La première épître de Pierre indique que le Christ, après avoir été mis au tombeau, et avant sa résurrection (c’est-à-dire entre le Vendredi saint et le jour de Pâques), s’est rendu en enfer, dans les limbes plus exactement, pour « prêcher aux esprits en prison » (3, 19). Les limbes étaient ce lieu où se trouvaient assignés à résidence les âmes des justes qui, nés avant la rédemption qu’apporta Jésus aux hommes, ne pouvaient accéder au paradis, puisqu’ils étaient souillés malgré eux par le péché originel.
La scène du Christ aux limbes a souvent été représentée par les peintres. Au Moyen-Âge, c’était généralement prétexte à imaginer la gueule de l’Enfer entourée de démons ; Jésus venait y délivrer Adam, Eve, et tous les anciens patriarches.
La scène du Christ aux limbes a souvent été représentée par les peintres. Au Moyen-Âge, c’était généralement prétexte à imaginer la gueule de l’Enfer entourée de démons ; Jésus venait y délivrer Adam, Eve, et tous les anciens patriarches.
À la Renaissance, Martin Schongauer, Friedrich Pacher, ou encore Pieter Bruegel l'Ancien, suivaient toujours plus ou moins cette tradition.
Mais une rupture avec l'« image d’Épinal » d'un enfer peuplé de monstres viendra d’Italie, évidemment : c'est Mantegna, d'abord, qui accomplit une véritable révolution : il invente en 1468 pour Ludovic Gonzague une version très osée du Christ aux limbes, dans laquelle le Christ, en position centrale tourne le dos au spectateur. Il n’y a plus ni diablerie (deux diables volent cependant encore dans la première version), ni gueule d’Enfer, juste le travail minutieux des anatomies et des drapés, et une porte brisée, qui sera remplacée dans la seconde version de 1470-75 par l’entrée d’une simple grotte, très naturaliste.
Andrea Mantegna, La descente aux limbes, c. 1470-75, tempera sur toile, The Frick Collection, New York |
Un demi-siècle plus tard, le maniérisme redonnera davantage de théâtralité à l'épisode : non plus à la façon pittoresque et fantastique du Moyen-Âge, mais en imaginant une scénographie complexe des corps, avec des déhanchements exagérés, appelées figura serpentina et contrapposto. Domenico Beccafumi, Agnolo Bronzino, excelleront dans cet exercice, et avant eux Sebastiano del Piombo, qui travailla à Rome auprès de Raphaël.
Le dessin est fidèle au tableau du Piombo, mais l’écriture violente, qui semble se souvenir de Goya, l’accentuation des contrastes, la simplification des lignes et des couleurs, l’abandon des finitions, du sfumato, et de la perspective, en font une composition éminemment moderne…
J’ai souhaité moi aussi traiter le thème du Christ aux limbes (voir image en tête de l'article) de façon à la fois moderne et connectée à l’univers maniériste. Je suis donc parti d’une feuille d’étude d’Agnolo Bronzino :
Cette feuille n’a en fait aucun lien avec son grand Christ aux limbes de Santa Croce (voir image plus haut). On y trouve d’un côté l’esquisse de deux des personnages du « Moïse frappant le rocher d’Horeb (appelé aussi allégorie du printemps) » de la Chapelle Eleonora de Toledo au Palazzo Vecchio, et de l’autre l’étude de la main droite du portrait de Stefano IV Colonna.
Domenico Beccafumi, Descente du Christ aux limbes, c. 1530-35, Pinacothèque nationale de Sienne |
Agnolo Bronzino, La descente du Christ aux limbes,1552, Musée de l'Œuvre de Santa Croce, Florence |
Sebastiano del Piombo, Le Christ aux limbes, 1516, musée du Prado, Madrid |
Le Christ aux limbes de Sebastiano del Piombo me servira de trait d’union avec la peinture moderne ; il a en effet été repris et réinterprété par Cézanne (il ne nous reste hélas qu’un fragment de sa composition générale, peinte à l’origine directement sur le mur de la maison du Jas de Bouffan, aux environs d'Aix-en-Provence).
Le dessin est fidèle au tableau du Piombo, mais l’écriture violente, qui semble se souvenir de Goya, l’accentuation des contrastes, la simplification des lignes et des couleurs, l’abandon des finitions, du sfumato, et de la perspective, en font une composition éminemment moderne…
J’ai souhaité moi aussi traiter le thème du Christ aux limbes (voir image en tête de l'article) de façon à la fois moderne et connectée à l’univers maniériste. Je suis donc parti d’une feuille d’étude d’Agnolo Bronzino :
Agnolo Bronzino, feuille d'étude avec deux nus et un bras droit, c. 1542-43, Musée des Offices, Florence |
Alberto Burri, Sans titre, 1953, huile sur toile avec sable et morceaux de tissu, Courtesy Mazzoleni Art, Londres |
Curieusement, comme souvent dans la méthode synchronistique, le choix intuitif de la feuille d’étude de Bronzino pour incarner l’épisode du Christ aux limbes, se révèle porteur d’une convergence de sens. En effet le rocher d’Horeb frappé par Moïse a un sens symbolique directement relié à la rédemption offerte par le Messie: de même que des eaux vivifiantes s’élançaient du rocher frappé par le bâton de Moïse, de même du Messie, « frappé par Dieu, meurtri et brisé à cause de nos iniquités » (Ésaïe 53 : 4, 5), jaillit le fleuve du salut appelé à sauver notre humanité perdue. Comme le rocher avait été frappé une seule fois, le Messie serait « offert une seule fois pour ôter les péchés de tous » (Hébreux 9:28).
Et pour plaisanter un peu, je dirai que beau travail d’Alberto Burri, maintenu jusqu'à présent dans les limbes de la peinture abstraite, se voit, grâce à mon intervention synchronistique et à l'action rédemptrice des dessins de Bronzino, propulsé dans le paradis de la peinture figurative!