kyriotissa, Ste Sophie, Istambul


-    La Vierge hodigitria, ou Vierge montrant la Voie ; elle ressemble à la précédente, l’enfant ayant le même maintien et la même gestuelle : mais la Vierge désigne son fils de la main droite comme étant la voie à suivre, et parfois,au lieu de regarder droit devant elle, porte ses yeux vers lui.
Vierge hodigitria, icône du musée de Kastoria


-    La Vierge eleousa, ou Vierge de miséricorde et de tendresse, avec ses variantes tardives glykophilousa (Vierge du doux baiser ou Vierge des caresses), et kardiotissa (Vierge qui a du coeur). Dans le type original, Marie tient l’enfant haut sur sa poitrine, incline son visage vers lui, et leurs joues se frôlent affectueusement. Dans le type glykophilousa, la main du Christ caresse souvent la joue ou le menton de sa mère. Dans le type kardiotissa, l’enfant lève les deux bras et prend le visage de sa mère.
Vierge kardiotissa, prov. Tolga, fin XIIIe s., Moscou, Tretyakov Gallery
Vierge glykophilousa, icône provenant de Macédoine


Vers la fin du Moyen-âge, les orthodoxes ajouteront encore d’autres types supplémentaires comme la Vierge arakiotissa (Vierge du Dieu de la Passion) où 2 anges présentent à l’enfant Jésus les instruments de la Passion, ou la Vierge galaktotrophoussa (Vierge qui allaite).
Signalons aussi certaines Vierges assises qui ont l’enfant dans leur giron mais ne le tiennent pas ; elles dérivent du type de la Vierge Orante (Vierge debout les bras écartés, avec souvent sur la poitrine une image superposée du Christ dans la même attitude).

L’art chrétien occidental, parti de cet héritage byzantin, déclinera un nombre infini de variations sur ces modèles, se libérant peu à peu de la rigidité des postures, mélangeant souvent les types, et y ajoutant volontiers, à partir de la Renaissance, quelques allusions discrètes à la Passion du Christ ou à son rôle de rédempteur, par l’intermédiaire de plantes ou d’animaux associés. On verra ainsi des Vierges à l’enfant avec, tenus par Jésus ou par sa mère, ou les accompagnant :
-    des œillets (le fruit de l’œillet ressemble à un clou et évoque la crucifixion),
-    un morceau de pain (symbole de l’eucharistie et donc du sacrifice),
-    du raisin ou des cerises (le jus du raisin, comme la couleur des cerises, évoquent le sang du Christ),
-    une grenade (symbole de résurrection et de rassemblement des peuples chrétiens),
-    une pomme ou une orange (symbole symétrique de la chute originelle et de sa rédemption),
-    une poire (fruit symbolisant la douceur, la bonté, et la vertu, attribut de Marie),
-    des ancolies (plante symbolisant la douleur, que Marie éprouvera à la mort de son fils),
-    un perroquet (son cri rappelant, paraît-il, « ave », et donc l’annonciation),
-    un chardonneret (par allusion au chardon, piquant comme la couronne d’épines),
-   un lapin blanc (symbole de pureté et de virginité, car la légende attribuait aux lapins la possibilité de se reproduire sans accouplement)
Albrecht Dürer, La Madone à l’oeillet, 1516, Alte Pinakothek Munich



La Vierge présentée en exergue de cet article, oeuvre de la seconde moitié du XVIIe siècle ou du début du XVIIIe, (Ecole de Pierre Mignard), se rattache au type « Vierge des caresses » (glykophiloussa), et y associe le symbole de la pomme tenue par Jésus (il ramasse la pomme du péché originel pour racheter la faute). On peut la rapprocher d’un tableau de Mabuse (Jan Gossaert) de 1520 (exposé à la National Gallery de Londres oct 2010-janv 2011), qui présente la même scénographie, à cela près que la droite et la gauche sont inversées, et que le Jésus de Gossaert, posé sur une table, regarde vers l’extérieur (peut-être vers un donateur ?) au lieu de regarder sa mère. L’inversion droite gauche dans le tableau de L'école de Pierre Mignard peut signifier que l'auteur s’est inspiré d’une gravure (elles étaient souvent inversées) de la peinture de Mabuse.

