Aimer les belles choses…
L’art dans son expression contemporaine nous fait douter du bien fondé de ce sentiment qui s’exprime si communément envers la beauté.
La passion pour la beauté serait-elle méprisable ? Serait-ce une forme dérivée et intellectualisée de fétichisme ? Il est d’usage en effet, selon les traditions morales les mieux établies, de préférer le contenu au contenant, d’apprécier les gens plutôt que les costumes qu’ils portent, d’aimer le cœur des hommes plutôt que leur apparence, les personnes plutôt que les objets qu’elles utilisent ou les paysages dans lesquels elles vivent. Et pourtant ; quel touriste n’est-il pas sensible d’abord à l’exotisme de l’apparence avant de s’intéresser, s’il en a le temps et la capacité, aux gens qu’il croise dans le pays étranger visité ?
Dans un autre domaine, la plupart des hommes sont davantage attirés et séduits par l’apparence d’une belle femme plutôt que par la richesse intérieure qu’ils seront peut-être amenés à découvrir plus tard. Eternel débat sur le fond et la forme, sur l’essentiel et l’accessoire, sur le frivole et le profond.
Et si les choses, les belles choses, si les apparences séduisantes, étaient d’indispensables médiateurs pour rapprocher les êtres et les cultures, pour créer du désir des uns envers les autres ? Les humains en effet, à de rares exceptions près, ne s’aiment pas spontanément quand ils se croisent dans la rue. Les sentiments réciproques d’affection, d’amitié, ou de désir amoureux, ont besoin pour naître et s’épanouir de circonstances favorables, de mises en scène étudiées. La sophistication des apparences, qui est l’un des fondements de l’artisanat artistique, n’est rien d’autre que l’art d’accommoder les gens et les sociétés, avec suffisamment d’épices pour donner du goût aux individus un peu fades, avec un mode de cuisson approprié pour révéler les parfums secrets de tel ou tel groupe ethnique dont la crudité apparente peut parfois décourager l’étranger.
Les belles choses permettent à l’imaginaire et à la fantaisie de s’investir dans le réel, ce sont elles qui ont le pouvoir d’enchanter le monde : à l’image de la nature, qui elle non plus ne lésine pas et produit en abondance, sans déroger au principe de réalité, les formes les plus improbables, et les paysages les plus sublimes. Alors aimer les belles choses, les concevoir ou les posséder, cela relève d’une sorte d’instinct, aussi naturel et nécessaire que les grandes fonctions biologiques qui régissent notre équilibre et structurent notre épanouissement.
Bien sûr le collectionneur invétéré, boulimique, toujours à l’affût de l’œuvre rare, prêt à tout pour se la procurer, et qui a perdu le sens de la beauté de l’œuvre au profit de sa valeur pécuniaire ou symbolique, peut être considéré comme une sorte de fétichiste. Mais que la passion maniaque se fixe plus facilement sur les belles choses, cela ne les disqualifie pas pour autant, ni l’attrait que le commun des mortels leur porte.
Il y a bien sûr une injustice fondamentale entre le beau et le laid ; l’un attire spontanément quand l’autre repousse. On cherche d’ailleurs aujourd’hui à faire des lois pour éviter la discrimination entre les personnes aux apparences physiques inégales. Et par soucis de justice, certains intellectuels ont été tentés de nier la beauté, de ne voir en elle qu’un critère bourgeois de discrimination, et ont encouragé les artistes à se défier d’elle, et à découvrir des beautés insolites et cachées au fond des choses les plus ordinaires, les plus misérables, ou même les plus abjectes. Démarche morale volontariste, fondée en principe sur un sentiment généreux d’égalité, mais qui a toujours été à l’origine des pires déviations, parce qu’elle préfère se mentir sur la réalité plutôt que de chercher à comprendre ses aspects rébarbatifs ou immoraux.
Aussi la posture de l’art contemporain depuis Duchamp et Andy Warhol, qui fuit la beauté comme la peste, préférant s’intéresser aux choses ordinaires, si possible laides (Kitsch), voire aux déchets et déjections les plus innommables, cette posture, donc, dont souffrent depuis cinquante ans tous les amoureux du beau en art (et il en reste) me paraît être une imposture. Au lieu de rendre belles les choses laides, elle a conduit à une attirance équivoque pour la laideur, à une fascination morbide pour l’absurde.
Aimer les choses belles, au contraire, pousse à embellir les choses ordinaires, à découvrir le charme qui peut exister aussi dans des formes quelque peu disgraciées. La beauté, il est vrai, peut parfois être oppressive et devenir une dictature (en particulier dans le domaine de la mode). Fuyons donc la beauté normative, canonique, pour nous ouvrir aux mille variétés du beau, à son infinie diversité.
Reconnaître cette richesse et cette variété, c’est tout autre chose que de nier sa pertinence conceptuelle ; et ce n’est pas non plus céder au relativisme, qui refuse toute échelle de valeur esthétique. Mais bien sûr, pour cela, il faut aimer le monde, l’aimer malgré ses injustices et ses imperfections, malgré sa violence et sa misère, malgré la mort qui nous guette tous, et aura finalement raison de nous.
