présentation des peintures synchronistiques

mercredi, août 30, 2023

Une grue s’est perdue

Gilles Chambon, Une grue s'est perdue, huile sur toile 65 x 46cm, 2023

Au Japon les grues sont associées à la longévité… Celle de ce tableau est empruntée à une peinture d’Hokousaï représentant Fukurokuju, l’un des sept dieux du bonheur, accompagné de l’échassier symbolique. 

Mais la grue s’est ici perdue synchronistiquement dans une composition abstraite que le peintre Youla Chapoval (1919-1951) fit à trente ans, deux ans avant sa mort précoce… Alors s’il n’y eut point de longévité pour Y. Chapoval, la grue signale néanmoins la pérennité et le bonheur associés à son œuvre magistrale (plus de 800 tableaux), que je suis heureux de contribuer à faire connaître.

lundi, juillet 31, 2023

Bellérophon et Chimère, ou l’utopie contre le pragmatisme

 

Gilles Chambon, Bellérophon et Chimère, ou l'utopie contre le pragmatisme, huile sur toile 60 x 73 cm, 2023

La mythologie grecque a fait rêver les artistes occidentaux depuis la Renaissance. Son pouvoir onirique et symbolique inépuisable agit encore aujourd’hui, comme le démontre ce tableau : Bellérophon monté sur Pégase, s’apprête à tuer Chimère, monstre à queue de serpent et à tête de lion doublée d’une chèvre. J’ai vu dans cette légende l’allégorie de l’utopie qui, montée sur le cheval ailé de la théorie, s’attaque aux petits arrangements de la politique pragmatique, qui font coexister dans la même cité le bien et le mal, l’utile et l’inutile, le beau et le laid, le fort et le faible… en un mot : tout et son contraire. Si le monde dans un premier temps se réjouit de la victoire du cavalier volant, qui fait table rase de la ville hybride pour construire un monde abstrait idéal, la suite de la légende nous apprend que Bellérophon, voulant rejoindre l’Olympe, est désarçonné par Zeus et précipité dans un désert où il termine lamentablement ses jours, estropié par sa chute. On peut y voir le destin de toutes les utopies qui ont oublié la complexité et les contradictions du monde réel, et finissent le plus souvent leur histoire par une catastrophe humanitaire.

 

Comme la plupart de mes compositions depuis une dizaine d’années, cette toile synchronistique s’appuie sur la réinterprétation d’œuvres existantes :

- une esquisse de Rubens pour "Bellérophon terrassant la Chimère" (de 1635, musée Bonnat-Helleu Bayonne),

- une ville lointaine d’un peintre vénitien de l’entourage de Giovanni Bellini (collection privée)

- une composition abstraite d’August Macke (de 1914, Albertina museum, Vienne).

jeudi, juillet 20, 2023

La tentation des pommes

 

Gilles Chambon, La tentation des pommes, huile sur toile 48 x 76 cm, 2023

         La pomme a révolutionné quatre fois l’imaginaire du monde occidental :

          

-       Une première fois en étant à l’origine du bannissement d’Adam et Eve du paradis terrestre ;

-       Une deuxième fois en déclenchant la guerre de Troie (après que Pâris eût offert à Aphrodite la pomme convoitée aussi par Héra et Athéna) ;

-       Une troisième lorsque Newton eut l’intuition des lois de la gravitation en rapprochant le mouvement de la lune et celui d’une pomme qui tombe de l’arbre.

-       Et enfin une quatrième fois avec Cézanne, dont les pommes révolutionnèrent la peinture moderne : « Avec une pomme, je veux étonner Paris » avait-il dit.

 

Le mythe de la pomme est ici transcrit de façon à montrer que, depuis le paradis terrestre, ce fruit, à la fois banal et particulier, dont les formes rebondies évoquent aussi celles des seins féminins remontés par le corset, a pu évaporer la raison des hommes…

 

Donc Adam et Eve toujours synchronistiquement recommencés autour d'une histoire de pommes... avec le concours gracieux d'Antonello de Messine, de Kurt Schwitters, de Carlo Carrà, et de Pierre-Auguste Renoir ! (... et un soupçon de Michel-Ange pour le bout de la queue du serpent)…

dimanche, juin 25, 2023

Le Ciel et la Terre

Gilles Chambon, Le Ciel et la Terre, huile sur toile 50 x 65 cm, 2023

 

Le monde vivant est instable…

Entre le ciel et la terre, entre l’ennui et la passion,

Entre la liberté et la prison.

