présentation des peintures synchronistiques

lundi, mai 23, 2022

Loin

 

Gilles Chambon, Loin, huile sur toile 50 x 70 cm, 2022

Palabre imaginaire dans un paysage imaginaire, loin, très loin des grisailles de nos vies, et de nos villes, là où les montagnes chantent encore malgré l’orage menaçant…

 

Dans cette toile synchronistique j'ai pris un morceau de ciel à Joseph Inguimberty, né en 1896, j'ai converti en montagne une composition abstraite de Alex Smadja, né en 1897, et j'ai introduit des personnages d’André Maire, né en 1898… Ils ne s'étaient sans doute jamais rencontrés auparavant.

samedi, mai 21, 2022

Dérapages (billet d'humeur)

 


Les écologistes se veulent défenseurs de la diversité et donc des minorités : d’où l’écriture inclusive revendiquée, le burkini dans les piscines accepté, la stigmatisation du capitalisme et du colonialisme occidental revendiquée comme un incontournable de l’enseignement, etc…

 

Alors, les écologistes ne seraient-ils pas les « idiots utiles » de l’hydre communautariste aux cent visages identitaires, qui de plus en plus gangrène les démocraties ?

 

Le regard éloigné, dont Claude Lévi-Strauss a fait le titre d’un de ses livres, manque cruellement aux intellectuels engagés, et particulièrement aux jeunes d’aujourd’hui dont la grille d’intervention sur le réel se résume à deux colonnes : lutte contre le réchauffement climatique et lutte contre les inégalités/injustices. Il ne s’agit pas de nier l’importance de préserver l’équilibre métastable de l’écosystème global de la terre, ni celle de garantir à chaque individu les mêmes droits et les mêmes moyens d’accès aux services qu’est en mesure d’offrir à ses citoyens chaque société humaine.

Mais les jeunes intellectuels confondent bien souvent combat contre les nuisances climatiques avec combat contre les modes de vie, et combats contre les inégalités/injustices avec combat contre les hiérarchies et les différences… Et cela les porte à un relativisme où toute façon de comprendre et de vivre le monde se vaut, les seuls critères de jugement étant de nature morale, comme la position sur l’axe dominants/dominés, et sur l’axe riches/pauvres. Relativisme et moralité simplistes qui les aveuglent et ne leur permettent plus de comprendre les grandes problématiques auxquelles est confrontée l’espèce humaine.

 

Le déséquilibre qui fait craindre dans un avenir assez proche une détérioration de l’environnement biologique global est essentiellement dû à la prolifération de l’espèce humaine à la surface du globe. Elle est logique dans la mesure où toutes les communautés humaines géographiques, organisées en états, cherchent à se développer et ont bénéficié des acquis médicaux du siècle dernier, en particulier les antibiotiques et les vaccins, qui limitent la mortalité infantile, celle-ci étant jadis un sérieux régulateur s’opposant à la prolifération.

 

Il suffit de regarder ce graphique pour comprendre d’où vient le déséquilibre, qui non seulement réchauffe le climat, mais détruit la biodiversité, et réduit les zones à l’abri des actions humaines néfastes : 

 


Le meilleur équilibre était probablement celui de 1950, avec une population de moins de trois milliards d’individus.

Alors il reste une seule alternative : soit nous arrivons à réduire pacifiquement et progressivement notre nombre global, en préservant/reconstituant les écosystèmes et la biodiversité, soit le stress et la conflictualité que génèrent le surnombre conduiront à des déflagrations guerrières catastrophiques en termes d’écosystèmes. Dans les deux cas la population mondiale réduira, mais dans la seconde hypothèse, l’humanité et son évolution se trouveront beaucoup retardées, voire appelées à disparaître, et la biodiversité mettra plusieurs millénaires à retrouver sa richesse.

