présentation des peintures synchronistiques

samedi, juin 24, 2017

La cène synchronistique au Louvre ?

Si un jour Venise demande au Louvre la restitution des Noces de Cana de Véronèse, il pourrait être envisagé de remplacer le grand tableau du maître vénitien par ma Cène synchronistique (si le Louvre me le demande, je veux bien la mettre au format !!)... 

En attendant, on peut toujours la découvrir jusqu'au 30 juin 2017 à St Emilion, à la Cour des Art (Little Gallery)... Profitez-en!


dimanche, juin 04, 2017

Sur les chemins de l'imaginaire à St Émilion

À Saint Émilion, du 16 au 30 juin 2017, Elena Cantero présente dans sa « Little Gallery » de la Cour des Arts, une sélection de mes peintures qui montrent les chemins picturaux que j’emprunte pour revisiter l’histoire de la peinture et son imaginaire.

Le beau village de Saint Émilion, que j’ai peint de nombreuses fois, est un écrin propice à l’ivresse des sens et de l’imagination. S’il est l’un des plus grands sanctuaires de la viticulture bordelaise, il est aussi l’expression d’un certain art de vivre français, enraciné dans le terroir et ouvert sur le monde entier. Un peu comme ma peinture qui rêve de concilier l’esprit de liberté contemporain et la déférence envers les maîtres anciens.

Je serai au vernissage vendredi 16 au soir, ainsi que tout le week-end « portes ouvertes », les 17 et 18.

Les visiteurs et amateurs, que j’espère nombreux, pourront débattre avec moi de la démarche « synchronistique » en peinture, et découvrir, s’ils le souhaitent, quelques-uns des petits secrets qui se cachent dans chacune de mes œuvres.
Gilles Chambon, St Emilion vu depuis la tour du Roi, huile sur toile 37x50cm, 2017

vendredi, mai 12, 2017

La pensée synchronistique

Max Ernst, Collage, in "Une semaine de Bonté" roman-collage, 1934
« J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges. »
Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, II, Alchimie du verbe

Dans chaque esprit humain, il y a un attracteur étrange qui sommeille.
Pour les non initiés aux théories du chaos, rappelons qu’un attracteur étrange est la figure géométrique stable qui apparaît lorsque l’on modélise l’ensemble des trajectoires possibles d’un système complexe à comportement chaotique, comme par exemple les phénomènes météorologiques.

J’appelle donc attracteur étrange, dans l’esprit humain, cette capacité mystérieuse, enfouie au plus profond de notre constitution psychique, qui nous permet de  découvrir et de révéler les relations cachées entre certaines choses qui n’ont a priori rien à voir entre elles, dispersées qu’elles sont aux quatre coins de l’espace-temps.

L’attracteur étrange est particulièrement développé chez les artistes et les poètes. Ils s’en servent pour débusquer les liens transcendantaux unissant des choses sans rapport objectif entre elles. Jung avait parlé de synchronicité pour qualifier les coïncidences signifiantes, moment où prennent un sens des combinaisons arbitraires de faits, qui ne devraient pas en avoir selon la logique du monde ordinaire. Ces coïncidences troublantes, expression d’une réalité acausale du monde, sont comparables aux mots de la poésie, assemblés selon un ordre caché.

Et qu’on ne se méprenne pas : l’attracteur étrange et son activité synchronistique ne sont en aucun cas une simple résurgence de la pensée analogique. Celle-ci, qui certes tente de voir entre les phénomènes d’autres liens que ceux de la causalité matérielle, relie les choses selon leur ressemblance formelle, et postule que cette ressemblance recouvre forcément une parenté d’essence, entraînant elle-même une similarité dans les interactions. C’est le B-A BA de la magie opérative.

Mais il ne s’agit pas de cela ; la pensée synchronistique va bien au-delà de la recherche d’analogies. C’est une pensée non systémique, capable de détecter les nouveautés absolues qui émergent, beaucoup plus fréquemment qu’on ne le croit, dans le continuum des enchaînements causes/effets. Si on croit que ces nouveautés sont simplement la marque du hasard, de l’indétermination de certains processus chaotiques, on ne peut alors expliquer l’existence, pourtant avérée en physique, des attracteurs étranges.

Quand il y a apparition de nouveauté absolue, c’est peut-être qu’il y a distorsion de l’espace-temps. 
Je m’explique : les dimensions de notre univers sont multiples (les astrophysiciens en imaginent jusqu’à une douzaine), mais la plupart ne sont pas déployées. Elles existent néanmoins, repliées dans l’espace et le temps de notre perception courante. Certaines situations leur permettent cependant de s’exprimer et de donner une impulsion particulière aux transformations qui rythment l’évolution de l'univers visible.
Il en va pareillement de la poésie, qui a le pouvoir de manifester ponctuellement ces dimensions cachées, donnant ainsi une profondeur inédite au petit théâtre qui agite les êtres matériels dans l’espace-temps, tels que nos sens et notre intellect les perçoivent habituellement. Elle les fait chanter comme les harmoniques d’un accord musical, les met en résonance avec le passé et le futur.

N’étant pas systémique, cette manifestation d’une réalité cachée ne produit pas à proprement parler de connaissance nouvelle, cumulable ou capitalisable par la science. On ne comprend pas mieux le réel quand on en restitue la poésie, mais on le ressent mieux, on entre en sympathie profonde avec lui. La pensée moderne, scientifique, nous fait connaître un univers extraordinairement vaste et structuré selon des lois remarquablement constantes. Mais si cet univers est bien réel, il n’est vraisemblablement qu’un tout petit fragment du Réel ; sa surface lisse ; la petite partie qui en émerge, perceptible par notre regard et par notre intellect, à la surface d’un océan de matière noire. Et cet océan de matière noire n’est autre que l’océan de notre ignorance.

Grâce à la pensée synchronistique, poètes et artistes plongent allègrement leurs antennes dans cette masse impénétrable aux lumières de la raison, et pêchent, au hasard de leur errance, des poissons mystérieux qui entrent dans la nasse de leurs rêves, et les aident à ciseler des œuvres sibyllines, parfois difficiles à comprendre, mais, lorsqu’elles sont authentiques, plus vraies que toutes les dissertations scientifiques sur le réel étriqué.

La pensée synchronistique est une transcendance, une mystique, une religion sans Dieu, sans dogme, et sans système d’exégèse. Elle est fusionnelle et inexplicable, mais elle sert néanmoins à ensemencer notre intellection, et aide la raison à ouvrir de nouveaux sentiers à travers la jungle du Réel, à jamais foisonnante et inextricable…

samedi, mai 06, 2017

Dédale

Gilles Chambon, Dédale, huile sur toile 70 x 50 cm, 2017
Dédale, selon la légende, était le plus grand des architectes de la Grèce antique. Il construisit le labyrinthe pour le roi Minos, s’échappa de Crète par les airs en fabriquant des ailes pour lui et son fils Icare, réalisa de nombreuses statues dans toute la Grèce, construisit de grands monuments en Sicile, puis en Sardaigne où, selon Salluste, il termina ses jours. On lui attribue parfois les mystérieux "nuraghes", ces tours mégalithiques en forme de cônes tronqués, qui parsèment le sol sarde.

Étant architecte moi-même, je me devais de lui rendre un hommage pictural.

Dans ce tableau synchronistique, j’ai donc recomposé des nuraghes imaginaires qui forment une sorte de labyrinthe géométrique. Pour cela,  j’ai détourné un fragment d’une nature morte de Picasso de 1912, et réinterprété une peinture de Massimo Scolari (lui aussi peintre et architecte), de 1973, qui représente justement un paysage du nord-est de la Sardaigne. Et j’ai enfin eu recours, pour évoquer la figure de Dédale, à l’homme ailé que Francisco Goya dessina pour la gravure n° 13 de sa série des Disparates, « Modo de volar ».

dimanche, avril 30, 2017

Leçon de choses

Gilles Chambon, Leçon de choses, huile sur toile 55 x 55cm, 2017
Une leçon de choses repose sur le principe éducatif consistant, à partir d'un objet concret, à faire acquérir une idée abstraite.

Ma peinture est en l’occurrence l’objet concret qui renvoie non pas à une seule idée abstraite, mais à la multiplicité des idées que suggère toute expression de la réalité. C’est comme un carré magique qui, quel que soit le sens que l’on donne à la lecture de ses composants, renvoie toujours au même résultat.

Lacan disait : « le réel, c’est quand on se cogne ».

Sur ma toile synchronistique,

-    Se cognent les deux lutteurs, sortis d'une gravure
de José de Ribera ;
   
-    Le soleil cogne sur la statue alanguie d’une ville métaphysique de Giorgio de Chirico.

-   Se cognent aussi le paysage Chiriquesque et la géométrie abstraite que j’ai réinterprétée d’une composition de Geer van Velde.

samedi, avril 22, 2017

Le retour des korrigans

Gilles Chambon, Le retour des korrigans, huile sur toile 50x65 cm, 2017
Les petits personnages légendaires que sont les korrigans ont été relégués dans le folklore, conséquence de l’emprise toute puissante qu’a pris le matérialisme rationnel sur nos esprits. Ceux qui jadis donnaient mystère et âme aux choses du quotidien, ont perdu tout leur pouvoir, et nous ont laissé un monde peuplé de coquilles vides, livrées aux chiffres des statistiques, aux dynamiques abstraites de la société productiviste, ou aux bilans carboniques de l’écologie militante.

