présentation des peintures synchronistiques

vendredi, juillet 24, 2015

Le festin des dieux


Hendrick van Balen et Jan I Bruegel, Banquet des dieux avec concert de nymphes, huile sur cuivre 47x66cm, 1610-1615,  musée des Beaux-Arts d'Angers

On trouve chez Homère, notamment dans l’Iliade, de nombreuses allusions au banquet des dieux, symbole de la vie heureuse. Les dieux banquettent du lever du soleil à son coucher, et ne quittent le repas qu’occasionnellement, quand ils doivent mener une action précise, notamment liée à leur rôle dans les aventures des humains. Ils viennent aussi volontiers en convives aux festins que leurs offrent les peuples mythiques des Hyperboréens, des Ethiopiens, ou des Phéaciens.
Hésiode rappelle qu’à l'origine, pendant l’âge d’or, les hommes étaient assis au banquet des dieux : «alors, les repas étaient pris en commun, les assemblées étaient communes entre les dieux immortels et les humains.» (Hésiode, fragment LXXXII, in Origène, contre Celse, 4, p. 216)

Le banquet des dieux est un thème mythologique qui prend de l’importance dans la peinture de la Renaissance et en particulier dans le maniérisme nordique. Il symbolise l’abondance et la paix. Mais la représentation d’un banquet de dieux « générique », c’est à dire sans référence à un mythe particulier, reste assez peu fréquent : la plupart du temps, il est associé à un contexte légendaire précis. Ainsi la première représentation picturale renaissante d’un festin des dieux, la célèbre peinture de Giovanni Bellini – terminée par Titien, (1514-1529, Washington, National Gallery, ci-après), est liée à Bacchus et à sa suite, notamment à Priape, dont le tableau relate l’aventure avec la nymphe lotis (les deux personnages à droite) ; il s’inspire explicitement de quelques vers des Fastes d’Ovide (Fastes, I, 393- 440).

Giovanni Bellini, Le festin des dieux, 1514 (terminé par Titien en 1529), huile sur toile, 170x188cm, National Gallery of Art, Washington

Le festin des dieux est donc le plus souvent relié à un épisode tiré de la littérature gréco-latine; les mariages des dieux et des héros semblent les meilleures occasions de représenter le banquet divin ; cela permet au peintre de faire une correspondance métaphorique entre le sujet du tableau et le mariage réel du commanditaire : ainsi sont convoquées les noces de Bacchus et Ariane, de Neptune et Amphitrite, de Pélée et Thétis, de Psyché et Cupidon. 
On trouve aussi une allusion au festin des dieux dans un épisode des Métamorphoses d’Ovide, qui raconte un banquet auquel le Fleuve Achéloüs, en crue, convia Thésée et ses compagnons : il leur proposa de partager sa table en attendant que ses eaux redescendent (Ovide, Métamorphoses, VIII, 547-570). Cette histoire est également très présente dans les banquets représentés par les peintres du Nord.

Peter Paul Rubens, Le banquet d'Acheloüs, huile sur panneau, 108x164cm, vers 1615, Metropolitan Museum of Art, N Y

Mais ce sont les noces de Psyché et Cupidon et celles de Pélée et Thétis qui retiennent le plus souvent les peintres, et qui donnent chacune une connotation iconographique particulière au festin des dieux.

Commençons par Psyché et Cupidon. L’histoire de Psyché est racontée par Apulée (123 – 172 ap. JC ?) dans « L'Ane d'Or » (IV, 28,1 - VI, 24,4) ; il s’agit des tribulations de la princesse Psyché, si belle qu’elle est jalousée par ses deux sœurs, et, plus grave, par Vénus elle-même. Elle ne trouve pas de mari, et l’oracle d’Apollon commande à son père de la livrer à un dragon. Elle en réchappe grâce à Zéphyr, puis découvre l’amour auprès d’un amant mystérieux, qu’elle ne peut voir. Il s’agit de Cupidon, que Vénus avait envoyé pour que la trop belle Psyché s’éprenne du plus méprisable des hommes. Mais le dieu s’est blessé à sa propre flèche, et est tombé fou amoureux de l’exquise mortelle. Les deux amants se retrouvent sans jamais se voir, dans un palais miraculeux. Mais Psyché, qui redoute que son amant ne cache une identité monstrueuse, le contemple dans son sommeil, sur le conseil de ses sœurs, enfreignant ainsi l’interdiction absolue que le dieu d’amour avait faite. Le beau Cupidon se réveille et s’enfuit à tout jamais. La princesse ne se décourage pas pour autant et part à sa recherche, finit par le retrouver, et ils s’aiment à nouveau, et conviennent de se marier. Ces noces donnent lieu à un banquet mémorable réunissant les dieux olympiens (cette histoire, qui a, entre autres, donné naissance au conte de La belle et la bête, vient sans doute à l’origine de vieilles légendes berbères ou orientales qu’Apulée aurait reformatées au goût romain, en les reliant aussi à un contenu symbolique philosophico-religieux – platonisme et culte d’Isis, auquel il était initié).


Raphaël Sanzio et ses élèves, Les noces de Cupidon et Psyché, fresque du plafond de la loggia de Psyché, 1517, villa Farnésine, Rome
C’est Raphaël et ses élèves qui en 1517 donnent ses lettres de noblesse à la légende de Psyché, dans ses célèbres fresques de la loggia qui porte le nom de la princesse, à la Villa Chigi (aujourd’hui appelée Villa Farnésine). Elles relatent « de manière métaphorique l’histoire d’amour du mécène et les obstacles auxquels il dut faire face pour épouser la femme qu’il aimait, Francesca Ordeaschi. Exécutées en vue d’un événement décisif de la vie du banquier, son mariage, ces fresques racontent l’histoire de la jeune mortelle qui osa épouser un dieu – une légende qui se superpose à l’histoire personnelle d’Agostino Chigi et de son épouse » (Cahiers d’études romanes, Agostino Chigi et le mythe de Psyché, Amélie Ferrigno). L’une des deux fresques du plafond représente le banquet des dieux donné pour la noce des époux. On y découvre que Raphaël a suivi de très près le texte d’Apulée :

« Et aussitôt, on sert un magnifique repas de noces. Sur le lit d’honneur était le mari, tenant Psyché embrassée, et, de la même façon, Jupiter avec sa Junon, et, ensuite, par ordre, tous les dieux. La coupe de nectar, qui est le vin des dieux, est présentée à Jupiter par son échanson, le petit paysan, les autres sont servis par Liber ; Vulcain faisait la cuisine. Les Heures mettaient partout l’éclat pourpre des roses et d’autres fleurs, les Grâces répandaient des parfums, les Muses faisaient entendre une musique harmonieuse. Apollon chanta en s’accompagnant de la lyre, Vénus, au son d’une belle musique, dansa gracieusement, après s’être constitué un orchestre dans lequel les Muses chantaient en chœur, un Satyre jouait de la double flûte et un Pan du chalumeau. C’est ainsi que Psyché passa, selon les règles, sous la puissance de l’Amour […] ». Apulée, L’âne d’or ou Les Métamorphoses, Paris, Gallimard, 2004, p. 151.

