présentation des peintures synchronistiques

samedi, janvier 30, 2010

TROU DE VER

Vue d'un trou de ver de Schwarzschild, comme il serait vu par un observateur en chute libre sur un trou noir.
Source Wikimedia Commons

Les amateurs de science-fiction savent ce qu’est un trou de ver : il s’agit d’un passage empruntant un raccourci, ouvert dans une autre dimension, pour se rendre quasi instantanément en un point éloigné, dans notre espace-temps classique à quatre dimensions (trois coordonnées spatiales et une temporelle). Remonter le temps, découvrir l’avenir, où explorer les galaxies lointaines devient alors possible, puisque l’horizon spatio-temporel que fixe de façon intangible la vitesse de la lumière dans l’univers quadridimensionnel, est alors contourné dans une cinquième dimension.

Plusieurs théories très sérieuses de physique fondamentale sous-tendent ces étranges concepts ; en gros, elles considèrent que notre univers à 4D est une membrane qui « flotte » dans une (ou plusieurs) autres dimensions. Ces dimensions imperceptibles, voire irreprésentables pour notre entendement, ne sont pas le fruit de la fantaisie imaginative d’esprits scientifiques surchauffés, mais des hypothèses nécessaires pour unifier les équations qui modélisent au plus près les phénomènes quantiques de la physique des particules. À tel point que certains physiciens du CERN pensent pouvoir réaliser et observer d’ici un ou deux ans des micro-trous de ver grâce au LHC (Large Hadron Collider) construit à la frontière franco-suisse.

Bien évidemment, cette existence des trous de ver, qui risque d’être bientôt vérifiée dans le domaine des particules élémentaires, n’est pas prête de l’être pour les objets du monde macroscopique, et a fortiori pour les êtres vivants. Les histoires comme Stargate ne sont pas de l’anticipation, mais du conte moderne, comme l’étaient auparavant les récits de magie, de fées, et de sorcières.

Cependant pourquoi le physicien John Wheeler baptisa-t-il « wormholes » (trous de ver) ces étranges tunnels qui relient un trou noir (dévoreur de matière) et une « fontaine blanche » (singularité où resurgit la matière avalée par le trou noir) ? Peut-être en raison de la très petite dimension de ces connexions quantiques (10-33 cm), et par analogie avec ces monticules de sable qui à marée basse voisinent sur la grève avec des dépressions en cône, et dues toutes deux (mais je n'en suis pas tout à fait sûr) aux galeries creusées dans le sable humide par les vers marins ?

On peut voir aussi dans cette dénomination des entrées sémantiques plus intéressantes :

- Au Moyen-âge, « ver » est en effet le nom donné aux dragons, créatures monstrueuses liés aux quatre éléments et représentant les forces fondamentales et chaotiques de la nature. Le ver-dragon vole dans les airs, garde les trésors, et crache le feu. Le trou de ver, comme il a été dit, a un rapport direct avec les trous noirs, grandes quantités de matière flottant dans l’espace, parfois au centre des galaxies, et dans une concentration telle que rien ne peut s’en échapper et que tout ce qui s’en approche trop est avalé (comme le dragon qui garde le trésor et tue tout ce qui passe à sa portée) ; à l’autre bout du trou de ver, il y a le "trou blanc", le rejaillissement de la matière digérée par le trou noir (comme le dragon qui crache le feu, et en orient, symbolise la force vitale).

- Autre entrée : celle qui relie le trou de ver à la mort.
Après la mort, notre corps se décompose, et les vers creusent volontiers de vilains trous dans nos chairs… Mais plus sérieusement, la mort est considérée par beaucoup de traditions comme un passage, au cours duquel l’âme s’échappe du corps pour changer de support : elle peut, selon les croyances, se réincarner sur terre (métempsychose) ou se libérer de toute enveloppe matérielle pour entrer dans une vie éternelle au paradis.
Or, on remarque une étrange correspondance entre les images informatiques modélisant le trou de ver (voir illustration en exergue) et les représentations courantes de ce tunnel qui aspire l’âme vers une source lumineuse extrême, souvent décrites dans les témoignages après une EMI (expérience de mort imminente), et dont on dit que l’archétype est la peinture de Jérôme Bosch qui montre l’ascension des âmes vers l’Empyrée (Venise, Palazzo Ducale).