Jan Gossaert, Vierge à l'enfant, 1525, panneau de chêne 38,9 x 26,6 cm, collection privée

Quoi qu’il en soit, l’ambiance des deux peintures est très différente : sans doute plus de naturalisme chez Mabuse, mais beaucoup plus de douceur des visages et de paix dans l’œuvre de Masucci. Notons aussi que Mabuse, obéissant à une volonté affirmée à partir du XIVe s. d’exprimer « l’humanation » (Leo Steinberg) du fils de Dieu, montre le sexe du bébé, tandis que Masucci le voile. Ajoutons à ces différences le costume de Marie : on retrouve chez Gossaert une certaine propension nordique à habiller la Vierge d’une robe bleue (accompagnée ou non d’un manteau rouge), tandis que les Italiens et les Français préfèrent une robe rouge et un manteau bleu.
On remarque enfin dans le tableau de L'école de Pierre Mignard la présence du lange blanc qui, malgré l’intimité de sentiment exprimée entre le fils et sa mère, évite à celle-ci de le toucher directement, car dans la liturgie chrétienne, ce qui est sacré ne peut habituellement être porté à mains nues.

Un dernier rapprochement peut être fait entre le mouvement des bras de l’enfant Jésus, dans les deux tableaux, et les gestes de la parousie, que l’on a appelé la « diagonale de la Grâce » : le bras droit du Christ est levé vers le ciel, et le bras gauche baissé vers la terre (ainsi par exemple le Christ en majesté du tympan occidental de l’abbatiale de Ste Foy-de-Conque, qui de la main droite, recueille les grâces venues du Père, et de la gauche, les répand sur les pécheurs qu'il vient sauver).
Christ en majesté, abbatiale de Ste Foy-de-Conques


mercredi, juillet 13, 2011

LES BAIGNEUSES


Les baigneuses, Gilles Chambon, 2011, 100x86cm

Pourquoi peindre encore des baigneuses aujourd’hui ? Tout n’a-t-il pas été dit et exploré sur ce sujet ?
Qu’on songe aux nombreuses et théâtrales « Diane et Actéon » de la Renaissance, aux aguicheuses demoiselles champêtres de Fragonard ou de Boucher, aux orientales lascives d’Ingres dans leurs harems, aux corps dodus magnifiés par Renoir et montrés dans leur vérité nue par Courbet, aux suaves beautés exotiques de Gauguin, aux impressionnantes séries harmoniques de Cézanne, aux étonnantes compositions de Picasso, aux corps nus mécaniques et huilés de Tamara de Lempicka et de Fernand Léger, aux femmes-pictogramme bleues de Matisse, aux corps rêches et plantureux agencés au bord de l’eau par Charles Kvapil, etc., etc….


Il n’y a donc sans doute plus grand chose à inventer en matière de baigneuses.

C’est pourquoi ma toile n’a vraiment rien d’innovant ni d’original ; c’est une peinture de circonstance.
En effet, en ce début des vacances d’été, quoi de plus naturel que de rêver à une source fraîche au milieu des bosquets, et, livrant notre imaginaire fatigué au charme et aux évocations ambivalentes du lieu, le laisser se remémorer les poèmes saphiques de Pierre Louÿs et peupler la scène de belles ondines et d’hamadryades boudeuses.

jeudi, juin 30, 2011

Versailles / Stargate


Bernar Venet nous a installé une porte des étoiles devant le château de Versailles ; malheureusement, il manque le dernier chevron pour partir au septième ciel ! En cette fin de mois de juin je peux vous garantir qu’à l’intérieur du château, c’est plutôt l’enfer, façon métro à 6h du soir…. Ici le ticket est à 15 € ; les stations certes sont luxueuses, surtout celle de la galerie des glaces, mais tout cela ne mène décidément nulle part… et surtout pas à l’épanouissement culturel des visiteurs. Serrés comme sardines en boîte, tondus comme des moutons, l’accueil qui leur est réservé n’est pas digne de la grande institution culturelle qui gère ce lieu prestigieux. Finalement les choses se répètent : les gens de pouvoir d’aujourd’hui, même s’ils ouvrent à tous les portes du palais des anciens rois, n’ont pas plus de respect pour le peuple qu’ils accueillent que n’en avaient naguère les nobles résidents de Versailles qui eux le tenaient résolument (et pour cause) à l’écart.

