présentation des peintures synchronistiques

lundi, novembre 26, 2012

Exposition de G. Chambon à Vincennes

L'EXPOSITION EST PROLONGÉE EN JANVIER ET FÉVRIER 2013
Sur rendez-vous, contacter Mme van der Jagt au tél. : 01 43 28 67 48 ou 06 11 09 38 19

À Vincennes, à deux pas du château, chacun peut venir découvrir la galerie de Anne van der Jagt, toutes latitudes, où, pendant deux semaines, se déroule l’exposition « Gilles Chambon, Paysages vécus, scènes rêvées » (c'est la dernière exposition de la saison).

J’y présente une quarantaine d'oeuvres : 
- Quelques compositions réinterprétant de façon décalée des thèmes de la peinture classique (Tour de Babel, Reniement de saint Pierre, Tentation de saint Antoine, etc..) ; 
- Des huiles, aquarelles, et encres, de paysages et architectures « vécus » en Algérie, au Japon, en Espagne, au Pérou, où sur quelques côtes françaises ; 
- Et enfin des villes imaginaires, également à l’aquarelle, tressant ensemble des architectures de toutes latitudes. Il y a des toiles récentes, mais aussi des peintures faites voilà plus de vingt-cinq ans, donnant ainsi une idée de mon parcours pictural.

Attention, la galerie n’est ouverte que les vendredis, samedis, et dimanches après-midi. J’y serai pour le finissage les 8 et 9 décembre.

Merci à toutes celles et ceux qui sont venu me soutenir au vernissage !


P. S. : Vous pouvez aussi venir écouter, jouée sur le piano Erard de 1848 de la galerie (Tarifs : 8 euros/4 euros) :

LA GRANDE FUGUE DE BEETHOVEN AU PIANO
Concert-découverte
Duo Métamorphoses
Andrea Corazziari & Antoine Didry-Demarle

1er décembre 2012 à 19h
2 décembre 2012 à 17h

galerie toutes latitudes, Vincennes

dimanche, novembre 11, 2012

Sous le toit du monde

La chaîne Himalayenne vue de Nagarkot

Le Népal, coincé entre les deux grands monstres que sont la Chine et l’Inde, était encore un royaume inaccessible aux étrangers il y a à peine cinquante ans. S’ouvrant enfin au monde dans les années soixante, il devint pour un temps l’El Dorado des hippies à la recherche de psychotropes et de zenitude bouddhiste.

C’est aujourd’hui un simple état du tiers-monde, parmi les plus pauvres, semblable sous beaucoup d’aspects à tant d’autres pays démunis : infrastructures approximatives, institutions politiques précaires, ville centre tentaculaire et polluée, accueillant l’exode rural poussé par la misère des campagnes.

Katmandou 

Katmandou, avec ses axes routiers saturés, ses bus pourris crachant une fumée noire ; avec le vacarme incessant des klaxons remédiant tant bien que mal à l’absence quasi totale de code de la route ; avec ses réseaux de fils électriques et téléphoniques formant d’improbables écheveaux sur lesquels circulent de grands macaques ; avec la poussière déposée le long des rues sans trottoirs, qui s’accroche aux buissons et que le soir les tenanciers d’échoppes tentent de circonvenir, devant leur pas de porte, à l’aide de petits ballets de paille qui la fond voler plus qu’ils ne la chassent ; avec ses chemins déglingués traversant des quartiers où pullulent les nouvelles maisons en briques à ossatures de poteaux béton, laissant les fers en attente ; avec ses terrains vagues et ses rivières qui sentent l’égout ; avec ses bazars congestionnés déroulant à perte de vue de minuscules boutiques vendant toutes à peu près les mêmes choses, que ce soit les épices, les tissus, les ustensiles ménagers, ou les pashminas, les tankhas, les masques de dieux grimaçants, et les statuettes pour touristes.

Katmandou donc, sous ces aspects de ville générique du tiers-monde, m’évoque immanquablement d’autres villes parcourues au Sahel ou au Maghreb.