Il reprend dans cette fresque une scénographie linéaire en frise, sans paysage d’arrière plan, qui rappelle un peu celle des bas-reliefs des sarcophages romains, mais aussi celle des représentations de la « Dernière Cène » d’Andrea del Castagno (Florence) et de Léonard de Vinci (Milan). Notons qu’à la table, les convives sont par couples : de droite à gauche Cupidon et Psyché, Jupiter et Junon, Neptune et Amphitrite ( ?), Mars et Minerve et tout à gauche, Hercule et sa compagne posthume la déesse Hébé, qui à pour fonction de protéger les jeunes mariés. Debout derrière Hercule, Vulcain, puis Vénus dansant, et enfin Apollon, de dos, jouant de la lyre.

Maître au Dé, Noces de Psyché et Cupidon, gravure, d'après la fresque de Raphaël, vers 1535
Il existe une gravure (ci-dessus) des noces de Psyché et Cupidon due au graveur Italien que l’on nomme le Maître au Dé (1512-1570, fils du célèbre graveur Marcantonio Raimondi) dans laquelle il s’est inspiré librement de la fresque de Raphaël. Il a réinscrit la scène dans le cadre d’un repas de mariage habituel : table dressée avec une nappe, et époux au centre ; pour cela il a transformé le couple Mars-Minerve en couple Cupidon-Psyché ; il n’y a plus alors que huit convives, au lieu de dix sur la fresque. Le décor architectural et la tenture dressée au mur finissent de redonner une dimension plus terrestre à l’événement.
Mais cette estampe mise à part, le Maître au Dé a également gravé toute une série qui reprend l’histoire de Psyché. Elle est issue des dessins du peintre Michiel Coxie (1499-1592), appelé le Raphaël du Nord; celui-ci a également simplifié les dessins des fresques de Raphaël. Pour l’illustration du banquet de noce, il a, lui aussi, supprimé deux convives (et fait disparaître les deux serviteurs), mais il a laissé les époux sur le côté et gardé le décor de nuages. De cette série de gravures, on a tiré aussi des cartons pour les vitraux de Psyché du château d’Écouen, réalisés en 1542-1544, et conservés aujourd’hui au musée Condé, à Chantilly.

Maître au Dé, Mariage de Psyché et Cupidon, gravure sur un dessin de Michiel Coxie d'après Raphaël
Mariage de Psyché et Cupidon, Vitrail du chateau d'Ecouen, sur un carton de Michiel Coxie d'après Raphaël, actuellement au musée de Chantilly

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Giulio Romano, Fresques de la chambre de Psyché, palais du Té, Mantoue, 1526-1528
Entre 1526 et 1528, Giulio Romano, qui fut élève de Raphaël, réalisa au palais du Té à Mantoue une série de fresques pour la chambre dite de Psyché. Il s’agit de la plus fastueuse salle du palais, dédiée aux hôtes les plus distingués pour les banquets et les dîners. C’est là qu’en 1530 un banquet fut offert à Charles Quint lors de sa première visite à Mantoue et au cours de laquelle il éleva Federico Gonzaga au rang de duc. « La salle doit son nom aux aventures de Cupidon et de Psyché, peintes sur la voûte et les lunettes. Les vingt-deux étapes sont tirées des Métamorphoses d’Apulée. C’est donc un immense tribut au plus puissant des dieux, Amour, auquel même Jupiter ne peut échapper. Les murs, quant à eux, abritent de nombreuses scènes amoureuses, contrariées, illégales, tragiques… entre dieux et mortels (Venus et Adonis, Bacchus et Ariane), entre dieux et Déesses (Mars et Venus, Acis et Galatée) ou entre humains et animaux (Pasiphae et le taureau) » [ http://www.natureetvoyages.com/italie-mantoue-a-la-cour-des-gonzague/].
Giulio Romano, Les noces de Psyché et Cupidon, fresques des murs Nord et Est, palais du Té, Mantoue, 1526-1528

Les noces d’Amour et Psyché se développent sur les murs Nord et Est de la salle. Le parti scénographique est très différent de celui de Raphaël : la scène qui se déroule dans un vaste paysage, est totalement diffractée ; le panneau Est est centré sur la nappe blanche du banquet, mais la table, sur laquelle s’appuie le dieu Pan, est entourée de nymphes et de satyres qui commencent seulement à dresser le couvert en attendant les convives, sous le regard de Mercure, à droite. 

Giulio Romano, Les noces de Psyché et Cupidon, fresques du mur Est, palais du Té, Mantoue, 1526-1528
La vaisselle et les cratères se trouvent encore sur un buffet où se font les préparatifs, au centre du panneau du mur Nord, sous le contrôle de Bacchus et de sa suite, dans laquelle on voit le gros Silène et son âne, deux tigres, une chèvre, un satyre, un dromadaire, un éléphant, et, tout au fond, encore un dromadaire et une girafe surmontée d’une panthère. À gauche est assis Apollon qui reçoit une offrande ; plus à gauche encore, Vulcain donne ses ordres à une vieille servante. Les époux, Cupidon et Psyché, sur le lit d’honneur situé au centre entre le buffet et la table (mais en fait dans l’angle de la salle), prennent une collation tandis qu’une Heure ailée leur place des couronnes de fleurs sur la tête.
Giulio Romano, Les noces de Psyché et Cupidon, fresques du mur Nord, palais du Té, Mantoue, 1526-1528

Giovanni Battista Franco a gravé ces scènes à partir des cartons de Giulio Romano, avec quelques écarts par rapport aux fresques, comme par exemple le char solaire tiré par quatre chevaux qui apparaît à l’horizon derrière la girafe, et qui n’existe pas sur la fresque (Giorgio Vasari, qui, dans Les vies des meilleurs peintres, décrit en détail la fresque de Giulio Romano, parle de ce char… Il a donc utilisé la gravure pour sa description !).

Comparaison entre un détail de la gravure de Giovanni B Franco (inversée)  et le même détail de la fresque de Giulio Romano

Une dernière composition sur le thème du mariage de Psyché et Cupidon, hypermaniériste, va marquer le dernier quart du XVIe siècle. C’est une gravure d’Hendrik Goltzius, sur un dessin de Bartolomeus Spranger (1587) peintre à la cour de Rodolphe II (cliquer sur l'image pour la voir en totalité); "parmi les gravures les plus ambitieuses du XVIe siècle"(Sally Metzler).

