présentation des peintures synchronistiques

vendredi, février 11, 2022

Un air de famille

Gilles Chambon, "Un air de famille", huile sur toile 65 x 50 cm, 2022

Une jeune femme et une fillette réunies par les liens de la peinture. Elles viennent de deux tableaux de Berthe Morisot : la fillette est Julie Manet, fille de Berthe, et la femme, rousse également, est une inconnue prise au sortir du lit, que j’ai légèrement modifiée pour les besoins de ma composition synchronistique. L’univers pictural des tableaux de Berthe Morisot est presque exclusivement féminin et domestique, et elle porte ces sujets au plus haut niveau de l’art. 

 

J’ai donc rapproché les tendres personnages de Berthe Morisot d’un décor lui aussi familial et domestique : il s’agit d’une gouache de Francisco Bores représentant une table où le couvert est dressé (« Chaise devant la table » 1968, gouache sur papier 50 x 65,40 cm), que j’ai détournée… et retournée !


vendredi, janvier 28, 2022

La vierge au lait

 

Gilles Chambon, La Vierge au lait, huile sur toile 75 x 55 cm, 2022

Appelée Vierge galaktotrophousa dans la culture orthodoxe, la Vierge allaitant est un thème très ancien de la peinture religieuse : la première représentation connue date du IIe siècle, dans les catacombes de Priscilla ; et sa généalogie mythologique remonte encore beaucoup plus loin.

 

On sait que dans beaucoup de cosmogonies, le lait sacré est à l’origine du monde ; et les déesses mères, pourvues de grosses mamelles, sont déjà présentes à la préhistoire. Mais plus près de nous, c’est directement d’Isis allaitant le petit Horus que dérive la Vierge Marie donnant le sein à l’enfant Jésus.

 

Le lait est symbole de tendresse universelle. Dans le miracle de la Lactation de st Bernard : ce dernier, après avoir demandé à la Vierge Marie : « Monstra te matrem », reçoit quelques gouttes de lait…

Ainsi ma « Vierge au lait », dérivée d’une « Sainte Famille avec sainte Anne » du Greco (1595, Hospital de Tavera, Tolède), est toute entière incluse dans une énorme goutte de lait, abstraite et géométrique, que j’ai pressentie et recomposée à partir d’un tableau de Jean Deyrolle (« En commun », 1946-47, huile sur toile 50 x 65 cm).

 

Si la Vierge allaitante est pour les chrétiens l’image de l’Église qui nourrit spirituellement ses enfants, elle devient, pour le peintre synchronistique, l'image du corpus de la peinture occidentale qui nourrit la création contemporaine.

vendredi, janvier 21, 2022

La belle endormie

 

Gilles Chambon, La belle endormie, huile sur toile 50 x 73 cm, 2022

On ne peut peindre une femme nue, allongée de dos, sans penser d’abord à la Vénus au miroir de Velasquez (c. 1650). C’est le premier grand nu féminin représenté de dos, de telle sorte qu’on puisse voir son visage de face dans le miroir. 

 

Les peintres de la Renaissance, en particulier Giorgione et Titien, avaient oser dévoiler l’anatomie de leurs Vénus alanguies de face, montrant les seins, et masquant à peine le sexe. Velasquez prend le contre-pied et peint une ode à la « face cachée » de la beauté du corps féminin, la jambe pliée et les épaules relevées permettant d’accentuer la sensualité des courbes.

 

Révélée au public au début du XIXe siècle, la peinture du maître espagnol inspira notamment Renoir, qui fit plusieurs baigneuses allongées reprenant à peu près la même position.