Plus personne ne pose la question soulevée jadis par Lamartine :
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme

Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?... »

Seuls les artisans de l’imaginaire, et notamment les peintres, peuvent aujourd’hui encore faire revenir lutins et farfadets pour réenchanter notre monde. 
C’est ce que fait mon tableau synchronistique, en invoquant trois empêcheurs du réel à tourner en rond : Cornelis Schut, un peintre baroque  anversois, élève de Rubens ; Paul Gauguin, le plus grand interprète de l’âme du monde ; et Juan Gris, le plus analytique des cubistes synthétiques. Tous trois, à leur façon, ont su regarder le réel au-delà des apparences.

-    Mon couple de korrigans, ainsi que le petit amour qui les survole, dérivent d’un dessin de Cornelis Schut pour Apollon et Daphné (« L’assemblée des dieux olympiens avec Apollon et Daphné », crayon, pinceau, et encre sur papier, 22 x 28,4 cm, galerie Lowet de Wotrenge, Anvers).

-    La partie gauche du tableau est réinterprétée d’une estampe de Juan Gris titrée « Le paquet de tabac » (1933, Gravure rehaussée à la gouache, 21 x 26 cm, Jeanne Bucher, Paris).

-    Le paysage de la partie droite vient d’une toile de Gauguin, « Pêcheurs et baigneurs sur l’Aven » (1888, huile sur toile 73x60cm, collection privée).

vendredi, avril 21, 2017

Exposition à Lyon au Palais Bondy


Du 18 au 28 mai 2017, je présenterai une dizaine de mes peintures récentes au Palais de Bondy, Lyon 69005, dans le cadre du Salon de Printemps de la Société Lyonnaise des Beaux-Arts.

vendredi, avril 14, 2017

La puberté d'Andromède

Gilles Chambon, La puberté d'Andromède, huile sur toile 68x50cm, 2017
Le mythe de Persée délivrant Andromède d’un monstre carnivore est l’une des nombreuses variantes légendaires qui s’articulent autour d’un même schéma : un monstre maléfique sorti des flots ravage un royaume, et pour l’éloigner, il est nécessaire de lui livrer la fille du roi. Un héros chevaleresque surgit alors, vainc le dragon, et, la plupart du temps, épouse la princesse. L’histoire de Saint Georges en est une célèbre transposition.

Les chercheurs ont répertorié un grand nombre d’occurrences de ce mythe, appelé « tueur de dragon » (classification des contes-types Aarne-Thompson-Uther). Son origine remonterait probablement au paléolithique, et il est attesté sur les cinq continents. C’est que sa puissance dans l’imaginaire humain est grande, parce qu’il touche à certains aspects les plus secrets de notre inconscient.

La peinture synchronistique que je livre ici n’a pas la prétention de dévoiler ces secrets. Mais peut-être en fera-t-elle percevoir quelques reflets. Comme à l’accoutumé dans mes compositions synchronistiques, celle-ci fait converger plusieurs sources éloignées :

-    Il y a d’abord dans le ciel un vrai Persée, repris d’un dessin du peintre génois Bartolomeo Gagliardo (1555-1626)

-    Également un vrai dragon, mais celui du Saint Georges de Raphaël (peinture conservée au Louvre), à travers la réinterprétation d’un dessin de son atelier (vendu chez Maître Prunier le 13 novembre 2016)

-    Par contre mon Andromède dérive d’un collage retouché à la peinture, de Max Ernst, intitulé « La puberté proche… Ou Les Pléiades » (1921), qui n’a rien à voir avec la fille de Cassiopée. Sous le collage est écrit de la main de l’artiste le texte suivant : « La puberté proche n’a pas encore enlevé la grâce ténue de nos pléiades \  Le regard de nos yeux pleins d’ombre est dirigé vers le pavé qui va tomber \  La gravitation des ondulations n’existe pas encore. »

-    Enfin le rocher et son paysage maritime sont extraits d’un tableau d’Henri Manguin de 1906, titré Le Rocher (ou encore « La Naïade, Cavalière » - collection privée).

Le titre de ma composition « La puberté d’Andomède » est évidemment inspiré du titre surréaliste du collage de Max Ernst, et en dit long sur les rapports entre la puberté, le dragon dont le bout de la queue s’est couvert de sang menstruel, et le héros Persée qui dé-visage Andromède, après avoir décapité Méduse la Gorgone, changeant en pierre (soumise à la gravité/gravidité) la pluie spermatique céleste. Comprend qui peut !

vendredi, mars 24, 2017

Job et les démons

Scènes de la vie de Job ; Maître flamand inconnu ; 1480-90, volet droit d'un autel commandé par le prieur Claudio Villa ; Wallraf-Richartz Museum, Cologne
L’histoire de Job est singulière : voilà un homme exemplaire et pieu, respecté de tous, et que la vie a comblé de richesses et d’une descendance nombreuse. Tout le monde pense que son bonheur est la récompense de sa probité et de sa dévotion. Mais Satan va s’en mêler, et faire basculer son destin. Dieu donne en effet au prince des Enfers la permission de mettre Job à l’épreuve, pourvu toutefois qu’il lui garde la vie sauve. 

Dès cet instant les démons vont s’en donner à cœur joie, et lui faire vivre l’enfer sur terre ; ils vont s’en prendre à tout ce qu’il possède, ruiner tous ses biens, tuer ses enfants, et le torturer jusque dans sa chair en lui infligeant une maladie purulente qui lui ravage toute la surface du corps. Mais la foi de Job restera malgré tout inébranlable, et Satan, au bout du compte, devra s’avouer vaincu. Dieu rendra alors à Job santé, richesses, et nouvelle descendance, deux fois plus qu'avant, en proportion de la foi indéfectible dont il a fait preuve pendant tout le temps où le mauvais sort s’est acharné sur lui.

Erhard Altdorfer, Histoire Lazare et de Job, détail, panneau droit montrant l'histoire de Job, circa 1520, tempera et huile sur bois 114.5 × 150 cm,  National Museum, Wroclaw, Pologne

Cette histoire, rapportée dans l’Ancien Testament, semble trouver des origines lointaines en Mésopotamie. C’est avant tout un conte moral destiné à montrer qu’en toutes circonstances il faut garder la foi et remercier Dieu, même quand tout porte à croire qu’il nous a abandonnés. Mais au-delà de la morale, cette parabole pointe d’importantes questions philosophiques : l’injustice réelle ou apparente de la nature et des destinées individuelles, l’existence du mal irrationnel et l’attitude à adopter quand il nous frappe ; comment est-il compatible avec la toute-puissance, l'omniscience, et l'infinie bonté envers les hommes que l’on attribue à Dieu ? Comment résoudre le hiatus entre la raison et la foi ?

Le philosophe allemand Leibniz, dont les thèses sont reprises ensuite par Pope dans son « Essai sur l’Homme » pensait que oui, ce monde est bien « le meilleur des mondes possibles » ; il avait créé le terme de théodicée (1710) pour désigner l’existence d’un « plan d’ensemble qui conduit l’humanité » (définition donnée par Finkielkraut), plan qui n'empêcherait pas l'existence du mal. Un tel plan (les voies impénétrables de Dieu, en quelque sorte) conduit les hommes au fatalisme, et ce fatalisme fut débattu par les philosophes du siècle des lumières. Une querelle éclata notamment après le tremblement de terre de Lisbonne de 1755, qui, rappelant les catastrophes qui s’abattirent sur Job, fit en quelques minutes plus de vingt-cinq mille morts et détruisit dix-huit mille édifices, sans qu’on puisse en imputer la responsabilité à qui que ce soit, sinon à Dieu lui-même. Emmanuel Kant, Jean-Jacques Rousseau, Diderot, et Voltaire s’en prirent à la thèse de Leibniz. Mais même s’il railla dans Candide la naïveté du meilleur des mondes, Voltaire relativisa aussi l’opinion rationaliste dans un très beau poème sur le désastre de Lisbonne, dans lequel il pointe la faiblesse physique et intellectuelle inhérente aux hommes, leur incapacité à surmonter et à comprendre la souffrance, si ce n’est par l’espérance, que seule peut leur donner la foi.

Le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, gravure ancienne
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Mais revenons à Job et aux maux que lui inflige le diable. Ils sont à l’opposé des tentations auxquelles il soumet le Christ, ou Saint Antoine (bien que celui-ci soit aussi parfois maltraité par ses démons), ou encore Faust ; avec Job, Satan n’est pas le tentateur, mais le tortionnaire. Les représentations picturales de Job tourmenté par les démons se rapprochent donc beaucoup des scènes montrant les damnés en enfer, très nombreuses dans l’iconographie médiévale. En voici quelques exemples, mis en parallèle avec les représentations de Job (colonne de gauche, Job, colonne de droite, damnés) :

de gauche à droite et de haut en bas :
- Diable tourmentant Job (in St Grégoire le Grand, Moralia in Job, manuscrit latin 15675 f.5v, 3eme quart du XIIe s., BNF)
-Giotto : Le Jugement dernier, détail. 1306. Fresque de la chapelle Scrovegni, Padoue -
Job tourmenté par 4 démons, Office des morts, Livre d'heures, Rouen, autour de 1500, fol. 55r MS. Buchanan e.3, Bodleian Library, Oxford  - Taddeo di Bartolo, Jugement dernier (détail), 1393, Panneau, Collégiale, San Gimignano, Sienne - Job et les demons, Bibliothèque de l’Arsenal (BNF), Ms-651 réserve, détail  f. 89r. 1er quart du XVIe s. - Le jugement dernier, détail du f. 108v. Le Livre du Regime des princes, translaté de latin en françoiz par messire Gilles de Romme, archevesque de Bourges, XVe s., BNF