 

Les seuls combats qui vaillent aujourd’hui sont donc ceux qui s’attaquent à la prolifération humaine, et à la conflictualité. Le problème est que l’idéologie et la morale humaniste n’ont pas forcément facilité les choses depuis un siècle à l’échelle mondiale : créer une multitude d’états pour donner à chaque peuple le droit à l’indépendance a été le meilleur moyen pour générer de la prolifération démographique et de la conflictualité entre communautés. Aussi choquant que cela puisse paraître, l’impérialisme et le colonialisme se sont avéré historiquement meilleurs régulateurs de la démographie et de l’environnement que les états modernes. En grande partie parce que ceux-ci regardent toujours le monde par le petit bout de leur lorgnette, et ont du mal à s’organiser spontanément pour réfléchir ensemble, l’Europe étant à ce propos un cas d’école.

 

Nous sommes véritablement sur un chemin de funambule, car il est nécessaire de limiter les appétits et prétentions de chaque peuple, mais il est aussi nécessaire de ne pas engendrer trop de frustrations, pour ne pas provoquer davantage de conflictualité. Et vis-à-vis de ces problèmes cruciaux, j’ai peur que tout notre tintouin actuel sur l’empreinte carbone et les économies d’énergie de soit qu’un emplâtre sur une jambe de bois.

 

Les vrais problèmes du XXIe siècle sont l’organisation et la régulation des rapports entre états, et la mise en place d’une gouvernance mondiale capable de définir des objectifs démographiques pour chaque état, et de les faire respecter. L’ONU semble hélas très impuissante pour mettre en place cette gouvernance… Sans doute parce que les trois « empires » politiques que sont les États-Unis, la Chine, et la Russie tirent les ficelles en coulisse et ne cherchent qu’à étendre leur « sphère d’influence », jolie expression pour nommer le colonialisme/impérialisme contemporain. À ces trois empires, il faut sans doute aussi adjoindre la Oumma musulmane et l’Europe des lumières, qui sans être des empires politiques constitués, n’en sont pas moins des empires culturels influents.

 

En résumé, je dirai que les marottes de la gauche radicale auxquelles se joignent maintenant celles de l’écologie politique, sont des miroirs aux alouettes : l’égalitarisme, l’anticapitalisme, l’identitarisme intersectionnel (néo-féminisme, indigénisme, islamo-gauchisme) sont autant de chiffons rouges destinés à entretenir ou créer du dogmatisme, de la suspicion, et donc de la conflictualité.

Et sous prétexte de défendre ces causes, on détruit tous les liens secrets, et toute la richesse culturelle constituée au fil des siècles, qui font le ciment d’un peuple réuni à l’intérieur d’une nation. C’est une banalité que de dire que le bien collectif exige parfois des renoncements aux intérêts particuliers de telle ou telle catégorie. C’est la loi de la démocratie, dont les représentants doivent tenir leur cap et ne pas céder aux revendications des groupes de pression.

Alors pour en revenir aux premiers mots de ce billet, l’écriture inclusive et le burkini, non seulement ils ne sont pas nécessaires à l’épanouissement de la littérature et des relations entre sexes, mais encore ils lui font une réelle entrave pouvant avoir de graves conséquences. La langue de Molière et la laïcité sont des trésors précieux qu’il nous faut savoir chérir et protéger. 

 


mardi, mai 17, 2022

L'union fait la force

 

Gilles Chambon, L'union fait la force, huile sur toile 130 x 89 cm, 2022

« L’union fait la force » est un proverbe qui sert de devise à plusieurs pays, et dont l’origine se perd dans la nuit des temps : déjà Homère, dans l’Iliade, l’utilise (chant XIII). Cependant cette formule n’a jamais encore été appliquée à l’art… La peinture synchronistique se doit pourtant de revendiquer un tel adage : pour créer une poésie nouvelle, elle s’appuie en effet ostensiblement sur l’union et la réinterprétation de créations qui l’ont précédée.

  

Dans ce tableau, j’ai réinterprété trois fragments empruntés à trois peintres du XXe siècle : Pablo Picasso, Geer van Velde, et Fernand Léger. Ces peintres se retrouvent donc métaphoriquement unis avec moi, donnant ainsi un visage et un nom aux quatre ouvriers impersonnels que Léger avait placés dans son tableau Les constructeurs (1950). On peut alors voir la lourde poutre maniée par les quatre peintres, comme un bélier qui permet d’enfoncer les préjugés, et de rouvrir les portes de la création picturale, fermées depuis cinquante ans par l’idéologie post-duchampienne.