mercredi, janvier 13, 2010

L’utopie démocratique

Le bonheur tranquille : Projet d’écoquartier à Dijon, Studiomustard architecture

Nos démocraties occidentales sont aujourd’hui obnubilées par l’écologie, la sécurité, et le progrès social. Elles font le rêve de vivre sur une planète propre et confortable, où chacun pourrait mener une vie paisible et rassurante, ni trop riche ni trop pauvre, sans autre objectif que d’assurer de génération en génération l’éducation des enfants, les soins aux malades, et le bonheur tranquille que procure un emploi du temps dans lequel le travail occupe une place de plus en plus modique. Il s’agit bien sûr là d’une utopie, et personne ne prétend que ce programme sera un jour réalisé. Mais là n’est pas la question.

Ce qui est symptomatique, c’est en quelque sorte le manque d’ampleur, le manque de passion, le manque de grandeur et de beauté dans la substance de ce rêve démocratique. Comme si l’humain n’était advenu dans l’univers que pour mener des jours paisibles au coin du feu !

Qu’on ne se méprenne pas cependant. Je ne rejette nullement l’organisation démocratique des sociétés, pour laquelle au contraire je suis prêt à me battre.
Mais la démocratie, qui naturellement fait remonter les revendications sociales et sécuritaires, ne doit pas dissoudre dans la gestion du bonheur/malheur quotidien de chacun les aspirations plus hautes qui habitent l’homme depuis ses origines. J’appelle donc de mes vœux une utopie plus flamboyante que celles aujourd’hui distillées par la plupart des écologistes et des socio-démocrates.

À mon sens, le bonheur ne peut se concevoir sans un combat qui transcende l’espace et le temps d’une petite vie humaine, et même d’une société :

  • Un combat instinctif pour découvrir et se frotter à l’univers, dont les savants ont sans cesse reculé les bornes depuis l’antiquité ;
  • Un combat pour contempler et capter la beauté sous toutes ses formes, parce qu’elle séduit notre cœur et illumine notre esprit ;
  • Un combat aussi, bien sûr, pour la justice sociale et le confort matériel, que beaucoup considèrent comme un préalable aux deux autres. Mais alors le risque est que, ce combat n’étant jamais gagné, les deux autres passent allègrement à la trappe.

Je suis de la génération des découvreurs de lune, de ceux qui ont suivi en direct les missions Apollo vers notre satellite, et lisent volontiers encore de la science-fiction. Et je crois fermement que, quelles que soient les difficultés rencontrées, quel que soit le délai nécessaire, quel que soit le prix à payer, l’exploration du système solaire, puis de la galaxie, et au-delà de l’espace-temps, reste la grande affaire de l’humanité. Le bourgeonnement de la vie sur une petite planète comme la Terre ne peut se limiter à une simple fantaisie de la nature sans conséquence au-delà de la couche atmosphérique. Il y a là derrière une aspiration universelle plus profonde et fondamentale, révélatrice de sens.

Je crois aussi à l’importance de l’art, c’est-à-dire, à la beauté du geste, à la finalité sans fin, à toutes ces mises en scènes, naturelles ou artificielles, qui font ressembler la réalité au rêve, qui donnent beauté et épaisseur à un environnement où sans cela, on ne verrait qu’une simple machinerie, extrêmement complexe, certes, mais dénuée d’âme.

Le moteur utopique de l’humanité est donc selon moi un moteur à trois temps : celui de l’exploration universelle, celui de l’art et de la beauté, celui de la prospérité et du bonheur social.

De cette brève réflexion, je voudrais tirer une analogie avec le monde de la peinture, et ses enjeux contemporains.

Ainsi je pense que le moteur de la peinture, considérée comme art et utopie de la représentation, doit aussi avoir trois temps, sous la forme de trois objectifs essentiels à la vitalité et à la vérité de l’art pictural :

  • Figurer le monde en repoussant toujours plus loin les limites de la figuration (et du monde figuré).
  • Rechercher toujours la beauté, sous quelque forme qu’elle se présente.
  • Rester à l’écoute des grands contes symboliques, en particulier de ceux qui transcendent les contextes et rapprochent les cultures humaines.
La Métamorphose de Narcisse, Dali, 1937, Tate Modern Gallery, Londres