Chacun trace sa route à travers tous les obstacles,

Comme une rivière qui fait son lit entre les montagnes et les plaines

Pour atteindre l’océan à l’horizon.

Nos pieds sont sur un sol friable,

Mais notre regard se tourne vers le ciel lointain

Où s’accomplira un jour notre destin.

 

Cette composition synchronistique reprend des éléments issus d’illustrations que j’avais fait en 1999 pour les signes zodiacaux. Et le ciel s’inspire d’un collage sans titre de 1961 de Karel Malich (1924 - 2019).


mardi, juin 06, 2023

Chère liberté


Gilles Chambon, Chère liberté, huile sur toile 100 x 150 cm, 20232
 

La liberté est un concept beaucoup plus complexe et ambivalent qu’on ne le croit généralement… C’est, comme nous le rappelle le sixième couplet de la Marseillaise, un combat permanent, contre toutes les formes d’asservissement et de tyrannie ; on la chérit, mais elle peut être chèrement payée.

Et puis elle n’est jamais totale. Nous avons besoin aussi de nous créer nous-même des règles et des servitudes, sans lesquelles la vie collective (et même la vie individuelle) serait impossible.

Dali, qui aimait les métaphores alimentaires, disait à ce propos qu’il détestait les épinards parce qu’« ils sont informes, comme la liberté ».

Et en effet la liberté totale peut être synonyme de conduite erratique et d’égarement. Toute forme structurée est toujours contrainte, et sa beauté lui vient sans doute du jeu subtil entre rigidité et souplesse, uniformité et diversité, ordre et liberté.

Pour citer encore Salvador Dali, il affirmait : « Pas de chef-d'œuvre dans la paresse ! ». Et donc la liberté d’une œuvre, comme la liberté chérie conquise contre l’oppression, quelle que légère qu’elle puisse paraitre, témoigne toujours d’un long effort, qui mêle combat, respect, et amour.

 

Ainsi mon tableau, synchronistiquement composé, est libre et contraint, il glorifie la liberté, et met en garde contre elle :

 

-       D’abord il fait un clin d’œil à l’abolition de l’esclavage (les deux femmes de gauche sont reprises du détail d’un tableau de François-Auguste Biard "L'Abolition de l'esclavage dans les colonies françaises en 1848") ;

 

-       Le personnage central, provenant d’une « Etude de nègre d’après le modèle de Joseph » de Chassériau (1838, faite pour Ingres qui voulait l’utiliser pour la personnification du Démon dans une « Tentation du Christ »), représente toute l’ambivalence de la liberté : liberté de la nudité, mais aussi violence de l’état sauvage, non civilisé, cliché que j’ai tempéré en lui mettant dans la main gauche le bouquet de fleurs de Banksy…

 

-       L’ange en haut à droite, qui est interprété d’un détail d’un St Jérôme d’Alonso Cano (1601-1667), est là soit pour sonner l’espoir de la liberté, soit pour en annoncer les dangers ;

 

-       Quant au fond, il provient de la réécriture d’un fragment du tableau « D’une étrange cité », du Danois Mogens Balle (1921-1988), architecte à l’origine, et qui comme moi s’est tourné vers la peinture pour se libérer de contraintes constructives… Tout en utilisant son savoir constructif dans ses toiles abstraites!



mardi, mai 09, 2023

La joueuse d'échecs

 

Gilles Chambon, La joueuse d'échecs, huile sur toile 60 x 81 cm, 2023

Dans chaque partie d’échecs, la disposition des pièces, à un moment donné, ouvre à l’un des joueurs le chemin de  la victoire. 

 

Pour la peinture synchronistique, les pièces sont les fragments de tableaux empruntés à l’histoire de la peinture, et le joueur que je suis cherche la disposition optimale pour remporter la partie esthétique qui se joue dans chaque toile. Sans s’interdire grand roque et petit roque, par inversion symétrique ou renversement des pièces picturales mises en œuvre.

