présentation des peintures synchronistiques

samedi, octobre 25, 2008

Art et fétichisme

Statuette nkisi, Genève, musée Barbier-Müller


Jeff Koons, Girl with Dolphin and Monkey
The Whitney Museum of American Art
















L’œuvre d’art est depuis toujours, et certainement même bien avant que le concept d’art soit formulé, caractérisée par une puissance expressive qui interpelle le spectateur en agissant sur plusieurs niveaux, plusieurs strates de son psychisme. Cette puissance expressive peut avoir différents types de résonance :

  • Religieuse ou magique ; c’est alors la puissance du fétiche ou de l’idole qui semble accueillir une force surnaturelle pour agir directement sur l’ordre du réel.
  • Sensuelle ou sexuelle ; l’œuvre cristallise dans ce cas certains motifs directement actifs dans le déclanchement du désir charnel, de la libido ; l’art devient fétichiste au sens psychanalytique du terme.
  • Poétique, esthétique ou imaginaire ; la contemplation de l’œuvre, avec ce type de résonance, déclenche une empathie profonde, en deçà des concepts, pouvant déboucher sur une chaîne aléatoire d’évocations provocant l’ouverture spirituelle, le ressenti de l’harmonie, mais aussi de la richesse et de l’altérité du monde. C’est avec cette résonance que naît l’idée de beauté.
  • Affective ou mélancolique ; les évocations liées à l’objet investi de la puissance artistique tournent autour de signes présentant des convergences avec certains éléments forts du passé ou de la vie intime du sujet qui regarde.
  • Symbolique, ludique, ou conceptuelle ; dans cette forme de résonance, l’œuvre se présente comme une sorte de rébus qui engage le spectateur à rechercher un sens caché, un message ; le plaisir vient alors du jeu intellectuel à concaténer les chaînes signifiantes, sans exclure les délicieuses facéties. Tout l’art du XXe siècle a utilisé ce ressort, à bon ou mauvais escient.
  • Morale, sociale, ou idéologique ; dans ce dernier cas, l’œuvre agit comme une bannière, comme un étendard, comme le roulement des tambours qui aide les soldats à marcher au front contre l’ennemi. C’est l’art engagé. Mais dans cette catégorie, on peut aussi ranger l’art de la distinction selon Bourdieu, celui qui marque un territoire, qui affirme une appartenance sociale. J’y placerai également l’art peopolisé, celui qui renvoie à la fascination pour les grandes figures médiatisées, les stars qui font rêver. Combien d’amateurs d’art contemporain sont-ils plus séduits par le renom de l’artiste que par son œuvre en elle-même ?

Donc, avec cette dernière forme de résonance psychique, l’expressivité de l’œuvre est ramenée à son degré zéro, à l’expressivité de la trace : l’objet artistique fascine simplement parce que l’on y reconnaît la marque d’une de nos idoles. Et cette trace agit, ni plus ni moins, comme un manuscrit autographe agit sur un collectionneur. Les deux seules choses qui comptent sont l’authenticité et l’aura du créateur ou de l’événement auquel la pièce de collection est attachée. On en revient donc là au fétichisme : pas au sens sexuel, mais au sens général de déplacement du désir pour un être/entité vers le désir pour une trace de cet être/entité. Et si ce fétichisme a toujours existé chez les critiques et amateurs d’art, de façon plus ou moins assumée, reconnaissons que dans l’art contemporain, ou plutôt dans la façon contemporaine de consommer l’art, il est devenu dominant, reléguant au second plan, ou même éliminant totalement, les autres formes de résonance psychique propres à l’expressivité d’une œuvre.

