présentation des peintures synchronistiques

Affichage des articles dont le libellé est propos sur l'art. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est propos sur l'art. Afficher tous les articles

mardi, septembre 24, 2024

L'esprit des générations à venir

 


Les générations qui viennent vont avoir une construction psychique très différente de la nôtre. En effet, la mémoire virtuelle, celle des disques durs qui conservent tout : images de leur enfance, images de leurs parents et grands-parents dans leurs contextes familiaux, sociaux, professionnels, avec toutes les reconstitutions et renseignements les rendant aussi présents dans leur représentation mentale que les parents et amis directs avec lesquels ils vivent...

 

Toute l'histoire récente (et plus tard tout ce qui ne sera pas préhistoire d'avant l'IA) devient rémanente, elle ne s'évapore plus peu à peu comme c'était le cas pour nous. Pour nous seuls restaient présents dans la mémoire les faits importants, les autres disparaissaient pour toujours, et sollicitaient l'imagination pour leur réinvention.

 

Nos chers descendants n'auront plus ce souci, ce plaisir ou cette peine. Ils n'auront plus besoin non plus de faire des choses extraordinaires pour rester gravés dans les mémoires. Il y aura une forme d'éternel retour nietzschéen, l'espace et le temps des autres sera toujours convocable à tout moment dans le présent de chacun. Je ne sais quelle forme d'esprit cela va donner, mais probablement très différents des nôtres. L'oubli est l'envers de la mémoire, et tous deux sont les faces janusiennes de l'imagination.

 

Dans la nouvelle psyché cependant, l'imagination ne disparaîtra pas : mais le facteur "oubli" sera remplacé par le facteur "choix" ; en effet, la mémoire tendant vers l'infini, c'est le choix parmi ses éléments qui forgera la forme d'imagination des générations futures. La différence est importante car la conscience de l'oubli s'accompagne toujours de nostalgie/mélancolie, tandis que la conscience du choix, elle, s'accompagne de doute.

 

Je ne sais donc ce que tout cela donnera... j'espère seulement que la poésie restera une clef de voûte dans l'expression de l'être.

dimanche, septembre 15, 2024

Le jugement de Pâris


Gilles Chambon, "Le jugement de Pâris", huile sur toile  66 x 120 cm, 2024
 

Tout le monde connaît la légende : Eris, déesse de la discorde, a promis une pomme d'or à la plus belle des déesses, et c'est Pâris, le prince troyen qui garde les moutons sur le mont Ida, qui est choisi par Zeus pour juger laquelle des trois postulantes Héra, Athéna, et Aphrodite doit remporter le titre. Jugement pipé puisque chacune l'a soudoyé en lui promettant l'une le pouvoir sur tous les hommes, l'autre la victoire à tous les combats, et la dernière, l'amour d'Hélène, la plus belle des mortelles. C'est évidemment Aphrodite qui est désignée par le jouvenceau : et conformément à sa promesse, elle permettra à Pâris d'enlever la belle Hélène, provocant la terrible guerre de Troie.

 

Les pommes ont toujours joué un rôle important dans l'imaginaire occidental : pommes tentatrice d'Adam et Ève entraînant leur éviction du paradis, pommes d'or du jardin des Hespérides dérobées par Héraclès puis restituées grâce à Athéna, pomme de discorde lancée par Éris, pomme de danger, visée par par Guillaume Tell sur la tête de son fils... auxquelles il faut ajouter la pomme d'amour entourée de sucre rouge, inventée vers 1900, et les fameuses pommes de Cézanne dont il dira, en faisant un clin d'œil au jugement de Pâris : "Avec une pomme, je veux étonner Paris !".

 

Pour mon "jugement de Pâris", synchronistique comme il se doit, j'ai donc emprunté trois pommes à Cézanne, et les ai placées sur la tête des déesses, incarnées par "trois femmes nues" (August Macke). Tel Guillaume Tell, un petit Cupidon, inspiré de Raphaël, aide Pâris à se décider, en visant l'une d'entre elles, qui sera forcément la pomme d'amour ! J'ai remplacé le mont Ida par un décor abstrait interprété d'une composition de Pierre Pen-Koat (né en 1945). Quant à Pâris, il fait directement référence au tableau de Nicolas Poussin sur ce thème.


samedi, août 17, 2024

C'est la lutte finale

 

Gilles Chambon, "C'est la lutte finale", huile sur toile 50 x50 cm, 2024

Héraclès terrassant Antée grâce au maintien hors-sol, c'est comme la lutte finale promettant la victoire de l'utopie moderniste sur la tradition. Le fils de Zeus vainc en effet le fils de Gaïa en l'empêchant de se ressourcer au contact de la terre, symbolisant le progrès humain rendu possible par une entrave aux vieilles recettes qui s'ancrent dans la glèbe millénaire.