 

Ici la joueuse d’échecs (comme un double érotique imaginaire) vient d’une superbe peinture du peintre américain Léon Kroll (1884-1974, nu allongé dans un intérieur, 1929), aux prises avec une nature morte inspirée du peintre suisse Eugen Früh (1914-1975, nature morte 1960-61), et avec un fragment détourné de la Nature morte verte de Picasso (1914, Moma, New York).

vendredi, avril 28, 2023

Les oiseaux d’Hatchepsout

 

Gilles Chambon, Les oiseaux d'Hatchepsout, huile sur toile 46 x61 cm, 2023

Dans ce tableau, j’ai ressuscité synchronistiquement deux oiseaux morts de l’Égypte ancienne, qui viennent d’une peinture murale du temple funéraire d’Hatchepsout à Deir Al-Bahari près de Louxor, représentant un ensemble de victuailles offertes au dieu Amon.

 


L’histoire de la reine Hatchepsout (c. 1500 av J-C — c. 1457 av J-C) est édifiante et entre en résonnance avec certaines problématiques contemporaines : bien qu’elle fût une remarquable souveraine, et que l’Égypte sous son règne fût au maximum de sa prospérité, son beau-fils, Thoutmôsis III, prit la décision de la « canceliser », pour qu’une femme ne puisse devenir un modèle de pouvoir. Il fit donc disparaître toutes ses statues, la raya des tablettes, et s’appropria même son temple funéraire, si bien qu’on ne redécouvrit son existence qu’après Champollion. Son souvenir fut donc peu à peu ressuscité, grâce à l’égyptologie moderne.

 

De la même façon les deux canards morts de l’offrande à Amon ont retrouvé la vie au contact d’une peinture moderne abstraite, « Composition 1981 » de Hans Hermann Steffens (1911-2004), elle-même synchronistiquement transfigurée pour devenir une sorte de paysage.

 


 


lundi, avril 10, 2023

Sérénade

 

Gilles Chambon, Sérénade, huile sur toile 73 x 100 cm, 2023

Merci à Picasso pour m’avoir prêté l’arlequin (1914, collection privée) qui, tel une apparition, donne une sérénade à deux jeunes femmes accaparées par leurs rêveries. L’une d’elle est ma fille cadette, l’autre est une évocation de la reine Isabeau, due aussi au peintre catalan (1908, musée Pouchkine, St Petersbourg).

 

C’est une sérénade pour inciter à cueillir les bonheurs de la vie dans toutes ses facettes, à l’image du costume d’Arlequin, et dans tout son vrombissement informel comme l’exprime le décor noiseux interprété d’une peinture de Mark Rothko de 1946, « aquatic drama » qui évoquait d’étranges fœtus jumeaux dans un utérus symbolisant l’élément marin où foisonnent toutes les premières formes de la vie.

La synchronicité joue donc ici bien son rôle, en donnant une sérénade picturale, hommage à tous les souvenirs et toutes les joies qui émaillent notre existence.

jeudi, mars 30, 2023

Une peinture sentimentale

 

Christine, Maïa, et Olivier à Irak Al Amir (Jordanie), huile sur toile 38 x 46 cm, 2023

La peinture synchronistique, qui m'accapare depuis neuf ans, ne doit pas me faire oublier que peindre est aussi une façon de fixer sur la toile les sentiments chaleureux et affectueux qui naissent des images de nos proches, surtout lorsqu’ils sont éloignés !

dimanche, mars 19, 2023

Titanomachie

 

Gilles Chambon, Titanomachie, huile sur toile 84 x 125 cm, 2023

La théogonie d’Hésiode nous raconte le combat des Titans, menés par Cronos, contre ses enfants Hestia, Déméter, Héra, Hadès, et Poséidon, commandés par Zeus, le dernier né d’entre eux — il les a délivrés des entrailles de leur père dévoreur — et appuyés par quelques autres divinités alliées (dont les cyclopes). Zeus vainqueur expédiera ses adversaires dans le Tartare.

 

On peut voir à travers ce mythe un symbole des gigantesques et violentes rencontres d’énergies qui marquent l’évolution cosmique et qui ont conduit à son organisation actuelle, propice à l’apparition de la vie…

 

Dans cette représentation picturale synchronistique, j'ai allié des personnages interprétés d’un dessin attribué à Francesco Allegrini (1587-1663) avec la rencontre intempestive et violente des fragments de trois compositions abstraites :

 

"Composición" de Joan-Josep Tharrats (1918-2001)
"Cuadro 57" de Manolo Millares (1926-1972)
"New York, blue" de Emil Sorge (né en 1957)

mardi, mars 07, 2023

Venise paramnésique

 

Gilles Chambon, Venise paramnésique, huile sur toile 46 x 65 cm, 2023

Venise, pour beaucoup d’entre nous, est à la fois un souvenir et une rêverie. C’est un lieu qui stimule toutes les évocations, dans lequel se mélangent toujours le rêve et la réalité.

