présentation des peintures synchronistiques
samedi, janvier 13, 2007
RETOUR DU MALI
Aller au Mali en plein hiver, passer en quelques heures d’une France grise, froide, et confortablement revêtue de ses décors proprets de Noël, aux espaces sans limite de la brousse, parsemés d’étranges baobabs, noyés sous la chaleur, recouverts d’une poussière fine et rouge s’insinuant partout, parcourus par d’épars troupeaux faméliques de chèvres et de moutons, voilà une expérience qui, pour être devenue assez banale dans notre société de loisirs et de voyages organisés, n’en est pas moins primordiale, parce qu’elle nous fait saisir d’un coup la multiplicité des mondes. C’est comme si l’on sortait brutalement de son corps pour entrer dans celui d’un autre, totalement différent, avec d’autres repères, d’autres habitudes, d’autres sources de plaisir, mais aussi d’autres détresses. Le blanc, le toubab, n’est plus ici qu’un épiphénomène, une entité bizarre que les enfants viennent toucher, un être curieux et un peu naïf, avide d’objets artisanaux, prêt à dépenser beaucoup d’argent pour être plongé quelques instants dans un monde bigarré dont paradoxalement la crasse ancestrale l’insupporte. La fascination et la répulsion, le désir et la défiance, le dialogue et l’incompréhension, jouent ici à plein, et dans les deux sens.
Ce qui frappe quand on arrive à Bamako, comme probablement dans la plupart des grandes villes africaines, c’est l’indifférence totale à la saleté et au délabrement de l’environnement urbain : tas d’immondices où picorent les poulets, sachets en plastique déchiquetés recouvrant les terrains vagues de la ville à perte de vue, succession de gargotes et de boutiques recouvertes de tôles rouillées, de peintures lépreuses, et d’une patine de crasse particulièrement concentrée aux endroits où les mains se posent fréquemment, ruisseaux d’eau sale et de matière fécale s’étirant le long du goudron ou au milieu des allées de terre battue qui quadrillent les quartiers, véhicules déglingués circulant en tous sens, parents et enfants entassés sur des mobylette crachant des jets de fumé blanche à la forte odeur d’huile, relents âcres des décharges où brûlent en permanence les restes de plastique et de caoutchouc qui n’ont pu être réutilisés. Et au milieu de tout cela, une foule dense et animée faite de femmes à la beauté altière, rivalisant d’élégance dans leurs boubous éclatants, de gamins miséreux en haillons, de pasteurs aux robes de coton assoupis sous de vagues paillotes, de notables affairés, en gandoura immaculée et bonnet brodé, et d’une multitude de jeunes adultes mal vêtus, groupés en bandes inactives, ou s’occupant à gagner ça et là quelques francs, en revendant à l’unité cigarettes ou autres pacotilles.
Monde où les échanges humains sont denses et permanents, joués selon les règles d’une tradition à la fois rigide et conviviale. Système social fait d’entraides de voisinage, d’échanges faciles et directs sans barrière de classe ; mais aussi monde des clans, du clientélisme et du népotisme, où l’amitié et la haine peuvent s’exprimer facilement, et se résoudre dans la violence. Système en tout cas dans lequel l’indifférence à ceux que l’on croise, si pratiquée de ce côté-ci de la Méditerranée, est très incorrecte, voire inconcevable.
En prenant la route qui remonte vers le nord et qui accompagne le cours du Niger, on croise quelques cars vétustes et surchargés, mais surtout des quatre-quatre avec chauffeur qui conduisent ou ramènent les petits groupes de toubabs des zones touristiques du pays Dogon. Pour atteindre cet eldorado des européens fascinés par le mythe africain ancestral, il faut quitter le goudron et prendre la piste sur une cinquantaine de kilomètres.