Du fétichisme sorcier des arts premiers au fétichisme calculé de l’art contemporain, la boucle de l’art serait donc bouclée, son cycle historique terminé. Mais ce serait faire peu de cas de la sensibilité et de l’imagination humaines ; loin des sphères éthérées de la critique officielle, et des excès provocateurs du business de l’AC, d’obscurs créateurs, et parmi eux, peut-être, des créateurs de génie, prolongeant d’anciens sillons ou cherchant de nouvelles voies, continuent de faire vibrer le grand éventail magique de l’expressivité des formes.

samedi, octobre 18, 2008

De la violence dans l’art


"Le massacre des innocents" tableau anonyme XVIIe siècle, atelier de Johann Christophorus Storer (Milan et Constance), ou de son élève Johann Georg Knappich (Augsbourg), ou de Giovanni Battista Merano (Gènes), collection privée
L’homme a toujours eu un rapport très ambivalent à la violence. Les sociétés modernes la condamnent et la répriment, mais en font cependant usage sous des formes indirectes, ou hypocrites. Ainsi, au quotidien, les animaux d’élevage vivant dans de véritables camps de concentration, et abattus en masse et sans remords lorsque se profile la plus minime alerte épizootique. Ou encore notre impuissance coupable, dédouanée par une compassion affectée, devant la misère persistante des plus démunis ou les sordides conditions d’incarcération des prisonniers. Mais aussi, et le siècle passé nous l’a montré, la puissante technologie de mort élaborée par nos industries d’armement, et l’utilisation dévastatrice qui en est faite en cas de conflit entre états.
Les sociétés traditionnelles ou archaïsantes, généralement moins pusillanimes devant l’idée de la violence, la canalisaient cependant. Pratiques initiatiques mutilantes; codes pénaux inflexibles, détaillant les châtiments corporels les plus atroces; rituels sacrés, aussi, dans lesquels la sauvagerie des sacrifices concentrait la violence sur un bouc émissaire désigné, sorte de paratonnerre permettant aux nuées humaines de se délester momentanément de leur charge de haine.
En vérité, la maladie et la mort se profilent toujours à l’horizon de chaque destin individuel, et nous voyons bien que nous ne pouvons échapper à la cruauté du monde.
C’est pourquoi je ne crois pas que la civilisation ait pour vocation d’éradiquer la violence. Son rôle est plutôt, selon moi, de lui donner un sens, de séparer la violence rédemptrice de la violence destructrice. En un mot de la mettre en scène, pour qu’elle structure positivement notre imaginaire collectif.
Avons-nous bien conscience, nous autres chrétiens, que nous sommes capables d’admirer et de montrer à nos petits enfants la représentation du Christ torturé sur la croix, quand nous ne supportons pas qu’ils voient au journal télévisé des scènes de violence ordinaire ? C’est que l’art, justement, a le pouvoir de transcender le réel en lui donnant une dimension mythique universelle. L’histoire sainte relate cataclysmes, crimes, trahisons, tortures, et martyrs ; mais, grâce à l’art qui la représente, qu’il soit peinture, sculpture, musique, ou psaume, cette histoire si violente devient une sorte de conte enchanté. L’horreur disparaît derrière la grâce, l’événement sordide devient légende, aventure, ou manifestation de justice divine, la souffrance se commue en émotion, l’écœurement cède la place au mystère sacré.

Comme le langage, en nommant les choses, permet de s’en détacher et de les maîtriser, l’art, en sublimant le réel qu’il représente, permet d’en apprivoiser les forces maléfiques. Enchanter le monde, ce n’est pas en faire un univers insipide où tout serait beau et gentil, comme le croient trop souvent les écologistes et les pacifistes, mais c’est y reconnaître la poésie, la profonde beauté, et derrière la mort, la part d’éternité.

Le massacre des innocents, sous le pinceau des artistes du XVIIe siècle, devenait ainsi une sorte de danse sacrée, où l’expressivité gracieuse et irréelle des corps déchirés, transformait l'acte sanglant en une sorte de joute rédemptrice, sublimant le terrible deuil naturel qui touchait alors la plupart des parents: rappelons-nous qu'à cette époque, deux enfants sur trois mouraient en bas âge.

Ce post a donné lieu à un article plus poussé, publié dans "the litarco"; voici le lien