 

Déjà au XVIIIe siècle Canaletto, en plus de ses célèbres « vedute » d’une précision photographique, peignait aussi des « caprices » de sa ville, c’est-à-dire des représentations où il mêlait le vrai et le faux, l’architecture réalisée et l’architecture fantasmée.

 

La paramnésie est un trouble psychologique qui intrique le réel et l’imaginaire dans la mémoire. Ma Venise paramnésique est aussi une Venise synchronistique, dans laquelle se croisent des fragments inspirés de pastels et de gouaches de Dimitri Bouchène (1893-1993) et la réminiscence d'une composition lumineuse de Christine Boumeester (1904-1971).

dimanche, février 26, 2023

Mes petites filles

Gilles Chambon, Mes petites filles, huile sur toile 60 x 63 cm, 2023

 

Elles sont à un âge où l’on change très vite… D’où peut-être le désir de fixer ce moment éphémère sur une toile qui, pour elles, rappellera plus tard le temps révolu de la préadolescence.

 

Je les aime et fais le vœu que la vie leur apporte espoir, bonheur, harmonie et paix, comme le signifient la colombe de Georges Braque (1882-1963) et l’abstraction bleue de Roger Potier (1933-2014), que j’ai utilisées à ma façon dans cette peinture synchronistique.

mercredi, février 01, 2023

Ganymède

 

Gilles Chambon, Ganymède, huile sur toile 81 x 65 cm, 2023

Ganymède était le plus beau des mortels, et Zeus se métamorphosa en aigle pour le transporter avec lui dans l’Olympe (et au septième ciel), où il devînt échanson, suscitant la jalousie d’Héra… Certains disent que Zeus le fixa alors définitivement dans le ciel à ses côtés, en l’identifiant à la constellation du Verseau, qui se trouve toute proche de la constellation de l’Aigle.

 

Dans ce tableau synchronistique, j’ai repris un Ganymède issu d’une peinture d’Eustache Le Sueur (1616-1655), et je l’ai accordé à une composition de Jean-Joseph Crotti (1878-1958), intitulée « La rosée du matin ».

mercredi, janvier 25, 2023

Sous l'océan

 

Gilles Chambon, "Sous l'océan", huile sur toile 45 x65 cm, 2023

L’imaginaire a depuis longtemps fait du monde sous-marin un monde mystérieux, en miroir du nôtre, mais miroir déformant, dans lequel les créatures sont insolites, se mélangeant entre elles pour engendrer des êtres étranges, comme les sirènes à corps de femme et à queue de poisson.

 

J’ai ici évoqué synchronistiquement ce monde, en associant un paysage inversé de Rodolphe-Théophile Bosshard (1889-1960) avec deux sirènes issues d’illustrations (Chroniques de Hainaut, XVe s., et gravure anglaise de 1758), deux poissons empruntés à Picasso, et une langouste accompagnée de coquillages, inspirés d’une nature morte de Roger Bissière (1886-1964).

jeudi, janvier 12, 2023

Séduction

 

Gilles Chambon, Séduction, huile sur toile 63 x 50 cm, 2023

La féminité et ses attributs, la douceur, la souplesse, la beauté, et le mystère, ont depuis l’aube des temps séduits les cœurs masculins. Parfois jusqu’à l’obsession, comme chez Egon Schiele dont toute l’œuvre tourne autour de l’érotisme des corps.

 

Dans cette peinture synchronistique, j’ai pris deux filles issues des dessins d’Egon, représentatives de son expressivité érotique, et je les ai rapprochées d’une toile de Pierre Lesieur (composition aux poissons, 1961) rendue abstraite, et où j’insiste sur les dentelles de formes et de couleurs, qui rappellent pour moi le raffinement féminin.

samedi, janvier 07, 2023

Par une nuit de pleine lune

Gilles Chambon, Par une nuit de pleine lune, huiles sur toile 46 x 61 cm, 2023

Les nuits de pleine lune sont magiques… Les araignées tissent leur toile, et les couples somnolent en rêvant dans leur lit, ne sachant si la pâle clarté qui les réveille annonce l’aube ou vient encore de l’astre nocturne. 