 

Celle de ma composition synchronistique est empruntée à un duo de femmes endormies de Jean Souverbie (« Le sommeil », huile sur toile 65 x 82 cm). Le décor cubiste dans lequel elle se situe, inspiré d’une nature morte de Joaquin Peinado (1898-1975), fait le lien entre la beauté rêvée des déesses mythologiques et celle des femmes contemporaines, entrevues parfois aux alentours d’une plage.

mardi, janvier 11, 2022

Voyage en Jordanie

Fragment de la mosaïque au sol de l'église St Georges à Madaba, datant de la fin du VIe siècle et représentant la Terre Sainte (en bas à droite, Jérusalem, et en haut la mer morte et le Jourdain)

Nous fûmes sans doute un peu présomptueux, ma femme et moi, de vouloir découvrir la Jordanie cet hiver 2021-2022, alors que le Covid et ses variants obnubilent tous les pays autour de la planète…

 

D’abord un avion raté à cause d’un test PCR sans QR code, puis l’attente interminable à l’aéroport d’Amman, pour refaire à nouveau un test. Mais une fois ses tracasseries passées, nous pûmes enfin nous élancer à la découverte de ce territoire contrasté, fait de tissus urbains denses et tentaculaires se développant à partir de la capitale, longeant les collines et les vallées pierreuses, parsemées d’oliveraies, de bois de pins, et de cultures variées. Mais l’urbanisation laisse intacte les vastes étendues désertiques aux reliefs décharnés qui constituent l’essentiel du pays.

 

Notre première destination fut Madaba et le mont Nébo, au nord. Se haussant au-dessus des plateaux de Transjordanie, le mont Nébo offre un point de vue étendu, surplombant la mer morte, la plaine du Jourdain, et à l’horizon les terres de Palestine et d’Israël. La légende dit que c’est en arrivant au mont Nébo que Moïse découvrit la terre promise et put enfin terminer ses jours en paix.

 

Vue de la vallée du Jourdain depuis le Mont Nébo

De retour à Amman, nous avons visité le centre-ville densément étagé au flan des collines, fait de bâtiments modernes aux gabarits réguliers et cubiques, encerclant les ruines de la citadelle et le théâtre antique (implantation romaine, byzantine, puis Omeyyade).

 

Le théâtre antique d'Amman


Le tissu urbain du centre d'Amman

Tout avait donc bien commencé. Mais ça s’est compliqué après le retour d’une grande escapade dans le nord, à Umm Qaïs: 

 

Les ruines de l'antique cité de Gadara, à Umm Qays

 

Vallée cultivée autour d'Umm Qays

Nous avons parcouru sous un ciel radieux le site de l’antique Gadara et les étroites vallées cultivées creusées par l’érosion qui s’étalent entre les collines ;  il y eut parmi nous toux et nez bouchés, et donc nouveaux tests covid. Nos enfants étaient positifs, du coup Petra, le morceau de choix où nous comptions passer quelques jours, dut être décommandé. Nous restâmes enfermés pendant dix jours de quarantaine dans la maison de Dheir Gbar (quartier cosmopolite de Amman) où fille, gendre et petits enfants nous accueillaient, ma femme et moi. Nous fîmes bien quelques petites entorses en nous promenant à travers ce quartier chic d’habitations, où peu de piétons circulent, mais plus de visites culturelles ! Alors pour compenser, chaque matin, je me suis tenu à faire une aquarelle à partir des lieux visités au début du voyage. Les voici (la dernière fut faite in situ)!

 











Passé la semaine de quarantaine, et de nouveaux tests négatifs, avant le retour en France qui avait déjà dû être repoussé, nous fîmes une dernière virée à Jérash, à une cinquantaine de kilomètres au nord d’Amman. Entre les collines où s’étale la ville contemporaine, le site romano-byzantin de Gérasa, un des plus beaux et des plus étendus que je connaisse, nous rappelle la grandeur et la beauté que devaient revêtir ses villes orientales, du premier au sixième siècle de notre aire : remarquable continuité entre l’architecture romaine et l’architecture byzantine : cardo et decumanus bordés de colonnades corinthiennes et ioniques, théâtres, temples, basiliques, églises, nymphée… et cet extraordinaire place-forum ovale, unique je crois dans l’urbanisme romain.

