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Eugène Delacroix, Pietà, 1844, toile environ 2 m x 3 m, église Saint-Denys-du-Saint-Sacrement, Paris (3e arrondissement)
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« Bras écartés, je subis et je vous accueille et je
vous aime. » (François Boespflug, Cruxifixion - la
crucifixion dans l'art, un sujet planétaire, avec Emanuela Fogliadini,
Montrouge, Bayard, 2019).
Le symbolisme chrétien des bras
écartés est la plupart du temps une référence à la crucifixion, surtout
lorsqu’il s’agit de personnages liés au Christ, mais c’est aussi, comme cela va
être examiné à travers les représentations de la Vierge, un geste d’ouverture,
de protection, et d’émotion (déploration, déréliction).
Les peintres occidentaux ont
toujours recherché dans leurs représentations, à exprimer des symboles, directs
ou indirects. Chacun connaît, dans les "Vierge à l’enfant", tous les signes
picturaux annonçant la passion du Christ ou la rédemption du péché
originel : la pomme tenue par Marie ou par le petit Jésus est ainsi une
référence à la pomme d’Adam et Eve. Les autres symboles souvent présents sur les "Vierge à l'enfant" sont :
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Des œillets
(le fruit de l’œillet ressemble à un clou et évoque la crucifixion),
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Un morceau
de pain (symbole de l’eucharistie et donc du sacrifice),
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Du raisin ou
des cerises (le jus du raisin, comme la couleur des cerises, évoquent le sang
du Christ),
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Une grenade
(symbole de résurrection et de rassemblement des peuples chrétiens),
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Une poire
(fruit symbolisant la douceur, la bonté, et la vertu, attribut de Marie),
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Des ancolies
(plante symbolisant la douleur, que Marie éprouvera à la mort de son fils),
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Un perroquet
(son cri rappelant, paraît-il, « ave », et donc l’annonciation),
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Un
chardonneret (par allusion au chardon, piquant comme la couronne d’épines),
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Un lapin
blanc (symbole de pureté et de virginité, car la légende attribuait aux lapins
la possibilité de se reproduire sans accouplement)
Mais il y a aussi chez certains
peintres une allusion plus directe, l’enfant Jésus, tenu par sa mère,
écartant les bras en préfiguration de sa crucifixion:
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Jan Gossaert (1478-1532), Vierge à l'enfant, 1527, huile sur panneau de chêne 30.7 x 24.3 cm, National Gallery, Londres
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William-Adolphe Bouguereau, La Vierge, L'Enfant Jesus et Saint Jean Baptiste c. 1881, huile sur toile 190.5 x 111 cm, Herbert F. Johnson Museum of Art Cornell University |
Dans les représentations de la
Vierge, nous la voyons les bras écartés dans différentes configurations, avec
des significations aussi sensiblement différentes. Dans certains tableaux représentant
son Assomption, cette gestuelle lui est appliquée, les bras écartés vers les
cieux formant une sorte d’accolade ouverte sur l’éternité, mais aussi indiquant
un rappel de la Crucifixion de son fils:
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Guido Reni, Assomption de la Vierge, 1637, h s t 2,42 x 1,61 m, Musée des beaux-Arts de Lyon
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El Greco, Assomption de la Vierge, 1577-79, h s t 4,03 x 2,10 m, Art Institute of Chicago
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Une autre configuration apparaît
dans ce que l’on nomme les « Vierge de Miséricorde ». C’est la
protection qui est alors symbolisée par l’écartement des bras. Marie, montée au
ciel lors de l’assomption, est devenue reine des cieux et son manteau bleu devient
une métaphore de la voûte étoilée ; on la voit ainsi, dans plusieurs peintures
du XVe siècle, ouvrant les bras pour écarter les pans de son vêtement,
protégeant ainsi les humains sous son manteau céleste.
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Diego della Cruz, Vierge de Miséricorde avec les rois catholiques et leur famille, c. 1486, Monastere de Santa Maria la Real de las Huelgas, Burgos |
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Jean Bellegambe, Vierge des Cisterciens, 1507-08, Musée de la Chartreuse, Douai |
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Domenico Ghirlandaio (1448–1494), Madone de Miséricorde, c. 1472, fresque de l'église Ognissanti, Florence |
Dans la tradition byzantine, on
trouve également la Vierge Marie les bras à demi écartés et les mains tournée
vers le haut ; cette représentation est dite « Vierge orante »,
la position des mains et des bras faisant alors référence à l’invocation de
Dieu dans la prière.