Ici, mon imagination troublée a rapproché synchronistiquement l’araignée d’Odilon Redon d’un tableau abstrait (1948) de Youla Chapoval, et de personnages inventés à partir d’une composition (1959) de Sergio Dangelo.

lundi, décembre 19, 2022

L'attente

 

Gilles Chambon, « L’attente », huile sur toile 54 x 73 cm, 2022

Une attente dans l’ombre immobile, une plaine vide, un train à l’horizon, une tour où conduisent des chemins de peinture incertains…  Tout cela pour exprimer l’angoisse et l’espoir existentiels inhérents à la condition humaine.

 

Vision synchronistique inspirée de Chirico, de Picasso, et de Livio Marzot (peintre italien minimaliste né en 1934).

lundi, décembre 12, 2022

Atlas et le poids du monde

 

Gilles Chambon, " Atlas et le poids du monde", huile sur toile 46 x 65 cm, 2022

La mythologie est cruelle : il y a toujours les vainqueurs et les vaincus. Dans le combat des Titans contre les Dieux olympiens conduits par Zeus, la défaite des Titans les condamne à diverses peines éternelles. Pour Atlas, il est exilé à l’ouest du monde, et doit jusqu’à la fin des temps soutenir sur ses épaules la lourde sphère céleste. Άτλας, en grec, signifie d’ailleurs le « porteur ». Cette tâche est rude, Atlas se fatigue et voudrait se libérer de ce poids, qu’il cherche, par une vaine ruse, à confier à Héraclès.

 

Atlas portant le monde en fardeau est donc depuis longtemps dans nos imaginaires occidentaux. En architecture, ce sont des Atlantes (terme qui dérive d’Atlas), qui dans l’Antiquité et surtout depuis la Renaissance soutiennent les corniches ou les grands balcons de pierre. L’Atlante se dédouble souvent de part et d’autre d’une porte monumentale, ou comme l’Atlas de la Pointe de la Douane à Venise, dédoublé dans la grande sculpture en bronze de Giuseppe Benoni, ces deux Atlas jumeaux portant un monde dominé par la girouette de la Fortune. 

 

 

Que signifie alors la métaphore de la fatigue d’Atlas ? Sans doute que les forces primordiales sur lesquelles se sont bâties l’évolution et la complexification du monde finissent par s’éroder peu à peu. Et le poids du monde transformé par l’humanité commence à faire chanceler les piliers de la Nature ; le jardin aux pommes d’or des Hespérides, filles d’Atlas, commence lui aussi à mourir.

 

Pour cette composition synchronistique, j’ai rapproché et réinterprété un dessin d’Atlas de Baldassare Peruzzi (1481-1537), Metropolitan Museum of Art, et une aquarelle de Christine Boumeester (1904-1971).


 

mercredi, novembre 16, 2022

Les cavaliers gardiens du seuil

 

Gilles Chambon, Les gardiens du seuil, huile sur toile 50 x 60 cm, 2022

Sept cavaliers, empruntés au portement de croix de Brueghel l’Ancien, protègent ici un décor instable, dominé par un improbable château, et dans lequel se mélangent lumières, ombres, formes et couleurs… On et au seuil des métamorphoses, lorsque les programmes génétiques ou les dieux brisent la continuité attendue des évènements et des êtres.

 

Pour recréer cet aspect fluent et kaléidoscopique de la réalité, j’ai fragmenté et rapproché synchronistiquement une composition de 1952 de Francisco Bores (1898-1972), et un tableau de Jean Crotti (1878-1958) de 1924.

lundi, novembre 07, 2022

Embarquement pour l’île de l’Amour.

