La mémoire et l’imagination humaines sont structurées par un grand flot d’histoires… Rapportées par des témoignages, ou vécues, ou révélées, ou patiemment reconstituées, ou interprétées et embellies, ou cryptées, ou prophétisées, ou seulement imaginées et inventées… Ce flot d’histoires, qui charrie vérité et mensonge, peurs ancestrales et espoirs récurrents, s’est d’abord perpétué par traditions orales, récits mouvants, puis s’est accumulé sous forme d’œuvres fixes, figées par l’écriture.
Les hommes divisent ces récits en trois domaines, sensés ne pas avoir le même degré de vérité, quant aux événements qu’ils relatent.
- Il y a ainsi les textes religieux, qui racontent des histoires anciennes plus ou moins réelles, souvent métaphoriques, mais dont la vérité supposée se trouve plutôt dans le sens symbolique, dans l’interprétation qu’en donnent les sages ou les mystiques illuminés.
- Il y a, en second, les chroniques et livres d’histoire, qui témoignent d’événements réels ou s’efforcent de les reconstituer selon des méthodes scientifiques à partir de diverses traces. Leur ensemble constitue la mémoire collective de chaque société.
- Il y a enfin les œuvres d’imagination, contes et romans, histoires inventées, dont le but est de distraire, mais aussi de faire réfléchir, ou même de faire connaître un contexte réel à travers le regard et les aventures de personnages créés de toutes pièces.
Les frontières entre ces trois genres ne sont pas si étanches qu’il y paraît à première vue. Ainsi la science historique, qui travaille sur la mémoire, directe ou transmise, et sur les traces des événements, est incapable de reconstituer tout ce qui n’a laissé aucune trace ; et les choses qui, en disparaissant, ne laissent aucune trace, représentent l’essentiel, peut-être 80% de la réalité d’une période historique donnée. On peut donc supposer que des historiens qui disposeraient d’autres récits et d’autres traces que celles qui ont été effectivement sauvées de l’oubli et transmises aux générations suivantes, reconstruiraient une histoire des civilisations et des hommes totalement différente de celle que nous connaissons ; elle n’en serait pas moins vraie. Ou tout aussi fausse. La vérité est qu’il faut bien admettre que toute vision globalisante du continuum historique comporte nécessairement une part importante de reconstructions hypothétiques, ou l’imaginaire joue un rôle de premier plan.
Notre mémoire collective, qui s’accorde sur un récit officiel et documenté de l’histoire, est donc aussi une sorte de récit mythologique. La principale différence avec les mythes anciens n’est pas sa vérité face à des billevesées (ou des contes de bonne femme, comme Michel Onfray qualifie les récits religieux) ; mais cette différence réside seulement dans le nombre beaucoup plus grand de faits et d’événements distincts intégrés dans le récit global de l’histoire, par rapports aux récits mythologiques, qui intègrent sans doute moins d’histoires particulières, et qui les synthétisent à travers des personnages princeps, en quelque sorte transhistoriques.
Quant aux romans et contes, qui revendiquent leur caractère imaginaire, il arrive certainement souvent qu’ils se rapprochent d’histoires réelles restées inconnues ; ils ne sont donc pas mensonges face à la vérité de l’histoire, mais expression intuitive de vérités erratiques, non situées par un témoignage ou une trace historique avérée.
Tout cela pour dire que la distance entre le rêve et la réalité n’est pas aussi grande que notre esprit rationnel voudrait nous le faire croire.
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