Ville-monde, aquarelle de G. Chambon (détail)
Poème extrait de « Tendances nuageuses », G. Chambon, 2003
Les villes respirent et grandissent comme des orchidées
Et leurs dômes d'acier, plus fiers que des montagnes,
Un jour s'envoleront vers d'autres horizons
A travers les étoiles, ils diront les louanges
(Mais pour quel univers) de la Jérusalem céleste enfin réalisée.
Aujourd'hui, cela crève les yeux,
Les villes secouent l'échine, hurlent par leurs banlieues
Et leurs grands tentacules projetés en avant
Déjouent allègrement toute espèce de contrôle
Regardez ces machines, enfouies sous le béton
Elles pensent pour nous…
Leurs microprocesseurs calculent sans relâche
Ils tirent les ficelles et inventent les lois.
Sachez que les abeilles, bien avant nos ancêtres
Ont construit des cités
Les reines y demeurent sans pouvoir et sans gloire.
Les ordres sont donnés par l'Esprit de la ruche
Implacable, invisible, il commande aux insectes.
Voyez donc la ville : c’est un monstre naissant.
Pièce à pièce, malgré nous, nous forgeons son cerveau
Et ses ordinateurs, robots, et automates,
Bientôt nous chasseront
Alors, l'homme traqué reviendra aux cavernes
Pour échapper aux pièges des grandes cités vides.
Tapi dans l'ombre, les yeux exorbités,
Il les regardera partir, dans l'espace infini
D'astre en astre, il les verra glisser
Pareilles à d'immenses diatomées
Toutes caparaçonnées de grills iridescents,
Projetant au hasard les reflets argentés
D'innombrables canons dressés sur leurs donjons.
On verra cependant, sur leurs murs colossaux
Défiant les météores
La trace pétrifiée
Des créateurs humains retournés au néant.
Ce seront des statues, grandes, énigmatiques,
Dont les corps enlacés parleront aux étoiles
Et leur diront qu'un jour, dans un lointain passé,
Les villes et les hommes, mus d'amours réciproques
Avaient formé le voeu de mêler leurs destins.
présentation des peintures synchronistiques
vendredi, janvier 18, 2008
lundi, janvier 07, 2008
MYTHOLOGIE
Déméter, déesse des moissons - g. Chambon, 2001
En ce moment, la mythologie, et particulièrement son substrat néolithique lié au culte de la grande déesse, retient mon attention, notamment à travers les livres de Robert Graves. La mythologie est une façon collective de donner une image à tous les phénomènes de l’univers qui dépassent notre entendement et notre science, mais qui existent néanmoins, et que nous connaissons tous par notre expérience quotidienne. Tout ce qui fait :
- que le monde est plus mystérieux qu’un ordinateur,
- que la vie et sa dynamique de complexité ont existé bien avant qu’il y ait l’intelligence humaine pour les admirer et tenter d’en comprendre les rudiments,
- que la mort et son cortège de chagrins tournoient et frappent sans qu’aucune connaissance puisse nous dire ni l’heure, ni l’endroit, ni pourquoi…
La mythologie n’est pas vraiment une explication irrationnelle de ces phénomènes ; ce sont les scientifiques qui croient parfois cela. La mythologie n’explique rien : elle illustre par des récits les souvenirs les plus profonds inscrits au creux de nos gènes, bien avant notre mémoire individuelle. Et ces souvenirs, très souvent, convergent d’un individu à l’autre, d’une société à l’autre ; ils se sont ségrégés sur de longues périodes (néolithiques, et peut-être paléolithiques) au cours desquelles l’écrit ne permettait pas encore de fixer objectivement les faits historiques, et où, d’une génération à l’autre, les similitudes d’aventures finissaient par se cristalliser dans un récit gigogne, avec variantes et dérivations.
La mythologie est une force parce qu’elle produit une sorte de champ magnétique, un champ de fascination qui capte les esprits et les entraîne vers la foi, la poésie, ou la folie… (ce sont les trois seules formes du rapport au réel-supérieur que je connaisse). Dans notre monde contemporain accaparé par les découvertes scientifiques, par le récit événementiel de l’actualité brute, et par l’organisation matérialiste de l’environnement, la mythologie est refoulée dans le off, à l’extérieur des choses sérieuses. Mais ce qui est chassé par la porte revient toujours par la fenêtre : c’est en effet la mythologie musulmane qui anime les fous de Dieu, régulièrement à la une de nos journaux pour leurs attentats suicides.
La mythologie (dont nous n’avons gardé que quelques éléments déformés, par exemple le père Noël pour amuser les enfants) est en effet capable de déchaîner des forces incontrôlables, et sans doute de détruire l’ordre confortable - et mesquin - qui régit notre espace occidental. Mais il ne faut pas pour autant la vouer aux gémonies ; elle est une terre fertile de laquelle peut sortir autre chose que des serpents. Sa face tragique, incontournable, ne doit pas obérer ses dimensions cosmique, héroïque, et inchoative, sa capacité à engendrer beauté et harmonie.
Aujourd’hui, on assiste à un certain regain de la Wicca et des traditions druidiques, probablement lié à la nouvelle conscience écologique du monde. Le symbolisme des arbres, les rites agraires saisonniers, le calendrier ajusté sur les mois lunaires et les pulsations du végétal… tout cela fleure bon le rêve d’un retour harmonieux à la nature, écolo et baba cool. Pourtant la religion de la Grande Déesse, caractéristique des sociétés néolithiques agraires et matriarcales, avait aussi sa violence et ses cruautés, notamment, si l’on en croit les mythologues, les sacrifices saisonniers des rois sacrés, et les fêtes rituelles où des prêtresses-ménades se livraient vraisemblablement à des actes barbares…
C’est que l’imagination humaine, terrifiée par la puissance maléfique des dérèglements élémentaires (sècheresses, inondations, ouragans, épidémies, etc) avait besoin d’une contre-violence rituelle, compensatrice ou conjuratoire. Le christ immolé sur la croix n’est rien d’autre ; c’est d’une certaine façon le dernier roi sacré de la tradition néolithique, tandis que Mahomet le conquérant, dominateur patriarcal, est le dernier avatar des héros virils et solaires de tradition nomade protohistorique.