de gauche à droite et de haut en bas : - Job couvert d'ulcères s'enfuit devant Satan, gravure in Légende dorée de William Caxton, 1483-1484 - l'Enfer, détail du f . 53 r., Dante Alighieri, Divine Commédie, premier chant, XVe s. enluminé par Bartolomeo di Fruosino, BNF - Job sur son fumier tourmenté par sa femme et par le diable, détail Folio 308r., Histoire de la Bible, Utrecht, ca. 1467, Maître de Vederwolken , La Haye, Koninklijke Bibliotheek - l'Enfer, détail du f. 64v. Dante Alighieri, Divine Commédie, premier chant, XVe s. enluminé par Bartolomeo di Fruosino, BNF - Job fouetté par le diable tandis que sa femme le regarde, in "Le Miroir de l'humaine Salvation", Chapitre XX, Ms. fr. 139
Musée Condé, Chantilly - Jan van der Straet ( Stradanus), illustration de la Divine Comédie de Dante, L'Enfer, Chant 17, 1587, conservé à la Bibliothèque Medicea-Laurenziana, Florence
de haut en bas et de gauche à droite : - Satan parle à Dieu puis tourmente Job, in Bible historiale, Guiard des Moulins,  France, Paris, début XVe siècle, BNF, Manuscrits, Français 3 - Diables mordant et griffant les damnés, MS. Douce 134, f. 100r. Livre de la Vigne nostre Seigneur. France, c. 1450-1470, Bodleian Library, Oxford - Job frappé par Satan et moqué par sa femme, manuscrit allemand du XVe s. (non identifié) - au-dessous : Job entre sa femme et deux démons, manuscrit bible historiale,  Utrecht C. 1430Bibliothèque Royale, La Haye - Diables torturant les damnés, MS. Douce 134 fol. 095v. Livre de la Vigne nostre Seigneur. France, c. 1450-1470, Bodleian Library, Oxford - Job frappé par le diable et moqué par se femme, gravure allemande du XVIe s. (non identifiée) - Luca Signorelli, Les damnés en enfer, détail, 1499, Chapelle San Brizio, Orvieto.

À gauche, Job sur son tas de fumier fouetté par le diable, gravure, Monogrammiste AI, 1557 - à droite, illustration de l'Office des Morts (détail), Horae ad usum romanum (Heures dites de Henri IV) XVe s. , f. 56 r, BNF


 A la fin du XVe et au XVIe siècle, les premiers livres imprimés illustrant les épisodes bibliques, ainsi que les premiers recueils de gravures, même s’ils évoluent vers davantage de réalisme, garderont l’image d’un ou de plusieurs démons tourmentant Job. Si certains artistes, comme Maarten van Heemskerck, à la suite de Michel-Ange, donnent au diable une apparence très humaine, à laquelle sont simplement ajoutées une paire de cornes, des griffes, des ailes de chauve-souris, et une queue, d’autres prolongeront les monstres médiévaux en laissant libre cours à leur imagination.

Gravure de Ph. Galle sur un dessin de Maarten van Heemskerck de 1562, Satan infligeant à Job des ulcères (l'une des huit illustrations de l'histoire de Job par Heemskerck)
Job sur son tas de fumier, gravure 15,7x11,7 cm, école d'Albrecht Dürer, 1509

Dans toutes ces représentations, les démons frappent ou griffent le corps de Job pour lui infliger les ulcères qui caractériseront son état de déchéance physique. Ils lui écorchent la peau avec leurs griffes ou avec un sarcloir, ils le couvrent d’ecchymoses en le battant avec leurs poings, avec un fouet, avec des branchages brûlants, des cordes, des chaînes, et même des serpents.

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Lorsqu’à la fin du XVIe siècle arrive le réalisme caravagesque, l’accent va être mis principalement sur l’épisode où Job, pareil à un clochard, est assis sur son tas de fumier, en but à la colère de sa femme et à l’affliction de ses trois amis Eliphaz de Théman, Bildad de Schuach, et Tsophar de Naama.
Hendrick Bloemaert (1601-1672), Job raillé par sa femme, hst 160x134cm, église Sint-Waldetrudis, Herentals, Belgique

À gauche, Rutilio Manetti (Sienne 1571-1639), Job et sa Femme, hst 142x99,5cm, vente Dorotheum 2013 - à droite, Jan Lievens (1607-1674), Job sur son fumier, 1631, hst 172x149cm, National Gallery of Canada, Ottawa

Beaucoup de ces représentations ont été faites dans le cadre d’une dévotion particulière à Job, dans des chapelles qui lui étaient dédiées. En effet Job était invoqué pour guérir les maladies de peau (notamment le mal de Naples), et on connaît une statue "miraculeuse" du XIVe ou XVe s. dans l’église St Martin de Wezemaal (Brabant), qui attirait jadis un important pèlerinage. Par ailleurs, Saint Job est devenu aussi le patron des musiciens (en concurrence avec Sainte Cécile). Cela peut paraître étrange, mais deux origines de ce saint patronage sont possibles : d’abord une référence à un passage du  « Testament de Job » (texte apocryphe du 1er siècle), où l’on voit Job jouer de la musique à la louange de Dieu et de ses servants. Ensuite une légende selon laquelle Job retirait ses croûtes, qui se transformaient en pièces d’or, pour les distribuer aux musiciens qui jouaient devant lui en vue de soulager un peu ses souffrances. Cette légende est évoquée par une gravure du Monogrammiste BOS (Michiel van Gemert ?), et par un tableau de Jan Mandyn (on en voit aussi une illustration en bas à droite du tableau Flamand en tête de l'article) :

Monogrammiste BOS, Job avec deux musiciens, 1er quart du XVIe s., gravure 9,4x7,8 cm, Ashmolean Museum
Jan Mandyn, Les épreuves de Job, c. 1540-1550, huile sur panneau de chêne, 67x141cm, Musée de la Chartreuse, Douai

Les scènes à connotation médiévale présentant des démons infligeant ses tourments à Job, auraient peut-être disparues du registre des peintres, si Rubens ne les avait pas magistralement développées dans le volet gauche d’un triptyque bruxellois de 1613 (triptyque de Job dans la détresse, église St Nicolas à Bruxelles) resté célèbre malgré sa disparition en 1695 suite à un incendie provoqué par les bombardements de la ville pendant la guerre menée par Louis XIV. Grâce aux copies qui en ont été faites, on connaît assez fidèlement, de ce triptyque, le panneau central, représentant Job entre sa femme et ses trois amis, et le volet de gauche, représentant justement Job tourmenté par les démons.

Lucas Vorsterman (d'après), Job tourmenté par les démons, gravure 38,8x26,1 cm, remise dans le bon sens (la 1ere gravure de Vorsterman est inversée par rapport au tableau de Rubens) ; d'après le panneau de gauche du triptyque de la détresse de Job, de Rubens
Atelier de Rubens, Job sur son tas de fumier, dessin 44,5x36,5 cm (inspiré du panneau central du triptyque de la détresse de Job, de Rubens), vente Christie's Londres juin 2010
Par contre le volet de droite, qui montrait le messager apportant la nouvelle des catastrophes ayant frappé sa famille et ses biens, et la scène volets fermés, représentant Job rétabli dans sa nouvelle prospérité, ne sont connus que par une mention écrite très sommaire de François Jean Joseph Mols (seconde moitié du XVIIIe s.) qui l’avait lui-même recopié d’un certain Smeyers, à partir d’un catalogue de 1640, année de la mort du peintre.

Mols écrit: « 1613 - Le fameux tableau de St Job sur le fumier dans l’église de St Nicolas de la même ville. Ce tableau, qui était compté pour un des chefs d’œuvre de Rubens, vengea celui-ci des critiques de sa Ste Anne. Il estoit en volets, le grand tableau représentoit ce St patriarche assi sur le fumier élevant une main vers le ciel, & s’ôtant de l’autre le pus qui sortoit de ses plaies avec un morceau de pot cassé, d’un côté sa femme le provoquoit & de l’autre ses amis qui tachoient de le consoler. Sur l’un des volets on voioit un mesager qui en grande hâte (wiping the sweat from his brow) vennoit anoncer à Job la destruction de ses biens, & sur l’autre on voioit Job livré à Satan qui le tourmentoit d’une étrange façon. Quand ces volets étoient fermés, on voioit Job rétabli dans ses biens. Il étoit comme sur un perron, au bas duquel, d’un côté, on lui présentoit des fruits, et de l’autre, on lui amenoit plusieurs enfants. Ce tableau seul suffissoit non seulement pour faire taire les critiques de la ville, mais tous ceux qui ailleurs tachoient a déprimer les valeurs suppérieurs de ce grand homme. Il étoit d’une telle force de coloris, d’une si grande expression de caractère que les descendant en parlent encore avec admiration. Il fut fait pour la confrérie des musiciens qui ont ce saint pour leur patron. » (in Corpus Rubenianum, Ludwig Burchard – Part III, The Old Testament, by R-A D’Hulst & M. Vandenven, 1989, Harvey Miller Publihers, p. 173).
Essai de restitution partielle du triptyque détruit de la détresse de Job, par Rubens (église St Nicolas, Bruxelles, détruit en 1695)
La scénographie générale du panneau de gauche est inspirée du martyre de St Laurent de Titien (1567), dont il s’est servi aussi pour son propre tableau représentant le supplice de St Laurent.

Dans son Job tourmenté par les démons, le visage et le corps de Job sont issus d’un dessin d’étude de personnage fait d’après nature (aujourd’hui conservé au National museum de Stockholm) :
Rubens, Homme nu penché en arrière, étude pour Job, craie noire, craie blanche, gouache, 57x44cm, Nationalmuseum, Stockholm
Les attitudes de deux des démons sont, selon R-A D’Hulst & M. Vandenven, également inspirées de dessins de personnages fait par Rubens d’après nature. Par contre les visages des diables sont imaginés dans l’esprit médiéval et rappellent les faces grimaçants des gargouilles. Ce que l’on aperçoit des membres postérieurs des deux principaux démons, qui agrippent Job, fait penser à un mixte entre des pattes de lion et des pattes de chèvre …

Ce panneau de Rubens a visiblement marqué les esprits, et on retrouvera des compositions qui s’en inspirent durant tout le XVIIe siècle. En voici quelques exemples, pris tant dans les peintures que dans les gravures illustrant l’histoire de Job.