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Vierge orante, fragment de mosaïque du XIe siècle provenant de la basilique Ursiana, conservé au musée de Ravenne
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Vierge orante, fresque, église de de Perivlepta, vers 1295, Ohrid, République de Macédoine
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Mais attardons-nous sur les
représentations de la Vierge en lamentation sur le corps du Christ. Les titres
des tableaux représentant cet épisode de la Passion du Christ (treizième
station des chemins de croix) sont variables : « descente de croix »,
« déposition », « déploration du Christ »,
« pietà », « lamentation sur le Christ mort », « mise
au tombeau »… Comme nous allons le voir certains de ces tableaux
représentent Marie pleurant son fils, dans une position où ses bras sont écartés ;
mais cette scénographie n’apparaît qu’à partir de la Renaissance. Dans les
images médiévales, la Vierge à les mains jointes, ou croisées sur sa poitrine, ou
plus souvent soutenant le corps de Jésus déposé au pied de la croix. Cependant
on voit dans beaucoup de ces tableaux une femme écartant les bras ou les levant
vers le ciel, mais ce n’est pas la Vierge ; c’est une sorte de figurante,
placée là pour renforcer l’émotion de la scène ; d’ailleurs, comme le
montrent les illustrations ci-après, cette tradition se prolongea au moins jusqu’au XVIIe
siècle.
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Ambrogio Lorenzetti, Mise au tombeau, première moitié du XIVe siècle, Pinacothèque de Sienne (la Vierge embrasse Jésus, Marthe lui baise la main , et Marie-Madeleine les pieds; la femme qui lève les bras est non identifiée)
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Hans Baldung Grien 1485–1545,Lamentation sur le corps du Christ, gravure sur bois 22.7 x 15.7 cm |
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Hugo van der Goes, La lamentation du Christ (après 1479), Musée de Vienne |
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Andrea Solario, La Déploration sur le Christ mort pour la chapelle haute du château de Gaillon C. 1509 huile sur bois 178 x 163cm, musée du Louvre |
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Le Tintoret, Lamentation sur le Christ mort, 1560, huile sur toile 227 x 294 cm, Gallerie dell'Accademia, Venise
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Lorenzo Lotto, Lamentation sur le Christ mort, 1522, H S T 184 x 184 cm, Bergame
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Gérard Seghers (1591-1651), La lamentation sur le corps du Christ, huile sur toile, église N. D. de la Couture, Le Man
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Entre 1530 et 1540, Rosso
Fiorentino en France et Michel-Ange en Italie, sont les premiers à avoir
pressenti la force d’une image où ce serait la Vierge qui écarterait les bras
au-dessus du corps sans vie de son fils, s'appropriant ainsi mimétiquement la douleur de Jésus crucifié. Commençons par Michel-Ange : dans
un dessin de 1540 (Isabella Stewart Gardner Museum, Boston) il représente Marie
en symétrie symbolique du corps descendu de la croix. On y voit, selon un axe
vertical marqué par le pied de la croix, le cadavre du Christ soutenu aux
coudes par deux angelots, ses bras formant un « π », et alignée au-dessus de lui, Marie
les bras écartés et levés vers le ciel, formant symétriquement un « U »:
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Michel-Ange, Pietà, dessin à la craie noire 28.9 x 18.9 cm, 1540, Isabella Stewart Gardner Museum, Boston
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Cette idée sera reprise presque à
l’identique quelques décennies plus tard par Giovanni Battista Zelotti dans l’église
de Venise St Jean-et-St Paul (fresque de la chapelle de N.D. du Rosaire):
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Giovanni Battista Zelotti (1526-1578), lamentation sur le Christ mort, fresque, intérieur de l'église Saint Jean et Saint Paul, Venise |
Alessandro Allori s’en inspira aussi, mais sans reprendre la symétrie avec le corps du
Christ. On verra par la suite à travers l’Europe, plusieurs œuvres suivant cette filiation iconographique. En voici quelques-unes :
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Attribué à Alessandro Allori (1535-1607) Lamentation sur le Christ mort, huile sur alliage de plomb) 23x20 cm, Samuel Courtauld Trust, Londres
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Gerrit van Battem, Lamentation sur le corps du Christ,c 1660, dessin 18x22cm probablement reprise d'une peinture italiennef c. 1600 |
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john Vanderbank, Pietà, 1726, dessin au pinceau en grisaille et craie rouge, 36 x 40 cm, British Museum, Londres
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Passons maintenant à Rosso Fiorentino. L’effet dramatique de la gestuelle de la Vierge au pied du calvaire