De même que Seth et Osiris, frères ennemis, se sont affrontés dans l’ancienne Egypte, le monde contemporain a vu de façon récurrente depuis mille trois cents ans s’affronter Jésus et Mahomet. De ce type d’affrontements fini toujours par naître un nouveau syncrétisme mythologique qui, en changeant de paradigme, permet de réintégrer dans un même récit épique ce qui auparavant constituait des histoires contradictoires. Un nouveau récit mythologique est donc aujourd’hui attendu, et c’est aux poètes d’actualiser et de féconder les mythes anciens, pour que d’eux s’engendre une nouvelle vérité imaginaire, capable de fédérer les rêves des générations futures.
En ce moment, la mythologie, et particulièrement son substrat néolithique lié au culte de la grande déesse, retient mon attention, notamment à travers les livres de Robert Graves. La mythologie est une façon collective de donner une image à tous les phénomènes de l’univers qui dépassent notre entendement et notre science, mais qui existent néanmoins, et que nous connaissons tous par notre expérience quotidienne. Tout ce qui fait :
- que le monde est plus mystérieux qu’un ordinateur,
- que la vie et sa dynamique de complexité ont existé bien avant qu’il y ait l’intelligence humaine pour les admirer et tenter d’en comprendre les rudiments,
- que la mort et son cortège de chagrins tournoient et frappent sans qu’aucune connaissance puisse nous dire ni l’heure, ni l’endroit, ni pourquoi…
La mythologie n’est pas vraiment une explication irrationnelle de ces phénomènes ; ce sont les scientifiques qui croient parfois cela. La mythologie n’explique rien : elle illustre par des récits les souvenirs les plus profonds inscrits au creux de nos gènes, bien avant notre mémoire individuelle. Et ces souvenirs, très souvent, convergent d’un individu à l’autre, d’une société à l’autre ; ils se sont ségrégés sur de longues périodes (néolithiques, et peut-être paléolithiques) au cours desquelles l’écrit ne permettait pas encore de fixer objectivement les faits historiques, et où, d’une génération à l’autre, les similitudes d’aventures finissaient par se cristalliser dans un récit gigogne, avec variantes et dérivations.
La mythologie est une force parce qu’elle produit une sorte de champ magnétique, un champ de fascination qui capte les esprits et les entraîne vers la foi, la poésie, ou la folie… (ce sont les trois seules formes du rapport au réel-supérieur que je connaisse). Dans notre monde contemporain accaparé par les découvertes scientifiques, par le récit événementiel de l’actualité brute, et par l’organisation matérialiste de l’environnement, la mythologie est refoulée dans le off, à l’extérieur des choses sérieuses. Mais ce qui est chassé par la porte revient toujours par la fenêtre : c’est en effet la mythologie musulmane qui anime les fous de Dieu, régulièrement à la une de nos journaux pour leurs attentats suicides.
La mythologie (dont nous n’avons gardé que quelques éléments déformés, par exemple le père Noël pour amuser les enfants) est en effet capable de déchaîner des forces incontrôlables, et sans doute de détruire l’ordre confortable - et mesquin - qui régit notre espace occidental. Mais il ne faut pas pour autant la vouer aux gémonies ; elle est une terre fertile de laquelle peut sortir autre chose que des serpents. Sa face tragique, incontournable, ne doit pas obérer ses dimensions cosmique, héroïque, et inchoative, sa capacité à engendrer beauté et harmonie.
Aujourd’hui, on assiste à un certain regain de la Wicca et des traditions druidiques, probablement lié à la nouvelle conscience écologique du monde. Le symbolisme des arbres, les rites agraires saisonniers, le calendrier ajusté sur les mois lunaires et les pulsations du végétal… tout cela fleure bon le rêve d’un retour harmonieux à la nature, écolo et baba cool. Pourtant la religion de la Grande Déesse, caractéristique des sociétés néolithiques agraires et matriarcales, avait aussi sa violence et ses cruautés, notamment, si l’on en croit les mythologues, les sacrifices saisonniers des rois sacrés, et les fêtes rituelles où des prêtresses-ménades se livraient vraisemblablement à des actes barbares…
C’est que l’imagination humaine, terrifiée par la puissance maléfique des dérèglements élémentaires (sècheresses, inondations, ouragans, épidémies, etc) avait besoin d’une contre-violence rituelle, compensatrice ou conjuratoire. Le christ immolé sur la croix n’est rien d’autre ; c’est d’une certaine façon le dernier roi sacré de la tradition néolithique, tandis que Mahomet le conquérant, dominateur patriarcal, est le dernier avatar des héros virils et solaires de tradition nomade protohistorique.
De même que Seth et Osiris, frères ennemis, se sont affrontés dans l’ancienne Egypte, le monde contemporain a vu de façon récurrente depuis mille trois cents ans s’affronter Jésus et Mahomet. De ce type d’affrontements fini toujours par naître un nouveau syncrétisme mythologique qui, en changeant de paradigme, permet de réintégrer dans un même récit épique ce qui auparavant constituait des histoires contradictoires. Un nouveau récit mythologique est donc aujourd’hui attendu, et c’est aux poètes d’actualiser et de féconder les mythes anciens, pour que d’eux s’engendre une nouvelle vérité imaginaire, capable de fédérer les rêves des générations futures.
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