L’art dans son expression contemporaine nous fait douter du bien fondé de ce sentiment qui s’exprime si communément envers la beauté.
La passion pour la beauté serait-elle méprisable ? Serait-ce une forme dérivée et intellectualisée de fétichisme ? Il est d’usage en effet, selon les traditions morales les mieux établies, de préférer le contenu au contenant, d’apprécier les gens plutôt que les costumes qu’ils portent, d’aimer le cœur des hommes plutôt que leur apparence, les personnes plutôt que les objets qu’elles utilisent ou les paysages dans lesquels elles vivent. Et pourtant ; quel touriste n’est-il pas sensible d’abord à l’exotisme de l’apparence avant de s’intéresser, s’il en a le temps et la capacité, aux gens qu’il croise dans le pays étranger visité ?
Dans un autre domaine, la plupart des hommes sont davantage attirés et séduits par l’apparence d’une belle femme plutôt que par la richesse intérieure qu’ils seront peut-être amenés à découvrir plus tard. Eternel débat sur le fond et la forme, sur l’essentiel et l’accessoire, sur le frivole et le profond.
Et si les choses, les belles choses, si les apparences séduisantes, étaient d’indispensables médiateurs pour rapprocher les êtres et les cultures, pour créer du désir des uns envers les autres ? Les humains en effet, à de rares exceptions près, ne s’aiment pas spontanément quand ils se croisent dans la rue. Les sentiments réciproques d’affection, d’amitié, ou de désir amoureux, ont besoin pour naître et s’épanouir de circonstances favorables, de mises en scène étudiées. La sophistication des apparences, qui est l’un des fondements de l’artisanat artistique, n’est rien d’autre que l’art d’accommoder les gens et les sociétés, avec suffisamment d’épices pour donner du goût aux individus un peu fades, avec un mode de cuisson approprié pour révéler les parfums secrets de tel ou tel groupe ethnique dont la crudité apparente peut parfois décourager l’étranger.
Les belles choses permettent à l’imaginaire et à la fantaisie de s’investir dans le réel, ce sont elles qui ont le pouvoir d’enchanter le monde : à l’image de la nature, qui elle non plus ne lésine pas et produit en abondance, sans déroger au principe de réalité, les formes les plus improbables, et les paysages les plus sublimes. Alors aimer les belles choses, les concevoir ou les posséder, cela relève d’une sorte d’instinct, aussi naturel et nécessaire que les grandes fonctions biologiques qui régissent notre équilibre et structurent notre épanouissement.
Bien sûr le collectionneur invétéré, boulimique, toujours à l’affût de l’œuvre rare, prêt à tout pour se la procurer, et qui a perdu le sens de la beauté de l’œuvre au profit de sa valeur pécuniaire ou symbolique, peut être considéré comme une sorte de fétichiste. Mais que la passion maniaque se fixe plus facilement sur les belles choses, cela ne les disqualifie pas pour autant, ni l’attrait que le commun des mortels leur porte.
Il y a bien sûr une injustice fondamentale entre le beau et le laid ; l’un attire spontanément quand l’autre repousse. On cherche d’ailleurs aujourd’hui à faire des lois pour éviter la discrimination entre les personnes aux apparences physiques inégales. Et par soucis de justice, certains intellectuels ont été tentés de nier la beauté, de ne voir en elle qu’un critère bourgeois de discrimination, et ont encouragé les artistes à se défier d’elle, et à découvrir des beautés insolites et cachées au fond des choses les plus ordinaires, les plus misérables, ou même les plus abjectes. Démarche morale volontariste, fondée en principe sur un sentiment généreux d’égalité, mais qui a toujours été à l’origine des pires déviations, parce qu’elle préfère se mentir sur la réalité plutôt que de chercher à comprendre ses aspects rébarbatifs ou immoraux.
Aussi la posture de l’art contemporain depuis Duchamp et Andy Warhol, qui fuit la beauté comme la peste, préférant s’intéresser aux choses ordinaires, si possible laides (Kitsch), voire aux déchets et déjections les plus innommables, cette posture, donc, dont souffrent depuis cinquante ans tous les amoureux du beau en art (et il en reste) me paraît être une imposture. Au lieu de rendre belles les choses laides, elle a conduit à une attirance équivoque pour la laideur, à une fascination morbide pour l’absurde.
Aimer les choses belles, au contraire, pousse à embellir les choses ordinaires, à découvrir le charme qui peut exister aussi dans des formes quelque peu disgraciées. La beauté, il est vrai, peut parfois être oppressive et devenir une dictature (en particulier dans le domaine de la mode). Fuyons donc la beauté normative, canonique, pour nous ouvrir aux mille variétés du beau, à son infinie diversité.
Reconnaître cette richesse et cette variété, c’est tout autre chose que de nier sa pertinence conceptuelle ; et ce n’est pas non plus céder au relativisme, qui refuse toute échelle de valeur esthétique. Mais bien sûr, pour cela, il faut aimer le monde, l’aimer malgré ses injustices et ses imperfections, malgré sa violence et sa misère, malgré la mort qui nous guette tous, et aura finalement raison de nous.
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