Le prophète Saint-Job, gravure anonyme de 1641, Musée de Louvain
-    1/ Gravure anonyme (vers 1640) reproduisant un tableau disparu qui se situait dans une église de Wezemaal (Belgique) ; nettement inspirée du triptyque de Rubens de Bruxelles pour les démons et Job, à cela près qu’apparaît au premier plan un démon à pattes de satyre. Par ailleurs, la femme de Job est issue directement d’un dessin de Rubens (anciennement dans la collection C. Fairfax Murray), lui-même réinterprété d’une gravure de Tobias Stimmer de 1576 illustrant une bible (voir images ci-après).
À gauche dessin de Rubens (détail) pour la femme de Job (ancienmt collection Fairfax Murray), à droite gravure de la bible de Stimmer, qui a inspiré Rubens
Un tableau analogue à la gravure anonyme se trouvait au musée de Louvain (illustration ci-après), tous deux copiant certainement le tableau disparu de Wezemaal, qui était peut-être de la main de Rubens.
Anonyme seconde moitié du XVIIe s., Job tourmenté par les démons et moqué par sa femme, hst 118x205cm, Musée de Louvain


Michel Lasne, illustration du "livre de Job paraphrasé", 1641, gravure
-    2/ Illustration du graveur français Michel Lasne (ancien élève de Rubens), faite pour « Le livre de Job paraphrasé », par l’abbé Nicolas Guillebert (1641). La mise en scène générale rappelle celle de Rubens ; le démon du premier plan a des pattes de satyre (on sait que beaucoup de représentations chrétiennes ont donné au diable l’image antique du dieu Pan) ; il est directement inspiré de la gravure anonyme précédente. Lasne ajoute un peu de pittoresque en dessinant un diable volant pourvu de seins et d’un arrière-train de serpent, probablement inspiré d’une illustration de la lèpre reprenant l’image d’un Job tourmenté, dans un livre de médecine de la première moitié du XVIe s. (Le "Feldtbuch der Wundartzney" de Hans von Gersdorff, 1517).
Job tourmenté par le démon et moqué par sa femme, gravure anonyme, 1517, in Feldtbuch der Wundartzney, Hans von Gersdorff


Anonyme, Job tourmenté par le diable, panneau de polyptyque, 152x63cm, abbaye d'Averbode, XVIIe s.
-    3/ Panneau d’un polyptyque de l’abbaye d’Averbode, montrant Job tenu d’une main par un démon qui brandit un serpent dans son autre main ; ce démon est directement inspiré de celui qui tient la tête de Job dans triptyque perdu de Rubens (voir plus haut la gravure de Lucas Vorsterman).


Anonyme, Job tourmenté par les démons, nommé à tort "Satyres poursuivant le temps", huile sur bois, 50x30cm, vente Tajan mars 2017
-    4/ Petit panneau d’esquisse, anonyme XVIIe s., montrant Job harcelé par deux démons. Celui du premier plan à gauche rappelle les diables aux pieds de satyres des gravures 1/ et 2/… Mais il a perdu ses ailes, et ressemble tellement à un satyre que l’expert de vente, sans doute distrait ce jour-là, a nommé la peinture « Satyres poursuivant le temps » (sic) ! Le second démon, ainsi que le personnage de Job, rappellent fortement ceux du panneau de l’abbaye d’Averbode (3/ ).


Andrea Sacchi, Job tourmenté par le diable, collection Coldiretti, Palazzo Palavicini-Rospigliosi, Rome
-    5/ Tableau d’Andrea Sacchi, peintre romain, dans les collections du Palais Pallavicini Rospigliosi (Rome), montrant Job tourmenté par un démon. La composition rappelle  celle du panneau d’Averbode (3/) ; toutefois l’attitude de Job est plutôt proche de celle d’un tableau d’Antoon van den Heuvel (1600-1677) représentant Job entre sa femme et ses amis (ci-après, très inspiré du panneau central du triptyque perdu de Rubens). Van den Heuvel, peintre de Gand, a travaillé à Rome où il a pu rencontrer Sacchi, son exact contemporain.
Anton van den Heuvel, Job sur son tas de fumier invectivé par sa femme, 275x200cm, église Saint-Job, Belsele, Belgique


Francesco Rosa, Job moqué par sa femme, hst 214,5 x 146cm, vente Dorotheum octobre 2012
-    6/ Tableau de Francesco Rosa (peintre génois ayant aussi travaillé à Venise, 1635 ?- 1710 ?) représentant Job raillé par sa femme ; Satan apparaît dans l’ombre derrière lui, mais davantage comme l’orchestrateur de sa déchéance que comme son tortionnaire. La composition générale reste inspirée de celle de Rubens.

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Pour finir, laissons Rubens et son influence, et tournons nous vers une étrange figure du romantisme du début du XIXe siècle, qui renouvelle totalement l’iconographie de Job ; il s’agit du peintre et poète William Blake. Son « Job » est un poème illustré de vingt-deux planches, publié en 1826, soit un an avant sa mort. Son style est si personnel qu’il ne peut être rapproché d’aucun antécédent, même si lui se réclamait de Giulio Romano, Raphaël, et Miche-Ange. On pourra trouver sur Internet l’intégralité des illustrations du poème. Pour ma part, je m’en tiens à l’image qui montre Job tourmenté par Satan :
William Blake, Satan déversant des boutons sur tout le corps de Job, gouache 1826-27, illustration de Job - 2, 7.

Chez Blake, c’est clairement Satan qui est le personnage principal ; un Satan rayonnant, nu, jeune et beau, libéré de tous les attributs maléfiques et monstrueux hérités du Moyen-âge. Même les ailes de chauve-souris, indispensables pour le reconnaître, sont ici converties en une sorte de cape théâtrale. Blake, qui toute sa vie a été pauvre et non reconnu, identifiait, semble-t-il, son destin à celui de Job… C’est peut-être le lot de tous ceux qui tirent le diable par la queue, et ne récoltent au bout du compte que des plaies, à l’image de Job l'infortuné !

mercredi, mars 22, 2017

Sur un chemin qui ne mène nulle part

Gilles Chambon, Sur un chemin qui ne mène nulle part, huile sur toile, 53,5 x 64,5 cm, 2017
Dans ce tableau synchronistique, ma colonne de marcheurs est empruntée à une gravure de la série des Désastres de la guerre, de Francisco Goya, (estampe N° 70 « Ils ne connaissent pas le chemin »), tandis que le paysage vient d’un tableau de Pedro Marcos Bustamante (1921-2001) titré « Horizontes ». 
Cette cohorte somnambulique, venant d’on ne sait où et errant dans une sierra désolée,  évoque sans doute la parabole des aveugles.

Elle me fait aussi penser aux Chemins qui ne mènent nulle part, recueil de textes de Heidegger (publié en 1950), dans lequel il estimait que les philosophes avaient fini par nous conduire dans l’impasse,  leur réflexion s’étant fourvoyée sur les chemins de la métaphysique et des systèmes rationnels, qui ne mènent nulle part, dans la mesure où ils évacuent la transcendance de l’être.

La question du chemin serait moins sa destination, que le plaisir que nous pouvons avoir à l’emprunter. Il en est ainsi de la vie de chacun, qui, au bout du compte ne mène nulle part ailleurs que dans le tombeau… 
Les hédonistes profitent de la beauté du chemin, tandis que les croyants oublient le paysage et suent sang et eau dans l’espoir d’arriver à une destination que leurs aïeux ont inventée. C'est que la plupart d'entre nous gardent au plus profond d'eux-mêmes cette parcelle de naïveté enfantine (à moins que ce ne soit de la clairvoyance) qui les pousse irréfragablement à croire à l'utopie... et à rechercher le meilleur des mondes au bout des sentiers les plus improbables.

dimanche, mars 05, 2017

Prométhée supplicié

Gilles Chambon, Prométhée supplicié, huile sur papier, 21x26cm, 2017
Comme tous les grands mythes, celui de Prométhée a nourri au fil des siècles de multiples interprétations, souvent contradictoires, démontrant par là même le caractère nécessairement ambivalent de l’imagination mythologique.
Je renvoie le lecteur à l’article très complet de Robert C. Colin « Le mythe de Prométhée et les figures paternelles idéalisées » in Topique N° 84, Mythes et anthropologie, l’Esprit du temps, 2003.

Prométhée (littéralement celui qui réfléchit avant) est un Titan érudit, initié à toutes les sciences par Athéna. Ému du sort très fruste des hommes, il dérobe le feu dans les forges d’Héphaïstos pour le leur donner, malgré l’interdiction de Zeus. Ce dernier, furieux contre sa désobéissance et contre la témérité des humains, enchaînera Prométhée sur le Caucase, et enverra chaque jour un aigle dévorer son foie, qui se régénère chaque nuit.
Quant aux hommes, il les placera face aux conséquences de leur audace, en utilisant Epithémée (littéralement celui qui réfléchit après), l’un des frères de Prométhée : il lui donne en effet pour épouse Pandore (littéralement celle qui a tous les dons), première femme créée,  image de la perfection - fabriquée par Héphaïstos, et il lui offre en dote une jarre mystérieuse qu’il recommande de ne pas ouvrir (en fait, cette jarre contient tous les maux propres à affliger les hommes : vieillesse, maladie, guerre, famine, misère, folie, vice, tromperie, passion, orgueil…). Évidemment la première femme est curieuse et ouvre la jarre, répandant sur les humains tous les malheurs avec lesquels ils doivent vivre depuis.