Et pourtant il serait injuste de ne pas voir aussi ce qui fait son caractère purement asiatique et son impressionnante beauté :

-       D’abord il y a les trois centres historiques monumentaux, Durbar Squares de Patan, de Bhaktapur, et de Katmandou. On trouve là trois joyaux de l’art urbain newar, organisant de façon libre mais équilibrée les palais et temples des XVe au XVIIIe siècles, faits de briques et de bois de sal, sculpté comme de la dentelle, et surmontés de toit multiples en pagodes, soutenus par de grand jambages inclinés couverts de scènes érotiques. En contrepoint de ces majestueuses façades, les bassins-fontaines encaissés et protégés par les ondulations de pierre représentant le corps de Nâga, le dieu serpent ; quelques colonnes surmontées de statues, face à l’entrée des temples ; de petits autels de dévotion, toujours bariolés d’offrandes de pétales de fleurs et de prashad rouge, et parfois montés sur des socles pyramidaux ; d’insolites temples hindous de style shikhara, tout en pierre, couverts de toits à la fois lourds et élancés, aux formes caractéristiques en épis de blé ; quelques grosses cloches de bronze, aussi,  suspendues sous des portiques ; et enfin ces curieuses petites loggia urbaines en bois, appelées pati, où dorment souvent les vagabonds.

Palais de Patan, illustration extraite de "The traditional architecture of the Kathmandu valley", Wolfgang Korn, ed. Bibliotheca Himalayica, reprint 2010


-       Ensuite il y a les monastères et les stupas bouddhistes qui parsèment la ville (les plus célèbres sont le grand stupa de Bodhnath, immortalisé par le film Little Bouddha, et celui de Swayambunath qui surplombe la ville, et où ont élu domicile des nombreuses bandes de singes).

-       Et partout ces vaches qui déambulent, et les chiens galeux qui dorment sous les péristyles des temples, en attendant la nuit pour roder à la recherche de poubelles ou de restes d’offrandes.

Aspects de Katmandou : Durdar Square de Bhaktapur et rue de Thamel


-       Enfin il y a le splendide écrin de montagnes qui enserre Katmandou : si les grands sommets enneigés de l’Himalaya ne sont perceptibles que dans le lointain, les contreforts de collines s’avancent dans la plaine comme de longues racines géantes, chargées de forêts et de cultures en terrasses.

G. Chambon, Nargarkot, aquarelle, 2012


Ces reliefs particuliers, au demeurant très habités et pourvus de nombreux villages perchés, sont la matière constitutive des paysages népalais ; ils rendent assez difficiles les communications routières. Il est donc préférable d’utiliser l’avion pour se rendre à Pokhara, au pied des Annapurnas.

Pokhara, jadis bourg provincial, a pris en quelques décennies une allure de ville champignon. C’est une destination de premier ordre pour les trekkers, et de nouveaux hôtels surgissent du sol chaque année ; le centre commerçant a ainsi délaissé l’ancien bourg pour se réimplanter à proximité de la rive du lac, où se concentrent les mânes touristiques chinoise, japonaise, coréenne, indienne, et occidentale. Mais dès que l’on quitte la grande rue, les chemins qui desservent les hôtels rappellent encore le caractère villageois : quelques maisonnettes basses au toit de tôles et aux murs badigeonnés de rose indien ou de vert lagon, avec leur petit jardin potager, subsistent entre les bâtisses des établissements hôteliers,  plus hautes et bordées de balcons ; quelques échoppes de quartier,  aussi, où les didis tiennent conversation, à coté de grands ficus majestueux ; et toujours les vaches en liberté, les enfants qui s’approprient la voie pour une partie de foot, et quelques champs de mil qui survivent ça et là, avant que de nouveaux hôtels ne repoussent la campagne dans les collines voisines.

G. Chambon, Pokhara, aquarelle, 2012


Pour bien s’imprégner de ces paysages qui mêlent la luxuriance des tropiques à l’aride sérénité des plus hauts sommets, il y a l’aquarelle bien sûr…. Mais aussi le parapente !

Vol au-dessus de Pokhara

mardi, octobre 23, 2012

Paysages vécus – Scènes rêvées

Exposition personnelle de peintures (et encres) à la galerie toutes latitudes, à Vincennes



Peut-être parce que je suis architecte-urbaniste, j’ai toujours été captivé par le paysage urbain et son caractère fractal. Mes premières peintures, dans les années 80-90, étaient des aquarelles minutieuses représentant des villes fantastiques. Quelques-unes seront exposées (elles sont aussi reproduites en N&B dans mon roman  « Souvenirs d’Antillia », disponible à la galerie, pendant l’exposition).