Hendrick Goltzius, Banquet des dieux au mariage de Psyché et Cupidon, gravure d'après un dessin de Bartolomeus Spranger, 1587
On est à nouveau, comme chez Raphaël, dans un décor de nuages, mais plus du tout dans la frise linéaire : la profondeur est au contraire accentuée par la perspective qui éloigne à l’arrière plan la scène principale du banquet, tandis que des improbables volutes de nuages (inspirées des fresques de  Corrège et de Gatti que Spranger avait vu à Parme), bourgeonnant en une sorte d’intestin céleste, enveloppent et relient plus de quatre-vingts personnages, et laissent percevoir, loin en contrebas, un paysage de montagnes et de lacs. Les morphologies noueuses des figures de premier plan et leurs attitudes contorsionnées (inspirées de Michel-Ange, ce que l’on nommait forma serpentinata) participent également à cette exacerbation théâtrale propre au maniérisme. Spranger, comme Raphaël, cherche tout de même une certaine fidélité au texte d’Apulée : on retrouve ainsi sur la droite le concert d’Apollon qu’accompagnent Pan, un satyre, et les muses, et que regarde Diane, pourvue d’un arc et d’une lance.
Et comme le dit Apulée, tous les dieux sont présents à la noce ; on reconnaît de gauche à droite Minerve, avec son casque et sa lance, Hercule et sa massue, Cérès et sa corne d’abondance, Bacchus-Liber qui verse le vin ; sous lui le dieu Océan ; autour de la table derrière lui, d’abord Vénus, debout, reconnaissable aux deux colombes qui l’accompagnent (symbolisant l’amour et la fidélité) ; puis Pluton (que l’on reconnaît à sa lance à deux dents) et Proserpine, suivis de Mars, Neptune, Mercure, Junon, et Jupiter ; de dos, le demi-dieu Persée, et enfin Cupidon et Psyche. Au premier plan à droite Saturne dévorant son enfant, Vulcain et son enclume, et la chaste Vesta. On voit aussi dans les nuées Fama (la renommée) et ses trompettes, au loin les Dioscures sur leurs chevaux et Cybèle sur son char tiré par des lions. Sur la droite, faisant pendant à Fama, Aurore entourée de son grand voile ; et tout en haut au centre, Iris la messagère assise sur l’arc-en-ciel.

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La seconde histoire principalement associée au banquet des dieux est le mariage de Pélée, roi de Phtie, avec la nymphe Thétis, fille de Nérée et de Doris, petite fille du dieu Océan. Ce mariage fut décidé par Zeus et Poséidon, bien qu’ils fussent tous deux épris de la nymphe. Ils redoutaient l’oracle de Thémis, prédisant que le fils de la Néréide serait plus grand que son père, et donc risquerait de les détrôner si l’un des deux l'épousait.  Les noces de Pélée et Thétis furent magnifiques et se déroulèrent sur le mont Pélion, dans la caverne du centaure Chiron ; tous les dieux y assistèrent, et comblèrent les fiancés de présents, en particulier une armure d’invincibilité et deux chevaux immortels, Balios et Xanthos, qui servirent par la suite à Achille, leur fils, dont l’oracle avait prédit la grandeur. Malheureusement on avait oublié d’inviter au mariage Eris (la Discorde), qui vint troubler la fête en lançant une pomme d’or dédicacée « à la plus belle »… S’ensuivirent la rivalité des trois déesses Junon, Minerve, et Vénus, le jugement de Pâris en faveur de Vénus (qui lui avait promis Hélène en récompense), et la guerre de Troie qui fût la conséquence du choix du fils de Priam.
Les peintres maniéristes du nord ont préféré ce thème à celui de Psyché et Cupidon : peut-être parce qu’il était directement relié à l’épopée homérique, et qu’il précédait et introduisait le jugement de Pâris, morceau de bravoure de la peinture classique, chargé de symboles moraux (toujours très importants dans la peinture du XVIIe siècle).

L’histoire des noces de Thétis et Pélée est évoquée par Ovide dans les Métamorphoses (livre XI), et chez d’autres auteurs anciens comme Pindare, Catulle, Apollodore.
Les sources iconographiques remontent à l’antiquité, mais montrent rarement le banquet des dieux : on connaît notamment un sarcophage du IIe siècle dont le bas-relief représente Thétis et Pélée qui reçoivent des cadeaux d'Héphaistos, d’Athéna, et des Heures (Villa Albani, Rome). Dans les premières peintures italiennes de la Renaissance montrant les noces de Pelée et Thétis, en particulier celles des coffres de mariage dues à Bartolomeo di Giovanni (3eme quart du XVe s., Louvre), on voit une procession, et pas un repas ; c’est le cas aussi pour une fresque de Giulio Romano sur le même sujet (loggia de la grotta, palais du Té). 

Bartolomeo di Giovanni, les noces de Thétis et Pélée avec l'histoire de Priape et Lotis, panneau de coffre, vers 1490, musée du Louvre

Les noces de Pélée et Thétis, dessin d'étude d'après une fresque de Giulio Romano (loggia de la Grotta, palais du Té), musée du Louvre
Il faut peut-être alors rechercher l’engouement pour l’association banquet des dieux/mariage de Thétis et Pélée chez les peintres maniéristes du nord, dans la lecture de  Illustration de Gaule et Singularité de Troie, du poète Jean Lemaire de Belges (1474-1524, précurseur des poètes de la Pléiade) paru en 1511-1512. Il y fait une description très pittoresque et détaillée du repas des noces de Thétis et Pélée, qui eurent lieu sur le mont Pélion ; elle occupe plusieurs pages. En voici quelques extraits :

« … le Roi des Dieux & des hommes Jupiter, […] s’asseoit en son trône déifique & impérial éclaircissant les nuées par la sérénité de sa chaire, environné de gloire & de majesté triomphale : selon la resplendeur de sa claire planète, qui est chaude & humide, modeste, & attemprée (modérée), hautaine, libérale, miséricordieuse & amoureuse. Son noble trône était disposé au plus haut de la montagne, sous un haut chêne glandifère.[…] Auprès de lui était le beau Ganymède troyen, son échanson, tenant sur le point un grand aigle royal, lequel oiseau est consacré à Jupiter, pour ce qu’il vole plus haut que nul des autres : & dénote présage & signification de hautesse impériale & victorieuse. Auprès de lui était son héraut Mercure, & l’archiprêtre Genius, avec les dessus nommés : c’est à savoir Honneur, Grâce, Vertu, Victoire, Amour, Majesté, Fortune, Renommée & Vénération. En sa main il tenait un sceptre fulgurant à trois pointes & rais, pour désigner que la foudre que Dieu envoie en terre, a trois propriétés principales.  […] il se tourna devers ses ministres, en leur commandant que l’appareil fut grand & somptueux, & que chacun fut diligent de s’employer en son office ordinaire. À quoi fait ils furent tous prompts et attentifs.

Car alors Flora la gracieuse Nymphe compagne du doux vent Zéphyr, s’entremit de tapisser la noble montagne de fraîche verdure, & de plantes aromatiques & fleurant violettes diaprées de maintes couleurs, dont son mari le gentil Zéphyr fils d’Astréos et de la belle Aurore lui faisait fourniture. […] Les autres Nymphes aussi mirent la main à la pâte, & s’aidèrent de leur part. Mêmement les Hymnides, lesquelles se prennent à tendre & dresser au long de leurs prairies, les beaux verts buissonnets florissants & les haies toutes couvertes de floriture. Faisant tentes, tresses, treilles, feuillées, frescades & pavillons de rosiers florissants, de flairants églantiers, groseilliers, mûriers, framboisiers, jasmins, féviers, vignettes, & coudriers, pour faire ombrage aux Dieux. Et quand ils furent tous tendus et bien hourdis, Rosée la belle pucelle fille de la Lune & de l’Air, vint pendre autour des branchettes mille perles rondes, & gemmes claires et transparentes qu’elle tira de son épargne, pour enrichir leur florissance, laquelle rendait telle odeur, que toute la région en était toute imbue et embaumée. Aucunes des autres Fées, ci comme les Napées, étudièrent de faire sortir de plusieurs endroits de la montagne, plusieurs fontainnettes et ruisseaux courants à douce noise, dont l’eau était plus claire que béryl, & le regard amène et délectable. S’y produisirent aussi les Hamadryades, & mirent hors de leurs arbrisseaux, plusieurs feuillettes & fruitages de diverses sortes, tellement que ce pouvait sembler un paradis terrestre. Car chacune s’y employa par grande étude, à qui mieux mieux ; même Sylvanus le Dieu des bois et des forêts, amplia ses ombres de plus grande étendue pour rendre le lieu plus plein de délices.