Que d’analogies avec l’histoire d’Adam et Eve, et que de points communs entre Prométhée  enchaîné au rocher, le flanc droit déchiqueté par le bec du rapace, et le Christ en croix, au flanc droit transpercé par une lance ! J’avais déjà fait d’ailleurs un parallèle entre la figure de saint Sébastien et celle du Christ. Mon Prométhée a donc encore une fois cette dimension christique, dans laquelle la fragilité humaine investit le  corps du dieu ou du titan.

J’ai utilisé trois sources pour composer mon Prométhée supplicié :

- Un dessin de Raphaël : il s’agit d’une étude de buste, pour une Descente de croix (peut-être le buste du Christ, ou celui d’un des voleurs – 1505-1506, conservé au Metropolitan Museum of Art, New York).
Raphaël Sanzio, dessin d'étude, 1505-1506, Metropolitan Museum of Art, N Y

- Un dessin à la plume de Frans Snyders : l’aigle vient en effet d’une étude réalisée pour le très célèbre tableau représentant Prométhée supplicié, auquel il a collaboré pour Rubens (1611-1618, Philadelphia Museum of Art) ; le dessin de Snyders date de 1612 et se trouve dans les collections du British Museum
Frans Snyders, étude pour Prométhée supplicié, British Museum, Londres


- une peinture de Jean Cotté (né en 1931) : le paysage est réinterprété d’une composition intitulée "A Wagner" (technique mixte sur toile, 1986, , 81 cm x 65 cm). Peintre de l’abstraction lyrique, Jean Cotté a créé sur sa toile une sorte de paysage romantique évoquant Wagner, en utilisant des partitions musicales du maître de Bayreuth, collées dans la peinture.
Jean Cotté, À Wagner, technique mixte sur toile, 81 x 65 cm, 1986, localisation inconnue

dimanche, février 19, 2017

Géras ou Senectus, dieu de la vieillesse

Gilles Chambon, Portrait de Géras au béret rouge, huile sur toile 65 x 46 cm, 2017
Géras (Senectus pour les Latins), était le dieu qui personnifiait la vieillesse. Selon Hésiode, il était le fils de la Nuit (Nyx). Beaucoup le redoutaient, mais d’autres l’associaient à la sagesse. Dans son CATON L’ANCIEN, ou DE LA VIEILLESSE, Cicéron fait dire à Caton :

"Tous les âges risquent d'être insupportables à ceux qui ne savent trouver en eux-mêmes les ressources pour orner et remplir leur existence. (…)
Ah! disent en effet les hommes, la vieillesse est arrivée plus vite que nous ne l'avions escompté : mais c'est qu'ils ne savent pas compter ! La vieillesse ne remplace pas plus vite la fleur de l'âge que celle-ci ne succède à l'enfance. Et de toute façon, la vieillesse leur serait-elle moins insupportable si elle survenait, comme ils le rêveraient, à l'âge de huit cents ans, plutôt qu'à quatre-vingts ans ? Le passé une fois écoulé, quelle qu’en ait été la durée, ne sera jamais à même de donner de la joie aux sots, lorsqu'ils seront devenus vieux.(…)
Pourtant il serait invraisemblable qu'après avoir si bien disposé les autres âges de la vie, la Nature en ait, comme un mauvais poète, négligé le dernier acte. Il fallait bien qu'il y eût un terme, et que la vie, mûrie comme le fruit de l'arbre ou le grain de la terre, s'amollit et se courbât sous le poids du temps.
Le sage saura toujours rendre douce cette nécessité.
"

À cette sagesse-là, selon moi, s’oppose, plutôt que la sottise, la terrible folie de Faust. Et à vrai dire, si la folie de Faust tient au désespoir de la vieillesse, je crois que la sagesse de Caton tient un peu de la méthode Coué!
Mais quoi qu’il en soit, pour un peintre, l’âge ne fait rien à l’affaire, et il y a autant de plaisir à  portraiturer le vieux Géras que la belle Vénus ou la mystérieuse Pasithée !

Ce portrait symbolique de la vieillesse fait le pendant au portrait de Pasithée, que j’ai peint le mois dernier. Sa  composition synchronistique emprunte à des œuvres de Goya, Braque, et Giorgio de Chirico.

lundi, février 13, 2017

Hélène enlevée par Pâris, équipée amoureuse ou kidnapping ?


Maerten van Heemskerck, Paysage avec l'enlèvement d'Hélène, Baltimore, The Walters Art Gallery
Parmi les nombreuses peintures qui relatent l’enlèvement d’Hélène par Pâris, prince de Troie, certaines sont franchement guerrières, d'autres, comme celle de Maerten van Heemskerck, plutôt calmes ; et nous verront qu'elles peuvent même être un rien sentimentales. D'où vient alors la diversité de ces interprétations possibles de l'événement légendaire? Hélène, mariée depuis plusieurs années à Ménélas roi de Sparte, et ayant eu de lui une fille, est-elle tombée subitement amoureuse de Pâris et a-t-elle consenti de bonne grâce à leur fuite commune vers Troie ? Ou a-t-elle été séduite contre son gré, comme ensorcelée par quelque stratagème surnaturel d’Aphrodite, qui s’était engagée à la donner au fils de Priam, pour récompense de son jugement favorable dans l’affaire de la pomme de discorde ? Ou bien n’a-t-elle suivi Pâris que contrainte et forcée, manu militari, comme le suggère la dénomination d’enlèvement attachée à cette histoire ? Ou encore, est-ce bien  en fin de compte réellement Hélène qui a été emmenée par le prince de Troie ? Et finalement, l'enlèvement d'Hélène n'était-il pas simplement le prétexte pour régler une vieille vengeance des Troyens contre les Grecs, en représailles du meurtre de leur roi Laomedon par Hercule?

Enlèvement d'Hélène, plat majolique, Famille Fontana (16e s.), Walters Art Museum, Baltimore

Pour répondre à ces questions, il est d’abord nécessaire de redire les grandes lignes de la légende, telle que l’ont transmise - non sans contradiction - les auteurs de l’antiquité, et telle qu’elle a été véhiculée au Moyen-Âge par les deux grands poèmes que sont Le Roman de Troie, et L’Ovide moralisé :

Hélène est la fille de Zeus. Le roi des dieux avait séduit Leda – la femme de Tyndare roi de Sparte – sous l’apparence d’un cygne. C’est pourquoi Hélène, issue de cet étrange accouplement est sortie d’un œuf, avec son frère jumeau Pollux. Dès sa puberté, elle est considérée comme la plus belle des mortelles. D’où la convoitise de tous les princes, et un premier enlèvement à l’âge de douze ans, perpétré par Thésée, et à la suite duquel, selon Stésichore, elle enfanta Iphigénie. Ramenée à Sparte par ses frères et déchargée d’Iphigénie, elle se maria alors à Ménélas, le prétendant que son père putatif Tyndare lui avait choisi, en raison de sa richesse. 
Le couple régnait donc sur Sparte quand eu lieu, sur le mont Olympe, le fameux banquet de mariage de Pelée, roi de Phthie, avec la nymphe Thétis, qui n’était pas vraiment consentante. À ce banquet étaient conviés tous les dieux. Tout semblait bien se dérouler, quand Éris, la discorde, lança une pomme d’or qui devait être donnée à celle des trois déesses Héra, Athéna, et Aphrodite, qui était la plus belle. Le juge désigné pour ce concours de beauté inopiné fut également choisi en raison de la qualité légendaire de son physique : il s’agissait de Pâris, appelé aussi Alexandre, fils cadet de Priam, le roi de Troie. On connaît la suite : chacune des concurrentes tenta de corrompre Pâris en lui promettant l’une la richesse, l’autre le pouvoir, et la troisième l’amour de la plus belle femme au monde ! Le bellâtre préféra cette dernière promesse et désigna donc Aphrodite, qui se fit un devoir de tenir son engagement.
Sur son conseil, le beau prince se rendit donc à Sparte sous le prétexte de rencontrer – et peut-être de ramener – sa tante Hésione, captive depuis que les Grecs conduits par Hercule avaient une première fois massacré la famille royale troyenne, ne laissant en vie que Priam et sa sœur. Il y avait donc déjà dans ce voyage un parfum de vengeance ; mais Pâris fut néanmoins reçu par Ménélas avec les honneurs dus à son rang. Le roi de Sparte ne se doutant de rien, et devant s’absenter quelques temps, il demanda à sa femme Hélène de veiller à ce que leur hôte ne manque de rien. Un soir, arriva ce qui devait arriver : Hélène tomba sous le charme et fut emportée nuitamment par Pâris, qui, si l’on en croit le Pseudo-Apollodore (Épitomé III, 3-5), en profita aussi pour faire main basse sur les richesses de Ménélas. Mais les versions divergent quant à la nature des sentiments d’Hélène, et quant aux circonstances de son voyage vers Troie. Selon certains, (Euripide, Hérodote), elle aurait même été soustraite par Hermès sur ordre d’Héra, déposée à l’abri en Egypte sur l’île de Pharos, et remplacée auprès de Pâris par un fantôme ayant son apparence. 

Quoi qu’il en soit, Ménélas, pour récupérer Hélène et se venger de l’affront infligé par un prince troyen, réactiva le serment qu’avaient fait jadis tous les prétendants d’Hélène, à la demande d’Ulysse, serment qui les obligeait à porter secours à celui d’entre eux qui épouserait Hélène, s’il advenait un jour qu’il soit outragé par un rival.
Une coalition de tous les princes grecs partit donc faire la guerre en Troade, comme Homère l’a raconté dans L’Iliade.

