présentation des peintures synchronistiques

vendredi, avril 23, 2010

CASBAH EN PERIL

 Rue de la Casbah, peinture de Gilles Chambon, 2010

 Rue de la Casbah au début du XXe siècle

Classée depuis dix-huit ans au Patrimoine Mondial de l’Humanité, la Casbah d’Alger n’en poursuit pas moins sa rapide dégradation, que rien ne semble pouvoir arrêter. Les maisons s’effondrent au rythme de cinq à dix par an. 
 étude de réhabilitation de la Casbah, typologie des maisons

Il y avait encore dans la vieille Alger, lors de l’étude de réhabilitation menée par l’UNESCO en 1978, un millier de maisons traditionnelles d’époque turque, dont une moitié était dans un état médiocre et une centaine proche de la ruine. Depuis, à peu près trois cents se sont écroulées. La cause n’est pas - comme souvent, la spéculation foncière ; les terrains de la Casbah ne valent pas grand-chose sur le marché immobilier. Alors de quoi s’agit-il ?

Le mécanisme qui gangrène la vieille cité barbaresque peut être décrit de la façon suivante :
  • Première étape : pour des raisons de confort, les plus riches propriétaires ont quitté leurs maisons pour s’établir dans des quartiers plus modernes, et les ont louées aux plus pauvres, en surnombre. Manque d’entretien et surpopulation ont vite fait de dégrader des bâtisses souvent fragiles, dans un contexte de forte sismicité.

  • Deuxième étape : malgré l’intérêt historique et patrimonial, les autorités délaissent ce cœur malade et mal famé, qui concerne moins de cinquante mille habitants, et dont l’entretien semble si difficile à maîtriser. Quand une maison tombe et qu’on peut récupérer le terrain pour la collectivité, on y fait une placette sommaire ou un parking.

  • Troisième étape : les réparations de fortune faites par les petits propriétaires habitants ou par les locataires, sans contrôle, conduisent souvent à un résultat calamiteux, qui mutile irrémédiablement les maisons, voire les fragilise.

  • Quatrième étape : sous la pression des médias, des associations, et des élites culturelles, des mesures sont prises par l’administration pour entamer un processus de réhabilitation : elles consistent à inciter les habitants à partir, îlot par îlot, pour laisser le champ libre aux travaux de restauration à mener sous le contrôle des spécialistes. On propose aux propriétaires un logement en banlieue d’Alger ; on va même jusqu’à l’offrir gracieusement si la maison est en ruine. C’est là que commencent les ennuis : les maisons vides sont pillées pour récupérer les céramiques ou les colonnettes ; certains habitants aident leurs maisons à tomber, pour profiter de l’aubaine d’un nouveau logement. Ou encore les vieilles bâtisses, censées être vides, sont réoccupées par les familles, les logements octroyés à l’extérieur sont revendus ou sous-loués… et tout un trafic s’organise et se nourrit de la décrépitude de la Casbah.

Les seules restaurations qui ont pu être menées à bien sont celles des palais, comme le bastion XXIII près du port, réalisé sous la conduite d’équipes italiennes. 

Le Bastion XXIII récemment restauré

Alors faudra-t-il continuer à voir mourir peu à peu ce tortueux trésor de l’imaginaire méditerranéen, ce joyau de l’architecture maghrebine qui est l’âme véritable de la capitale algérienne ?

La reconquête touristique, comme dans les médinas marocaines, paraît très improbable dans le contexte algérien. Alors le salut pourrait sans doute seulement venir d’une reconquête bourgeoise : ce que l’on nomme gentrification, et que nous connaissons bien dans les cœurs historiques de ce côté-ci de la Méditerranée. Si l’on ne peut échapper au business qui se développe sur ce quartier en ruine, préférons le business qui sauvegarde le patrimoine collectif à celui qui le détruit. Espérons donc que les nouvelles générations des couches aisées de la population algéroise, auront enfin envie de renouer avec leurs ancêtres, et s’aménageront de riches demeures traditionnelles au milieu du dédale de ruelles de la Casbah… avant que tout cela ne soit parti en poussière.

samedi, avril 10, 2010

Contrastes

Le môle de pêche, Alger, 
Gilles Chambon, huile sur toile, 2010

Alger est une ville de contrastes.

Quelqu’un me disait : « c’est Marseille, sans les Français ». Et c’est vrai que cent trente années de colonisation ont laissé sur la ville une profonde empreinte, qui lui donne des airs de ressemblance avec la cité phocéenne. Mais n’oublions pas aussi que le siècle des empires coloniaux a pareillement influencé l’architecture européenne : on s’est plu, de ce côté-ci de la méditerranée, à évoquer le style mauresque dans la décoration de nombreux immeubles urbains qui s’amusent à ressembler à l’orient. Le melting pot méditerranéen a toujours brassé les hommes et les cultures, et c’est tant mieux.

Mais là s’arrête la comparaison. Le mistral n’est pas le siroco. C’est le feu africain qui tombe des montagnes sur Alger, et évapore chaque matin la fraîcheur de la mer en brumes lumineuses indicibles. La sombre émeraude frisée et vernissée des ficus de Didouche Mourad n’est pas la blondeur majestueuse des platanes de la Canebière. Et l’été vers le soir, à l’heure où Marseille remplit ses terrasses et sirote paisiblement le pastis, de longues ombres noires plombées lacèrent les blanches façades algéroises ourlées de bleu, et le soleil couchant fait résonner l’espace comme un tambour, que reprennent à l’unisson les haut-parleurs des muezzins. L’âme algérienne est trempée dans ces contrastes, et dans leur violente beauté.

Pour un peintre, approcher cette beauté est une façon de mieux comprendre ceux qui l’habitent.