Cependant aussi les Heures filles du Soleil et de Chronos […] établirent les quatre merveilleux chevaux aux freins dorés de leur seigneur, ayant les crins recercellés & rutilants de fin or, & l’ongle des pieds d’un métal nommé aurichalque, en lieu de corne. Lesquels chevaux jettent feu et flamme par la gueule, & sont leurs noms, Pyrois, Eous, Ethon, & Phlegon. Le premier est rouge, le second est blanc, le tiers est jaune et ardent, & le quart est noir & obscur, selon les diverses dispositions du jour. […] Brontes & Pyragmon, Cyclopiens, enfants de Neptune et d’Amphitrite, grands géants & de la famille de Vulcain, parce qu’ils aiment le feu furent contents d’avoir charge de cuisine. Priape le Dieu des jardins & de fertilité, fils de Bacchus et de Vénus, fut verdier ou saucier. S’y fournit la cuisine de toute verdure nécessaire, & broya la sauce.

Vulcain autrement appelé Mulciber, frère des Dieux, fut établi à la garde du buffet, duquel toute la riche vaisselle avait pris tournure, merveilleuse et supernelle, par ses propres mains. Le gentil Persée fils de Jupiter & de la belle Danaé, avec le noble Jason fils du roi Pelias de Thessalie, portant à son col l’ordre divin de la toison d’or, furent enrôlés pour écuyers tranchants. […]La noble Nymphe Hébé, Déesse de jeunesse et fille de la Reine Junon (de nouvel époux épousée, au preux chevalier Hercule lequel était déifié) fut établie à servir le Roi Jupiter, de coupe d’or. Et Ganymède le noble enfant troyen à exercer la charge ordinaire d’échanson envers les autres Dieux : & attrempa les douces potions nectarées pour iceux servir. Cérès la Déesse des blés, eut déjà fourni tous les offices de paneterie. Les gens de Bacchus pareillement eurent fait garnison de toutes sortes de vins, tant pour la bouche que pour le commun. Pomone, l’une des Hamadryades, & Frutesa sa compagne eurent aussi fait finance de toute espèce de fruiterie. Et fut incontinent tout prêt : au moyen de la sollicitude & bonne diligence d’Hymeneus le Dieu des noces, fils de Bacchus & de Vénus, ayant pour ce jour charge de maître d’hôtel, avec le Roi Pélée époux.

Quand les précieuses tables d’ivoire & de cèdre, étoffées d’or et de pierreries, furent couvertes & disposées parmi la prairie, les Tritons qui sont ménestriers et trompettes du Dieu Neptune, cornèrent le lavé, alors après que Jupiter le Roi des hommes & des Dieux eut lavé, il s’assit à table, & auprès de lui la Reine Junon sa sœur & compagne. Et conséquemment au bout de la table, la belle Nymphe Thétis jeune épousée. Les autres Dieux & Déesses Demi-Dieux & Demi-Déesses furent assis aux autres tables chacun selon son degré & vocation. Et les Héros et Princes servirent en lieu de jeunes gentilshommes. Les gentils satyres fort légers & soudains à tous leurs pieds de chèvres coururent à la viande, comme si ce fussent pages. Laquelle Chiron le Centaure leur délivra, parce qu’il servait d’écuyer de cuisine. […]

…Cybèle la grand’mère des Dieux reçut au cœur une joie inestimable, voyant tant de sublimes esprits de sa noble génération tous assemblés en tel triomphe. Et le noble Bacchus appelé  Liberpater, tout libéral, & tout joyeux, les tenait en plus grande liesse, & les invitait à boire ses vins délicieux, & en taster puis de l’un puis de l’autre, tenant en sa main un pesant hanap large & ample, que souvent il faisait remplir, pour pleiger (recommencer) d’autant. Aucun des Demi-Dieux, qui le cuidèrent (souhaitèrent) faire ne le purent pas bien supporter, ainsi en furent pris par le nez.

Après que le métier fut servi, les quatre sirènes fines ouvrières filles du fleuve Acheloüs, & de Calliope la Muse, Compagne de Proserpine fille de Cérès, Déesse de fertilité, se présentèrent sur le beau bout, ayant visages de pucelle, ailes aux bras, pour facilement voler d’un lieu à l’autre, le corps féminin jusqu’au nombril, auquel est situé toute leur libidinosité, les queues de poissons comme bêtes lubriques & légèrement coulants, & les pied de coq, à tous lesquels elles grattent partout pour trouver pâture. Ces quatre meretrices (prostituées) & monstres marins, se prirent à chanter et accorder leurs instruments, auxquels chacun se rendit attentif. […] Elles quatre prononçaient si doux accords & et prolation de diapason, triple, diatessaron & autres figures de musique, que à la mélodie non accoutumée, plusieurs s’oublièrent et s’endormirent à table. Dont le Roi Jupiter se donna garde, & de peur qu’il ne sommeillât, se leva tantôt de table. Si firent tous les autres Dieux et Déesses.

Les tables abattues, & la place délivrée, Pan se mit en avant. […] …ayant le front cornu comme le croissant de la Lune : la face rouge et enflambée, comme le soleil : la barbe longue jusqu’au pis, signifiant la vertu active des quatre Éléments, descendant en terre : les épaules couvertes et ornées d’une peau de diverses couleurs, appelée Nebride, représentant le ciel stellifère & la variété des corps célestes : les cuises & les jambes lourdes et velues, dénotant la superficialité de la terre. Et tenait en sa main une houlette pastorale […] Lors souffla Pan en sa chalemelle de sept buseaux accordés selon l’harmonie des sept planètes, & fit danser Eglé et Galaté les belles Naïades, avec les plaisant satyres, Pans, Egypans, & Titires qui faisaient merveille de saillir, de trepper, et de se démener. […]

Tantôt après survint le clair Dieu Apollon, touchant de sa harpe doré par grande maîtrise : ayant le chef couronné de laurier. Et amena en un branle, les neuf muses filles de Jupiter & de Mémoire, auxquelles il préside toujours, à cause que des neuf sphères des cieux, celle du soleil est la plus parfaite en harmonie. 
»


Les nombreux peintres nordiques qui ont développé ce thème à fin du XVIe et du début du XVIIe siècle - parmi lesquels Hans Rottenhammer, Hendrick de Clerck, Joachim Wtewal, Frans Francken II, Hendrick van Balen, Gillis van Valckenborch, Rubens ou Jordaens -  connaissent tous l’Italie et les œuvres des maîtres de la Renaissance.
Leurs versions du banquet de mariage de Thétis et Pélée, s’inscrivent dans l’évolution des formules picturales qui ont marqué la Renaissance italienne, et notamment celles des banquets de Cupidon et Psyché. C’est flagrant pour la peinture de 1602 de Joachim Wtewael (1566-1638) qui reprend presque à l’identique la scénographie de la gravure de Spranger/Goltzius pour Cupidon et Psyché (voir illustration plus haut), en l’adaptant au sujet, notamment par l’introduction de la méchante Éris (déesse de la discorde), qui trouble la fête en apportant la fameuse pomme d’or ; Wtewael la représente avec deux traînées de fumée noire.

