présentation des peintures synchronistiques
lundi, avril 21, 2008
Jan Fabre au Louvre… Le ver est dans le fruit
Le Louvre a invité le plasticien chorégraphe d’Anvers à présenter un choix de ses oeuvres en regard de la riche collection des tableaux flamands, qui va des primitifs comme Van der Weyden et Van Eyck aux peintres naturalistes des XVIIIe et XIXe siècles, en passant par Rubens, Vermeer, et Rembrandt. Des petits panneaux explicatifs font état du rapport entre le travail de Fabre et les toiles des maîtres anciens, notamment au travers des thèmes religieux liés au sang, au sacrifice, et à la rédemption (on sait à quel point Jan Fabre est fasciné par les substances corporelles et par la catharsis que réaliseraient les violences symboliques et plastiques pratiquées sur le corps ou ses fétiches). Mais peut-on vraiment faire dialoguer le monde de la complexe et savante poésie picturale, avec le simplisme obsessionnel d’objets réalisés en élytres d’insectes, rondelles d’os, ou punaises dorées ? Si l’on en croit la mine réjouie des visiteurs, cela est effectivement possible. Mais en vérité, c’est le côté sensationnel, insolite, très tendance, qui séduit ici les badauds de l’art. Reconnaissons d’ailleurs que le plasticien flamand à un sens aiguë du lieu et de la scénographie : ses œuvres sont toutes bien placées et bien proportionnées par rapports aux espaces muséaux investis, et il retrouve parfois, notamment avec ses pigeons en verre de Venise et leurs fientes posés délicatement sur les grandes corniches de pierre, la verve humoristique des objets surréalistes à la Dali.
Mais passée la curiosité pour ses objets bizarres dont la poésie et le message symbolique restent pour le moins assez frustes, je ne crois pas qu’il y ait un quelconque intérêt iconologique à mettre en vis-à-vis les pseudo-psycho-objets de l’art contemporain, qui ne sont que gadgets, et les tableaux de maîtres, qui sont à eux seuls de petits univers concentrés. C’est comme chercher un écho entre le cri du rémouleur (ou celui du muezzin) et une sonate de Vivaldi.
Les défenseurs de ce type d’exposition argueront que cela est moderne, que ça fait venir du monde, et que ça « dépoussière » la culture trop sérieuse des musées. Mais pourquoi faire entrer des foules de plus en plus nombreuses dans les musées, si elles n’ont rien d’autre à y trouver qu’un événement à la mode dont elles pourront parler à leurs amis ? Parmi les visiteurs qui étaient en même temps que moi au deuxième étage de l’aile Richelieu ce jour là, je n’en ai pas vu plus de deux s’intéresser vraiment aux toiles accrochées aux cimaises… et pourtant… Tant de chefs d’œuvres si extraordinaires sont réunis ici ! Peut-être trop, d’ailleurs. Le Louvre est devenu une caverne d’Ali Baba hypertrophiée et mondialisée ; lorsqu’on réalise toute la richesse artistique ici réunie, cela donne le vertige… Et les gens s’y déplacent en tous sens, picorant ça et là du regard objets et toiles, comme ils le feraient pour des pots de confiture dans les rayons d’un supermarché. La France s’enorgueillit de posséder le plus beau musée du monde, mais cet amas de richesse fait perdre à ses élites même le sens de la valeur unique de chaque œuvre.
Je pense que Jan Fabre, lui, a regardé de près, avec attention et admiration, chacune de ces œuvres. Comme il nous le dit lui-même, il s’y est écrasé le nez.
Peut-être, parmi ses futures œuvres, prendra-t-il alors le temps de créer aussi des mondes en raccourci, et plus uniquement des objets fétiches. Peut-être arrêtera-t-il de ruminer ses obsessions pour oser, de temps à autre, l’art humble et généreux de la peinture; peut-être aura-t-il la force d’aller contre son intérêt médiatique pour redécouvrir le monde comme un enfant attentif aux leçons des vieux maîtres. Peut-être… on peut toujours rêver.
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