 

C'est comme en art, où la peinture d'avant-garde du XXe siècle, qui veut faire table rase, asphyxie la représentation académique figurative, et pense l'avoir définitivement tuée. Mais elle-même finit aussi par s'éroder et son dernier avatar, sous le vocable d'art contemporain, se complait dans des procédés encore plus insipides et ressassés que ceux reprochés à l'académisme du XIXe siècle.

 

Alors imaginons que l'étreinte mortelle qu'Héraclès inflige à Antée se transforme miraculeusement en étreinte affectueuse ; que l'avant-garde s'unisse enfin à la tradition... C'est évidemment ce que tente la peinture synchronistique... Et ici, dans ce petit tableau, c'est en mêlant l'"Hercule et Antée"(1475) d'Antonio Pollaiolo, qui appartient à la tradition figurative, avec l'adaptation d'un tableau abstrait d'Albert Gleizes ("composition pour jazz", 1915), pris comme métaphore du combat artistique en marche au début du XXe siècle.

jeudi, janvier 04, 2024

Le Sacré dévoyé

 

Matthias Grünewald, Crucifixion, retable d'Issenheim, entre 1512 et 1516, tempera et huile sur bois de tilleul, musée Unterlinden, Colmar

 

Andréa Serrano « Piss Christ »,  représentant un crucifix plongé dans un fluide orangé composé d'urine et du sang de l'artiste, 1987

Le sacré, nous a dit Jean Clair (La beauté et le sacré, communication mai 2011), c’est la façon de ressentir et de traiter le numineux, les forces et les choses qui signifient et semblent agir sur nous en dehors des banales explications rationnelles ou matérialistes. La religion est une des façons de traiter le sacré. Notre monde contemporain l'a de plus en plus remplacé par une sacralisation collective et obsessionnelle du ludique, c’est-à-dire de l’inverse du numineux. Toutes les formes de star system, de footballomanie, sont significatives de ce phénomène mondial qui marque notre temps : le désir de foi partagée et de rituel collectif s’est cristallisé non plus sur le divin (le transcendantal des religions), mais sur le surhumain ordinaire, mondain, sur la magie que représentent pour les foules, les humains au charisme ou aux dons exceptionnels. Foi et adulation se confondent ; non pas idolâtrie comme dans les temps anciens où certains croyants confondaient le divin avec sa représentation matérielle, mais véritable dévotion envers des humains semblables à nous. Le sacré n’est plus un monde à part, transcendant, mais une contrée particulière du monde profane. Ce n’est plus un sommet élevé d’où l’on communique avec le ciel, au risque d’être anéanti par le feu divin, mais une simple colline d’où l’on contemple avec délectation, comme au-dessus de la mêlée, la populeuse plaine humaine et ses marécages. 

 

Évidemment, les médias et leur exceptionnelle expansion depuis un siècle, sont à l’origine de ce renversement : chaque soir, la comédie humaine est maintenant présentée et mise en scène en temps réel sur le petit écran, et l’espace virtuel de la télévision, qui pénètre chaque foyer, devient cette sorte d’espace sacramentel, pseudo divin, où sont élus les demi-dieux humains dans lesquels chacun rêve de se reconnaître. Le paradis qui, dans les religions, était promis après la mort – c’est à dire hors de la matérialité humaine et du monde géographique, fait son retour sur terre et devient accessible à chacun, pourvu qu’il sache manœuvrer et se propulser en haut de la scène médiatique.  Et une autre vérité nouvelle se fait jour : la réussite médiatique attire l’argent, et l’argent attire la fascination médiatique ; César et Dieu se confondent. On n'essaie plus désespérément d’acheter, comme au moyen âge, l’indulgence divine à un intercesseur clérical, mais on compte sur le pouvoir magique de la fortune pour attirer le divin, pour le susciter, le produire. Le sacré contemporain a donc ceci de nouveau qu’il se gagne avec de l’argent, et qu’il produit de l’argent. 