 

Voici les trois œuvres rapprochées, mélangées, et réinterprétées :

 


 

jeudi, avril 21, 2022

La baigneuse nymphomane

 

Gilles Chambon, La baigneuse nymphomane, huile sur toile 65 x 54 cm, 2022

Cette baigneuse (c. 1922), empruntée à Jean Metzinger, sort de l’eau et rêve d’accouplement. Les figures sur la plage de Picasso (1931), dont l’appétit sexuel est insatiable, lui apparaissent parmi des barques de pêche, prises anagrammatiquement et synchronistiquement à Braque… Alors son esprit s’embrase et la plage disparaît dans une lumière chaotique et mordorée, suggérée par les mimosas (1950) de Rodolphe Théophile Bosshard.

mardi, avril 12, 2022

Le peuple assassiné, Boutcha, printemps 2022

 

Gilles Chambon, "Le peuple assassiné, Boutcha, printemps 2022", huile sur toile 65 x 55 cm, 2022

Boris Cyrulnik rappelle dans son dernier livre (Le laboureur et les mangeurs de vent) que la croyance en une civilisation qui se construirait sans guerre et sans violence, n’existe qu’en occident, et seulement depuis deux générations. Et la triste actualité de la guerre d’Ukraine nous ramène en arrière : ce qui se passe aujourd'hui, et qui est symbolisé par le génocide de Boutcha, ressemble à toutes les boucheries qui ont accompagné les guerres de conquête et les guerres civiles, de l’antiquité à Guernica et Oradour, en passant par les exactions des guerres napoléoniennes, dont Francisco Goya a tiré une série de quatre-vingt-deux eaux-fortes poignantes, «Los desastres de la guerra ». 

 

C’est à partir de l’une de ces gravures (« Tanto y mas », N°22), que j’ai composé cet hommage aux victimes de la barbarie impérialiste poutinienne en Ukraine. J’ai réinterprété synchronistiquement le groupe de cadavres entassés de Goya, en l’associant à la violence graphique d’une composition abstraite d’Albert Bitran (1931-2018), que j’ai détournée et mise aux couleurs de l’Ukraine.

samedi, avril 02, 2022

Paysage et peinture : derrière les apparences

 

Photo d'un paysage de Saint-Emilion, et toile de Joaquín Peinado (1898-1975) Composition à la fenêtre et aux poissons 38 x 55 cm

Vous visitez une région. Vous empruntez des routes pittoresques qui vous délivrent des paysages magnifiques… Du coup vous décidez de vous installer dans ce coin qui vous a séduit par de tels points de vue prometteurs. À partir de ce moment, vous multipliez les balades à pied, et les petits chemins vous font pénétrer dans l’intimité et les multiples circonvolutions des paysages que vous aviez admirés de loin. Quand, beaucoup plus tard, vous repassez aux endroits panoramiques qui vous avaient charmé d’abord, vous les appréciez toujours autant, mais d’une façon différente, parce que vous comprenez mieux ce qui se déploie derrière chaque détail, vous savez où se cachent dans ce décor les merveilleuses pépites découvertes dans vos pérégrinations pédestres.

 

C’est un peu la même chose quand vous découvrez les belles œuvres d’un peintre que vous ne connaissiez pas. La curiosité vous pousse à vous renseigner sur sa biographie, et sur toutes les connexions qui peuvent le relier à son temps, sa région, son école de peinture. Vous essayez de comprendre ses préoccupations, et les finalités qu’il recherchait pour son art. Puis vous apprenez aussi à distinguer les différentes périodes de son travail artistique, et à suivre ses évolutions, à comprendre les influences qui ont pu le marquer.

Après, lorsqu’à nouveau les tableaux qui vous l’avaient fait connaître sont devant vous, vous les admirez toujours, mais ils résonnent différemment dans votre esprit, avec beaucoup plus d’harmoniques, liées aux connaissances que vous avez acquises sur l’artiste et sur son contexte.