Joachim Wtewael, Les noces de Pélée et Thétis, huile sur cuivre 31,1x41,9cm, 1602 Herzog Anton Ulrich-Museum, Brunswick
Wtewael produira de nombreuses versions du mariage de Thétis et Pélée, allant peu à peu vers un cadrage plus serré, donnant plus de force aux personnages et à leurs expressions ; en voici deux exemples : Le tableau du RISD museum (ci-dessous) est peut-être une reprise d'un dessin de Spranger, son nom étant mentionné sur l'esquisse (le personnage de dos en train de boire, repris aussi dans une peinture de Cornelisz van Haarlem - voir plus bas - est de toute évidence une conception de Spranger).

Joachim Wtewael, Les noces de Thétis et Pélée, huile sur panneau 109,5x166,4cm, 1610, RISD museum, Rhode Island, USA
Dessin à la plume du Rijksmuseum attribué à Wtewael (esquisse du tableau ci-dessus) mais signé en bas de "Spranger F(ecit)"
Joachim Wtewael, Les noces de Pélée et Thétis, dessin à l'encre, 1622,  Collection Teylers Museum, Haarlem


Une dizaine d’années avant le tableau de Wtewael de l’Ulrich-Museum de Brunswick, Cornelisz van Haarlem, qui travaillait avec Goltzius, avait composé un mariage de Pélée et Thétis (musée Frans Hals, Haarlem), qui, bien que réinscrit dans un paysage très terrestre, devait aussi beaucoup à la gravure de Spranger/Goltzius pour Cupidon et Psyché.
Cornelisz van Haarlem, Noces de Thétis et Pélée, huile sur toile, 246x419cm, 1592-93, Frans Hals Museum, Haarlem
Comme dans la gravure de Spranger/Goltzius, le banquet est rejeté à l’arrière, les personnages du premier plan formant un semi de corps puissants aux poses affectées (le buveur de dos est repris d'un dessin de Spranger), reliés entre eux par le lacis tortueux d’ombres et de feuillages, qui jouent le même rôle intégrateur que les tortillons de nuages de la gravure de Spranger/Goltzius. On remarque aussi l’introduction, au fond à droite, d’une petite scène qui illustre le jugement de Pâris.
On peut aussi rattacher un tableau de 1595 d'Abraham Bloemaert (ci-après, Pinacothèque de Munich), à ce groupe d’œuvres dérivant de la gravure de Spranger/Goltzius. Même groupements de corps au premier plan, même type de composition tourbillonnante reliée par des volutes de végétation, de tentures, et de nuages.

Abraham Bloemaert, Le mariage de Pélée et Thétis, vers 1595, huile 101x146,4cm, Alte Pinakothek de Munich

Le thème du mariage de Thétis et Pélée reste aussi chez les peintres du nord associé à l’expression érotique des plaisirs charnels, comme l’avait fait Giulio Romano pour Psyché et Cupidon au palais du Té ; d'où l'abondance de couples dénudés dans la plupart de ces peintures.

À la fin du XVIe siècle, le peintre Gillis van Valckenborch (1570-1622), Anversois mais exilé à Francfort pour raisons religieuses, va faire évoluer la formule de Cornelisz van Haarlem :
Gillis van Valckenborch, Les noces de Thétis et Pélée, huile sur toile, 77x120cm passé en vente en 2013 chez Lempertz
La composition que je montre ci-dessus reste foisonnante et éclatée, et on retrouve aussi le jugement de Pâris en haut à droite. Mais la table du banquet s’est rapprochée, occupe davantage de place dans le tableau, et présente une transition continue avec les personnages du premier plan, dont le caractère maniériste se fait plus discret. A contrario le décorum des plantes et fleurs diverses, ainsi que les éléments de costumes et de vaisselle foisonnent sur la toile jusqu’à saturation, annonçant Hendrick de Clerck et Bruegel de Velours.
Regardons justement maintenant une Noce de Thétis et Pélée de Hendrick de Clerck, datant de 1606-1609: 

Hendrick de Clerck, Les noces de Thétis et Pélée, 1606-1609, huile sur cuivre, 54x76cm, Louvre
Le tableau s’inspire des précédents : il est toujours foisonnant, avec une incroyable préciosité des couleurs, mais la perspective et les jeux de lumière ont pratiquement disparu ; seule subsiste à gauche une petite percée sur un paysage lointain. La volonté de rassembler les personnages en une pyramide ayant pour sommet Apollon et sa lyre, a conduit le peintre à ne pas reprendre la scène du jugement de Pâris ; par contre la méchante Éris avec sa pomme d’or fait irruption en haut à droite, hors de la pyramide.

Les Noces de Thétis et de Pélée avec Apollon et le Concert des Muses ou Le Festin des Dieux. Figures de Hendrick Van Balen, paysages de Jan I Brueghel, vers 1618, Paris, Musée du Louvre.
Le tableau du Louvre (ci-dessus) de Hendrick van Balen (en collaboration avec Jan I Bruegel pour le paysage) réalisé quelques années plus tard (1618), présente une disposition des personnages très proche de celle de Hendrick de Clerck, à cela près que tous les angelots, Heures, et Muses en surplomb au-dessus de la table ont disparu, à l’exception de trois petits angelots qui  répandent des fleurs sur les convives. La démesure maniériste cède le pas à la douceur et à la respiration du paysage dont la perspective paraît plus juste. La préciosité des couleurs et des détails est toujours là, mais plus en finesse. Dix ans avant (?), Hendrick van Balen avait déjà réalisé une noce de Bacchus et Ariane dont la composition était très semblable, avec un paysage toutefois moins présent. La même année il avait aussi fait (seul ?) une noce de Pélée et Thétis avec une mise en scène diagonale (voir les deux images ci-après).
Hendrick van Balen, Les noces de Bacchus et Ariane, 1608-16, huile sur cuivre 36,5x51,5cm, Gemäldegalerie, Dresde


Hendrick van Balen, Les noces de Pélée et Thétis, 1608, huile sur cuivre 44,5x61,5cm, Gemäldegalerie, Dresde