 

Et l’Art, là-dedans, me direz-vous ? Et bien voilà : il fut jadis un acte de ferveur, dirigé vers dieu ou vers la beauté; Jean Clair rappelle cette phrase des Confessions de Saint Augustin : « Pour les interroger [les créations divines qui assaillent nos sens], je n’avais qu’à les contempler et leur réponse, c’était la beauté. » ; aujourd’hui, l’art est devenu acte de ferveur à soi-même, ou démonstration d’une capacité, d’une prétention de chaque artiste impétrant à être starisé, et donc divinisé selon le rituel de la sacralité médiatique. On admirait autrefois les œuvres d’art parce qu’elles renvoyaient à une transcendance, on admire aujourd’hui les objets d’art contemporain parce qu’ils renvoient à la personnalité divinisée – ou simplement héroïsée – d’un artiste.

lundi, juillet 31, 2023

Bellérophon et Chimère, ou l’utopie contre le pragmatisme

 

Gilles Chambon, Bellérophon et Chimère, ou l'utopie contre le pragmatisme, huile sur toile 60 x 73 cm, 2023

La mythologie grecque a fait rêver les artistes occidentaux depuis la Renaissance. Son pouvoir onirique et symbolique inépuisable agit encore aujourd’hui, comme le démontre ce tableau : Bellérophon monté sur Pégase, s’apprête à tuer Chimère, monstre à queue de serpent et à tête de lion doublée d’une chèvre. J’ai vu dans cette légende l’allégorie de l’utopie qui, montée sur le cheval ailé de la théorie, s’attaque aux petits arrangements de la politique pragmatique, qui font coexister dans la même cité le bien et le mal, l’utile et l’inutile, le beau et le laid, le fort et le faible… en un mot : tout et son contraire. Si le monde dans un premier temps se réjouit de la victoire du cavalier volant, qui fait table rase de la ville hybride pour construire un monde abstrait idéal, la suite de la légende nous apprend que Bellérophon, voulant rejoindre l’Olympe, est désarçonné par Zeus et précipité dans un désert où il termine lamentablement ses jours, estropié par sa chute. On peut y voir le destin de toutes les utopies qui ont oublié la complexité et les contradictions du monde réel, et finissent le plus souvent leur histoire par une catastrophe humanitaire.

 

Comme la plupart de mes compositions depuis une dizaine d’années, cette toile synchronistique s’appuie sur la réinterprétation d’œuvres existantes :

- une esquisse de Rubens pour "Bellérophon terrassant la Chimère" (de 1635, musée Bonnat-Helleu Bayonne),

- une ville lointaine d’un peintre vénitien de l’entourage de Giovanni Bellini (collection privée)

- une composition abstraite d’August Macke (de 1914, Albertina museum, Vienne).

mardi, juin 06, 2023

Chère liberté


Gilles Chambon, Chère liberté, huile sur toile 100 x 150 cm, 20232
 

La liberté est un concept beaucoup plus complexe et ambivalent qu’on ne le croit généralement… C’est, comme nous le rappelle le sixième couplet de la Marseillaise, un combat permanent, contre toutes les formes d’asservissement et de tyrannie ; on la chérit, mais elle peut être chèrement payée.

Et puis elle n’est jamais totale. Nous avons besoin aussi de nous créer nous-même des règles et des servitudes, sans lesquelles la vie collective (et même la vie individuelle) serait impossible.

Dali, qui aimait les métaphores alimentaires, disait à ce propos qu’il détestait les épinards parce qu’« ils sont informes, comme la liberté ».

Et en effet la liberté totale peut être synonyme de conduite erratique et d’égarement. Toute forme structurée est toujours contrainte, et sa beauté lui vient sans doute du jeu subtil entre rigidité et souplesse, uniformité et diversité, ordre et liberté.

Pour citer encore Salvador Dali, il affirmait : « Pas de chef-d'œuvre dans la paresse ! ». Et donc la liberté d’une œuvre, comme la liberté chérie conquise contre l’oppression, quelle que légère qu’elle puisse paraitre, témoigne toujours d’un long effort, qui mêle combat, respect, et amour.