 

Gérasa, les ruines de la cathédrale byzantine


Gérasa, le forum ovale et le cardo

Le retour vers la France fut aussi un peu chaotique, ma femme n’ayant pu embarquer pour cause d’un nouveau test PCR positif (apparemment une erreur puisque deux jours avant, et les jours suivants, ses tests se sont toujours révélés négatifs !).

Il nous reste donc à réfléchir à un nouveau voyage, après que l’épidémie se soit tassée, avec au programme Petra, Aqaba, la mer morte, le lac de Tibériade, et pourquoi pas Bethléem et Jérusalem ?


jeudi, décembre 16, 2021

Les temps modernes

 

Gilles Chambon, "Les temps modernes", huile sur toile 50 x 65 cm, 2021

Le merveilleux film de Charlie Chaplin, dans l’une de ses scènes culte, nous montre le corps de Charlot livré aux engrenages d’une machine improbable, symbole angoissant du progrès technique et de la mécanisation qui phagocyte les corps. Cet univers de bielles, de pistons, de rouages d’acier, fut aussi à l’inspiration de beaucoup de tableaux de Fernand Léger. Il est d’ailleurs le premier peintre à avoir mélangé la mécanique des machines et la mécanique des corps. 

 

C’est que la première moitié du XXe siècle fut marquée par le mythe de l’homme nouveau, qui devait résulter de l’avènement d’une société idéale, hygiénique et égalitaire. Les artistes abandonnent alors l’esthétique des canons bourgeois, qu’ils soient classiques ou impressionnistes, pour ceux de la vitesse de la simplification géométrique cubiste ou abstraite. Tamara de Lempicka, icone du style art déco, redonne néanmoins de la chair et de la sensualité aux corps géométrisés.

 

Aujourd’hui le mythe de l’homme nouveau réapparaît comme un éternel retour, mais il n’est plus lié à la société industrielle, qui a montré ses limites et ses effets délétères sur nos écosystèmes. Il resurgit sous deux formes diamétralement opposées : d’un côté le transhumanisme, qui cherche à fusionner la biologie et les nanotechnologies à l’intérieur du corps humain. De l’autre le déconstructivisme identitaire, dont le projet est de modifier psychologiquement l’individu, de le reprogrammer afin qu’il corresponde à ce qui est attendu des citoyens d’une hypothétique société idéale.

 

En reprenant Léger et Lempicka, et en y ajoutant la baigneuse à mi-corps de Jean-Auguste-Dominique Ingres, mon tableau synchronistique tente de monter qu’à travers la recherche d’idéaux utopiques, les artistes, de siècle en siècle, en suivant le mouvement des vagues de la pensée, ne révolutionnent rien du tout, mais dessinent peu à peu de nouveaux contours aux rivages de l’art éternel.

samedi, décembre 04, 2021

Pourquoi la peinture synchronistique ?

 

G. Chambon, La clairvoyance du cyclope, huile sur toile, 60x73cm, 2014
 

Le XXe siècle fut le siècle de l’ébullition humaine : mondialisation, progrès scientifique et technologique exponentiels, mais aussi massacres de masse, idéologies totalitaires, et prémices de catastrophes écologiques.

Le XXIe siècle doit donc être un siècle de prise de conscience, peut-être même un siècle réactionnaire, en ce sens qu’il doit s’inscrire en réaction salutaire aux excès du XXe siècle. Nous avons pris conscience que notre globe terrestre est un monde fini et fragile, qui ne peut supporter une expansion continue et insoucieuse de ses conséquences.

 

Dans le domaine de l’art, on retrouve le même schéma : depuis les avant-gardes du début du XXe siècle jusqu’à l’art conceptuel et ses avatars nommés « art contemporain », l’art occidental a voulu se lancer dans une course à la nouveauté, supprimant toutes les frontières, submergeant comme un stunami les anciennes disciplines artistiques, et se lançant à corps perdu dans une fuite en avant, sa seule finalité semblant être dorénavant d’affirmer sa contemporanéité, c’est-à-dire sa rupture avec le passé, avec la mesure humaine, avec la permanence esthétique des messages délivrés.

