présentation des peintures synchronistiques

dimanche, juillet 24, 2011

À PROPOS D’UNE VIERGE À L’ENFANT

Vierge à l'enfant, oeuvre de la seconde moitié du XVIIe s. ou du début du XVIIIe siècle ; elle a fait l'objet d'une attribution erronée à Alessandro Casolani. Ecole de Pierre Mignard (mais quelques ressemblances  aussi avec des oeuvres de Pierre de Cortone et de Paolo de Matteis), collection privé

La Vierge à l’enfant est un des thèmes favoris de la peinture et de la sculpture occidentale entre le Ve siècle et le XVIIe siècle, c’est-à-dire entre le concile d’Éphèse (au terme duquel la Vierge est définitivement reconnue comme la « mère de Dieu », contre Nestorius qui ne voyait en elle que la mère de l’homme Jésus investi postérieurement par la divinité), et la Contre-réforme, qui combat le protestantisme en préconisant, à l’encontre de ce dernier, l’intercession des saints, et particulièrement celle de la Vierge Marie. 

Mais il faut aussi considérer que si le culte marial s’est implanté si profondément dans la culture chrétienne occidentale, c’est que le terrain était préparé par les religions antiques où la déesse mère occupait souvent déjà une place de premier plan. Il n’est que de rappeler les nombreuses statuettes gallo-romaines représentant la déesse mère allaitant un ou deux enfants.
Déesses mères gallo-romaines, musée de St Germain-en-Laye

On dit aussi que beaucoup de Vierges noires célébrées ici ou là sur le territoire français seraient des continuations d’un culte plus ancien de la déesse mère (on adorait en particulier Cybèle sous forme d’une pierre noire - bétyle).







Quoi qu’il en soit, les représentations picturales de la Vierge à l’enfant ont ceci de particulier qu’elle répondent à la fois à un canon - très codifié depuis les icônes byzantines ; à une volonté d’inclure dans l’image des symboles forts de la Passion du Christ et de la rédemption ; mais aussi au désir d’exprimer simplement la douceur des sentiments entre une mère et son bébé.

À l’origine, donc, les icônes byzantines définissaient trois grands types scénographiques pour représenter Marie et l’enfant Jésus :

-    La Vierge kyriotissa, ou Vierge en majesté (sur un trône), assise sur un trône, tenant dans son bras l’enfant Jésus qui lève la mains droite pour bénir (index et majeur tendus, annulaire et auriculaire repliés), et tient dans sa main gauche baissée un rouleau des saintes écritures (remplacé plus tard par un livre, puis par un globe surmonté de la croix).
Vierge Kyriotissa, Ste Sophie, Istambul


-    La Vierge hodigitria, ou Vierge montrant la Voie ; elle ressemble à la précédente, l’enfant ayant le même maintien et la même gestuelle : mais la Vierge désigne son fils de la main droite comme étant la voie à suivre, et parfois,au lieu de regarder droit devant elle, porte ses yeux vers lui.
Vierge hodigitria, icône du musée de Kastoria


-    La Vierge eleousa, ou Vierge de miséricorde et de tendresse, avec ses variantes tardives glykophilousa (Vierge du doux baiser ou Vierge des caresses), et kardiotissa (Vierge qui a du coeur). Dans le type original, Marie tient l’enfant haut sur sa poitrine, incline son visage vers lui, et leurs joues se frôlent affectueusement. Dans le type glykophilousa, la main du Christ caresse souvent la joue ou le menton de sa mère. Dans le type kardiotissa, l’enfant lève les deux bras et prend le visage de sa mère.
Vierge kardiotissa, prov. Tolga, fin XIIIe s., Moscou, Tretyakov Gallery
Vierge glykophilousa, icône provenant de Macédoine


Vers la fin du Moyen-âge, les orthodoxes ajouteront encore d’autres types supplémentaires comme la Vierge arakiotissa (Vierge du Dieu de la Passion) où 2 anges présentent à l’enfant Jésus les instruments de la Passion, ou la Vierge galaktotrophoussa (Vierge qui allaite).
Signalons aussi certaines Vierges assises qui ont l’enfant dans leur giron mais ne le tiennent pas ; elles dérivent du type de la Vierge Orante (Vierge debout les bras écartés, avec souvent sur la poitrine une image superposée du Christ dans la même attitude).