 

La beauté d’un paysage, comme celle d’une œuvre d’art, émane de configurations formelles qui nous touchent parce qu’elles sont l’expression d’une profondeur et d’une richesse cachées, qui nous attirent et nous invitent à en explorer les multiples strates, quitte à nous y perdre, amoureusement.

mercredi, mars 30, 2022

Un portrait sentimental : Christine et Olivier

 

Gilles Chambon, "Christine et Olivier", huile sur toile 63 x 60 cm, 2022

La mise en scène du portrait a toujours été une préoccupation des peintres, puis des photographes, visant par l’expression, le costume et les objets associés, ou encore le décor, à qualifier d’une façon particulière la personne représentée.

Et la typologie de ces mises en scène est très variée au cours des siècles, allant d’une reconstruction symbolique calculée dans ses moindres détails (le Louis XIV de Hyacinthe Rigaud), à un instantané réaliste comme pris sur le vif (le Sartre de Cartier-Bresson).

 

Les plus anciens portraits, tels le portrait de Paquius Proculus et son épouse, à Pompéi (daté entre 20 et 30 ap. J-C), sont sans décor, la qualification des personnages étant définie par le costume (toge de l’homme) et les objets tenus (« l'homme serre un rouleau de papyrus, alors que la femme tient en mains des tablettes de cire suggérant que l'homme s'occupait d'activités publiques ou culturelles et que son épouse s'attachait à l'administration des affaires domestiques » - wikipedia).

La plupart des portraits de la Renaissance ont aussi une absence de décor, et qualifient leur modèle par le costume, les insignes et les objets tenus, mais aussi par l’attitude et le réalisme des expressions du visage, le tout mis en majesté par la subtile utilisation de la lumière et du clair-obscur.

Dans les portraits des siècles suivants (et déjà dans le portrait des Ambassadeurs d’Holbein), le décor peut prendre une importance capitale, qu’il soit très réaliste suggérant l’in situ (portrait de Pierre-Joseph Proudhon et ses enfants par Courbet), ou au contraire totalement fantaisiste (notamment photographies de personnages intégrés dans des décors en toile https://www.laboiteverte.fr/photographies-anciennes-transports-et-decors-de-studio/).

 

La peinture moderne offre une grande variété de travail du portrait, avec peut-être une prédilection pour les portraits où le décor simplifié joue un rôle plastique comparable aux harmoniques musicaux (Le portrait de sa mère par Whistler – 1871 – appelé par le peintre «Arrangement en gris et noir n ° 1» en est peut-être le prototype).

 

Mon portrait de Christine et Olivier (respectivement ma fille aînée et mon petit-fils) puise un peu dans toutes ces traditions, en recourant bien sûr à ce que je nomme la synchronicité. Les personnages sont issus d’un instantané photographique, choisi pour ce qu’il révèle de leur personnalité, et légèrement modifié (lumière, couleur, rayures du teeshirt) pour mieux dialoguer avec l’ « harmonique musical » du  décor abstrait, réinterprété d’une composition de Geer Van Velde, et qui vient intuitivement souligner les doux sentiments qui relient les trois protagonistes entre eux (le troisième étant évidemment le père et grand-père peintre !).

mardi, mars 08, 2022

La petite musique des souvenirs

Gilles Chambon, La petite musique des souvenirs, huile sur toile 140 x 160 cm, 2022

Ce tableau représente Anne, ma femme, et Olivier, mon petit-fils. Il s’y manifeste le rapprochement de thèmes opposés : la pluie et le soleil, l’enfance et l’âge mûr, le réalisme et l’abstraction, le mouvement et la fixité, le souvenir et l’invention.

 

Rapprochements impromptus aux résonances multiples, comme ceux désignés par la phrase célèbre du comte de Lautréamont : « Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie »…

Claude Lévi-Strauss, dans les années 1980, a élucidé les correspondances symboliques qui régissaient le système d’oppositions-rapprochements formulés par Lautréamont.

 

On y retrouve cette bizarre signifiance des coïncidences sans cause que Jung nommait la synchronicité, et dont j’ai fait depuis quelques années mon viatique pictural.