Chez les Romains, Virgile s’est ensuite emparé du mythe pour le prolonger dans L’Énéide. On y découvre Énée, noble troyen apparenté à la famille royale, né d’une union d’un jour entre son père Anchise et la déesse Aphrodite (qui décidemment avait un faible pour les princes pasteurs sur le mont Ida). Pendant la guerre de Troie, Énée s’illustre par ses faits d’armes, et lors de l’incendie final de la ville par les Grecs, il arrive à s’échapper avec sa famille et une garde rapprochée, portant son père aveugle sur ses épaules. L’Énéide nous raconte toutes les mésaventures de son long périple à travers la Méditerranée, qui finit par le conduire en Italie, d’abord à Cumes, où la sibylle l’aide à descendre aux enfers rendre visite à son père Anchise décédé, puis dans le Latium, où il prend une nouvelle épouse et fonde la ville de Lavinium. Ses descendants Remus et Romulus fonderont Rome, la boucle mythologique est ainsi bouclée.

Virgile, comme Tacite, Tite-Live, et beaucoup d’autres auteurs romains, donnent aussi Antenor, le beau-frère de Priam que les Grecs avaient épargné, comme fondateur de Padoue et parfois de Venise. Les chroniqueurs, du VIe au VIIIe siècle, inventent Francion, neveu d’Énée, qui est censé avoir fondé un royaume entre le Rhin et le Danube, et dont les Francs seraient les descendants.

Cette filiation imaginaire entre l’Occident chrétien et Troie sera prolongée et exploitée durant tout le Moyen-âge ; Hector est élevé au rang des neuf preux, et la quatrième croisade de 1202 qui aboutit au sac de Constantinople et établit pendant un demi-siècle un empire latin d’orient, est souvent vue comme une revanche des descendants des Troyens sur les Grecs qui détruisirent jadis la cité de leurs ancêtres. Ce mythe de la filiation troyenne explique aussi sans doute l’importance de certains épisodes de la guerre de Troie dans les programmes iconographiques des souverains européens, de la Renaissance au XVIIIe siècle.
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Mais revenons à Hélène et son enlèvement par Pâris-Alexandre. Les sources écrites auxquelles se sont référées les peintres viennent de l’antiquité mais ont transité par les compilations et interprétations médiévales.

Au Moyen-âge, deux textes de l'antiquité, L'histoire de la destruction de Troie, attribuée à Darès le Phrygien, et L'Ephéméride, de Dictys de Crète, sont abondamment recopiés et feront au XVe s. l'objet d'impressions groupées.

Dans l'Histoire de la destruction de Troie de Darès (1,3 et 9 -10), on apprend notamment que Pâris est accompagné d'Énée dans l'enlèvement (et dans de nombreux tableaux, on verra en effet Énée accompagnant Pâris lors de l'enlèvement) : "Alexandre de Phrygie, fils de Priam, accompagné d'Enée et de plusieurs de ses parents, se rendait coupable d'un grand attentat à Sparte et dans le palais de Ménélas, où il avait été reçu comme hôte, et traité tomme ami." On y apprend aussi que c'est Priam qui est à l'origine de l'expédition contre Sparte : "Après un certain espace de temps, plusieurs vaisseaux furent mis en état de tenir la mer, et l'on vit arriver les soldats qu'Alexandre (Pâris) et Déiphobe avaient levés en Péonie. Lorsque la saison parut favorable à la navigation, Priam harangua son armée dont il donna le commandement à Alexandre. Déiphobe, Enée et Polydamas furent nommés pour accompagner ce jeune prince, qui, avant son départ, reçut de Priam l'ordre de s'approcher d'abord de Sparte, et de se rendre auprès de Castor et de Pollux pour leur redemander Hésione et la réparation des outrages dont les Grecs s'étaient rendus coupables envers les Troyens."

Mais la source la plus importante est Le Roman de Troie, de Benoît de Sainte-Maure, qui, à la fin du XIIe siècle,  devient la référence absolue des écrivains. Ils vont tous broder sur les divers épisodes de la Guerre de Troie. Le poème initial de plus de trente mille vers, est mis en prose à plusieurs reprises, et même inclus dans la deuxième version de l'Histoire ancienne jusqu'à César (écrite au début du XIIIe s. pour Roger IV châtelain de Lille). Par la suite, et jusqu'au XVe siècle, on dénombrera des dizaines de traductions dans toutes les langues vulgaires européennes, ou des amplifications de tel ou tel épisode.

Voici comment Le Roman de Troie relate l’enlèvement d’Hélène :

« En mer se mirent les Troyens et s’en allèrent en Grèce. Et pendant qu’il allaient, Ménélas quitta son pays et alla chez Nestor, qui l’avait mandé. Ce Ménélas était un roi très aimé du pays, et avait pour femme une dame de très grand lignage, appelée Hélène. Les auteurs nous racontent qu’elle était d’une beauté sans pareil dans toute la Grèce. Et les Troyens allèrent jusqu’à arriver à une île que l’on appelait Cythère : elle est aussi appelée Cetri. En ce lieu il y avait une si grande fête,  que tous les citoyens du pays y étaient venus ; c’était au temple, en l’honneur de Vénus. Pareillement dame Hélène avec grande compagnie de chevaliers, de dames, et de demoiselles, y était venus. Pâris et sa compagnie allèrent offrir un sacrifice, à la manière de Troie, très acceptablement, de sorte qu’il plût beaucoup aux Grecs. Dame Hélène regarda Pâris et apprécia beaucoup sa beauté et son maintien, et Pâris, réciproquement, si bien qu’ils lièrent conversation ensemble, et Pâris eut le sentiment qu’elle consentirait à son dessein. Quand vint le soir, Pâris et ses compagnons se retirèrent vers leurs nefs, et quand ils furent tous ensemble, Pâris parla et dit : « Beaux seigneurs, vous savez bien tous pourquoi nous sommes en ce pays venus, et en cet endroit je voudrais que nous eussions tant de force que nous puissions une cité envahir et prendre ; mais de cela nous n’avons pas le pouvoir, si ce n’est par enlèvement ou par larcin. Et il est clair qu’en cette île nous avons trouvé belle occasion, si nous voulons bien la saisir ; car une grande partie des bonnes gens de ce pays, hommes, femmes, et enfants sont venus pour sacrifier. Pareillement la reine de ce pays y est venue, c’est pourquoi nous pouvons venger notre honte très facilement. » Alors tous ceux qui l’ouïrent s’accordèrent, et sur le champ firent leurs préparatifs. Et quand ce fut minuit, ils se mirent en route vers le temple et trouvèrent les gens pour certains endormis, et pour les autres faisant la fête, de telle sorte qu’aucun ne leur prêtait attention.

61 COMMENT TROYENS ENVAHIRENT LE TEMPLE ET PRIRENT DAME HÉLÈNE.

Quand ils furent arrivés au temple, ils firent retentir un grand vacarme et commencèrent à occire et transpercer ceux qui étaient à leur portée. Pâris se rendit alors à l’endroit où il savait trouver Hélène, et s’empara d’elle, sans qu’elle fit mine de s’y opposer outre mesure. Les autres allèrent partout, tuant, et pillant tout ce qu’ils pouvaient ; aussi je ne pourrai vous dire ni le grand massacre qui fut fait, ni le grand butin amassé de prisonniers, d’or, d’argent, et de robes précieuses. Mais pendant ce temps, les gens du château qui était au-dessus du port, appelés à l’aide, entendirent le bruit et les cris. S’apercevant de quoi il s’agissait, ils sortirent en armes et firent leur possible pour venir à la rescousse des prisonniers ; mais en fin de compte ils furent déconfiés par les Troyens, qui ainsi redoublèrent les dommages infligés. Et quand ils eurent terminé, ils retournèrent à leurs nefs. Le lendemain ils quittèrent le port et firent voile jusqu’à arriver à Thenedon qui est à quinze lieues de Troie, et envoyèrent un message au roi, ce qui le mit en grande joie.

62 COMMENT LES DAMES PRISONNIÈRES DEMEURAIENT EN GRAND DEUIL À THENEDON.

Pendant qu’ils séjournaient à Thenedon, dame Hélène et les autres dames prisonnières avec elle exprimaient leur terrible deuil de ne plus revoir leurs seigneurs, et d’avoir dû quitter leurs terres. Pâris, à qui cela pesait plus qu’aux autres, commença à réconforter Hélène et dit : « Dame, trop m’afflige votre détresse, et si je devais vivre encore un siècle, je ne pourrais avoir de joie tant que vous êtes dans cet état ». Et il dit la même chose aux autres dames, pour qu’elles cessent de se désoler devant Dieu « mais soyez assurées qu’il ne sera fait aucun mal a vos barons, et que vous leurs serez rendues, et que vous aurez une plus grande joie à être dans ce pays que dans celui où vous fûtes nées ; car pour l’amour de dame Hélène vous serez toutes honorées, car elle sera la maîtresse de tout le pays. »