À lire absolument l’amusant et néanmoins sérieux article de Christine Sourgin du 14 juin 2011 : « Venet, le Bernard-limite de la sculpture ».

mardi, juin 28, 2011

Saint Jérôme, Marie-Madeleine, vanité et pénitence

Philippe de Champaigne, St Jérôme, collection privée
Guy François, Marie Madeleine pénitente (vers 1620/30), Louvre















Parmi les saints et les figures vénérées par le christianisme, Saint Jérôme et Marie Madeleine occupent une place particulière liée à la vanité et à la pénitence, et leurs représentations picturales montrent une certaine symétrie. Pourtant rien de commun au départ entre les deux personnages, si ce n’est leur retraite au désert.
  •     Marie-Madeleine, qui après son arrivée sur le sol gaulois a fait retraite dans une grotte de la Sainte Baume, est, dans la tradition catholique, une personne mythique qui synthétise les figures de Marie de Magdala, de Marie de Béthanie, et de la pécheresse anonyme qui lave les pieds du christ avec ses larmes (Luc : 7, 36-50) ; l’histoire de Marie l’Égyptienne, ancienne prostituée, contamine également le personnage de Marie Madeleine.
  •    Saint Jérôme est pour sa part un docteur de la foi du IVe siècle, dont la vie est très bien documentée. Il est connu pour avoir jeûné au désert de Chalcis en Syrie, traduit les saintes écritures de l’hébreu et du grec vers le latin (la Vulgate), et fondé avec la patricienne Paula un monastère à Bethléem.
Ce qui les rapproche, donc, est la pénitence et la volonté d’abandonner les plaisirs des sens : Marie Madeleine par amour du Christ et par désir de rachat des péchés de sa jeunesse, et Jérôme par acte de méditation sur les saintes Écritures, et défiance envers les tentations du Malin.

Aussi Saint Jérôme incarne-t-il très tôt dans l’iconographie chrétienne le double idéal de l’ascète mortifié, à demi nu, retiré au désert, et celui de l’érudit mélancolique, dans son cabinet de travail rempli de livres, méditant devant un crâne ou un sablier, sur la vanité des biens terrestres.

Giovanni Bellini, Saint Jérôme lisant, 1505, National Gallery of Art, Washington

Jan van Eyck, Saint Jérôme dans son cabinet, vers 1435, Institute of Arts, Detroit


















Marie Madeleine, quant à elle, à cause de son identité multiple, se retrouve dans plusieurs occurrences iconographiques :
  •    En tant que Marie de Magdala, elle est représentée avec le Christ dans le « Noli me tangere » ;
Le Titien, Noli me tangere, National Gallery, Londres
  •    En tant que fusion de Marie de Magdala (fille d’archiprêtre, donc lettrée) et de Marie de Béthanie (qui a oint le christ de parfum), elle est représentée richement vêtue, lisant un livre et accompagnée d’une fiole de parfum ;
Rogier van der Weyden, Marie Madeleine, 1445, National Gallery, Londres
  •     Enfin en tant que Marie-Madeleine anachorète de la Sainte Baume, synthétisant les trois femmes évoquées plus haut, elle est représentée en pénitente, yeux tournés vers le ciel, avec ses longs cheveux dénoués (allusion à son ancien état de prostituée) pour seul vêtement, accompagnée d’un calvaire (accessoire incontournable de tous les ermites), d’un livre (référence à sa connaissance des saintes écritures) , d’une fiole (évoquant l’onction du christ) d’un crâne (rappelant la vanité des choses terrestres), et d’un morceau de rocher (allusion à la grotte où elle s’est retirée) ; s’y ajoute aussi parfois une corde ou un fouet de flagellation, instrument de pénitence.
Orazio Gentileschi, Marie Madeleine en pénitence, 1615, collection privée
Jacopo Palma le Jeune, Saint Jérôme dans le désert, dit Le St Jérôme de Francesco (vers 1590-95), Collection privée Mark Lawrence
Ce dernier type de représentation de la sainte, ainsi que son symétrique masculin, saint Jérôme représenté dans le désert à demi nu devant un calvaire, accompagné de livres (allusion à son activité de traducteur), d’un crâne (vanité), et d’une pierre (objet avec lequel le pénitent se frappe la poitrine), se généralisent surtout après le concile de Trente, la Contre-réforme insistant sur la nécessaire intercession des saints, ainsi que sur le sacrement de pénitence, que les protestants rejettent.