Au fil des ans, lors de mes voyages, j’ai aussi exécuté  « sur le motif »  de nombreux petits paysages, témoins de courts moments privilégiés de communion avec un coin du monde. De l’Algérie au Japon, en passant par le Pérou, nombreux sont les lieux magiques qui ont ainsi scellé mes « amitiés paysagères ».

Aujourd’hui, dans des compositions de plus grands formats, je renoue avec une forme de poésie surréaliste, en réinterprétant de façon décalée quelques grands sujets de la peinture classique, qui sont au fondement de notre imaginaire pictural occidental : La tour de Babel, L’entrée à Jérusalem, La tentation de St Antoine, ou Le reniement de St Pierre… scènes toujours réinscrites dans des paysages insolites et hybrides, où se côtoient architectures et personnages de toutes époques et de toutes latitudes.

Mon travail pictural, comme certains ont déjà pu le découvrir sur ce blog, est celui, minutieux, d’un artisan de l’imaginaire : narration figurative où la précision du dessin compte beaucoup. Mais la technique s’assouplit parfois, en particulier dans les petits formats, pour mieux révéler l’énergie  graphique et décorative contenue dans les thèmes que j’aborde.

J’espère que vous serez nombreux à venir découvrir cette sympathique galerie, près du château de Vincennes ; vous pourrez aussi me rencontrer le 24 novembre ou le 9 décembre.

vendredi, octobre 19, 2012

Femmes peintres à l'aube du XXe siècle


Annie F. Shenton, Portrait d'élégante au chapeau, 1899, Collection privée

Depuis la Renaissance (et même avant) un certain nombre de femmes peintres ont été répertoriées par les historiens de l’art. Quelques-unes sont devenues très célèbres, comme Artemisia Gentileschi, qui fût la première femme admise à l’Accademia delle Arti del Disegno de Florence (première Académie européenne) en 1616 ; Elisabeth-Louise Vigée-Lebrun, inscrite en 1783 à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture  au côté de trois autres femmes, Adélaïde Labille-Guiard, Anne Vallayer-Coster et Marie-Suzanne Giroust-Roslin ; Berthe Morisot - amie de Manet ; Mary Cassatt – amie de Degas ; Suzanne Valadon, mère d’Utrillo et première femme admise à la Société Nationale des Beaux Arts en 1894 ; Marie Laurencin – amie de Guillaume Apollinaire ; Frida Kalho - femme de Diego Rivera ; Sonia Delaunay, Tamara de Lempicka ; Vieira da Silva, première femme à obtenir le Grand Prix National des Arts du gouvernement français, en 1966, et enfin Léonor Fini.

On a l’habitude de penser que la société, machiste jusqu’à un passé assez récent, n’a pas permis aux femmes artistes d’exprimer pleinement leur génie. Cependant si l’on considère le nombre très réduit, jusqu’à l’aube du XXe siècle, des femmes peintres par rapport à celui de leurs collègues masculins (sans doute moins de 5%), elles n’ont pas à rougir de ce qu’elles ont laissé à la postérité : au Salon de peinture de 1889, elles exposaient  418 toiles sur 2 771, soit 15,1 % des œuvres présentées, proportion bien supérieure à leur réelle importance numérique dans la profession.