Gilles Chambon, "Arrivée à Cythère, avant la fête" huile sur toile  65 x 92 cm, 2022

La topographie imaginaire, symbolisant la succession des péripéties liées aux aventures sentimentales, est née en 1650 avec Tristan Lhermite et sa « Carte du royaume d'Amour »:

 

« le Royaume d’amour en l’Isle de Cythère », carte décrite par le Sieur Tristan lhermitte, 1650

Il sera suivi en 1654 par « Clélie, histoire romaine » de Madeleine de Scudéry. On y trouve la célèbre « Carte du Tendre »:

 


Quelques années après, sur le même thème, paraît en 1663 « Le Voyage de l’Isle d’Amour, ou la clef des cœurs » de Paul Tallemant, qui sera réédité en 1712:

 

Illustration en frontispice de l'édition de 1712 du "Voyage de l'Isle d'Amour..." de Paul Tallemant

En cette année 1712, Antoine Watteau, agréé par l’Académie Royale de Peinture, démarre son « Pèlerinage à l’île de Cythère », qu’il terminera cinq ans plus tard, et qui lui permettra de devenir membre à part entière de l’Académie le 28 août 1717, sous le genre « Fêtes galantes » créé pour lui à cette occasion.

 

Antoine Watteau, Pèlerinage à l'île de Cythère, huile sur toile 129 x 194, 1712-1717, musée du Louvre

En 1709, Watteau avait déjà fait un petit tableau sur ce thème (musée Städel, Francfort-sur-le Main). 

 

Antoine Watteau, L'embarquement pour Cythère, 1709, huile sur toile 44,3 x 54,4 cm, musée Städel, Francfort

On a dit que Watteau avait eu l’idée de traiter ce sujet par analogie avec une comédie très à la mode dans la première décennie du XVIIIe siècle, Les Trois Cousines, de Dancourt, écrite en 1702, qui se termine par la chanson suivante : « Venez à l’île de Cythère / En pèlerinage avec nous / Jeune fille n’en revient guère / Ou sans amant ou sans époux ». 

Cythère, île grecque près de laquelle Aphrodite était née de l’écume des vagues, était devenue l’emblème de l’île d’Amour des géographies sentimentales.

Mais en reliant la géographie sentimentale littéraire à un contexte mythologique (Cythère, avec sur la toile la statue de Vénus et de petits cupidons ailés), Watteau voulait certainement aussi donner des lettres de noblesse aux sujets galants qu’il aimait traiter, en les incorporant au genre de la peinture d’histoire (qui comprenait les sujets mythologiques), genre le plus élevé dans la hiérarchie des thématiques picturales. Visiblement il n’y réussit pas puisqu’on créa le genre « fêtes galantes », et que le titre de son tableau fut biffé par l’Académie pour être renommé « Une feste galante ».

D’ailleurs le thème de l’embarquement où du pèlerinage à Cythère, s’il a été repris dans une autre composition par Watteau (Schloss Charlottenburg, Berlin), et si ces tableaux sont devenus universellement célèbres et loués, est cependant un thème qui n’a pas attiré beaucoup de peintres. 

 

Antoine Watteau, L'embarquement pour Cythère, ca 1719, huile sur toile 120 x190 cm, Schloss Charlottenburg, Berlin

 

Avant Watteau, il n’y a guère qu’un tableau d’Eustache Le Sueur, illustrant « le Songe de Poliphile » de Francesco Colonna, qui montre Poliphile amoureux transit de Polia, entourée de nymphes sur l’île de Cythère. 

 

Eustache Le Sueur, Poliphile et Polia parmi les nymphes sur l'île de Cythère, huile sur toile 94 x 98 cm
Le roman de Francesco Colonna peut se lire comme parcours d’une initiation du héros à des “mystères d’Amour” (libre reconstitution du cérémonial éleusinien), initiation qui s’achève par le dévoilement de Vénus (conçue comme idée platonicienne) dans les jardins de Cythère.

Au XVIIIe siècle, le thème de l’embarquement pour Cythère peut être rapproché de ce que l’on appelait « la barque de plaisir » (un tableau de Pater porte ce titre):

 

Jean-Baptiste Pater (1695-1736), La barque de Plaisir, huile sur toile 74,6 x 93,7 cm

Cette dénomination fait référence à une pratique courante : à Paris, les promeneurs s’embarquaient en foule sur des bachots publics pour aller jusqu’au parc de Saint-Cloud, lieu de rendez-vous réputé. C'est ce voyage de Paris à Saint-Cloud, que Watteau allégorise comme un voyage à Cythère. Il est prétexte à mettre ses sens en fête. La barque classique reste le véhicule des débordements sensuels par l’embarquement... De même le président de Brosses, lors de son séjour à Venise dans les années 1739-1740, rapproche la gondole de la barque de plaisir en déclarant qu’il n’y a pas de meilleur « carrosse » et qu’il ne faut pas « songer à deviner qui peut être dans une gondole fermée. On est là comme dans sa chambre, à lire, écrire, converser, caresser sa maîtresse, manger, boire, etc. »

