Le capricorne, huile sur papier, G. Chambon
Un grand nombre des choses que nous croisons chaque jour, et tout au long de notre existence, n’ont à nos yeux aucune signification particulière. Le timbre collé au coin d’une vieille enveloppe retrouvée au grenier n’arrête guère mon regard, alors qu’il se reflèterait comme un trésor dans l’œil du philatéliste averti. Un grand match de baseball qui fait vibrer l’Amérique entière n’a pour moi absolument aucun intérêt : je n’en connais pas les règles, je ne sais pas qui sont les champions et les stars, et je ne vois qu’un imbécile encasqué courir d’un point à un autre du terrain de jeu après avoir tapé comme un sourd dans une pauvre petite balle.
Par contre je peux rester des heures devant un tableau de Véronèse ou de Rubens, et y percevoir mille raffinements de composition et de couleurs, témoignant de l’état d’esprit, du talent, et de l’attitude particulière que ces peintres ont adoptés devant tel ou tel sujet classique ; un rappeur de banlieue n’y verrait pourtant qu’un grouillement insipide de personnages démodés, et ne s’y arrêterait que quelques secondes.
En promenade dans la campagne, un botaniste est attentif à toutes les petites plantes du chemin, à leurs différences, à leur vigueur, à leur répartition, tandis que le randonneur moyen, l’œil rivé sur le sommet lointain qu’il s’est mis en tête d’escalader, les piétine allègrement avec ses gros brodequins.
Ce que le monde nous dit se limite, de fait, à ce que nous sommes en mesure d’y entendre. L’image que nous nous en faisons se referme généralement sur le ronron de nos besoins matériels, sur nos obsessions passagères, et sur des clichés scientifiques transmis par les média ou trop vite appris pendant notre scolarité.
Et pourtant la profondeur de ce qui advient à chaque instant et en chaque lieu devrait nous donner le vertige ; le nombre et la richesse des liens qui relient tous les événements et les êtres entre eux, proprement insondable, devrait résonner en nous comme une symphonie universelle. Mais de même qu’un CD n’est qu’un disque plat vaguement scintillant, semblable à tous les autres tant qu’il n’est pas inséré dans l’appareil qui peut délivrer à nos oreilles la mélodie gravée, de même les événements et les choses du monde ne sortent pas de la banalité et de la quasi insignifiance tant que notre esprit ne possède pas certaines clefs, tant que notre cerveau n’arrive pas à tirer ici ou là un fil pour commencer à dénouer un bord de ce prodigieux écheveau ébouriffé du réel.
Certains fils, trop faciles à tirer, peuvent cependant être décevant parce qu’ils ne sont que de petits bouts lovés sur eux-mêmes et séparés de la grande pelote globale. Ce sont ceux-là que saisissent maints experts, ingénieurs, scientifiques, collectionneurs, qui se referment sur leur spécialité au lieu que celle-ci ne les ouvre au monde.
La vérité est qu’il vaut mieux tirer plusieurs fils à la fois, et savoir abandonner en chemin ceux qui ne mènent nulle part. Et ne surtout pas avoir peur de voir grand et large : beaucoup restent à jamais blottis sur leur petit monde de certitudes étriquées, par peur de se perdre en chemin dans cet inextricable et déroutant réseau de significations mouvantes que nous tend la réalité.
Alors dès que notre attention, pour une raison ou pour une autre, se porte sur un objet, un être, un sujet, ne restons pas devant l’apparence figée ; quelle qu’éloquente qu’elle soit, ce n’est qu’une porte ; le réel se déploie derrière. Comme Alice, regardons par le trou de la serrure, voyons tous les chemins qui y arrivent et qui en partent. Passons le seuil mystérieux, et voyageons à travers le lumineux labyrinthe des promesses entremêlées du monde.
En promenade dans la campagne, un botaniste est attentif à toutes les petites plantes du chemin, à leurs différences, à leur vigueur, à leur répartition, tandis que le randonneur moyen, l’œil rivé sur le sommet lointain qu’il s’est mis en tête d’escalader, les piétine allègrement avec ses gros brodequins.
Ce que le monde nous dit se limite, de fait, à ce que nous sommes en mesure d’y entendre. L’image que nous nous en faisons se referme généralement sur le ronron de nos besoins matériels, sur nos obsessions passagères, et sur des clichés scientifiques transmis par les média ou trop vite appris pendant notre scolarité.
Et pourtant la profondeur de ce qui advient à chaque instant et en chaque lieu devrait nous donner le vertige ; le nombre et la richesse des liens qui relient tous les événements et les êtres entre eux, proprement insondable, devrait résonner en nous comme une symphonie universelle. Mais de même qu’un CD n’est qu’un disque plat vaguement scintillant, semblable à tous les autres tant qu’il n’est pas inséré dans l’appareil qui peut délivrer à nos oreilles la mélodie gravée, de même les événements et les choses du monde ne sortent pas de la banalité et de la quasi insignifiance tant que notre esprit ne possède pas certaines clefs, tant que notre cerveau n’arrive pas à tirer ici ou là un fil pour commencer à dénouer un bord de ce prodigieux écheveau ébouriffé du réel.
Certains fils, trop faciles à tirer, peuvent cependant être décevant parce qu’ils ne sont que de petits bouts lovés sur eux-mêmes et séparés de la grande pelote globale. Ce sont ceux-là que saisissent maints experts, ingénieurs, scientifiques, collectionneurs, qui se referment sur leur spécialité au lieu que celle-ci ne les ouvre au monde.
La vérité est qu’il vaut mieux tirer plusieurs fils à la fois, et savoir abandonner en chemin ceux qui ne mènent nulle part. Et ne surtout pas avoir peur de voir grand et large : beaucoup restent à jamais blottis sur leur petit monde de certitudes étriquées, par peur de se perdre en chemin dans cet inextricable et déroutant réseau de significations mouvantes que nous tend la réalité.
Alors dès que notre attention, pour une raison ou pour une autre, se porte sur un objet, un être, un sujet, ne restons pas devant l’apparence figée ; quelle qu’éloquente qu’elle soit, ce n’est qu’une porte ; le réel se déploie derrière. Comme Alice, regardons par le trou de la serrure, voyons tous les chemins qui y arrivent et qui en partent. Passons le seuil mystérieux, et voyageons à travers le lumineux labyrinthe des promesses entremêlées du monde.
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