 

Ainsi mon tableau, synchronistiquement composé, est libre et contraint, il glorifie la liberté, et met en garde contre elle :

 

-       D’abord il fait un clin d’œil à l’abolition de l’esclavage (les deux femmes de gauche sont reprises du détail d’un tableau de François-Auguste Biard "L'Abolition de l'esclavage dans les colonies françaises en 1848") ;

 

-       Le personnage central, provenant d’une « Etude de nègre d’après le modèle de Joseph » de Chassériau (1838, faite pour Ingres qui voulait l’utiliser pour la personnification du Démon dans une « Tentation du Christ »), représente toute l’ambivalence de la liberté : liberté de la nudité, mais aussi violence de l’état sauvage, non civilisé, cliché que j’ai tempéré en lui mettant dans la main gauche le bouquet de fleurs de Banksy…

 

-       L’ange en haut à droite, qui est interprété d’un détail d’un St Jérôme d’Alonso Cano (1601-1667), est là soit pour sonner l’espoir de la liberté, soit pour en annoncer les dangers ;

 

-       Quant au fond, il provient de la réécriture d’un fragment du tableau « D’une étrange cité », du Danois Mogens Balle (1921-1988), architecte à l’origine, et qui comme moi s’est tourné vers la peinture pour se libérer de contraintes constructives… Tout en utilisant son savoir constructif dans ses toiles abstraites!



vendredi, avril 28, 2023

Les oiseaux d’Hatchepsout

 

Gilles Chambon, Les oiseaux d'Hatchepsout, huile sur toile 46 x61 cm, 2023

Dans ce tableau, j’ai ressuscité synchronistiquement deux oiseaux morts de l’Égypte ancienne, qui viennent d’une peinture murale du temple funéraire d’Hatchepsout à Deir Al-Bahari près de Louxor, représentant un ensemble de victuailles offertes au dieu Amon.

 


L’histoire de la reine Hatchepsout (c. 1500 av J-C — c. 1457 av J-C) est édifiante et entre en résonnance avec certaines problématiques contemporaines : bien qu’elle fût une remarquable souveraine, et que l’Égypte sous son règne fût au maximum de sa prospérité, son beau-fils, Thoutmôsis III, prit la décision de la « canceliser », pour qu’une femme ne puisse devenir un modèle de pouvoir. Il fit donc disparaître toutes ses statues, la raya des tablettes, et s’appropria même son temple funéraire, si bien qu’on ne redécouvrit son existence qu’après Champollion. Son souvenir fut donc peu à peu ressuscité, grâce à l’égyptologie moderne.

 

De la même façon les deux canards morts de l’offrande à Amon ont retrouvé la vie au contact d’une peinture moderne abstraite, « Composition 1981 » de Hans Hermann Steffens (1911-2004), elle-même synchronistiquement transfigurée pour devenir une sorte de paysage.

 


 


lundi, novembre 07, 2022

Embarquement pour l’île de l’Amour.

Gilles Chambon, "Arrivée à Cythère, avant la fête" huile sur toile  65 x 92 cm, 2022

La topographie imaginaire, symbolisant la succession des péripéties liées aux aventures sentimentales, est née en 1650 avec Tristan Lhermite et sa « Carte du royaume d'Amour »:

 

« le Royaume d’amour en l’Isle de Cythère », carte décrite par le Sieur Tristan lhermitte, 1650

Il sera suivi en 1654 par « Clélie, histoire romaine » de Madeleine de Scudéry. On y trouve la célèbre « Carte du Tendre »:

 


Quelques années après, sur le même thème, paraît en 1663 « Le Voyage de l’Isle d’Amour, ou la clef des cœurs » de Paul Tallemant, qui sera réédité en 1712:

 

Illustration en frontispice de l'édition de 1712 du "Voyage de l'Isle d'Amour..." de Paul Tallemant

En cette année 1712, Antoine Watteau, agréé par l’Académie Royale de Peinture, démarre son « Pèlerinage à l’île de Cythère », qu’il terminera cinq ans plus tard, et qui lui permettra de devenir membre à part entière de l’Académie le 28 août 1717, sous le genre « Fêtes galantes » créé pour lui à cette occasion.

 

Antoine Watteau, Pèlerinage à l'île de Cythère, huile sur toile 129 x 194, 1712-1717, musée du Louvre

En 1709, Watteau avait déjà fait un petit tableau sur ce thème (musée Städel, Francfort-sur-le Main). 