 

Alors je vous propose aussi de réfléchir sur d’autres coïncidences inscrites dans cette peinture : papillons et parapluie, et, pourquoi pas, van der Elst (Anne), ma femme, et van Velde (Geer) –  dont j’ai réinterprété ici un fragment d’une toile de 1955.


vendredi, février 11, 2022

Un air de famille

Gilles Chambon, "Un air de famille", huile sur toile 65 x 50 cm, 2022

Une jeune femme et une fillette réunies par les liens de la peinture. Elles viennent de deux tableaux de Berthe Morisot : la fillette est Julie Manet, fille de Berthe, et la femme, rousse également, est une inconnue prise au sortir du lit, que j’ai légèrement modifiée pour les besoins de ma composition synchronistique. L’univers pictural des tableaux de Berthe Morisot est presque exclusivement féminin et domestique, et elle porte ces sujets au plus haut niveau de l’art. 

 

J’ai donc rapproché les tendres personnages de Berthe Morisot d’un décor lui aussi familial et domestique : il s’agit d’une gouache de Francisco Bores représentant une table où le couvert est dressé (« Chaise devant la table » 1968, gouache sur papier 50 x 65,40 cm), que j’ai détournée… et retournée !


vendredi, janvier 28, 2022

La vierge au lait

 

Gilles Chambon, La Vierge au lait, huile sur toile 75 x 55 cm, 2022

Appelée Vierge galaktotrophousa dans la culture orthodoxe, la Vierge allaitant est un thème très ancien de la peinture religieuse : la première représentation connue date du IIe siècle, dans les catacombes de Priscilla ; et sa généalogie mythologique remonte encore beaucoup plus loin.

 

On sait que dans beaucoup de cosmogonies, le lait sacré est à l’origine du monde ; et les déesses mères, pourvues de grosses mamelles, sont déjà présentes à la préhistoire. Mais plus près de nous, c’est directement d’Isis allaitant le petit Horus que dérive la Vierge Marie donnant le sein à l’enfant Jésus.

 

Le lait est symbole de tendresse universelle. Dans le miracle de la Lactation de st Bernard : ce dernier, après avoir demandé à la Vierge Marie : « Monstra te matrem », reçoit quelques gouttes de lait…

Ainsi ma « Vierge au lait », dérivée d’une « Sainte Famille avec sainte Anne » du Greco (1595, Hospital de Tavera, Tolède), est toute entière incluse dans une énorme goutte de lait, abstraite et géométrique, que j’ai pressentie et recomposée à partir d’un tableau de Jean Deyrolle (« En commun », 1946-47, huile sur toile 50 x 65 cm).

 

Si la Vierge allaitante est pour les chrétiens l’image de l’Église qui nourrit spirituellement ses enfants, elle devient, pour le peintre synchronistique, l'image du corpus de la peinture occidentale qui nourrit la création contemporaine.

vendredi, janvier 21, 2022

La belle endormie

 

Gilles Chambon, La belle endormie, huile sur toile 50 x 73 cm, 2022

On ne peut peindre une femme nue, allongée de dos, sans penser d’abord à la Vénus au miroir de Velasquez (c. 1650). C’est le premier grand nu féminin représenté de dos, de telle sorte qu’on puisse voir son visage de face dans le miroir. 

 

Les peintres de la Renaissance, en particulier Giorgione et Titien, avaient oser dévoiler l’anatomie de leurs Vénus alanguies de face, montrant les seins, et masquant à peine le sexe. Velasquez prend le contre-pied et peint une ode à la « face cachée » de la beauté du corps féminin, la jambe pliée et les épaules relevées permettant d’accentuer la sensualité des courbes.

 

Révélée au public au début du XIXe siècle, la peinture du maître espagnol inspira notamment Renoir, qui fit plusieurs baigneuses allongées reprenant à peu près la même position.