Un autre tableau d’Hendrick van Balen nous montre le développement de la thématique aquatique, que les peintres flamands associent de plus en plus au mariage de Thétis et Pelée. Ce thème prend parfois le pas sur le banquet, qui se réduit dans certains cas à une simple anecdote dans un coin du paysage, à tel point qu’il est parfois difficile de savoir si le repas représenté est celui des noces de Thétis ou celui des noces d’Amphitrite.
Hendrick van Balen, Les noces de Thétis et Pelée, Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique
En plus des évolutions du thème du banquet de mariage de Thétis et Pélée qui viennent d’être analysées, une autre se développe dans la première moitié du XVIIe siècle, qui privilégie la mise en situation des personnages et leurs expressions ; c’est celle que suivront Jordaens, Rubens, et les peintre réalistes postcaravagesques. Elle nécessite évidemment une simplification de la scène, un champ resserré, et donc une réduction au minimum du nombre des personnages. Un exemple précurceur de cette tendance est donné par un dessin de Karel van Mander datant de 1589. Sa conception scénographique doit être reliée à un dessin de la même époque de Crispijn van den Broeck gravé la même année (voir ci-après estampe au-dessous du dessin de van Mander). Mais van den Broek est toujours dans la conception d'une foule autour de la table, conception habituelle à cette époque. Van Mander, peintre et théoricien, a compris qu'il fallait simplifier pour mieux passer le message moral. Il avait en effet expliqué la valeur morale contenue dans l'histoire du jugement de Pâris : le choix de Vénus (la séduction, la beauté extérieure et la luxure), au détriment de Minerve (la sagesse, la connaissance, et la vertu), et de Junon (la puissance et la richesse) irait selon van Mander à l'encontre de la morale, et c'est pourquoi il aurait entraîné la chute de Troie.
On voit sur le dessin de van Mander (dont Nikolaes Clock a tiré une gravure) une douzaine de convives autour de la table sur laquelle est posée la pomme d’or que vient de jeter Éris, calée sur une branche de l'arbre en haut de l'image. À droite on reconnaît à leur attribut Pluton, Neptune, et Saturne ; Pélée et Thétis trônent en bout de table. Sur la gauche,  Mercure tient la cruche au premier plan, et derrière lui, Minerve ; les deux femmes qui lui font face sont Vénus et Junon, ses rivales.

Karel van Mander, Le festin des dieux au mariage de Pélée et Thetis, vers 1589, dessin à l'encre 16,8x24,3cm, museum bijmans van beuningen

Gravure de Jacques de Gheyn d'après un dessin de Crispijn van den Broeck, 1589

Un des exemples les plus remarquables de cette tendance « réaliste » est le très beau tableau de Jacob Jordaens de 1637, « La pomme d’or de Discorde » qui se trouve au musée du Prado. Il est tiré d'une esquisse qu'avait faite Rubens pour une des compositions devant décorer le pavillon de chasse de Philippe IV d'Espagne, la Torre de la Parada (seconde image ci-après).

Jacob Jordaens, La pomme d'or de Discorde, huile sur toile 181x288cm, 1633, musée du Prado, Madrid
Peter Paul Rubens, Les noces de Thétis et Pélée, 1636, huile sur toile 27,3x42,9cm, Chicago Art Institut
Abraham Bloemaert, dont on avait vu précédemment une composition très maniériste de 1595, ayant vécu très vieux, a évolué avec son époque, et a donné en 1638 un nouveau « Festin des dieux au mariage de Pélée et Thétis » d’une composition claire et équilibrée, très moderne,  avec une Discorde qui lance la pomme sur la table, et un Pélée qui regarde le spectateur et pourrait être un portrait d’un des contemporains du peintre.

Abraham Bloemaert, Bauquet des dieux aux noces de Thetis et Pélée, huile sur toile 194x164,5, 1638, Mauritshuis, La Haye

Pour être exhaustif, il faudrait continuer à montrer d’autres exemples du festin des dieux, notamment à travers les noces de Bacchus, celles d’Amphitrite et Neptune, ou le banquet d’Acheloos ; parler aussi peut-être de ces natures mortes de coquillages sur lesquelles un banquet des dieux s'immisce dans le paysage d'arrière plan...  Mais pour ne pas lasser le lecteur (si ce n’est déjà fait), ce sera pour une autre fois!

mercredi, juillet 15, 2015

lundi, juin 29, 2015

Plaisirs terrestres


Gilles Chambon, Composition avec fruits défendus - Allégorie des plaisirs terrestres, huile sur toile, 55x70cm, 2015
L’église chrétienne a, depuis l’origine, considéré la luxure comme l’un des sept péchés capitaux, et a donc toujours condamné la sexualité libre, et considéré la séduction érotique comme une arme de Satan. Tout cela vient au départ du combat des sociétés patriarcales qui ont supplanté en Occident et au Moyen-orient les anciennes religions matriarcales. Ainsi la femme-serpent du paradis terrestre qui, dans la Genèse, présente la pomme à Eve, n’est autre, d’après le Talmud et la Kabbale, qu’un avatar de la première Eve, appelée Lilith, Naama, Elat, ou Allat… Elle avait été répudiée, puis chassée du paradis par Yahvé, parce qu’insoumise à son époux, et sexuellement libérée. Diabolisée, elle devint, en enfer, la concubine des démons, et incarna l’appétit sexuel féminin. Lilith dérive en fait de la grande déesse mère, dont les cultes remontent au paléolithique supérieur. Toujours selon le Talmud, elle était faite de la même argile qu’Adam, et son égale, image de la part féminine de Dieu, chose insupportable dans les sociétés patriarcales (voir http://matricien.org/matriarcat-religion/judaisme/lilith/).

La réhabilitation – sinon religieuse, du moins artistique – des plaisirs terrestres, toujours stigmatisés par l’église, commence au tout début du XVIe siècle. D’abord avec le célèbre et très ambivalent panneau central du triptyque dit du « Jardin des délices » de Jérôme Bosch (1504). 

Jérôme Bosch, Panneau central du triptyque du Jardin des Délices, détail, Musée du Prado, Madrid

Puis vingt ans plus tard avec les très explicites dessins donnés par Giulio Romano à Marcantonio Raimondi, représentant seize positions de l’accouplement. Celui-ci en tira trois ans plus tard un recueil de gravures appelé « I Modi », qui devint vite célèbre, mais entraîna la colère du Pape, qui ordonna l’incarcération de Raimondi et la destruction de tous les exemplaires des gravures. La même année, un imprimeur romain commanda à Perino del Vaga une série de dessins érotiques représentant les amours des dieux; ils furent gravés par Gian Giacomo Caraglio mais ne suscitèrent pas la même colère pontificale parce qu'ils étaient moins crus et référaient explicitement à la mythologie gréco-romaine. La fortune des "Amours des dieux" se prolongea, toujours en Italie vers 1550 avec un recueil de gravures de Giulio Bonasone, puis en 1590, aux Pays-Bas, avec un autre de Jacob Matham, sur des dessins d'Hendrik Goltzius.

Jupiter et Semele (recuil des Amours des Dieux,
gravure de G. G. Caraglio d'après Perino del Vaga)
Neptune et Doride (recuil des Amours des Dieux, (gravure de G. G. Caraglio d'après Perino del Vaga)  

























Mais revenons à Marcantonio Raimondi; il était ami avec L’Arétin, poète apprécié du Pape, et c'est grâce à son entremise qu'il finit par être libéré. L'Arétin, qui avait été séduit par les seize gravures de son ami, en tira des poèmes érotiques, les « Sonnets luxurieux ». 