63 COMMENT DAME HÉLÈNE RÉPOND À PÂRIS

« Sire, répond dame Hélène, j’éprouve beaucoup de peine à ce qui nous est arrivé ; mais puisqu’il en est ainsi, je vois bien que notre destin est de souffrir, que je le veuille ou non. Mais par Dieu je vous prie que vous nous préserviez de la honte et de la contrainte. » - « Dame, votre vouloir sera accompli, dit Pâris, comme vous l’avez demandé. » À donc il la prit par la dextre main et la fit asseoir sur un fauteuil, s’assit à côté d’elle comme pour la conseiller, et dit : « Dame, sachez que quand je vous vis premièrement, je fus sous votre emprise, et ne pus tourner ailleurs mes regards sur le reste des choses, et je vois que l’amour de vous m’a ainsi enchaîné et dominé, car j’ai mis en vous toute mon attente et tout mon cœur, je vous épouserai donc, et d’ores et déjà soyons loyaux amis.  Et si je vous ai enlevée à la Grèce, vous allez accéder à un pays plus beau et si riche que vous direz le vôtre pauvre. Après vous serez très honorée par tout le monde, comme celle qui sera la maîtresse de tout ; car toute chose que vous voudrez, je vous l’accorderai. » - « Sire, fait-elle, je ne sais quoi dire si ce n’est que j’ai assez de colère dans mon cœur, plus qu’aucune femme en eu jamais ; et si je refusais votre plaisir, cela ne me vaudrait rien de bon. Ainsi je vois bien que consentir à votre volonté me convient, car je ne m’en puis défendre. Cela me peine, mais si vous me portez amour et fidélité, vous aurez intact ce qui est en mon pouvoir. » Alors elle commença si fort à pleurer que Pâris en eut très grande pitié, et commença à la réconforter, et le soir même la fit servir et honorer de tout ce qui était en son pouvoir. »


On voit bien que dans cette version il y a réellement kidnapping, et que l’agression contre les  Grecs répond à une vengeance : il y a d’abord ruse, puis combat meurtrier, pillage, et enlèvement contre la volonté d’Hélène, bien que le narrateur nous précise qu’elle est appréhendée « sans qu’elle fit mine de s’y opposer outre mesure » (et elle ne fist mie grant samblant de contredire).

Anonyme, école ferraraise ?, L'enlèvement d'Hélène, XVIIe s., 65x84 cm, localisation non connue

L’autre grande source médiévale est l’Ovide moralisé, d’auteur anonyme (début du XIVe siècle) ; ce long poème de 72000 vers reprend les Métamorphoses d’Ovide, en y ajoutant beaucoup d’autres sources, comme les Héroïdes (également d’Ovide), qui apportent de nombreux récits sur la guerre de Troie ; au livre XII (vers 112 à 797) on découvre notamment la déclaration d’amour de Pâris à Hélène, et la longue réponse de celle-ci, très complète et circonstanciée, où elle lui explique que sa vertu et son statut d’épouse de Ménélas rendent impossible qu’elle consente à le suivre, bien qu’elle lui avoue la réciprocité de ses sentiments ; elle finit par lui dire que, pourvu qu’elle est l’air d’avoir été forcée, elle ne s’opposera pas à son enlèvement, que, d’une certaine façon, ils organisent ensemble :

(Vers 728 à 736) « Ce fût sage et courageux que je refusasse ce projet, mais que à Troie vous laissasse (seul retourner). Mais pourtant, si la honte ne me laisse suivre mon plaisir, alors je ferai votre vouloir sans contredire, et qui voudra de moi médire, qu’il médise. Je n’y fais opposition. Mais vous me ravirez par force, ainsi n’en serai pas tant blâmée. »
L’enlèvement lui-même se passe à Cythère comme dans Le Roman de Troie, et la description des faits est à peu près la même.

Pieter Jalhea Furnius, après Gérard van Groeningen, L'enlèvement d'Hélène, gravure, c. 1571

En 1362 Boccace, dans son De claris mulieribus (Des dames de renom), évoque l’enlèvement d’Hélène en ne laissant pour sa part aucun doute sur le fait qu’il s’agit de l’escapade de deux amants et non d’un enlèvement forcé :

« (Pâris) se souvenant de la promesse que Vénus lui avait faite de lui faire avoir la fleur de beauté à femme, en récompense de la sentence qu'il prononça pour elle contre Junon et Pallas, en la forêt d'Ida, monta sur mer en quelques vaisseaux qu'il fit faire du bois de la susdite forêt, accompagné de plusieurs grands seigneurs et barons, et passa en Grèce afin de ramener Hésione sa tante, jadis ravie par les Grecs. Étant arrivé en la maison de Ménélas, l'un des princes de Grèce, et illec aimablement logé, après avoir vu Hélène, douce de tant excellente beauté et pleine de civilité, qui ne prenait point à mal d'être souvent regardée, incontinent s'enamoura très âprement d'elle. Puis prenant bonne espérance de ses maintiens peu honnêtes, sut, ayant bien épié le temps, par ses plaisants et amoureux attraits, peu à peu allumer les amoureuses flammes au coeur impudique de cette Dame, par si forte manière qu'il la fit tomber en ce même désir auquel lui-même était chu ; et fut fortune tant favorable à ses desseins qu'ayant Ménélas affaire expresse en Grèce, s'y en alla, laissant ce bon hôte seul en sa maison. Par ainsi advint (comme assurent aucuns) que ces deux nouveaux amants, étant en pareille ardeur, firent en sorte que Pâris porta tôt après en son pays, selon l'ordonnance fatale, le feu qu'Hécube avait vu en dormant et en accomplit les pronostications.

Car Pâris, ayant pillé la plupart des trésors de Ménélas et, de complot fait, ravi Hélène par une nuit, pendant qu'elle étant attentive à faire quelque sacrifice, suivant leur coutume, en un temple sur le rivage de la mer Laconique ou de l'île de Cythère, ainsi que disent quelques autres, l'embarque en une nef par lui appostée à cet effet ; puis arriva finalement à Troie, où le roi Priam la reçut très honorablement, estimant par tel moyen être plutôt vengé de l'injure que lui faisait Télamon lui retenant Hésione sa soeur, que d'avoir accepté en son pays la finale ruine de son royaume. »


Anonyme XVIIe s., L'enlèvement d'Hélène, origine inconnue
Ajoutons à ces sources le petit poème sur l'Enlèvement d'Hélène de Collouthos, auteur grec antique, retrouvé et traduit au XVe siècle. Curieusement il ne décrit pas du tout l'enlèvement, se contentant de nous montrer qu'Hélène accepte de bon gré la volonté d'Aphrodite, et consent tout de suite à suivre Pâris à Troie.

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À la lumière de ces sources littéraires, tentons maintenant de voir comment se situent les peintres, et sur quels éléments ils appuient leur interprétation.

Au XVe siècle, les illustrations de cet épisode laissent généralement de côté le combat pour s'intéresser aux amants dont la représentation oublie parfois le contexte de l'enlèvement, comme dans cette enluminure d'un manuscrit des Métamorphoses d'Ovide (mais ne s'agirait-il pas plutôt ici de leur arrivée à Troie?) :

L'enlèvement d'Hélène Métamorphoses, Livre XI, Flandre, vers 1450-1500. BnF, Manuscrits, français 137 fol. 165
Dans la peinture ci-dessous due à Zanobi Strozzi (collaborateur de Fra Angelico), l'accent est aussi mis sur l'aventure amoureuse; point de combat avec les Grecs :
Zanobi Strozzi, L'enlèvement d'Hélène, vers 1450, National Gallery, Londres

Pendant tout le XVIe siècle, comme on le voit sur la gravure de Pieter Jalhea Furnius (voir illustration plus haut) et comme nous le développerons plus loin, les peintres, sans doute plus attentifs aux circonstances décrites dans Le roman de Troie et L'Ovide moralisé qu'à l'idylle entre Pâris et Hélène, s'attachent plutôt à rendre le paysage de Cythère avec son temple, et les affrontements entre les barons troyens et la garde Grecque. Mais on voit réapparaître chez certains peintres des XVIIe et XVIIIe siècles une vision plus pacifique, dans laquelle Pâris, homme de cour courtois, invite la noble Hélène à le suivre sur sa nef. Voici trois exemples italiens pour le XVIIe siècle.  Guido Reni (dans son tableau, la présence de Cupidon montre clairement qu'il privilégie l'idylle; toutefois il a le pied sur un fragment de ruine, pour annoncer la chute de Troie), Alessandro Turchi, et Cesare Dandini:


Guido Reni, L'Enlèvement d'Hélène, vers 1626 - 1629 ; 2,53 x 2,65 m, Louvre

Alessandro Turchi, L'enlèvement d'Hélène, huile sur marbre, 40,6 x 48,9 cm, musée d'art classique de Mougins, France
Cesare Dandini, L'enlèvement d'Hélène de Troie, collection privée, Londres
Au XVIIIe siècle, sous l'influence de la culture de la galanterie, cette interprétation idyllique de l'enlèvement d'Hélène va être confortée, et parfois, comme chez Christian Wilhelm Dietrich (voir ci-après, septième image), ne plus avoir beaucoup de rapport avec la légende historique - ici on semble être davantage dans la comedia del arte, notamment avec le costume de Pierrot dont est revêtu Pâris (il porte aussi des talons rouges, réservés à la noblesse dans les cours du XVIIIe s.; la peinture pourrait donc faire référence à une fête galante. Les sept exemples suivant sont dus aux peintres Jacopo Amigoni, Jean-Baptiste Deshays, Laurent Pécheux, Jean-Honoré Fragonard, Gavin Hamilton - peintre écossais qui donne une version très néoclassique, Angelica Kauffmann, et Christian Wilhelm Dietrich; notons que Laurent Pécheux et Angelica Kauffmann coiffent Pâris d'un bonnet phrygien, Troie étant située en Phrygie :

Jacopo Amigoni, Embarquement d'Hélène de Troie, huile sur toile 221x142cm, vente Sothesby's N-Y janvier 2012

Jean-Baptiste Deshays, L'enlèvement d'Hélène, vers 1761, Fine Arts Museums de San Francisco