 

Antoine Watteau, L'embarquement pour Cythère, 1709, huile sur toile 44,3 x 54,4 cm, musée Städel, Francfort

On a dit que Watteau avait eu l’idée de traiter ce sujet par analogie avec une comédie très à la mode dans la première décennie du XVIIIe siècle, Les Trois Cousines, de Dancourt, écrite en 1702, qui se termine par la chanson suivante : « Venez à l’île de Cythère / En pèlerinage avec nous / Jeune fille n’en revient guère / Ou sans amant ou sans époux ». 

Cythère, île grecque près de laquelle Aphrodite était née de l’écume des vagues, était devenue l’emblème de l’île d’Amour des géographies sentimentales.

Mais en reliant la géographie sentimentale littéraire à un contexte mythologique (Cythère, avec sur la toile la statue de Vénus et de petits cupidons ailés), Watteau voulait certainement aussi donner des lettres de noblesse aux sujets galants qu’il aimait traiter, en les incorporant au genre de la peinture d’histoire (qui comprenait les sujets mythologiques), genre le plus élevé dans la hiérarchie des thématiques picturales. Visiblement il n’y réussit pas puisqu’on créa le genre « fêtes galantes », et que le titre de son tableau fut biffé par l’Académie pour être renommé « Une feste galante ».

D’ailleurs le thème de l’embarquement où du pèlerinage à Cythère, s’il a été repris dans une autre composition par Watteau (Schloss Charlottenburg, Berlin), et si ces tableaux sont devenus universellement célèbres et loués, est cependant un thème qui n’a pas attiré beaucoup de peintres. 

 

Antoine Watteau, L'embarquement pour Cythère, ca 1719, huile sur toile 120 x190 cm, Schloss Charlottenburg, Berlin

 

Avant Watteau, il n’y a guère qu’un tableau d’Eustache Le Sueur, illustrant « le Songe de Poliphile » de Francesco Colonna, qui montre Poliphile amoureux transit de Polia, entourée de nymphes sur l’île de Cythère. 

 

Eustache Le Sueur, Poliphile et Polia parmi les nymphes sur l'île de Cythère, huile sur toile 94 x 98 cm
Le roman de Francesco Colonna peut se lire comme parcours d’une initiation du héros à des “mystères d’Amour” (libre reconstitution du cérémonial éleusinien), initiation qui s’achève par le dévoilement de Vénus (conçue comme idée platonicienne) dans les jardins de Cythère.

Au XVIIIe siècle, le thème de l’embarquement pour Cythère peut être rapproché de ce que l’on appelait « la barque de plaisir » (un tableau de Pater porte ce titre):

 

Jean-Baptiste Pater (1695-1736), La barque de Plaisir, huile sur toile 74,6 x 93,7 cm

Cette dénomination fait référence à une pratique courante : à Paris, les promeneurs s’embarquaient en foule sur des bachots publics pour aller jusqu’au parc de Saint-Cloud, lieu de rendez-vous réputé. C'est ce voyage de Paris à Saint-Cloud, que Watteau allégorise comme un voyage à Cythère. Il est prétexte à mettre ses sens en fête. La barque classique reste le véhicule des débordements sensuels par l’embarquement... De même le président de Brosses, lors de son séjour à Venise dans les années 1739-1740, rapproche la gondole de la barque de plaisir en déclarant qu’il n’y a pas de meilleur « carrosse » et qu’il ne faut pas « songer à deviner qui peut être dans une gondole fermée. On est là comme dans sa chambre, à lire, écrire, converser, caresser sa maîtresse, manger, boire, etc. »

Parmi les artistes du XVIIIe s. qui ont traité le thème des amoureux à Cythère, citons Pierre-Antoine Quillard (il avait travaillé dans l’entourage de Watteau), Petrus Johannes van Reysschoot, peintre gantois,  une gravure de Jérôme-François Chantereau et une de Bernard Picart, une tapisserie de Beauvais sur un dessin de Jacques Duplessis, très mythologique (Beauvais ca. 1725, laine et soie, 420 x 483 cm), et enfin quelques anonymes livrant des compositions peu originales.