L’art chrétien occidental, parti de cet héritage byzantin, déclinera un nombre infini de variations sur ces modèles, se libérant peu à peu de la rigidité des postures, mélangeant souvent les types, et y ajoutant volontiers, à partir de la Renaissance, quelques allusions discrètes à la Passion du Christ ou à son rôle de rédempteur, par l’intermédiaire de plantes ou d’animaux associés. On verra ainsi des Vierges à l’enfant avec, tenus par Jésus ou par sa mère, ou les accompagnant :
-    des œillets (le fruit de l’œillet ressemble à un clou et évoque la crucifixion),
-    un morceau de pain (symbole de l’eucharistie et donc du sacrifice),
-    du raisin ou des cerises (le jus du raisin, comme la couleur des cerises, évoquent le sang du Christ),
-    une grenade (symbole de résurrection et de rassemblement des peuples chrétiens),
-    une pomme ou une orange (symbole symétrique de la chute originelle et de sa rédemption),
-    une poire (fruit symbolisant la douceur, la bonté, et la vertu, attribut de Marie),
-    des ancolies (plante symbolisant la douleur, que Marie éprouvera à la mort de son fils),
-    un perroquet (son cri rappelant, paraît-il, « ave », et donc l’annonciation),
-    un chardonneret (par allusion au chardon, piquant comme la couronne d’épines),
-   un lapin blanc (symbole de pureté et de virginité, car la légende attribuait aux lapins la possibilité de se reproduire sans accouplement)
Albrecht Dürer, La Madone à l’oeillet, 1516, Alte Pinakothek Munich



La Vierge présentée en exergue de cet article, oeuvre de la seconde moitié du XVIIe siècle ou du début du XVIIIe, (Ecole de Pierre Mignard), se rattache au type « Vierge des caresses » (glykophiloussa), et y associe le symbole de la pomme tenue par Jésus (il ramasse la pomme du péché originel pour racheter la faute). On peut la rapprocher d’un tableau de Mabuse (Jan Gossaert) de 1520 (exposé à la National Gallery de Londres oct 2010-janv 2011), qui présente la même scénographie, à cela près que la droite et la gauche sont inversées, et que le Jésus de Gossaert, posé sur une table, regarde vers l’extérieur (peut-être vers un donateur ?) au lieu de regarder sa mère. L’inversion droite gauche dans le tableau de L'école de Pierre Mignard peut signifier que l'auteur s’est inspiré d’une gravure (elles étaient souvent inversées) de la peinture de Mabuse.

Jan Gossaert, Vierge à l'enfant, 1525, panneau de chêne 38,9 x 26,6 cm, collection privée

Quoi qu’il en soit, l’ambiance des deux peintures est très différente : sans doute plus de naturalisme chez Mabuse, mais beaucoup plus de douceur des visages et de paix dans l’œuvre de Masucci. Notons aussi que Mabuse, obéissant à une volonté affirmée à partir du XIVe s. d’exprimer « l’humanation » (Leo Steinberg) du fils de Dieu, montre le sexe du bébé, tandis que Masucci le voile. Ajoutons à ces différences le costume de Marie : on retrouve chez Gossaert une certaine propension nordique à habiller la Vierge d’une robe bleue (accompagnée ou non d’un manteau rouge), tandis que les Italiens et les Français préfèrent une robe rouge et un manteau bleu.
On remarque enfin dans le tableau de L'école de Pierre Mignard la présence du lange blanc qui, malgré l’intimité de sentiment exprimée entre le fils et sa mère, évite à celle-ci de le toucher directement, car dans la liturgie chrétienne, ce qui est sacré ne peut habituellement être porté à mains nues.

Un dernier rapprochement peut être fait entre le mouvement des bras de l’enfant Jésus, dans les deux tableaux, et les gestes de la parousie, que l’on a appelé la « diagonale de la Grâce » : le bras droit du Christ est levé vers le ciel, et le bras gauche baissé vers la terre (ainsi par exemple le Christ en majesté du tympan occidental de l’abbatiale de Ste Foy-de-Conque, qui de la main droite, recueille les grâces venues du Père, et de la gauche, les répand sur les pécheurs qu'il vient sauver).
Christ en majesté, abbatiale de Ste Foy-de-Conques


mercredi, juillet 13, 2011

LES BAIGNEUSES


Les baigneuses, Gilles Chambon, 2011, 100x86cm

Pourquoi peindre encore des baigneuses aujourd’hui ? Tout n’a-t-il pas été dit et exploré sur ce sujet ?
Qu’on songe aux nombreuses et théâtrales « Diane et Actéon » de la Renaissance, aux aguicheuses demoiselles champêtres de Fragonard ou de Boucher, aux orientales lascives d’Ingres dans leurs harems, aux corps dodus magnifiés par Renoir et montrés dans leur vérité nue par Courbet, aux suaves beautés exotiques de Gauguin, aux impressionnantes séries harmoniques de Cézanne, aux étonnantes compositions de Picasso, aux corps nus mécaniques et huilés de Tamara de Lempicka et de Fernand Léger, aux femmes-pictogramme bleues de Matisse, aux corps rêches et plantureux agencés au bord de l’eau par Charles Kvapil, etc., etc….


Il n’y a donc sans doute plus grand chose à inventer en matière de baigneuses.

C’est pourquoi ma toile n’a vraiment rien d’innovant ni d’original ; c’est une peinture de circonstance.
En effet, en ce début des vacances d’été, quoi de plus naturel que de rêver à une source fraîche au milieu des bosquets, et, livrant notre imaginaire fatigué au charme et aux évocations ambivalentes du lieu, le laisser se remémorer les poèmes saphiques de Pierre Louÿs et peupler la scène de belles ondines et d’hamadryades boudeuses.