 

Le résultat est terrible : la sensibilité artistique collective se délite peu à peu, d’autant qu’elle est aussi victime des ravages produits par la culture consumériste et ses publicités, qui la tirent sans cesse vers le bas. Heureusement, le goût pour les musées, les concerts, les spectacles, qui pérennisent les arts traditionnels et savants, n’a pas disparu, et tempère la déliquescence de notre sens artistique.

 

Il est donc temps, en art aussi, de prendre conscience des effets pervers de la marche en avant sans limite, et de réaliser que notre imaginaire, notre sens poétique, ne sont pas malléables à l’infini. D’autant que les sollicitations disruptives de l’art contemporain ne reposent sur aucune nécessité, ni sur aucun projet humaniste.

 

L’esprit ressemble à un écosystème : si on rompt de manière trop brutale un équilibre, c’est l’ensemble qui ne parvient plus à se réguler. Cela ne signifie pas qu’il faut abandonner toute idée de progrès et d’évolution, mais qu’ils doivent se faire en respectant un certain nombre d’équilibres métastables.

En art plastique, et particulièrement en peinture, il est intéressant de constater que les changements volontairement recherchés, depuis les impressionnistes jusqu’aux abstraits, ont fait sauter successivement plusieurs verrous, mais ont gardé, jusqu’aux années 60, le grand système régulateur qu’était l’expressivité propre aux nuances de la peinture et de la composition picturale, préservant ainsi leur valeur poétique. Mais la boite de pandore s’étant entr’ouverte, Marcel Duchamp et ses épigones de la fin du XXe siècle ont définitivement fait sauter le couvercle, pulvérisant volontairement (et sous forme d’injonctions idéologiques) toute velléité de régulation esthétique. Depuis, le thermomètre n’a cessé de monter, à tel point que bon nombre d’esprits affûtés n’arrivent même plus à comprendre qu’il y a supercherie, et sont prêts à tout absorber, pourvu que l’estampille « art » apposée sur tout et n’importe quoi (par exemple une banane ou des excréments) soit cooptée par les élites financières.

 

Cette folie ne rend pas service à l’évolution civilisationnelle. Croyant se libérer de toutes les chaînes, l’esprit contemporain ne fait qu’éteindre une à une les lampes qui éclairaient son imaginaire, de sorte qu’il finit par errer sans but dans un univers mental obscur et chaotique.

 

L’art doit donc aujourd’hui être repris en main par tous ceux qui croient en son pouvoir d’enchantement du monde. Exactement comme l’écologie croit, d’une certaine manière, à la nécessité de préserver la nature, enchantée par la foisonnante richesse autorégulatrice de ses formes vivantes.

 

Il est vrai que dans une dynamique mondiale hostile, où le matérialisme recroqueville les êtres sur leur quotidien, et où le spirituel quitte la métaphysique pour s’enkyster dans des poches d’obscurantisme et de haine religieuse, il paraît de plus en plus difficile de forger des odes artistiques à la poésie du monde.

 

Et pourtant cette poésie ne demande qu’à renaître. Alors comme pour la végétation, paralysée dans les frimas hivernaux, c’est en puisant une sève épaisse dans ses racines profondes que l’art pourra à nouveau bourgeonner et offrir un printemps prometteur à tous ceux qui veulent croire encore en l’avenir…

Et pour le peintre, puiser dans les racines de son art, c’est tirer de toutes ces œuvres qui irriguent collections et musées, témoignages magnifiques de plusieurs siècles d’art savant, véritables sources de notre imaginaire pictural, une poésie inédite propre à nourrir notre désir de ré-enchantement.