(et sa résonance symbolique avec le Christ en croix) est bien dans l’esprit du
maniérisme de Rosso. Son « Christ mort », ou « Pietà », commandé par Anne de
Montmorency pour le château d’Ecouen, est l’un des plus beaux tableaux
utilisant cette scénographie. Il est antérieur de quelques années au dessin de
Michel-Ange, (Rosso est mort en 1540) :
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Rosso Fiorentino, (1494-1540), Pietà, c. 1536, bois transposé sur toile 1,27 x 1,63 m, Louvre
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La peinture de Rosso inspira plusieurs peintres maniéristes et baroques, dont Anton van
Dyck:
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Anton Van Dyck, Lamentation sur le Christ mort, circa 1635, huile sur toile 115 x 208 cm, Royal Museum of Fine Arts Anvers
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Mais c’est Eugène Delacroix qui en retrouvera
l’intensité dramatique, en s’en inspirant pour sa « Pietà » de 1840, église Saint-Denys du Saint Sacrement (voir image au début de l'article). Il
réalisa par la suite (jusqu’en 1857), à la demande des marchands, plusieurs
petits tableaux reprenant à peu près la même composition:
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Eugène Delacroix, Lamentation sur le corps du Christ » (1857) – Staatliche Kunsthalle Karlsruhe
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Eugène Delacroix, Pieta, huile sur-papier marouflé sur toile, vers 1842-1843, Louvre
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Pour terminer, j’évoquerai deux
petites « déploration du Christ » dans lesquelles la Vierge, bras
écartés, a quitté la proximité du Christ pour se placer à l’arrière-plan, au
plus près de la croix, rappelant les figurantes pleureuses des compositions
médiévales.
L’une est un petit émail peint en
1557 par Léonard Limosin (1505-1575), conservé au musée d’Ecouen ; c’est
un médaillon de 34 x26 cm:
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Léonard Limosin (1505-1575), Descente de croix, médaillon d'émail peint, 34 x26 cm, conservé au musée d’Ecouen |
Le corps de Jésus est porté par trois personnages
(de gauche à droite Joseph d’Arimathie, Nicodème, et Saint Jean). Un quatrième
apparaît aussi sur la droite. Au second plan Marie auréolée et les bras
déployés, se tient à l’aplomb de la croix, entourée de Marie-Madeleine et de
Marie (sa sœur, femme de Clopas). Notons que la croix avec les deux échelles
disposées symétriquement forment un triangle qui peut symboliser Dieu le père.
L’autre descente de croix est
insolite. C’est une peinture sur carton datable entre 1860 et 1870, signée du
sculpteur (et peintre) Jean-Baptiste Carpeaux. C’est à ma connaissance la plus
petite descente de croix jamais réalisée par un peintre, puisqu’elle ne mesure que
10 x 11,5 cm.
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Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), Descente de croix, vers 1860-70, huile sur carton collé sur panneau de bois 10 x 11,5 cm, collection privée
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Carpeaux peignait pour lui-même, et
n’exposait pas ses peintures : « la révélation de l’activité de peintre
de Carpeaux, fut franchement posthume, près de vingt ans après la mort de l’artiste,
en 1894, lors de la première des grandes ventes publiques. […] c’est dans l’intimité
que Carpeaux a traité les grands thèmes religieux tragiques, au moyen d’esquisses,
de dessins, de peintures, en général de petit format, alors que chez les
artistes classiques, sculpteurs ou peintres, les sujets religieux destinés au
grand décor faisaient l’objet d’importantes commandes […] Les sujets sacrés qu’il
a traités sont donc le fruit de sa dévotion intime et de sa méditation
personnelle » (Patrick Ramade, Carpeaux, un peintre libre, in Carpeaux
peintre, réunion des musées nationaux, 1999).
Malgré la petite taille de sa « descente
de croix », Carpeaux y a inscrit huit personnages : d’abord le Christ
mort soutenu à gauche par Joseph d'Arimathie et à droite par l’autre Marie (femme de
Clopas) ? tandis que Marie-Madeleine est agenouillée à droite près du corps ;
dans l’ombre, sur les côtés, trois silhouettes en prière (deux femmes et peut-être
St Jean au fond à gauche), et derrière le groupe, au centre, près de la croix
dont on aperçoit la base, une Vierge Marie debout, éplorée, écartant ses bras
en croix et regardant vers le ciel.
Il se peut que Carpeaux se soit
inspiré d’une descente de croix vue dans une église (il avant en effet l’habitude,
durant toute sa vie, de dessiner puis reprendre en petites peintures les œuvres qui lui
parlaient – particulièrement celles de Michel-Ange, Vinci, Raphaël, Rubens, Rembrandt,
Van Dyck, Watteau, Géricault…) ; mais en dépit de mes recherches, je n’ai
pas découvert l’existence d’une peinture dont il aurait pu ici donner son
interprétation personnelle.