Fragments subsistant des estampes originales de M. Raimondi, regravées par Agostino Veneziano, British Museum

Les dessins originaux de Giulio Romano et les gravures de Raimondi ayant disparu (il reste seulement quelques fragments des estampes originales de Raimondi, regravés par Agostino Veneziano, au British Museum - illustration ci-dessus), d’autres dessins furent par la suite exécutés dans le même esprit par Agostino Carracci (1642) et Camillo Procaccini, et repris en  1798 pour l’édition d’un « Recueil des postures érotiques ». Cette fois, pour éviter l’opprobre pornographique, toutes les images furent, comme cela était devenu la coutume, reliées à des scènes mythologiques, donnant ainsi la caution de la culture humaniste aux ébats lubriques représentés.
Chaque accouplement érotique fut donc associé à Mars et Vénus, Jupiter et Junon, Bacchus et Ariane, Hercule et Déjanire, Achille et Briseis, Pâris et Œnone, Enée et Didon, Polyenos et Chrysis, Alcybiade et Glycère, Antoine et Cléopâtre, Ovide et Corinne, Angélique et Médor, etc…

Deux gravures du Recueil des postures érotiques", 1798, sur des dessins attribués à Agostino Carracci


Ma "composition avec fruits défendus", qui peut aussi être interprétée comme la représentation d’un de ces couples célèbres, a abandonné volontairement la finalité lubrique des dessins de Giulio Romano, pour ne retenir que l’aspect allégorique et sensuel.
Il s’agit bien sûr une nouvelle fois d’une peinture synchronistique, fusionnant les réinterprétations d’une nature morte de Georges Braque (datant de 1938), et d’un pseudo Mars et Vénus (il s'agit selon moi plutôt d'un Vertumne et Pomone) dû à un maître de l’entourage de Frans Floris (seconde moitié du XVIe siècle) passé en vente chez Sotheby's Paris en juin 2011.

Georges Braque, Nature morte aux fruits et aux instruments à cordes, 1938, Art Institute of Chicago, - Mas et Vénus (?) Entourage de Frans Floris (?)

mardi, juin 23, 2015

Théodore Strawinsky : l’enchantement du quotidien


Th. Strawinsky, Nature morte au pot de terre, 1959, huile sur toile, 24 x 41 cm - © Fondation Théodore Strawinsky
Théodore Strawinsky, fils du compositeur Igor Stravinsky, est un peintre du XXe siècle dont le travail mérite aujourd’hui d’être redécouvert.

Né en 1907 à Saint-Pétersbourg, apatride depuis la Révolution russe, Théodore Strawinsky a demandé et obtenu la nationalité suisse en 1956. Mort à Genève en 1989, il est inhumé dans un cimetière russe, près de Paris. Après sa mort, sa femme, Denise Guerzoni, a créé en 1991 à Genève la Fondation Théodore Strawinsky, qui a pour objectif de faire connaître la vie, l'œuvre, et les activités du peintre. Elle a notamment réalisé un catalogue raisonné de son œuvre (plus de 7000 fiches descriptives et illustrées), accessible sur Internet depuis 2014. On y découvre les multiples facettes de son expression artistique.

Grâce à son père Igor qui était en relation avec toutes les grandes figures de l'art moderne, Théodore a côtoyé dès le plus jeune âge des hommes tels que Picasso, Braque et Derain, ou encore Cocteau et Ramuz. On peut juger de ses dispositions picturales précoces en regardant une des ses premières peintures, représentant « La première de L’Histoire du Soldat », aquarelle qu’il réalisa à l’âge de onze ans.

Th. Strawinsky, La première de "l'Histoire du Soldat" au théâtre municipal de Lausanne, 1918, aquarelle, 34,5 x 43,5 cm - © Fondation Théodore Strawinsky
Autour de 1920, André Derain, qui après la période fauve et cubiste était revenu a une expression plus traditionnelle, l’a initié aux différentes techniques de peinture et lui a prodigué des conseils. Mais c’est à Paris, à l'académie d’André Lhote, entre 1929 et 1931, qu’il a reçu un véritable enseignement pictural, intégrant les règles de composition et d'expression cubiste. Curieusement elles ne se ressentiront vraiment dans ses peintures qu'à partir de 1948.

Au cours de sa longue carrière, en plus de la peinture de chevalet, il a pratiqué l’illustration de livres (œuvres de Ramuz), le décor de théâtre (à Genève L’Histoire du Soldat - 1944, The Rake's Progress – 1952, et L’Oiseau de feu – 1962 ; à Zurich  Petrouchka de Giraudoux, et Sodome et Gomorrhe - 1944 ; d’Igor Stravinsky et Jean Cocteau, Oedipus rex - 1926 …), et la décoration monumentale (fresques, mosaïques, vitraux, tapisseries) dans divers bâtiments en Suisse romande et ailleurs en Europe.
Th. Strawinsky, étude de décor pour Sodome et Gomorrhe, 1944, gouache et aquarelle, 24 x 31,5 cm - © Fondation Théodore Strawinsky
Th. Strawinsky, étude de décor pour The Rake's Progress, 1952, gouache sur carton, 17 x 27 cm - © Fondation Théodore Strawinsky
Th. Strawinsky, Allégorie de la Prospérité, 1959, tapisserie, 175 x 325 cm - © Fondation Théodore Strawinsky

Th. Strawinsky, La Banque, la Fortune, 1957, mosaïque, 290 x 750 cm - © Fondation Théodore Strawinsky

Il participa notamment, en 1949, à la décoration de Notre-Dame de Toute Grâce, plateau d’Assy, de l’architecte Novarina, avec Matisse, Léger, Lurçat, Rouault, Braque, Chagall, Bonnard, et beaucoup d’autre artistes modernes (on lui doit la conception de deux mosaïques réalisées par Antionetti, et pour lesquelles il exécuta une trentaine de dessins). Devenu en 1935 ami avec le cardinal Charles Journet, il s’est converti au catholicisme en 1940, et travailla par la suite souvent pour des églises sur des thèmes religieux. Dans ce cadre il a collaboré avec les architectes Denis Honegger, Hans van der Laan, Nico van der Laan, et Jan de Jong.

Mais ce travail d'art appliqué, certes de bonne tenue plastique, n’est pas ce qui nous intéresse ici.

Sa personnalité et sa subtile sensibilité se manifestent davantage dans de petites œuvres, huiles et pastels, sur des thèmes touchant à son environnement quotidien : natures mortes composées avec les objets de la cuisine ou du salon, paysages vus de sa fenêtre ou redessinés à partir de croquis faits sur le motif lors de ses déplacements. 


La période la plus intéressante, de mon point de vue, est celle qui démarre à la fin des années 40. On a en effet le sentiment que son écriture picturale n’atteint vraiment sa plénitude qu’au moment où il commence à travailler parallèlement sur des vitraux (1948), et réintègre du coup dans ses peintures la leçon géométrique du cubisme de Lhote.