 

C’est l’objectif que j’ai fixé à la peinture synchronistique, en cherchant intuitivement les ponts secrets qui peuvent relier les artistes à travers le temps et l’espace, et en faisant de leurs tableaux confrontés, détournés, et réappropriés, la matière même de mes nouvelles compositions. C’est pour moi en suivant ce chemin que la création du XXIe siècle, s’alignant sur le paradigme de la pensée écologique, se refondera sur le recyclage, et non plus sur le fantasme de conquête boulimique d’un ailleurs peut-être plus alléchant, mais devenu introuvable.

jeudi, décembre 02, 2021

La nuit s'empare du monde

 

Gilles Chambon, "La nuit s'empare du monde", triptyque, huile sur toile 145 x 285 cm, 2021

Pendant la nuit, entre le crépuscule et l’aube, les rêves, les songes, ou les cauchemars viennent assaillir notre esprit endormi. Ils ont un côté terrible parce qu’ils sont déstructurés, et donc toujours ambivalents, à l’image du paysage disloqué inspiré ici d’une composition de Zao Wou-Ki. Les rêves mélangent de façon inextricable désirs, angoisses, souvenirs, prémonitions, mensonges, et illusions. Et lorsqu’on tire un fil pour tenter de percer leur mystère, on ne sait jamais quel verdict va tomber.

 

Le triptyque se développe suivant la mécanique synchronistique de l’imaginaire pictural, dont j’ai fait ma spécialité depuis quelques années.

 

Dans le panneau central (La nuit), vole Nyx, déesse de la nuit, qui porte dans ses bras les deux terribles jumeaux Hypnos et Thanatos. Elle est empruntée à un dessin de Michel Dorigny, reproduisant une fresque de Simon Vouet pour le plafond du château de Chilly, aujourd’hui disparue.

 

Le panneau de gauche (Le rêve de la femme-objet), est une allégorie qui évoque la femme-objet née de la corruption du désir par l’argent. On peut reconnaître : 

 

-       La reprise d’une interprétation ironique de la Vénus anadyomène de Botticelli, imaginée le graphiste polonais Tomek Karelus (« bad dream Mr Botticelli »),

 

-       Un fragment de dessin d’étude de Raphaël pour Dieu le père,

 

-       Une cible et un dollar volant, qui viennent d’un de mes propres tableaux (« la mathématique du plaisir », 2014),

 

-       Un fragment de ville, inspiré des lointains paysages des peintres flamands de la Renaissance.

 

Quant au panneau de droite (L’opprobre), il exprime la honte que ressentent les hommes devant leurs fantasmes inassouvis, et devant la violence qu’ils engendrent parfois. L’homme recroquevillé est repris d’un croquis d’étude de Raphaël, et le paysage urbain lointain s’inspire d’un tableau de Lucas Gassel (Loth et ses filles).

vendredi, novembre 05, 2021

La création du désir et de la honte

Gilles Chambon, "La création du désir et de la honte", diptyque, huile sur toile 145 x 190 cm, 2021

Ce diptyque (qui deviendra aussi bientôt un triptyque) rappelle le mythe de la création d’Adam et Eve, mais l’interprète plutôt comme la naissance simultanée du désir et de la honte. C’est une sorte d’allégorie ; ou un rêve prémonitoire, déstructuré et ambivalent. La femme-objet parle de la corruption du désir par l’argent, et l’homme, accablé à terre, exprime la honte que provoquent les fantasmes et la violence qu’ils génèrent quand ils sont inassouvis.

 

Tout cela se percute suivant la mécanique synchronistique de l’imaginaire pictural, dont j’ai fait ma spécialité depuis quelques années. On peut donc reconnaître :

 

-       Une interprétation de la Vénus anadyomène de Botticelli imaginée par le graphiste polonais Tomek Karelus (bad dream Mr Botticelli).

-       Deux fragments de dessins d’étude de Raphaël pour Dieu le père et pour l’homme recroquevillé.

