présentation des peintures synchronistiques

mardi, mars 20, 2007

La jeune fille endormie avec son chat



Huile sur toile, 65 x 50cm, 2007


La jeune fille endormie avec son chat, au moment où j’écris ces lignes, ne dort probablement pas, et surtout elle est devenue quelqu’un d’autre, une jeune femme. Pendant la vie, notre identité n’est pas constante, le corps, qui constitue la frontière objective de notre moi, est un fil ténu ; il ne parvient pas à réduire l’altérité qui s’installe entre l’être que nous sommes aujourd’hui, et celui ou celle que nous avons été jadis.
Si les photographies offrent un témoignage de tous ces êtres passés qui habitent nos souvenirs, une peinture me paraît être (ou pouvoir être) bien davantage qu’un simple témoignage. Elle est une rencontre entre le témoignage figé de la photo et la mémoire vivante du peintre. C’est une photographie sentimentale (« photographie en couleur peinte à la main », comme disait Dali) non de la scène passée inscrite sur la photographie, mais du souvenir de cette scène. En d’autres termes, l’image peinte est porteuse d’un lien émotionnel détaché du temps, capable de toucher les cœurs à des années, des décennies, ou des siècles de distance.
Mistouf, le petit chat, est aujourd’hui disparu. Mais pour ceux qui ne connaissent, à travers la peinture, que son être-souvenir, il est devenu un chat immortel. Tout le monde connaît la métaphore du chat de Schrödinger, qui est à la fois vivant et mort tant que l’on n’a pas ouvert la boite où il se cache (tant qu’une particule n’a pas été localisée par son observation, elle est à la fois onde et corpuscule). Il en va ainsi des êtres-souvenir : ils sont à la fois vivants et morts, tant qu’ils n’ont pas été immortalisés par une oeuvre attentive à leur réalité profonde.

samedi, mars 10, 2007

DISCORDANCE



Pascal Dusapin va, pour un an, occuper la chair de création artistique au Collège de France. J’ai voulu me remettre en mémoire un ou deux morceaux de sa musique, mais je n’ai pas réussi à les télécharger gratuitement sur le net. Gratuitement, parce que je m’en voudrais de mettre un centime dans une forme d’art que je souhaite combattre.
Aussi brillant soit-il, et il l’est, au dire de ses pairs, Pascal Dusapin m’emmerde (pardon pour le gros mot et pour la petite plaisanterie duchampienne). Je suis aussi hermétique à sa musique qu’à un algorithme informatique, un poème en chinois, ou aux équations de Schrödinger. Mais contrairement à la musique de Dusapin, je comprends tout à fait pourquoi je ne comprends pas ces trois dernières choses. Et je sais que si le besoin s’en faisait sentir, je pourrais, sans doute au prix de longs et coûteux efforts, apprendre la programmation informatique, ou le chinois, où les mathématiques nécessaires à la physique quantique. Mais je peux heureusement utiliser mes logiciels sans connaître la programmation, lire de la littérature chinoise grâce aux traductions, ou philosopher sur les avancées de la physique contemporaine en lisant des ouvrages de vulgarisation, dont certains sont faits par les scientifiques eux-mêmes. Par contre je ne peux utiliser la musique de Dusapin (ou de tout autre compositeur contemporain de religion dodécaphonique) pour mon plaisir ou pour une quelconque émotion esthétique ; en l’entendant, j’éprouve le même désagrément qu’en lisant, tel un analphabète, une page d’écriture dans une langue qui m’est inconnue, même si cette page est en fait le plus beau des poèmes du monde.
Je comprends qu’un compositeur, un musicien qui connaît les arcanes des partitions, puisse voir dans la musique de Dusapin, et ressentir à son écoute, quelque chose de très positif. Mais selon moi, la musique, comme la peinture ou tout autre forme d’art, est un langage à vocation universelle, dont les mots et la grammaire, liés à ce qu’il y a de commun à toute sensibilité humaine, peuvent être compris par n’importe quel individu, quelle que soit sa culture. Les sonates de Bach, le sourire de la Joconde, ou le blues des noirs américains, sont directement appréhendés et appréciés par la grande majorité des hommes, même si la création de certaines de ces œuvres a pu demander à leurs auteurs la connaissance de sciences subtiles inconnues du grand public. Tous les hommes peuvent facilement utiliser un ordinateur sans connaître les principes de la programmation informatique, et c’est heureux.
On comprend alors qu’il y a un réel problème avec la partie la plus élitiste de l’art contemporain, qu’il soit musical ou plastique : il n’est pas destiné au public, mais aux spécialistes ; il est écrit dans un langage incompréhensible à ceux qui n’ont pas consacré de longues années à l’apprendre… et il n’existe ni traduction, ni vulgarisation possible (sur quelle base se ferait-elle ? Même le mathématicien Penrose, qui sait faire de la vulgarisation intelligente, est incapable d’expliquer aux non mathématiciens la beauté d’une équation). Alors je crois que si parfois un plus large public adhère aux exercices absconds de l’art actuel, ce n’est pas par plaisir esthétique partagé, mais plutôt par conviction, par dévotion mystique à un art dont il admire les figures de proue, qui représentent pour lui la marche mystérieuse et savante du progrès. Cette attitude, outre qu’elle dénote un certain masochisme, risque aussi de conduire à la confusion, et à l’admiration pour des œuvres qui ne sont que supercheries (loin de moi l’idée de penser de telles choses de l’œuvre de Dusapin).
J’espère donc qu’un jour prochain, tous ceux qui ne sont pas à même d’apprécier la beauté d’une équation cesseront de lire des livres de mathématique en croyant qu’ils vont subitement avoir une révélation (mais je ne sais pas s’il y en a qui le font), et que tous ceux qui n’ont pas une érudition musicale hors pair, arrêteront d’écouter de la musique de Pascal Dusapin, et de ses pairs. J’espère aussi qu’ils demanderont enfin aux artistes de cesser de s’amuser entre eux, et de s’adresser à nouveau à l’humanité entière, en essayant de se mettre à sa portée, avec patience et générosité. Pourquoi s'efforcer de plaire serait-il plus dégradant, pour un artiste, que de vouloir choquer?