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G. Klimt, détail de la "Frise Beethoven", 1901-02, conservée au Palais de la Sécession, Vienne |
Gustav Klimt, mort en 1918 à
l’âge de 55 ans, a laissé derrière lui une œuvre considérable, aujourd’hui
universellement admirée, et qui a donné lieu, en cette année 2012, cent
cinquantième anniversaire de sa naissance, à de nombreuses expositions. Les
principales sont évidemment à Vienne (tableaux au Belvédère, dessins au Wien
Museum, contexte de l’avant-garde viennoise au Musée autrichien du théâtre,
Frise Beethoven à la Sécession, documents d’archives au Künstlerhaus,
collection textile d’Emilie Flöge, créatrice de mode qui fut sa muse et sa
compagne, au Musée d’étude des folklores) ; citons également l’exposition
de Venise, au Musée Correr.
Klimt a cela d’extraordinaire
qu’il se situe à la croisée des chemins :
- A la croisée des siècles entre
le XIXe siècle académique et le XXe avant-gardiste ;
- A la croisée des
cultures : Vienne, capitale de l’empire de François-Joseph, qui comptait
alors plus de 50 millions de sujets, regroupait 15 nations ; les groupes
ethniques et religieux les plus divers s’y côtoyaient, parmi lesquels la
communauté juive. L’ébullition intellectuelle et artistique était alors à son
apogée (Freud et Schnitzler en médecine, Otto Wagner, Josef Hoffmann, Joseph
Maria Olbrich, et Adolf Loos, en architecture, Gustav
Klimt, Egon Schiele, Koloman Moser, et Oscar Kokoschka, en peinture,
Hermann Bahr, Karl Kraus, Peter Altenberg, Rainer Maria Rilke en littérature,
Gustav Mahler, Schönberg et son groupe d’élèves Alban Berg, Webern, Wellesz… en
musique.)
- A la croisée des arts, entre
peinture d’histoire, arts décoratifs, et illustration.
- A la croisée des
influences : classicisme, japonisme, byzantinisme, cubisme,
impressionnisme, symbolisme…
Sa peinture est une sorte
d’heureuse et puissante synthèse, qui réconcilie dans une hallucinante beauté
l’art le plus traditionnel et l’art le plus révolutionnaire. Etant le chef de
file de la Sécession, et osant bousculer toutes les conventions, il a bien sûr
été très critiqué par les académistes de son temps, puis par la terrible
idéologie national-socialiste. Cependant, on croit souvent que les Nazis ont
brûlé en 1945, dans l’incendie du château Immendorf, 14 tableaux du maître
viennois, issus de la collection August et Serena Lederer, parce qu’ils le
considéraient comme un peintre dégénéré ; mais la réalité est très
différente.
En fait, le collectionneur d’art
juif August Lederer, qui avait réuni ces peintures (parmi lesquelles
d’authentiques chefs d’œuvre dont la célèbre « Frise Beethoven »,
qu’il avait acquise en 1903 après l’exposition de la Sécession de 1902, détaché
des murs et roulé en 7 morceaux) est mort en 1936, deux ans avant l'Anschluss,
annexion de l'Autriche volontaire à l'Allemagne nazie. La collection a été
confisquée à sa veuve Serena par le pouvoir Nazi en 1940 ; Serena s’est
alors enfui à Budapest, où elle est morte trois ans plus tard.
La Gestapo a transféré la
collection (à l’exception de la frise Beethoven, heureusement stockée ailleurs)
au château Immendorf, dans le sud de l’Autriche, pour la protéger des
bombardements des Alliés sur Vienne ; preuve qu’ils appréciaient l’art de
Klimt et que s’ils en avaient spolié les Juifs, ils comptaient bien
s’approprier les œuvres plutôt que de les détruire.
En
1943, le Troisième Reich avait d’ailleurs parrainé une exposition des œuvres de
Klimt à Vienne. Si les nazis haïssaient l’art moderne en général qu’ils
qualifiaient d’art «dégénéré», il y avait cependant des nuances dans leur
position : en Autriche, Gustav Klimt était même célébré comme un symbole
national.
Que s’est-il passé alors à Immendorf ?
Il
faut d’abord se rappeler que le 8 mai 1945, date de la destruction des œuvres,
est aussi le jour de la capitulation sans condition du Troisième Reich : Hitler
s’était suicidé une semaine plus tôt dans son bunker de Berlin. Les unités SS
en déroute, commettaient alors les pires exactions. L’une d’elles, arrivée le 7
mai au château d’Immendorf, avait découvert par hasard les œuvres d’art
entreposées. Le propriétaire du château a rapporté plus tard, que les officiers
SS avaient admiré les peintures de Klimt ; l’un d’eux aurait déclaré que
ce serait un «péché» de laisser les Russes mettre la main sur elles. Selon un
rapport de police de 1946, les officiers SS "ont organisé une orgie toute
la nuit dans les appartements du château".
Le
lendemain, l'unité de SS a posé des explosifs dans les quatre tours du château
avant de s’enfuir. Un homme est retourné pour allumer le feu dans l’une des
tours. Le feu s’est propagé et tout a finalement explosé. Le château
d’Immendorf a brûlé pendant quatre jours. Rien n’a pu être sauvé de tout ce
qu’il contenait ; ses ruines ont ensuite été démolies.
Voici
la liste des tableaux de Klimt détruits à Immendorf, dont nous avons
connaissance par des photos anciennes :
D’abord
les plus célèbres, trois toiles (« La Philosophie », « La
Médecine », et « La Jurisprudence »,1900-1907) commandées
en 1886 pour illustrer les voûtes du plafond de l'Aula magna, le hall d'accueil de l'université de Vienne, mais
que l’université lui avait finalement refusées en raison de la polémique
qu’avaient déchaîné les deux dernières toiles.
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La Philosophie, Klimt, 1900 |
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La Médecine, Klimt, 1901 |
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La Jurisprudence, Klimt, 1902-07 |
Dans le même esprit, « Le
défilé des morts » (1903):
Une œuvre symboliste,
« Musik II » (1898), faisant suite à une autre de 1895 « Musik
I », visible à la Neue Pinakothek de Munich
Une autre œuvre inspirée par la
musique, plus impressionniste, « Schubert au piano » (1899)
Une série de paysages, entre
symbolisme et post-impressionnisme :
« Le Pommier d’or »
(1903)
« Malcesine sur le lac de
Garde » (1913)
« Gastein » (1917)
« Sentier de jardin avec des
poulets » (1913)
« Jardin de ferme avec
crucifix » (1912)
Un tableau tardif, dans le même
esprit que sa célèbre « Danaé » de 1907 : « Léda »
(1917)
Un « Portrait de
Wally » (1916), postérieur et très différent de celui qu’avait fait Egon
Schiele en 1912, également volé par les Nazis, mais repris par les troupes
américaines et remis à l’Office fédéral autrichien ; aujourd’hui exposé au
Belvédère.
Enfin un tableau très art nouveau
« Les petites amies » (1916-17), typique des figures féminines de
Klimt.
Nous ne les verrons donc jamais, comme tant
d’autres chefs d’œuvre disparus au cours de l’histoire.