On voit alors, pour saint Jérôme au désert, les représentations abandonner progressivement tous les éléments anecdotiques (paysage sauvage, présence du lion - animal fétiche du saint, et même parfois abandon du calvaire et des livres) pour se concentrer sur un vieillard à demi nu face à un crâne, emblème évident de la vanité de l’existence terrestre. La même simplification progressive s’opère pour sainte Marie Madeleine, qui devient, pour les catholiques, l’incarnation de la vanité au féminin, donc symétrique de saint Jérôme.
Anonyme, vers 1600, Saint Jérôme dans le désert,
d’après Jacopo Palma le Jeune, collection privée
(le crucifix, le lion, et le livre à terre ont disparu
pour ne garder que l’essentiel de la figure de dévotion;
la symétrie miroir correspond à une gravure de
Hendrick Goltzius)
Le Caravage, Saint Jérôme en méditation, Monastère de Montserrat, Catalogne


Georges de la Tour, Madeleine à la veilleuse, 1630/35, Louvre





















 Ainsi pendant tout le XVIIe siècle, la vanité catholique est incarnée par les deux saints, tandis que la vanité protestante (ou influancée par le protestantisme), qui montrait volontiers à la Renaissance des images de banquiers, de collecteurs d’impôts, de savants, ou d’ambassadeurs… 

Quentin Metsys, Les collecteurs d’impôt (vers 1590),
Kunstmuseum Liechtenstein
Hans Holbein le Jeune, Les Ambassadeurs , 1533, Londres, National Gallery


… Finit par entièrement se dépersonnaliser, se cantonnant dans la simple représentation d’objets, fleurs, et victuailles, emblématiques des plaisirs des cinq sens, et de leur caractère éphémère ; l’incontournable crâne vient même à disparaître, remplacé quelquefois par le symbole plus discret qu’est la chandelle éteinte ou vacillante. De ces « vanités » de dévotion dérive un engouement pour la nature morte, qui devient au XVIIe siècle une spécialité des peintres du nord, et dont le caractère religieux d’origine s’estompe jusqu’à se perdre totalement, laissant place à une célébration épicurienne des menus objets du quotidien, et à une admiration pour la virtuosité du trompe l’œil.


 
Jan Fris, Vanité au casque, à l’Apollon de marbre, et au violon,
vers 1660, collection privée
Gottfried von Wenedig, Nature morte à la bougie,
vers 1630, Hessisches Landesmuseum Darmstadt

samedi, juin 11, 2011

Affinités électives

G. Chambon, « L’horizon bleu, ou les affinités électives », huile sur toile 94x65cm, 2011

Ce tableau est la fusion imaginaire de lieux que rapprochaient mystérieusement des affinités électives : Isola Bella sur le lac Majeur, l’estuaire de la Gironde à la forteresse de Blaye, et les jardins de  Peterhof, dominant la Neva. La fusion des êtres, à laquelle nous devons tous notre présence au monde, est aussi mystérieuse que la fusion des lieux : clônage temporel ou mariage bien réel, qu’importe, pourvu que s’ouvre un vaste horizon bleu aux enfants chers à mon cœur!

samedi, juin 04, 2011

LE SEXE DES ANGES

Raphael Sanzio, La Madone Sixtine, détail, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde

Les anges, que l’on retrouve dans beaucoup de mythologies et notamment dans les trois religions du Livre, sont des entités messagères (angelos signifie d’ailleurs messager en grec) qui ont pour fonction d'établir un lien entre Dieu et les hommes. C’est pourquoi ils sont représentés ailés, l’aile étant le symbole universel de la communication entre le ciel et la terre.

Les textes anciens qui parlent d’eux sont souvent contradictoires quant à leur apparence ou même leur nature. Selon certains ils sont de purs esprits invisibles, selon d’autres ils prennent l’aspect humain, et en l’occurrence plutôt celui des hommes : le Livre des Jubilés dit même que les anges ont été créés circoncis, ce qui suppose bien qu’ils sont de sexe masculin (on trouve un écho de cette bizarrerie dans certaines traditions musulmanes affirmant que Mahomet, « messager » de Dieu, est né circoncis). Les anges sont donc, au départ, dans la mythologie intertestamentaire, des créatures ailées de sexe masculin. Ce n’est que tardivement que la doctrine chrétienne, pour couper court aux fameuses discussion byzantines sur le sexe des anges, a conclu qu’il fallait retirer tout organe reproducteur à ces esprits messagers ; doux et merveilleusement beaux, ils semblaient plutôt féminins, mais soldats courageux combattant le mal, ils paraissaient alors masculins.

