présentation des peintures synchronistiques

mardi, juin 28, 2011

Saint Jérôme, Marie-Madeleine, vanité et pénitence

Philippe de Champaigne, St Jérôme, collection privée
Guy François, Marie Madeleine pénitente (vers 1620/30), Louvre















Parmi les saints et les figures vénérées par le christianisme, Saint Jérôme et Marie Madeleine occupent une place particulière liée à la vanité et à la pénitence, et leurs représentations picturales montrent une certaine symétrie. Pourtant rien de commun au départ entre les deux personnages, si ce n’est leur retraite au désert.
  •     Marie-Madeleine, qui après son arrivée sur le sol gaulois a fait retraite dans une grotte de la Sainte Baume, est, dans la tradition catholique, une personne mythique qui synthétise les figures de Marie de Magdala, de Marie de Béthanie, et de la pécheresse anonyme qui lave les pieds du christ avec ses larmes (Luc : 7, 36-50) ; l’histoire de Marie l’Égyptienne, ancienne prostituée, contamine également le personnage de Marie Madeleine.
  •    Saint Jérôme est pour sa part un docteur de la foi du IVe siècle, dont la vie est très bien documentée. Il est connu pour avoir jeûné au désert de Chalcis en Syrie, traduit les saintes écritures de l’hébreu et du grec vers le latin (la Vulgate), et fondé avec la patricienne Paula un monastère à Bethléem.
Ce qui les rapproche, donc, est la pénitence et la volonté d’abandonner les plaisirs des sens : Marie Madeleine par amour du Christ et par désir de rachat des péchés de sa jeunesse, et Jérôme par acte de méditation sur les saintes Écritures, et défiance envers les tentations du Malin.

Aussi Saint Jérôme incarne-t-il très tôt dans l’iconographie chrétienne le double idéal de l’ascète mortifié, à demi nu, retiré au désert, et celui de l’érudit mélancolique, dans son cabinet de travail rempli de livres, méditant devant un crâne ou un sablier, sur la vanité des biens terrestres.

Giovanni Bellini, Saint Jérôme lisant, 1505, National Gallery of Art, Washington

Jan van Eyck, Saint Jérôme dans son cabinet, vers 1435, Institute of Arts, Detroit


















Marie Madeleine, quant à elle, à cause de son identité multiple, se retrouve dans plusieurs occurrences iconographiques :
  •    En tant que Marie de Magdala, elle est représentée avec le Christ dans le « Noli me tangere » ;
Le Titien, Noli me tangere, National Gallery, Londres
  •    En tant que fusion de Marie de Magdala (fille d’archiprêtre, donc lettrée) et de Marie de Béthanie (qui a oint le christ de parfum), elle est représentée richement vêtue, lisant un livre et accompagnée d’une fiole de parfum ;
Rogier van der Weyden, Marie Madeleine, 1445, National Gallery, Londres
  •     Enfin en tant que Marie-Madeleine anachorète de la Sainte Baume, synthétisant les trois femmes évoquées plus haut, elle est représentée en pénitente, yeux tournés vers le ciel, avec ses longs cheveux dénoués (allusion à son ancien état de prostituée) pour seul vêtement, accompagnée d’un calvaire (accessoire incontournable de tous les ermites), d’un livre (référence à sa connaissance des saintes écritures) , d’une fiole (évoquant l’onction du christ) d’un crâne (rappelant la vanité des choses terrestres), et d’un morceau de rocher (allusion à la grotte où elle s’est retirée) ; s’y ajoute aussi parfois une corde ou un fouet de flagellation, instrument de pénitence.
Orazio Gentileschi, Marie Madeleine en pénitence, 1615, collection privée
Jacopo Palma le Jeune, Saint Jérôme dans le désert, dit Le St Jérôme de Francesco (vers 1590-95), Collection privée Mark Lawrence
Ce dernier type de représentation de la sainte, ainsi que son symétrique masculin, saint Jérôme représenté dans le désert à demi nu devant un calvaire, accompagné de livres (allusion à son activité de traducteur), d’un crâne (vanité), et d’une pierre (objet avec lequel le pénitent se frappe la poitrine), se généralisent surtout après le concile de Trente, la Contre-réforme insistant sur la nécessaire intercession des saints, ainsi que sur le sacrement de pénitence, que les protestants rejettent.

On voit alors, pour saint Jérôme au désert, les représentations abandonner progressivement tous les éléments anecdotiques (paysage sauvage, présence du lion - animal fétiche du saint, et même parfois abandon du calvaire et des livres) pour se concentrer sur un vieillard à demi nu face à un crâne, emblème évident de la vanité de l’existence terrestre. La même simplification progressive s’opère pour sainte Marie Madeleine, qui devient, pour les catholiques, l’incarnation de la vanité au féminin, donc symétrique de saint Jérôme.
Anonyme, vers 1600, Saint Jérôme dans le désert,
d’après Jacopo Palma le Jeune, collection privée
(le crucifix, le lion, et le livre à terre ont disparu
pour ne garder que l’essentiel de la figure de dévotion;
la symétrie miroir correspond à une gravure de
Hendrick Goltzius)
Le Caravage, Saint Jérôme en méditation, Monastère de Montserrat, Catalogne


Georges de la Tour, Madeleine à la veilleuse, 1630/35, Louvre





















 Ainsi pendant tout le XVIIe siècle, la vanité catholique est incarnée par les deux saints, tandis que la vanité protestante (ou influancée par le protestantisme), qui montrait volontiers à la Renaissance des images de banquiers, de collecteurs d’impôts, de savants, ou d’ambassadeurs… 

Quentin Metsys, Les collecteurs d’impôt (vers 1590),
Kunstmuseum Liechtenstein
Hans Holbein le Jeune, Les Ambassadeurs , 1533, Londres, National Gallery


… Finit par entièrement se dépersonnaliser, se cantonnant dans la simple représentation d’objets, fleurs, et victuailles, emblématiques des plaisirs des cinq sens, et de leur caractère éphémère ; l’incontournable crâne vient même à disparaître, remplacé quelquefois par le symbole plus discret qu’est la chandelle éteinte ou vacillante. De ces « vanités » de dévotion dérive un engouement pour la nature morte, qui devient au XVIIe siècle une spécialité des peintres du nord, et dont le caractère religieux d’origine s’estompe jusqu’à se perdre totalement, laissant place à une célébration épicurienne des menus objets du quotidien, et à une admiration pour la virtuosité du trompe l’œil.


 
Jan Fris, Vanité au casque, à l’Apollon de marbre, et au violon,
vers 1660, collection privée
Gottfried von Wenedig, Nature morte à la bougie,
vers 1630, Hessisches Landesmuseum Darmstadt

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