-       Une cible et un dollar volant qui viennent d’un de mes propres tableaux (la mathématique du plaisir, 2014). 

-   Un paysage abstrait inspiré d’une œuvre de Zao Wou-Ki, dans laquelle surgissent des villes imaginaires, inspirées des lointains des peintres flamands Joachim Patinir et Lucas Gassel.

vendredi, octobre 15, 2021

Maurice Leblanc, un peintre mystérieux

 

Maurice Leblanc, fête foraine dans le port de Bordeaux, vue de la Douane, huile sur toile 58 x 88 cm

Maurice Leblanc est un peintre mystérieux. On ne sait à peu près rien de sa biographie, mais ses peintures nous révèlent un ancrage creusois. Il a peint Fresselines, Crozant, Genouillac, Soumans, Gargilesse, Gueret…

Les commissaires-priseurs qui ont eu à vendre ses tableaux, l’ont donc logiquement rattaché à l’école de Crozant (sous cette dénomination sont regroupés les nombreux peintres paysagistes qui sont allés dans la Creuse, notamment autour de Crozant et de Fresselines, à la suite d’Armand Guillaumin et de Claude Monet, et cela jusque dans les années 1920). 

 

Maurice Leblanc, L'hôtel des artistes à Fresselines

 
Maurice Leblanc, Gargilesse, huile sur toile 33 x 46 cm

Mais les catalogues de vente donnent à Maurice Leblanc, peintre, les dates de naissance et de mort 1864-1941, qui sont celles de l’autre Maurice Leblanc, le romancier devenu célèbre mondialement grâce à son personnage d’Arsène Lupin.

Par surcroit, et confirmant la désorientation des experts, ils lui ont attribué quelques sculptures d’un  Maurice Leblanc de la fin du XIXe s., lui aussi inconnu… Et le mystère se renforce encore quand on sait que l’auteur du gentleman cambrioleur avait une résidence secondaire… à Fresselines ! (il a d’ailleurs situé une partie de l’action de son roman « L’aiguille creuse » dans cette partie de la Creuse)…

 

Si l’on peut retrouver sur Internet la trace d’une cinquantaine des peintures de Maurice Leblanc (notamment sur le site http://mauriceleblanc.weebly.com/les-tableaux.html), rien, absolument rien, ne donne un début de piste pour sa biographie. A-t-il rencontré le romancier, et emprunté son nom pour lui faire un clin d’œil ? Ou est-ce une pure coïncidence liée à un patronyme assez répandu ? Et coïncidence aussi, la fréquentation par les deux hommes de Fresselines et Crozant ? Quoi qu’il en soit, si l’on se fie aux dates de 1898-1947, indiquées sans plus d’explication par le vendeur d’une des peintures de Maurice Leblanc, et si on examine attentivement les scènes qu’il a représentées (les véhicules permettent de dater approximativement), on peut déduire que son activité picturale s’est déroulée sur le quart de siècle qui va de 1920 à la fin de la seconde guerre mondiale.

 

Son style varie un peu, toutefois il reste facilement reconnaissable, dans le sillage lointain de Marquet, avec une pointe d’expressionnisme et des similitudes le reliant aux autres peintres paysagistes de l’école de Crozant.

 

Maurice Leblanc, Marins sur le port de Dieppe, huile sur conteplaqué peint biface (Honfleur au verso), 38,2 x 48,2 cm

Maurice Leblanc, Le canal Saint-Martin, huile sur toile - 54 X 81 cm

Maurice Leblanc, Fresselines, La petite Creuse, huile sur panneau - 33 x 46 cm

Maurice Leblanc, le garage, huile sur conteplaqué peint biface (chats au verso), 44 x 48 cm
 
Mais ce qui le caractérise vraiment est sa prédilection pour les paysages animés de foules – marché d’Honfleur, concours de pêche d’Armançon –, et surtout pour les foires, fêtes foraines, cirques : le 14 juillet à Genouillac, ou à Paris, la fête foraine à Soumans, à Dieppe, à Bordeaux ; la foire aux pains d’épices à Paris (foire du Trône), le cirque Pinder, et de nombreuses scènes de cirque pas toujours identifiables.