On arrive alors à une sorte de bout du monde : le bord supérieur d’une colossale falaise qui s’allonge à l’infini en ligne droite et se perd dans les brumes d’un perpétuel été. Là se concentre un monde dense, unique, magique, et mystérieux. Une sorte d’écosystème endémique, dominé par les esprits des ancêtres qui habitent depuis au moins deux millénaires dans les multiples cavités qu’offre la paroi. Toloïs et Tellems, bien avant les Dogons, ont rempli ces anfractuosités difficilement accessibles du rocher, par de petit silos cylindriques en terre crue, évoquant les nids que les guêpes bâtisseuses accrochent aux fissures de nos vieux murs en pierres. Monde du mimétisme et du mirage : au sommet de la falaise, les blocs de grés érodés en longues veines horizontales, recouverts par endroits d’une mince couche de terre grise et d’un hâle doré d’herbes sèches, bourgeonnent çà et là en villages de briques crues qui s’allongent contre les reliefs oblongs, et dont les terrasses se couvrent des taches blondes de la paille de mil. Au pied de la falaise, ce sont les éboulis qui s’animent soudain des multiples greniers mâles ou femelles, cylindriques ou vaguement tronconiques, et les blocs erratiques semblent se métamorphoser en colonies de champignons magiques couronnés chacun d’un petit chapeau pointu. Un incessant va et viens de groupes de femmes portant des fagots de bois relie les villages du haut aux villages du bas, à travers les gorges échancrées où ruisselle quelque source, les combes luxuriantes abritées à mi-pente où poussent les figuiers et les karités, et où les baobabs eux-mêmes se couvrent de feuilles tendres, et à travers les petites retenues d’eau piquées de nénuphars et entourées sur les berges en terrasses de champs d’oignons verts et drus. Tout un univers hors du temps et semblant coupé du reste du monde, un cristal de l’imaginaire accroché à l’un des sites les plus émouvants du monde. Bien sûr dans ce cristal se cache aussi la pauvreté et le désarroi économique qui étreignent l’ensemble du continent africain. Il n’empêche, une mystérieuse magie ancestrale, une résistance obstinée contre l’érosion des rites animistes, une nonchalance attentive aux cycles naturels, font que ce pays garde force, cohérence, et sérénité.
Lorsque l’on retourne en France, il reste les souvenirs, qui comme toujours s’estompent peu à peu, et finiront par se cristalliser sur les quelques clichés qui ont été pris et que l’on aura regardé régulièrement. Mais un foyer de l’imaginaire s’est aussi créé dans un recoin du cerveau, un foyer dynamique, vivant, apte à reconstruire mille mondes analogues à celui de la falaise dogon. La beauté et la richesse imaginaires sont universelles, sans limite, sans propriété. Elles peuvent être ténues dans les pays riches, et abondantes dans les pays pauvres. Ce ne sont pas des richesses que l’on retient entre ses griffes ; elles sont gratuites, offertes. Elles ensemencent tous ceux qui les côtoient, blancs ou noirs, pourvu qu’ils ouvrent tout grands leurs sens et leur esprit. Et comme toujours, ma recette pour ouvrir grand mes sens est ce carnet à spirale et cette petite boite d’aquarelle que je trimbale partout avec moi. Si tôt que je m’assois sur une racine de balanzan ou sur un coin de pierre, les enfants, qui jusque là me pressaient pour avoir je ne sais quels bonbons ou stylos qu’ils réclament mécaniquement aux toubabs, se figent religieusement derrière mes épaules, regardent mon pinceau aller et venir du gobelet à la palette, et de la palette à la feuille ; ils me posent des questions, devisent avec moi sur l’art de dessiner, se poussent du coude, et sont soudain heureux de reconnaître sur le papier une silhouette ou un arbre qui leur est familier.
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1 commentaire:
les IMPRESSIONS dont tu fais part sont comme un film, non mieux, on a le temps du recul et de la comparaison avec les cliches, les gens sont beaux, la misere est dure, le yovo est lucide mais conquis...non ca me plait bien.
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