Laurent Pécheux, L'enlèvement d'Hélène, 1760, huile sur toile 65x85cm, collection privée

Jean-Honoré Fragonard (atelier ?), L'enlèvement d'Hélène, vers 1760, 34,5 x44,5 cm, Musée des Beaux Arts de Rouen

Gavin Hamilton, Pâris enlevant Hélène, C. 1782-84, Pushkin Museum of Fine Arts, Moscou

Angelica Kauffmann, Pâris et Hélène s'échappant de la cour de Ménélas, vers 1780, localisation inconnue, mais reprise sur plusieurs garvures

Christian Wilhelm Dietrich, Pâris et Hélène s'enfuyant, 76x63cm, passé en vente Stahl, Hambourg, 29/11/2014
Mais ces représentations "galantes" du mythe sont loin d'être majoritaires. Si nous retournons à la Renaissance, c'est Raphaël qui donne le ton au tout début du XVIe siècle, avec un dessin aujourd'hui perdu, mais dont Marcantonio Raimondi a tiré une gravure entre 1520 et 1527; elle même a été reprise par d'autres graveurs :

Marcantonio Raimondi, après Raphaël, L'enlèvement d'Hélène, gravure 1520-27
Cette gravure a aussi été utilisée pour une tapisserie aujourd'hui à Cheverny (ci-dessous) et sa scénographie a inspiré de nombreux peintres jusqu'au XVIIe siècle, en voici quelques exemples:

Tapisserie des Gobelins, Enlèvement d'Hélène, d'après Marcantonio Raimondi, Château de Cheverny
Luca Penni (1500-1556), L'enlèvement d'Hélène, huile sur panneau 41,5 x 58,5, vente mai 2021


P-P Rubens, Enlèvement d'Hélène, département des arts graphiques du Louvre

Anonyme anversois XVIIe s., L'enlèvement d'Hélène, localisation inconnue

Frans II Francken (atelier), L'enlèvement d'Hélène, XVIIe s, localisation inconnue

Jean Mignon, L'enlèvement d'Hélène, d'après Luca Penni, première moitié du XVIe s., gravure 31.6 × 42.9 cm

Attribué à Scipione Compagno, L'enlèvement d'Hélène de Troie, XVIIe s., HST 90.8 x 142.9 cm, signature 'N. POUSSIN F.', vente Christie's N-Y 06/04/2006
Cependant d'autres peintres se sont totalement affranchis de la scénographie créée par Raphaël, en imposant leur style personnel, notamment Le Tintoret, qui se libère du paysage pour organiser le tableau uniquement sur le mouvement désordonné de la bataille avec les Grecs, en écrasant la scène comme s'il la voyait à travers un zoom puissant; Hélène, à la renverse, est hissée dans la barque, Pâris la retenant pas sa cape :

Le Tintoret, Enlèvement d'Hélène, 1578 - 1579. HST, 186 x 307 cm, musée du Prado, Madrid

Certains peintres ont mis l'accent sur le fait que le rapt et le combat près du temple de Vénus avait lieu à minuit:

Gillis van Valckenborch, L'enlèvement d'Hélène, vers 1600, Muzeum Narodowe Warszawie, Warszawa, Pologne

Giovanni Paolo Panini, L'enlèvement d'Hélène, HST 99 x 136,7 cm, XVIIIe s., vente Sotheby's N-Y 29/01/2015
Citons aussi un peintre autrichien du XVIIIe s., Johann Georg Platzer, qui réalisait de petites compositions sur cuivre; son Enlèvement d'Hélène, qui foisonne de figurants, ressemble davantage à un spectacle de théâtre qu'à une vraie bataille (la représentation des fêtes était une de ses spécialités) :

Johann Georg Platzer, L'enlèvement d'Hélène, huile sur cuivre, 40,7x59,7cm, Galerie Moravienne, Brno
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Pour compléter ma réflexion sur l'interprétation qu'ont pu avoir les peintres de cet épisode mythologique, je vais maintenant montrer quelques représentations qui se focalisent sur les personnages principaux, tentant souvent de faire sentir, en particulier dans la gestuelle d'Hélène et dans l'expression de son visage, l'ambivalence entre la violence de l'enlèvement et l'inclination supposée de ses sentiments pour Pâris. Je commencerai par le peintre Giovanni Francesco Romanelli, connu pour avoir décoré l'appartement de la Reine dans l'aile sud du Louvre, avec en particulier un magistral enlèvement des Sabines. Mais une dizaine d'années auparavant (1645-47), il était venu décorer le palais que Mazarin s'était fait construire (aujourd'hui Galerie Mazarine de la BNF). Sur les fresques de plafond de la grande galerie, deux peintures en vis-à-vis son consacrées au cycle de la guerre de Troie: un Énée fuyant Troie en flammes (à gauche, ci-dessous), et un Enlèvement d'Hélène (à droite) :


Relevé fait par Frappaz de L'enlèvement d'Hélène de Romanelli décorant le plafond de la Galerie Mazarine
Son atelier a réalisé par la suite un ou deux petits tableaux reprenant les mêmes personnages dans une scénographie plus concentrée:

Giovanni Romanelli (atelier), l'enlèvement d'Hélène, HST 48,1x65,5 cm, Plymouth City Council Art Museum
Dans cette composition, Romanelli a réutilisé la plupart des éléments qu'il avait déjà mis en place dans un premier tableau datant de 1631-32 :

Giovanni Romanelli, L'enlèvement d'Hélène, 1631-32, HST , musée du Capitole, Rome
La version du Palais Mazarin nous montre une Hélène levant les bras et les yeux vers le ciel prenant peut-être les dieux à témoin (attitude qu'il avait aussi adopté dans l'enlèvement des Sabines, reprise de son maître Pierre de Cortone); mais elle ne paraît pas vraiment opposer de résistance, alors que dans la version du Capitole, elle semble davantage se débattre...

Voyons maintenant les peintres qui ont choisi le gros plan, pour mieux exprimer l'ambivalence de sentiment des personnages. Déjà au XVIe siècle, un dessin de Giuseppe Porta (Salviati) préfigure ce genre de représentation, qui s'épanouira à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe s., surtout en Italie, avec Luca Giordano, Antonio Zanchi, Antonio Molinari, Nicolo Bambini, Sebastiano Ricci, Giovanni Battista Piazzetta, Giambattista Tiepolo:

Giuseppe Porta dit Salviati, L'enlèvement d'Hélène, dessin plume, encre brune, lavis, et craie noire, 30,3x38,4cm, Metmuseum N-Y
Luca Giordano, Enlèvement d'Hélène, huile sur verre 28x34 cm
Luca Giordano, Enlèvement d'Hélène, vers 1680, HST, 1,39 x 2,49m, musée des Beaux-Arts de Caen
Luca Giordano, dans les tableaux ci-dessus, dessine des visages aux expressions tendues, et une Hélène plutôt inquiète... Tandis que l'Hélène de Nicolo Bambini (ci-dessous), comme celle de Romanelli dont il a été question plus haut, met en scène une kidnappée qui joue un peu la comédie!

Nicolo Bambini, L'enlèvement d'Hélène, collection privée
Pour sa part, Sebastiano Ricci (ci-dessous) compose une petite troupe dont chaque protagoniste, Hélène comprise, semble essentiellement préoccupé par la délicate manœuvre d'embarquement, et concentré sur son équilibre instable :

Sebastiano Ricci, L'enlèvement d'Hélène, Palazzo della Pilotta, Parme
Antonio Zanchi et Antonio Molinari (ci-dessous) accentuent le drame moral qui se noue pour Hélène; celle-ci semble osciller entre abandon et remords...

Antonio Zanchi, L'enlèvement d'Hélène, HST 120 x 137,5 cm, vente Dorotheum Antriche 13/10/2010

Antonio Molinari, L'enlèvement d'Hélène, c. 1695-1704, HST 131 x 173 cm, Northampton Museums & Art Gallery, UK

On retrouve le même type de préoccupations dans un dessin de Tiepolo du musée des Beaux Arts de Besançon :

Giambattista Tiepolo, L'enlèvement d'Hélène, dernier quart du XVIIIe s., dessin plume et lavis, musée des beaux Arts et d'Archéologie, Bezançon
Par contre, dans une peinture de Piazzetta et sur une fresque vénitienne anonyme du XVIIIe s. (ci-dessous), où le choix est aussi celui de la focalisation sur Pâris et Hélène, on reste dans la gesticulation théâtrale caractéristique du baroque,  sans vraiment de psychologie dans l'expression des personnages :

Piazzetta, L'enlèvement d'Hélène, c. 1715-18, huile sur toile 235x179cm, musée Granet, Aix-en-Provence (oeuvre actuellement au garde-meuble)

Anonyme vénitien du XVIIIe s., L'enlèvement d'Hélène, fresque murale de la villa Widmann Rezzonico, Mira, Province de Venise
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Je terminerai cet article par deux tableaux singuliers, l'un de l'atelier du Primatice (XVIe siècle) et l'autre de l'atelier de Charles Le Brun (XVIIe siècle). Dans ces deux œuvres, Hélène présente une apparence étrange : elle est d’une grande blancheur, et son regard à l’air absent. Les peintres ne font-ils pas alors une allusion discrète aux versions de l'histoire rapportées par Euripide et par Hérodote, dans lesquelles Héra a substitué un fantôme à la véritable Hélène ?

Le Primatice (atelier), L'enlèvement d'Hélène, entre 1533 et 1570, HST 156 x 189 cm, Barnard Castle, Bowes Museum, UK
Entourage de Charles Le Brun, L'enlèvement d'Hélène, HST  97,1 x 130,9cm, vente Christie's Londres 31/10/2013