 

Maurice Leblanc, Le marché à Honfleur, huile sur conteplaqué peint biface (Dieppe au verso), 38,2 x 48,2 cm

Maurice Leblanc, Concours de pêche sur l'Armançon, huile sur toile - 65 x 81 cm

Maurice Leblanc, La foire aux pains d'épices, huile sur panneau, 73 x 59 cm

Maurice Leblanc,
Maurice Leblanc, Fête dite "de la nature", à Paris, huile sur panneau toilé, 43 x 51cm
 
Maurice Leblanc, Le cirque Pinder, dernière séance, huile sur panneau - 41 x 56 cm

Maurice Leblanc, L'entrée du cirque, huile sur panneau, 38 x 78 cm

Les articles de mon blog ont parfois permis de retrouver des éléments de biographie de peintres oubliés par la postérité. Aussi j’encourage tout lecteur de ce post, qui aurait des informations ou des pistes pour tirer les fils de la biographie du peintre Maurice Leblanc, à me contacter en me laissant un commentaire.



dimanche, octobre 03, 2021

La Roche-Maurice, près de Landerneau, un ancien dessin retrouvé

Auguste Mayer, (1805-1890, peintre de la Marine), vue de la Roche-Maurice, à côté de Landerneau, 1857, fusain, crayon noir, craie blanche, et estompe sur papier bistre 35,5 x 56 cm.

Au début des années 1840, le jeune Auguste Mayer (1805-1890, natif de Bretagne et peintre de la Marine) ainsi qu’Eugène Cicéri (1813-1890) et Léon Gaucherel (1816-1886), furent recrutés par le baron Taylor, concepteur et éditeur, avec Charles Nodier et Alphonse de Cailleux, des monumentaux « Voyages pittoresques et romantiques de l’ancienne France » (1820-1878), pour illustrer les deux volumes consacrés à la Bretagne, parus en 1845-1846. 
 

Pour faire ces illustrations, les jeunes artistes allaient dessiner d’après nature sur les sites remarquables, et faisaient de nombreux croquis selon divers points de vue. Ces esquisses une fois réalisées, certaines étaient choisies pour être affinées et traduites en lithographies, avec ajout de détails et de personnages (parfois exécutés par un autre dessinateur).

 

La Roche-Maurice, à côté de Landerneau, faisait partie de ces sites remarquables et fut illustrée dans les Voyages pittoresques par cinq lithographies. Le lieu est en effet très romantique : on y voit, sur un promontoire rocheux dominant le cours sinueux de l’Elorn et le village de La Roche-Maurice, les ruines de l’ancien château médiéval de Roc’h Morvan (XIIe siècle) qui, durant les guerres de religion, fut détruit par un incendie, puis abandonné : il servit dès lors de carrière de pierre aux habitants du village en contre-bas.

 

Reconstitution idéale du château médiéval du Roc'h Morvan (in http://andre.croguennec.pagesperso-orange.fr/lr/rochmorvan.htm)

Auguste Mayer (dessinateur) et Eugène Cicéri (lithographe), De la Martyre à La Roche-Maurice, in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France",1845-46

Léon Gaucherel (dessinateur) et Eugène Cicéri (lithographe), Château de La Roche, in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France",1845-46

Léon Gaucherel (dessinateur) et Eugène Cicéri (lithographe), La Roche Morice (sic), in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France",1845-46

Eugène Cicéri (dessinateur et lithographe), Château de La Roche, in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France", 1845-46

 

Eugène Cicéri (dessinateur), Bellet (lithographe), Château de La Roche, in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France", 1845-46