 

Celle de ma composition synchronistique est empruntée à un duo de femmes endormies de Jean Souverbie (« Le sommeil », huile sur toile 65 x 82 cm). Le décor cubiste dans lequel elle se situe, inspiré d’une nature morte de Joaquin Peinado (1898-1975), fait le lien entre la beauté rêvée des déesses mythologiques et celle des femmes contemporaines, entrevues parfois aux alentours d’une plage.

mardi, janvier 11, 2022

Voyage en Jordanie

Fragment de la mosaïque au sol de l'église St Georges à Madaba, datant de la fin du VIe siècle et représentant la Terre Sainte (en bas à droite, Jérusalem, et en haut la mer morte et le Jourdain)

Nous fûmes sans doute un peu présomptueux, ma femme et moi, de vouloir découvrir la Jordanie cet hiver 2021-2022, alors que le Covid et ses variants obnubilent tous les pays autour de la planète…

 

D’abord un avion raté à cause d’un test PCR sans QR code, puis l’attente interminable à l’aéroport d’Amman, pour refaire à nouveau un test. Mais une fois ses tracasseries passées, nous pûmes enfin nous élancer à la découverte de ce territoire contrasté, fait de tissus urbains denses et tentaculaires se développant à partir de la capitale, longeant les collines et les vallées pierreuses, parsemées d’oliveraies, de bois de pins, et de cultures variées. Mais l’urbanisation laisse intacte les vastes étendues désertiques aux reliefs décharnés qui constituent l’essentiel du pays.

 

Notre première destination fut Madaba et le mont Nébo, au nord. Se haussant au-dessus des plateaux de Transjordanie, le mont Nébo offre un point de vue étendu, surplombant la mer morte, la plaine du Jourdain, et à l’horizon les terres de Palestine et d’Israël. La légende dit que c’est en arrivant au mont Nébo que Moïse découvrit la terre promise et put enfin terminer ses jours en paix.

 

Vue de la vallée du Jourdain depuis le Mont Nébo

De retour à Amman, nous avons visité le centre-ville densément étagé au flan des collines, fait de bâtiments modernes aux gabarits réguliers et cubiques, encerclant les ruines de la citadelle et le théâtre antique (implantation romaine, byzantine, puis Omeyyade).

 

Le théâtre antique d'Amman


Le tissu urbain du centre d'Amman

Tout avait donc bien commencé. Mais ça s’est compliqué après le retour d’une grande escapade dans le nord, à Umm Qaïs: 

 

Les ruines de l'antique cité de Gadara, à Umm Qays

 

Vallée cultivée autour d'Umm Qays

Nous avons parcouru sous un ciel radieux le site de l’antique Gadara et les étroites vallées cultivées creusées par l’érosion qui s’étalent entre les collines ;  il y eut parmi nous toux et nez bouchés, et donc nouveaux tests covid. Nos enfants étaient positifs, du coup Petra, le morceau de choix où nous comptions passer quelques jours, dut être décommandé. Nous restâmes enfermés pendant dix jours de quarantaine dans la maison de Dheir Gbar (quartier cosmopolite de Amman) où fille, gendre et petits enfants nous accueillaient, ma femme et moi. Nous fîmes bien quelques petites entorses en nous promenant à travers ce quartier chic d’habitations, où peu de piétons circulent, mais plus de visites culturelles ! Alors pour compenser, chaque matin, je me suis tenu à faire une aquarelle à partir des lieux visités au début du voyage. Les voici (la dernière fut faite in situ)!

 











Passé la semaine de quarantaine, et de nouveaux tests négatifs, avant le retour en France qui avait déjà dû être repoussé, nous fîmes une dernière virée à Jérash, à une cinquantaine de kilomètres au nord d’Amman. Entre les collines où s’étale la ville contemporaine, le site romano-byzantin de Gérasa, un des plus beaux et des plus étendus que je connaisse, nous rappelle la grandeur et la beauté que devaient revêtir ses villes orientales, du premier au sixième siècle de notre aire : remarquable continuité entre l’architecture romaine et l’architecture byzantine : cardo et decumanus bordés de colonnades corinthiennes et ioniques, théâtres, temples, basiliques, églises, nymphée… et cet extraordinaire place-forum ovale, unique je crois dans l’urbanisme romain.