 

Pierre-Antoine Quillard (c. 1700-1733), L'arrivée à Cythère, huile sur toile 57 x 69 cm, Budapest Museum of Fine Arts

Petrus Johannes van Reysschoot (1702-1772), L'embarquement pour l'île de Cythère, huile sur toile, c. 1720, huile sur toile 138 x 153 cm, Lawrence Steigrad Fine Arts, New York City

À gauche, Jérôme-François Chantereau, l'île de Cythère, gravure 17.4 × 24.4 cm - à droite, Claude Duflos, L’Isle de Cithère, gravure
d'après un dessin de Bernard Picart, c.1708, BNF

Tapisserie de Beauvais, L'arrivée des amoureux sur l'île de Cythère, sur un dessin de Jacques Duplessis ca. 1725, laine et soie, 420 x 483 cm

Ecole française du XVIIIe siècle, L'embarquement pour Cythère, huile sur toile

Entourage de Jean-Baptiste Leprince (1734-1781), Couple galant prêt à s'embarquer pouir Cythère, huile sur toile 47 x 58,4 cm

Au XIXe siècle, le sujet de la barque vers Cythère est repris très ponctuellement par quelques romantiques, parmi les peintres de second plan ; je citerai « L’île de Cythère », d’Ernest-Augustin Gendron (musée d'art et d'histoire de Saint-Brieuc, 1848), et « Eros transportant les amoureux vers Cythère », du peintre allemand Wilhelm Kray.

 

Ernest Augustin Gendron, L’Île de Cythère, 1848, huile sur toile 87 x 145 cm, musée d'Art et d'Histoire de Saint-Brieuc

Wilhelm Kray,  Eros transportant les amoureux vers  Cythère, huile sur toile  45 x 109,3cm

Le thème sera repris autour de 1900, avec un style « art nouveau » :

Ainsi Maurice Chabas, « Le retour à Cythère », c. 1896, Paul Gervais, avec « Amour source heureuse de vie – Cythère », grande toile décorant l’ancienne salle de mariage du Capitole de Toulouse, et une petite toile d’Emile-Louis Foubert, « Le concert à Cythère ».

 

Maurice Chabas (1862-1947), Le retour à Cythère, vers 1896, Huile sur toile 65,50 x 120,50 cm

Paul Gervais, Amour source heureuse de vie – Cythère, toile décorant l’ancienne salle de mariage du Capitole de Toulouse

Emile Louis Foubert (1848-1911),  Le concert à Cythère, 1899, huile sur toile 38 x 46 cm

Au XXe siècle, très peu d’occurrences de ce sujet : citons toutefois « Un embarquement pour Cythère » 1981, du peintre de figuration narrative Charles Lapicque, et le « Retour de Cythère » (1985-86), du néoromantique anglais George Warner Allen. 

 

Charles Lapicque (1898-1988), Embarquement pour Cythère, 1981, huile sur toile 79 x 106 cm


George Warner Allen (1916–1988), Le retour de Cythère, 1985-86, huile sur toile 116,5 x 127 cm, collection Tate, U K

Gageons que le XXIe siècle ne verra pas non plus beaucoup de toiles sur ce thème. J’y aurai pourtant apporté ma contribution synchronistique, avec le tableau en tête d’article, intitulé « Arrivée à Cythère, avant la fête ». J'y ai réinterprété des jeunes femmes issues d'un pastel de Fantin-Latour, inscrites dans une scène semi-abstraite imaginée à partir d'un tableau basculé de Gianni Dova (1925-1991), intitulé "Personnage vert" (1961).

mardi, octobre 25, 2022

La métamorphose du minotaure

 

Gilles Chambon, La métamorphose du minotaure, huile sur toile 65 x 54 cm, 2022

Le minotaure représenté ici est repris d’une nature morte de Picasso (Buste de minotaure), dernière d’une série de quatre, réalisée en novembre 1938. Marie-Laure Bernadac a dit que « la dualité physique du minotaure est l’alter-ego par excellence du peintre, son double. Il incarne l’opposition entre l’ombre et la lumière, le bien et le mal, la sauvagerie et l’humanité » (« la Minotauromachie, 1935 », 2006). 

 

Je me suis donc métamorphosé à mon tour en minotaure, en me coulant dans la conscience de Picasso, mais en l’adoucissant et l’adaptant toutefois à ma personnalité, caractérisée, entre autres, par une volonté de douceur… La nature morte anguleuse et acidulée du peintre s’est alors transformée en une composition instable et joyeuse, où dominent les courbes, et une palette de bleus, de verts, et d’ocres clairs. 