Quand on se tourne vers les religions qui ont gardé des traces du culte de la grande déesse, comme celles de Mésopotamie, ou de Grèce antique, les divinités féminines ailées sont nombreuses : on connaît très bien Mylitta et Ishtar à l’est de la méditerranée (divinités qui ont aussi souvent le double aspect guerrier et procréateur, et autour desquelles s’était développée la prostitution sacrée), et la statuaire et la poterie grecque nous ont livré des représentation ailées de Séléné, Artémis, des Néréides, ou encore de Niké, Phémé, etc. ; ces dernières étant souvent de simples divinités allégoriques. 


Inanna-Ishtar, Mésopotamie, IIe millénaire av JC, conservée au British Museum
Figure féminine ailée, bronze d'époque romaine, provenance Chypre, Louvre


Mais il faut rappeler que les grandes religions monothéistes correspondaient de fait à des cultures phallocratiques ou la femme était généralement dévaluée et associée au péché et à la perfidie. Déjà en Grèce antique les harpies (dont l’image féminine ailée et griffue venait probablement de représentations anciennes d'Inanna) étaient des démons femelles maléfiques. Au Moyen-Âge, sous les ordres de la diablesse Lilith (qui n’est autre qu’un dernier avatar démonisé de la déesse sémitique Mylitta), les succubes, démons érotique à l’apparence féminine, poussaient les hommes au plaisir solitaire.

Phinée et les Harpies, vase grec du Vème siècle av. JC, Malibu, J. Paul Getty Museum


Si l’église a insisté sur l’a-sexualité des anges, c’est sans doute pour éviter tout dérapage d’interprétation, notamment lorsqu’un ange annonciateur délivre l’amour divin à une femme. On connaît  l’histoire de la transverbération de sainte Thérèse d’Avila ; Thérèse raconte : « Je voyais donc l’ange qui tenait à la main un long javelot d’or dont la pointe laissait échapper une flamme. Il m’en perça soudain le cœur jusqu’aux fibres les plus profondes et il me semblait qu’en le retirant, il en emportait des lambeaux. Puis il me laissa toute entière embrasée de l’amour de Dieu. La douleur était si vive qu’elle m’arrachait des gémissements, mais accompagnée d’une telle volupté que j’aurais voulu qu’elle ne cessât jamais » ; on connaît aussi la représentation suggestive qu’en a donné Le Bernin dans sa sculpture de la chapelle Cornaro de Santa Maria Della Vittoria à Rome, et la vive indignation que suscita la boutade du Président de Brosses à son sujet : « si c’est ici de l’amour divin, je le connais »… (voir conf. de N. Mattei sur l’art baroque).

En ôtant le sexe aux anges mais en leur laissant leur beauté, l’église, croyant refermer le chaudron trouble du désir charnel, a, pour notre bonheur, ouvert la porte à un registre érotique inépuisable dans l’imaginaire des artistes. Evidemment la collusion a vite été faite, dans la représentation, entre l’ange éphèbe ailé et le jeune Eros tel que le représentaient les Grecs ; ou encore entre le chérubin, petit ange gardien (qui est un avatar du grand taureau ailé assyrien « Keroub ») et le cupidon romain représenté comme un petit enfant nu, et qui a inspiré les nombreux putti de la Renaissance et du baroque.

Statue d'Eros, D’après un originel de Lysippe, Marbre, musée du Capitole, Rome


Cupidon dormant, statuette terre cuite gréco-romaine,
Musée des antiquités, Bibliotheca Alexandrina, Egypte















Mais revenons à l’ange annonciateur par excellence, Gabriel, qui apporte à Marie la nouvelle de sa fécondation divine. Les représentations picturales lui donnent parfois l’aspect d’un beau jeune homme, parfois d’un adolescent androgyne, mais le plus souvent celui d’une délicieuse jeune fille, parce qu’en occident l’idéal de beauté érotique est identifié au visage et au corps de la femme. 
En témoignent ce troublant Ange de l’Annonciation de Sassoferrato (Louvre), ou ce si doux Archange Gabriel de Guido Reni (Palais Impérial de Pavlovsk, St Petersbourg).
Ange de l’Annonciation, Sassoferrato, Louvre
Archange Gabriel, Guido Reni, Palais Impérial de Pavlovsk, St Petersbourg

Voyons maintenant à l’œuvre, sous le pinceau d’un peintre baroque, la féminisation de l’ange annonciateur. La comparaison entre un dessin italien du XVIIe s., provenant des albums de Carlo Maratta, de la collection Lambert Krahe, conservé au Louvre, et une peinture attribuée à tort par l'expert de vente à Giuseppe Bartolomeo Chiari (nous allons voir qu'elle est en fait de Giovanni Andrea Sironi) nous le permet. 
Ange de l'Annonciation, pierre noire, dessin italien du XVIIe s, conservé au Louvre
Ange de l'Annonciation, attribué précédemment à Giuseppe Bartolomeo Chiari
 (mais vraisemblablement dû à Elisabetta ou Giovanni Andrea Sirani), collection privée