 

Gérasa, les ruines de la cathédrale byzantine


Gérasa, le forum ovale et le cardo

Le retour vers la France fut aussi un peu chaotique, ma femme n’ayant pu embarquer pour cause d’un nouveau test PCR positif (apparemment une erreur puisque deux jours avant, et les jours suivants, ses tests se sont toujours révélés négatifs !).

Il nous reste donc à réfléchir à un nouveau voyage, après que l’épidémie se soit tassée, avec au programme Petra, Aqaba, la mer morte, le lac de Tibériade, et pourquoi pas Bethléem et Jérusalem ?


jeudi, décembre 16, 2021

Les temps modernes

 

Gilles Chambon, "Les temps modernes", huile sur toile 50 x 65 cm, 2021

Le merveilleux film de Charlie Chaplin, dans l’une de ses scènes culte, nous montre le corps de Charlot livré aux engrenages d’une machine improbable, symbole angoissant du progrès technique et de la mécanisation qui phagocyte les corps. Cet univers de bielles, de pistons, de rouages d’acier, fut aussi à l’inspiration de beaucoup de tableaux de Fernand Léger. Il est d’ailleurs le premier peintre à avoir mélangé la mécanique des machines et la mécanique des corps. 

 

C’est que la première moitié du XXe siècle fut marquée par le mythe de l’homme nouveau, qui devait résulter de l’avènement d’une société idéale, hygiénique et égalitaire. Les artistes abandonnent alors l’esthétique des canons bourgeois, qu’ils soient classiques ou impressionnistes, pour ceux de la vitesse de la simplification géométrique cubiste ou abstraite. Tamara de Lempicka, icone du style art déco, redonne néanmoins de la chair et de la sensualité aux corps géométrisés.

 

Aujourd’hui le mythe de l’homme nouveau réapparaît comme un éternel retour, mais il n’est plus lié à la société industrielle, qui a montré ses limites et ses effets délétères sur nos écosystèmes. Il resurgit sous deux formes diamétralement opposées : d’un côté le transhumanisme, qui cherche à fusionner la biologie et les nanotechnologies à l’intérieur du corps humain. De l’autre le déconstructivisme identitaire, dont le projet est de modifier psychologiquement l’individu, de le reprogrammer afin qu’il corresponde à ce qui est attendu des citoyens d’une hypothétique société idéale.

 

En reprenant Léger et Lempicka, et en y ajoutant la baigneuse à mi-corps de Jean-Auguste-Dominique Ingres, mon tableau synchronistique tente de monter qu’à travers la recherche d’idéaux utopiques, les artistes, de siècle en siècle, en suivant le mouvement des vagues de la pensée, ne révolutionnent rien du tout, mais dessinent peu à peu de nouveaux contours aux rivages de l’art éternel.

samedi, décembre 04, 2021

Pourquoi la peinture synchronistique ?

 

G. Chambon, La clairvoyance du cyclope, huile sur toile, 60x73cm, 2014
 

Le XXe siècle fut le siècle de l’ébullition humaine : mondialisation, progrès scientifique et technologique exponentiels, mais aussi massacres de masse, idéologies totalitaires, et prémices de catastrophes écologiques.

Le XXIe siècle doit donc être un siècle de prise de conscience, peut-être même un siècle réactionnaire, en ce sens qu’il doit s’inscrire en réaction salutaire aux excès du XXe siècle. Nous avons pris conscience que notre globe terrestre est un monde fini et fragile, qui ne peut supporter une expansion continue et insoucieuse de ses conséquences.

 

Dans le domaine de l’art, on retrouve le même schéma : depuis les avant-gardes du début du XXe siècle jusqu’à l’art conceptuel et ses avatars nommés « art contemporain », l’art occidental a voulu se lancer dans une course à la nouveauté, supprimant toutes les frontières, submergeant comme un stunami les anciennes disciplines artistiques, et se lançant à corps perdu dans une fuite en avant, sa seule finalité semblant être dorénavant d’affirmer sa contemporanéité, c’est-à-dire sa rupture avec le passé, avec la mesure humaine, avec la permanence esthétique des messages délivrés.