 

Elle est issue du rapprochement synchronistique entre le tableau de Picasso et un paysage breton d’Henri Le Fauconnier (1881-1946), tout en galbes et en verdure (paysage de Ploumanach, 1913), renversé et métamorphosé par le minotaure-peintre auquel je me suis identifié.

jeudi, juin 02, 2022

Perspective philosophique

 

Gilles Chambon, Perspective philosophique, huile sur toile 45 x 70 cm, 2022

La philosophie s’est construite en Grèce, au contact de la Méditerranée, des oliviers, des collines desséchées de soleil, et des femmes harmonieusement enveloppées dans leur chiton. C’est la beauté qui seule a procuré l’énergie nécessaire à l’esprit humain pour réfléchir au monde en s’affranchissant de toutes les peurs et de tous les tabous.

 

Ce tableau est perspective philosophique, dans la mesure où il révèle synchronistiquement la transformation miraculeuse du contexte méditerranéen antique en concepts abstraits et géométrie pure. Les collines en terrasse sont inspirées de Joseph Inguimberty (1896-1971), la géométrie de Georges Collignon (1923-2002), et les sculptures de Giorgio de Chirico (1888-1978).

mardi, mai 17, 2022

L'union fait la force

 

Gilles Chambon, L'union fait la force, huile sur toile 130 x 89 cm, 2022

« L’union fait la force » est un proverbe qui sert de devise à plusieurs pays, et dont l’origine se perd dans la nuit des temps : déjà Homère, dans l’Iliade, l’utilise (chant XIII). Cependant cette formule n’a jamais encore été appliquée à l’art… La peinture synchronistique se doit pourtant de revendiquer un tel adage : pour créer une poésie nouvelle, elle s’appuie en effet ostensiblement sur l’union et la réinterprétation de créations qui l’ont précédée.

  

Dans ce tableau, j’ai réinterprété trois fragments empruntés à trois peintres du XXe siècle : Pablo Picasso, Geer van Velde, et Fernand Léger. Ces peintres se retrouvent donc métaphoriquement unis avec moi, donnant ainsi un visage et un nom aux quatre ouvriers impersonnels que Léger avait placés dans son tableau Les constructeurs (1950). On peut alors voir la lourde poutre maniée par les quatre peintres, comme un bélier qui permet d’enfoncer les préjugés, et de rouvrir les portes de la création picturale, fermées depuis cinquante ans par l’idéologie post-duchampienne.

 

Voici les trois œuvres rapprochées, mélangées, et réinterprétées :

 


 

samedi, avril 02, 2022

Paysage et peinture : derrière les apparences

 

Photo d'un paysage de Saint-Emilion, et toile de Joaquín Peinado (1898-1975) Composition à la fenêtre et aux poissons 38 x 55 cm

Vous visitez une région. Vous empruntez des routes pittoresques qui vous délivrent des paysages magnifiques… Du coup vous décidez de vous installer dans ce coin qui vous a séduit par de tels points de vue prometteurs. À partir de ce moment, vous multipliez les balades à pied, et les petits chemins vous font pénétrer dans l’intimité et les multiples circonvolutions des paysages que vous aviez admirés de loin. Quand, beaucoup plus tard, vous repassez aux endroits panoramiques qui vous avaient charmé d’abord, vous les appréciez toujours autant, mais d’une façon différente, parce que vous comprenez mieux ce qui se déploie derrière chaque détail, vous savez où se cachent dans ce décor les merveilleuses pépites découvertes dans vos pérégrinations pédestres.

 

C’est un peu la même chose quand vous découvrez les belles œuvres d’un peintre que vous ne connaissiez pas. La curiosité vous pousse à vous renseigner sur sa biographie, et sur toutes les connexions qui peuvent le relier à son temps, sa région, son école de peinture. Vous essayez de comprendre ses préoccupations, et les finalités qu’il recherchait pour son art. Puis vous apprenez aussi à distinguer les différentes périodes de son travail artistique, et à suivre ses évolutions, à comprendre les influences qui ont pu le marquer.

Après, lorsqu’à nouveau les tableaux qui vous l’avaient fait connaître sont devant vous, vous les admirez toujours, mais ils résonnent différemment dans votre esprit, avec beaucoup plus d’harmoniques, liées aux connaissances que vous avez acquises sur l’artiste et sur son contexte.

 

La beauté d’un paysage, comme celle d’une œuvre d’art, émane de configurations formelles qui nous touchent parce qu’elles sont l’expression d’une profondeur et d’une richesse cachées, qui nous attirent et nous invitent à en explorer les multiples strates, quitte à nous y perdre, amoureusement.