Le dessin montre l’archange Gabriel dans l’une de ses attitudes classiques (ici les mains croisées sur la poitrine, le regard probablement tourné vers Marie) ; sa physionomie, gracieuse, n’est cependant pas dépourvue d’énergie et lui donne un genre nettement masculin. Dans la peinture de Giovanni Andrea (ou de sa fille Elisabetta) Sironi, le même ange est repris dans la même attitude et avec le même cadrage ; mais le visage, le cou et les poignets se sont affinés, la chevelure s’est assouplie et allongée, le regard s’est adouci, le décolleté a glissé sur l'épaule plus frêle, et la robe, plus gonflante, s’est parée d’une frange de brocart et de perles, qui rappelle celle de l’ange de Guido Reni (dont Giovanni Andrea Sironi était le principal assistant). Et on se trouve alors devant un ange entièrement féminin.
(mise à jour blog octobre 2013, juin 2015, et janvier 2016) Ce tableau de l'Ange de l'Annonciation, que j'avais d'abord cru être sinon de Giuseppe Chiari, du moins du Romain Carlo Maratta, a en fait un lien évident avec "L'archange Gabriel" d'Elisabetta Sirani (peintre Bolognaise 1638-1665, fille de Giovani Andrea et travaillant dans le même atelier), conservé dans la collection Samuel H. Kress, N.Y. ; Elisabetta a visiblement employé le même dessin, également féminisé. On peut aussi comparer la tête de l'ange à celle de la Vierge (détail) d'un tableau d'Elisabetta conservé au museo civico de Pesaro; l'attitude est proche et le modèle est visiblement le même: 
 

Cette piste bolognaise nous ramène vers Guido Reni dont Giovanni Andrea Sironi fut l'exécuteur testamentaire - et à ce titre récupéra pour son atelier les dessins) : d'où l'attribution de notre Ange de l'Annonciation à G. A. Sironi; le costume, proche de celui du tableau de Reni de St Petersbourg, la palette de couleurs, vert amande et bleu-mauve, ainsi que l'attitude, qui est comparable à celle de petites vierges de Guido Reni, vont dans ce sens.

Elisabetta Sirani, The Archangel Gabriel, N. Y. Samuel H. Kress Collection
Un dessin aquarellé (24x19cm) conservé au museo civico de Pavie, et attribué à l'école du Parmesan (à tort), reprend encore une fois le modèle ; il est de toute évidence le dessin préparatoire à la toile d'Elisabetta Sirani, comme le style le confirme - on peut le rapprocher par exemple d'un autoportrait à la craie d'Elisabetta.



Elisabetta Sirani, Autoportrait
Il existe également à la pinacothèque communale de Deruta une peinture de l'ange très semblable à celui d'Elisabetta ; il est attribué à un disciple de Guido Reni; il y a aussi d'autres copies de moindre qualité, comme celles ci-dessous, dont la féminité a poussé les experts de vente à croire qu'il s'agissait d'une Marie-Madeleine pénitente :

Anonyme (disciple de Guido Reni, Ange, Pinacothèque communale de Deruta
 
Marie-Madeleine pénitente (sic), attribuée à l'entourage d'Elisabetta Sirani (à gauche, et à celui de Carlo Maratta (à droite),
J'ai également trouvé dans une vente passée rapportée sur Arnet, un "Ange en adoration", sans doute du début du XVIIIe siècle, qui dérive lui aussi du modèle, pour le moment non retrouvé, élaboré par Guido Reni :


Ou encore cet "ange de l'annonciation" passé en vente à Rome en 2007, attribué à l'école de Carlo Maratta, mais dont le visage est calqué sur le tableau d'Elisabetta Sirani

 
Mais revenons au sexe des anges ;
Plus récemment, en 2009, Ernest Pignon Ernest a fait scandale en rendant définitivement un sexe aux anges : il a en effet accroché au portique de l’église de Montauban de superbes dessins d’anges, dévoilant le sexe que la tradition des peintres occidentaux avait fini par leur choisir.

Dessins d'Ernest Pignon Ernest, cathédrale de Montauban, 2009