 

Le résultat est terrible : la sensibilité artistique collective se délite peu à peu, d’autant qu’elle est aussi victime des ravages produits par la culture consumériste et ses publicités, qui la tirent sans cesse vers le bas. Heureusement, le goût pour les musées, les concerts, les spectacles, qui pérennisent les arts traditionnels et savants, n’a pas disparu, et tempère la déliquescence de notre sens artistique.

 

Il est donc temps, en art aussi, de prendre conscience des effets pervers de la marche en avant sans limite, et de réaliser que notre imaginaire, notre sens poétique, ne sont pas malléables à l’infini. D’autant que les sollicitations disruptives de l’art contemporain ne reposent sur aucune nécessité, ni sur aucun projet humaniste.

 

L’esprit ressemble à un écosystème : si on rompt de manière trop brutale un équilibre, c’est l’ensemble qui ne parvient plus à se réguler. Cela ne signifie pas qu’il faut abandonner toute idée de progrès et d’évolution, mais qu’ils doivent se faire en respectant un certain nombre d’équilibres métastables.

En art plastique, et particulièrement en peinture, il est intéressant de constater que les changements volontairement recherchés, depuis les impressionnistes jusqu’aux abstraits, ont fait sauter successivement plusieurs verrous, mais ont gardé, jusqu’aux années 60, le grand système régulateur qu’était l’expressivité propre aux nuances de la peinture et de la composition picturale, préservant ainsi leur valeur poétique. Mais la boite de pandore s’étant entr’ouverte, Marcel Duchamp et ses épigones de la fin du XXe siècle ont définitivement fait sauter le couvercle, pulvérisant volontairement (et sous forme d’injonctions idéologiques) toute velléité de régulation esthétique. Depuis, le thermomètre n’a cessé de monter, à tel point que bon nombre d’esprits affûtés n’arrivent même plus à comprendre qu’il y a supercherie, et sont prêts à tout absorber, pourvu que l’estampille « art » apposée sur tout et n’importe quoi (par exemple une banane ou des excréments) soit cooptée par les élites financières.

 

Cette folie ne rend pas service à l’évolution civilisationnelle. Croyant se libérer de toutes les chaînes, l’esprit contemporain ne fait qu’éteindre une à une les lampes qui éclairaient son imaginaire, de sorte qu’il finit par errer sans but dans un univers mental obscur et chaotique.

 

L’art doit donc aujourd’hui être repris en main par tous ceux qui croient en son pouvoir d’enchantement du monde. Exactement comme l’écologie croit, d’une certaine manière, à la nécessité de préserver la nature, enchantée par la foisonnante richesse autorégulatrice de ses formes vivantes.

 

Il est vrai que dans une dynamique mondiale hostile, où le matérialisme recroqueville les êtres sur leur quotidien, et où le spirituel quitte la métaphysique pour s’enkyster dans des poches d’obscurantisme et de haine religieuse, il paraît de plus en plus difficile de forger des odes artistiques à la poésie du monde.

 

Et pourtant cette poésie ne demande qu’à renaître. Alors comme pour la végétation, paralysée dans les frimas hivernaux, c’est en puisant une sève épaisse dans ses racines profondes que l’art pourra à nouveau bourgeonner et offrir un printemps prometteur à tous ceux qui veulent croire encore en l’avenir…

Et pour le peintre, puiser dans les racines de son art, c’est tirer de toutes ces œuvres qui irriguent collections et musées, témoignages magnifiques de plusieurs siècles d’art savant, véritables sources de notre imaginaire pictural, une poésie inédite propre à nourrir notre désir de ré-enchantement.

 

C’est l’objectif que j’ai fixé à la peinture synchronistique, en cherchant intuitivement les ponts secrets qui peuvent relier les artistes à travers le temps et l’espace, et en faisant de leurs tableaux confrontés, détournés, et réappropriés, la matière même de mes nouvelles compositions. C’est pour moi en suivant ce chemin que la création du XXIe siècle, s’alignant sur le paradigme de la pensée écologique, se refondera sur le recyclage, et non plus sur le fantasme de conquête boulimique d’un ailleurs peut-être plus alléchant, mais devenu introuvable.