Théodore Strawinsky disait qu’il ne peignait pas comme il voyait, mais comme il regardait. Cela signifie qu’il opérait toujours une transposition plastique de ses sujets. Mais contrairement aux théoriciens du cubisme pour lesquels la méthode prévalait, à tel point que souvent le sujet n’était plus qu’un prétexte, Théodore garda toujours une attention aux ambiances, à la lumière, à une sorte de vision impressionniste qui coexiste dans ses œuvres avec la géométrisation cubiste. Mélange savoureux et subtile, servi par une palette à la fois chaude,  douce, et voluptueuse, aux longues résonances harmoniques.
En voici quelques exemples, accompagnés des dessins préparatoires, qui aident parfois à comprendre son processus de mise au point des œuvres, et notamment la plus-value apportée par le pastel ou les crayons de couleurs qui donnent un tremblement, une sorte de léger halot de lumière, conservé lors des versions définitives à l'huile (souvent d'ailleurs, les versions définitives restent au pastel).

Voici donc d’abord quatorze exemples de ses natures mortes réalisées entre 1948 et 1980, accompagnées pour onze d'entre elles d'études préparatoires ou de dessins réinterprétés :

Th. Strawinsky, Le tapis rouge, 1948, huile sur panneau de particules, 54 x 65 cm  - ci-dessous esquisse préparatoire à la mine de plomb, 21,5 x 26cm
- © Fondation Théodore Strawinsky

Th. Strawinsky, Le carafon, 1952,  pastel sur papier gris, 40 x 47 cm, collection privée - ci-dessous étude préparatoire à l'aquarelle, plume et lavis, 10 x 12,5cm
- © Fondation Théodore Strawinsky


Th. Strawinsky, Nature morte à la statuette noire, 1975-76, pastel sur papier, 70 x 100 cm  - ci-dessous 2 études préparatoires au pastel et mine de plomb,        30 x 21cm - © Fondation Théodore Strawinsky


Th. Strawinsky, La statuette blanche, 1976, huile sur toile, 46 x 61 cm  - ci-dessous étude préparatoire au pastel, 17 x 23,5cm - © Fondation Théodore Strawinsky



Th. Strawinsky, Le colloque, 1958, huile sur toile, 60 x 73 cm - © Fondation Théodore Strawinsky

Th. Strawinsky, Pichet, pêche, et figues, 1960, huile sur toile, 50 x 61 cm  - © Fondation Théodore Strawinsky


















Th. Strawinsky, Les trois pommes, 1953, huile sur toile, 54 x 65 cm - ci-dessous réinterprétation du thème à l'encre de chine sur papier, 1957, 54 x 65cm - © Fondation Théodore Strawinsky

Th. Strawinsky, Nature morte aux harengs, 1949, pastel sur papier, 65 x 81 cm  - ci-dessous 2 réinterprétations au crayon - © Fondation Théodore Strawinsky

Nature morte aux harengs, dessin à la mine de plomb, 1953,  21 x 26cm - © Fondation Théodore Strawinsky
Nature morte aux harengs, dessin à la mine de plomb, 1953  21 x 24cm - © Fondation Théodore Strawinsky


















Th. Strawinsky, Nature morte à la lanterne, 1960, huile sur toile, 60 x 73 cm - © Fondation Théodore Strawinsky
Th. Strawinsky, Deux pêches, deux moules, 1962, huile sur toile, 33 x 41 cm - ci-dessous étude préparatoire à la mine de plomb, 10,5 x 14,5cm -© Fondation Théodore Strawinsky

Th. Strawinsky, Le vase bleu, 1960, pastel, 48 x 63 cm - ci-dessous étude préparatoire à la mine de plomb, 15 x 21cm -© Fondation Théodore Strawinsky


Th. Strawinsky, Lumière sur la table, 1979, pastel sur papier, 70 x 101 cm - ci-dessous 2 études préparatoires, technique mixte, 14,5 x 19,5cm - © Fondation Théodore Strawinsky




Th. Strawinsky, (sans titre) Bouteille de vin,  huile, 50 x 65 cm - ci-dessous étude préparatoire à la mine de plomb, 21 x 29,5cm -© Fondation Théodore Strawinsky



Th. Strawinsky, Sur la terrasse, pastel, 49 x 60 cm - et étude préparatoire, pastel, 18 x 24cm - © Fondation Théodore Strawinsky

J'ai aussi choisi six paysages, qui montrent le subtile équilibre que Strawinsky savait trouver entre la restitution figurative, l'écriture stylistique, et la composition plastique; on remarquera entre autre le travail de recadrage, souvent effectué sur les versions définitives :

Th. Strawinsky, Bateau bleu à Palerme, 1962,  huile sur toile, 33 x 46 cm - ci-dessous deux études préparatoires à la mine de plomb et à l'aquarelle gouachée, 20,5 x 29,5cm et 20 x 29 cm - © Fondation Théodore Strawinsky


Th. Strawinsky, Isola Tiberina, Rome, 1960,  gouache pastel, 27 x 37 cm - ci-dessous  étude préparatoire à la  gouache et aquarelle, 26,5 x 36,5cm - © Fondation Théodore Strawinsky




Th. Strawinsky, Ferme toulousaine, 1957-1958,  huile sur toile, 55 x 65 cm - ci-dessous  étude préparatoire à la  mine de plomb, 21 x 28,5cm - © Fondation Théodore Strawinsky

Th. Strawinsky, Construction dans la verdure, 1954,  huile sur toile, 50 x 73 cm - ci-dessous  deux études (crayon sur papier 41,5 x 57cm, et lithographie, 21,5 x 29cm) - © Fondation Théodore Strawinsky


Th. Strawinsky, Ferme portugaise, 1956-57,  huile sur toile, 60 x 73 cm - ci-dessous  deux études (aquarelle gouachée 20,5 x 27,5cm, et pastel gras, 20,5 x 27,5cm) - © Fondation Théodore Strawinsky


Th. Strawinsky, Bord du lac de Neuchâtel ou Hiver sur le lac de Neuchâtel, 1950,  huile sur carton, 33 x 41 cm - ci-dessous  étude à la mine de plomb sur papier 25 x 35cm - © Fondation Théodore Strawinsky



Pour clore cette brève présentation, une photo d'Igor Stravinsky avec son fils Théodore, non datée, trouvée sur le site de la Fondation Igor Stavinsky, et une autre de lui en 1985, âgé de 78 ans.

© Fondation Igor Stravinsky

Ouvrages parus :

Théodore Strawinsky, texte de Maurice Zermatten, Paris : éd. Galerie Suisse, 1984, 157 p., ill. coul.
Théodore Strawinsky : L’oeuvre monumentale, texte de Maurice Zermatten, Anzola d’Ossola : Fond. Arch. Enrico Monti, 1990, 165 p., ill. coul.
STRAWINSKY, Théodore, Le message d’Igor Strawinsky, Lausanne, éd. de l’Aire 1980 (réédition), 127 p.
Les dessins de Théodore Strawinsky, textes de Denise Strawinsky et Edith Carey, 1999 (catalogue d’exposition), 64 p., ill. coul.
Théodore Strawinsky, textes de Sylvie Visinand et Margrith Fornaro, 2006 (monographie élaborée en complément de l’exposition rétrospective au Musée Neuhaus, Bienne), 158 p., ill. coul. et photos n/b