Sur les cinq lithographies des Voyages pittoresques montrant le Roc’h Morvan (ci-dessus), deux sont d'après des dessins de Gaucherel, deux d'après ceux de Cicéri, et une seule d'après un dessin de Mayer ; et ce n’est pas celle qui correspond au point de vue du dessin retrouvé, présenté en début d’article. Ce dessin, exécuté par Mayer au crayon noir, fusain, et craie blanche sur papier bistre, montre le monticule et les ruines au milieu d’un paysage calme, où l’Elorn et le pont qui le franchit ont une importance aussi grande que le Roc’h Morvan lui-même. Quand Mayer a présenté l’esquisse correspondant à ce point de vue, il faut imaginer que le baron Taylor lui a préféré celle de Gaucherel prise à l’opposé, depuis le sud-ouest, qui montre au premier plan des blocs rocheux plutôt que des maisons, et donne ainsi du site un aspect plus sauvage, correspondant mieux à la vision romantique.

 

Mayer, habitué à dessiner rapidement depuis les bateaux sur lesquels il naviguait, était un artiste prolixe, et ses carnets devaient regorger de dessins et croquis, dont tous n’aboutissaient pas d’emblée à une estampe ou un tableau. On lui doit une série de dessins composés à partir des esquisses faites en 1838-1840 depuis la corvette « la Recherche » pour une expédition française dans l’atlantique nord et les îles scandinaves, à but scientifique, naturaliste et ethnologique.

 

Auguste Mayer, Expédition "La Recherche", 1938, Fusain, crayon, craie blanche, estompe sur papier bistre 28 x 43.5 cm

Auguste Mayer, La corvette « La Recherche » à Bjørnøya le 7 août 1838

En 1850, nommé professeur de dessin à l’école navale de Brest, et navigant moins, il eut sans doute parfois le désir de retravailler et d’aboutir certains de ses croquis restés sans lendemain. C’est le cas pour le dessin retrouvé, présenté en en-tête de l’article, signé et daté de 1857 ; il est aussi élaboré et travaillé qu’une lithographie, et vient vraisemblablement, comme je l’ai dit, de l‘esquisse faite une quinzaine d’années plus tôt dans le cadre de son contrat avec le baron Taylor, mais non retenue.

 

Et il est amusant de constater que, si la technique lithographique avait été inventée à la fin du XVIIIe siècle pour reproduire au mieux les dessins, c’est ici le dessin qui finit par vouloir imiter la lithographie !

 

Pour bien mesurer la différence entre esquisse faite sur le motif et image définitive (lithographie ou dessin fignolé), j’ai pris deux exemples de lithographies dont les dessins préparatoires ont été conservés à la bibliothèque nationale :

 

-       D’Eugène Cicéri, une esquisse de la Roche-Maurice, et sa lithographie réalisée par lui-même.

Eugène Cicéri, Vue du chateau de La Roche, esquisse et lithographie

 

-       D’Auguste Mayer, une esquisse du « pavé » de Morlaix, et sa lithographie réalisée par le lithographe Victor Petit.

 

Auguste Mayer, esquisse pour le "Pavé de Morlaix" et lithographie correspondante de Victor Petit

Il est étonnant de voir dans cette dernière, que mis à part le redressement des perspectives et l’ajout de quelques anecdotes comme le linge aux fenêtres, le lithographe est resté très fidèle au dessin original en ce qui concerne le paysage. Par contre, alors que Mayer avait pris la peine de croquer sur le vif les personnages, montrant l’animation du lieu, Victor Petit a cru bon de les remplacer par des silhouettes en costume breton, beaucoup plus convenues et figées que celle de l’esquisse d’Auguste Mayer. J’aimerais retrouver l’esquisse originale de la vue de La Roche-Maurice de Mayer, tant il paraît évident que lui-même, imprégné par l’esprit de la lithographie, a rajouté au premier plan de son dessin des personnages convenus, comparables à ceux que Victor Petit exécutait pour ces lithographies des Voyages pittoresques et romantiques de l’ancienne France.