Parmi les artistes du XVIIIe s. qui ont traité le thème des amoureux à Cythère, citons Pierre-Antoine Quillard (il avait travaillé dans l’entourage de Watteau), Petrus Johannes van Reysschoot, peintre gantois,  une gravure de Jérôme-François Chantereau et une de Bernard Picart, une tapisserie de Beauvais sur un dessin de Jacques Duplessis, très mythologique (Beauvais ca. 1725, laine et soie, 420 x 483 cm), et enfin quelques anonymes livrant des compositions peu originales.

 

Pierre-Antoine Quillard (c. 1700-1733), L'arrivée à Cythère, huile sur toile 57 x 69 cm, Budapest Museum of Fine Arts

Petrus Johannes van Reysschoot (1702-1772), L'embarquement pour l'île de Cythère, huile sur toile, c. 1720, huile sur toile 138 x 153 cm, Lawrence Steigrad Fine Arts, New York City

À gauche, Jérôme-François Chantereau, l'île de Cythère, gravure 17.4 × 24.4 cm - à droite, Claude Duflos, L’Isle de Cithère, gravure
d'après un dessin de Bernard Picart, c.1708, BNF

Tapisserie de Beauvais, L'arrivée des amoureux sur l'île de Cythère, sur un dessin de Jacques Duplessis ca. 1725, laine et soie, 420 x 483 cm

Ecole française du XVIIIe siècle, L'embarquement pour Cythère, huile sur toile

Entourage de Jean-Baptiste Leprince (1734-1781), Couple galant prêt à s'embarquer pouir Cythère, huile sur toile 47 x 58,4 cm

Au XIXe siècle, le sujet de la barque vers Cythère est repris très ponctuellement par quelques romantiques, parmi les peintres de second plan ; je citerai « L’île de Cythère », d’Ernest-Augustin Gendron (musée d'art et d'histoire de Saint-Brieuc, 1848), et « Eros transportant les amoureux vers Cythère », du peintre allemand Wilhelm Kray.

 

Ernest Augustin Gendron, L’Île de Cythère, 1848, huile sur toile 87 x 145 cm, musée d'Art et d'Histoire de Saint-Brieuc

Wilhelm Kray,  Eros transportant les amoureux vers  Cythère, huile sur toile  45 x 109,3cm

Le thème sera repris autour de 1900, avec un style « art nouveau » :

Ainsi Maurice Chabas, « Le retour à Cythère », c. 1896, Paul Gervais, avec « Amour source heureuse de vie – Cythère », grande toile décorant l’ancienne salle de mariage du Capitole de Toulouse, et une petite toile d’Emile-Louis Foubert, « Le concert à Cythère ».

 

Maurice Chabas (1862-1947), Le retour à Cythère, vers 1896, Huile sur toile 65,50 x 120,50 cm

Paul Gervais, Amour source heureuse de vie – Cythère, toile décorant l’ancienne salle de mariage du Capitole de Toulouse

Emile Louis Foubert (1848-1911),  Le concert à Cythère, 1899, huile sur toile 38 x 46 cm

Au XXe siècle, très peu d’occurrences de ce sujet : citons toutefois « Un embarquement pour Cythère » 1981, du peintre de figuration narrative Charles Lapicque, et le « Retour de Cythère » (1985-86), du néoromantique anglais George Warner Allen. 

 

Charles Lapicque (1898-1988), Embarquement pour Cythère, 1981, huile sur toile 79 x 106 cm


George Warner Allen (1916–1988), Le retour de Cythère, 1985-86, huile sur toile 116,5 x 127 cm, collection Tate, U K

Gageons que le XXIe siècle ne verra pas non plus beaucoup de toiles sur ce thème. J’y aurai pourtant apporté ma contribution synchronistique, avec le tableau en tête d’article, intitulé « Arrivée à Cythère, avant la fête ». J'y ai réinterprété des jeunes femmes issues d'un pastel de Fantin-Latour, inscrites dans une scène semi-abstraite imaginée à partir d'un tableau basculé de Gianni Dova (1925-1991), intitulé "Personnage vert" (1961).