présentation des peintures synchronistiques

mercredi, août 15, 2012

Le corps du Christ mis en scène par la Contre-Réforme

Dans son effort artistique pour faire valoir le dogme catholique face à « l’hérésie » protestante, l’église catholique, après le Concile de Trente, a fortement encouragé les thèmes susceptibles d’émouvoir les fidèles et de marquer la différence d’avec les croyances réformées. Ainsi toutes les représentations liées aux Saints intercesseurs ont été mises en avant, à commencer par celles de la Vierge Marie, triomphatrice de toutes les hérésies ; parmi les autres Saints abondamment mis en scène, ceux « spécialisés » dans la pénitence - les diverses confessions protestantes ne reconnaissant pas le Sacrement de Pénitence – sont particulièrement présents dans l’iconographie (Saint Jérôme dans le désert et Marie-Madeleine pénitente sont ainsi beaucoup représentés, notamment dans de petits tableaux destinés à la dévotion privée).

Mais ce qui nous intéresse en particulier ici est la représentation du corps du Christ.


Domenico Tintoretto, Le Christ mort soutenu par un ange, vers 1600, collection privée

Selon la doctrine catholique, il est contenu dans l’eucharistie : il y a transformation physique et matérielle des deux espèces de la Communion, en véritable chair et en véritable sang du Christ, lors de l'eucharistie ; les Protestants, eux, ne croient pas à cette transsubstantiation. Beaucoup de représentations du Christ mort se développent donc après le Concile de Trente, pour magnifier cette chair et ce sang partagés dans l’eucharistie : Déposition de croix, Mise au tombeau, Christ aux plaies, déploration du Christ, sous forme de « Pietà » ou de Christ mort soutenu et pleuré par un ou plusieurs anges.

Le lien direct entre le corps mort du Christ et la Communion trouverait son origine iconographique dans la légende de « la messe de Saint Grégoire » ; il s’agit de Grégoire le Grand, pape au VIe siècle, et l’un des quatre pères de l’Eglise latine avec Saint Ambroise, Saint Jérôme, et Saint Grégoire ; la légende raconte que pendant la célébration de la messe, une femme se mit à rire au moment de la communion, déclarant à son compagnon qu'elle ne croyait pas en la présence réelle. Aussitôt après la prière de Grégoire le Grand, l'hostie se transforma alors en doigt sanglant. D’autres textes ont repris par la suite cette histoire, parmi lesquels la célèbre Légende dorée de Jacques de Voragine, beaucoup utilisée par les peintres, en transformant la vision du doigt sanguinolent, peu adapté à la représentation, en une apparition du Christ de douleur, souvent tenu par un ange. On voit cette scène représentée au XVe siècle dans de nombreuses miniatures (par exemple « les Heures à l’usage de Rome »), et à la même époque dans des peintures gothiques (voir le tableau anonyme provenant de la Chartreuse de Champmol, conservé au Louvre).

Messe de Saint Grégoire,
Heures à l’usage de Rome, XVe s, BM de Tours
    
La messe de Saint Grégoire,
Chartreuse de Champmol, près de Dijon, conservé au Louvre

Le thème du corps du Christ soutenu par un ou plusieurs anges s’est peu à peu libéré de la légende de Saint Grégoire. Déjà Donatello, au début du XVe siècle (donc un siècle avant la Contre-Réforme) l’avait représenté indépendamment sur un bas relief en bronze. 
 
Bronze de Donatello, 1447-50, conservé à Sant’Antonio à Padoue    

Mais les représentations peintes du quattrocento italien montrent un Christ aux plaies baigné dans une douce lumière du jour, assis de face ou de trois quart, présenté plutôt que soutenu par les anges, donc dans une attitude quasi allégorique, où le corps assis ne semble pas vraiment mort (Antonello de Messine, Mantegna, Giovanni Bellini). La peinture inachevée d'Antonello de Messine (musée Correr), d'une beauté absolument fascinante, nous montre un dieu endormi plutôt qu'un corps humain meurtri  sorti du tombeau.


Christ mort soutenu par un ange,
Antonello de Messine, 1475-76, Musée du Prado, Madrid 

Christ mort soutenu par trois anges, Antonello de Messine, 1476-77, Musée Correr, Venise    

Pietà avec le Christ soutenu par deux anges,
Mantegna, 1488-1500, Statens Museum for Kunst, Copenhague 
Christ mort soutenu par deux anges,
Giovanni Bellini, 1465-70, Gemäldegalerie, Berlin
    

Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, que les tableaux vont prendre une allure beaucoup plus dramatique et poignante : la lumière du jour cède la place à un crépuscule enténébré, les anges soutiennent un corps à la renverse, la douleur se lit sur les visages et dans les attitudes, le tombeau et le linceul prennent de l’importance dans le décor. Les « Christ mort soutenu par les anges » de Véronèse, et les Pieta et Mise au tombeau des autres maîtres de Venise, et des Incamminati de Bologne (surtout Annibal et Ludovico Carracci) fixent alors cet idéal, à la fois naturaliste et théâtralisé, avec un sens aigu de la dramaturgie picturale, qui s’accorde si bien aux objectifs de la Contre-Réforme.

Christ mort soutenu par des anges,
Véronèse, avant 1588, Gemäldegalerie, Berlin
    
Christ mort soutenu par des anges,
Véronèse, 1580-88, Museum of Fine Arts, Boston
    
Palma le Jeune, Christ mort soutenu par un ange, localisation inconnue


La déposition du Christ, Le Tintoret, 1555-60, Venise, Gallerie dell'Accademia    
Pietà, Le Titien, 1577, Venise, Gallerie dell'Accademia

Mise au tombeau, Le Titien, Louvre
Pieta, Annibal Carrache, 1599, Gallerie Nazionali di Capodimonte Napoli    




















Aujourd’hui encore, même si nous ne croyons plus ni aux anges ni à la transsubstantiation, notre sensibilité reste touchée par ces œuvres qui nous parlent avec ferveur et humanité du drame universel de la mort d’un être cher.


 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

très beau commentaire mais la foi dans le corps du Christ présent dans son Eucharistie et qui se donne à tous ceux qui le reçoivent est toujours la Foi de l'Eglise et de tous ceux qui vivent en communion avec elle et cette réalité est perçue par tous, quand bien même ils n'aient plus la Foi, car elle présence agissante quelle que soit la Foi et heureusement! L'émotion ressentie devant ces œuvres le dit et comme vous le dites touche