Il est vrai qu’elles se sont souvent davantage centrées sur certains genres comme le portrait, la miniature, ou les scènes de la vie domestique, plutôt que sur les grands sujets de la peinture historique. Mais cela ne retire rien à l’intérêt de leurs œuvres :
« … Les envois des femmes peintres ne consistent pas uniquement en des tableaux de fleurs, même si ce domaine est l’un de ceux où elles excellent, ainsi Éléonore Escallier, Victoria Dubourg ou Madeleine Lemaire. Scènes patriotiques ou historiques (qu’affectionnent particulièrement Laure de Châtillon ou Thérèse de Champ-Renaud), sujets mythologiques ou religieux (privilégiés par Adélaïde Salles-Wagner), et allégories sont présentés au Salon, aux côtés des scènes de genre, des paysages, des animaux, des natures mortes et des portraits qui regroupent la majorité des contributions. La catégorie dite des scènes de genre se décline de multiples façons : sujets historicisants, où s’illustre Jeanne Rongier, une élève d’Évariste Luminais, motifs orientalistes sur lesquels Henriette Browne, qui a effectué le voyage de Constantinople, assoit sa réputation ou, le plus souvent, images contemporaines. Si des artistes comme Jeanne Rongier ou Léonide Bourges s’attachent à dépeindre les activités des classes défavorisées, les futures impressionnistes Berthe Morisot et Mary Cassatt se limitent au quotidien de la vie bourgeoise. » (Denise Noël, Les femmes peintres dans la seconde moitié du XIXe s)

Leur émancipation en France à la fin du XIXe siècle tient au fait qu’elles sont acceptées comme élèves dans plusieurs grands ateliers parisiens, où on leur permet de suivre une formation identique à celle des garçons, notamment le dessin de nu d’après modèle vivant ; beaucoup de ces élèves viennent du monde anglo-saxon où ce type de travail ne leur est pas autorisé.

En 1881, Madame Léon Bertaux fonde l’Union des Femmes peintres et sculpteurs, association qui organisera chaque année des expositions féminines jusqu’en 1965. « Ses buts étaient simples : monter des expositions dans l’espoir de faire apprécier les productions des femmes en mettant ces dernières en rapport avec le public, acheteur éventuel. Mais elle nourrissait également des projets plus ambitieux qui lui tenaient à cœur : faire cesser l’exclusion des femmes à l’Ecole des beaux-arts et parvenir à ce que celles-ci puissent préparer le concours le plus prestigieux de l’Ecole : celui du Grand Prix de Rome. » (Chantal Beauvalot). « Reconnue d’utilité publique par décret le 16 juin 1892, l’Union réussit peu à peu à s’imposer comme une manifestation originale d’envergure, complémentaire des divers Salons officiels. »

Il reste évidemment beaucoup de ces femmes peintres à redécouvrir, particulièrement à la charnière des XIXe et XXe siècles. Annie F. Shenton, née à Londres (1875 - ? - active jusqu'en 1911), est l’une d’entre elles. Outre ses portraits sensibles de jeunes femmes (celui de Florence Emily Rotherham est exposé au musée du Brent, à Londres), nous lui connaissons une spécialité qui semble-t-il trouvait son public dans la société anglaise oisive, mais que les peintres hommes n’auraient sans doute pas jugé digne de leur talent : le portrait de chien de compagnie !

Annie F. Shenton, Portrait de Florence Emily Rotherham, 1899, Musée du Brent, Londres
Annie F. Shenton : Chien de chasse de la duchesse de Dunsborough, 1905 - Miniature de pékinois - Portrait de yorkshire terrier sur un coussin rouge, 1908
Annie F. Shenton, "Deux épagneuls japonais", 1898,  huile sur toile 41,1 x  56,3 cm


Mise à jour novembre 2019 : Annie F. Shenton fit aussi vers 1910 un joli portrait au pastel du peintre et graveur belge Jan De Clerck : 

 

jeudi, septembre 27, 2012

E. ROBERT, un peintre provençal en quête d’identité



E. Robert, Paysage de garrigues, huile sur panneau, 33x52, collection privée

E. Robert est un peintre de la Provence et de la Côte d’Azur, actif au début du XXe siècle ; son style et sa signature sont reconnaissables sur une quinzaine de tableaux, passés en salle des ventes en France, en Suisse, en Allemagne, ou en Angleterre, depuis plus de vingt ans. Les images qui accompagnent cet article, même si elles sont souvent de médiocre qualité, donnent une idée du savoir-faire de cet émule méridional de l’école de Barbizon.

Le problème est qu’il porte l’un des patronymes les plus répandus en France, et que bien sûr d’autres artistes, mieux documentés que lui (il ne l’est pas du tout) portent aussi ce nom. C’est pourquoi la plupart de ses œuvres ont été ventilées par les commissaires-priseurs et les experts associés, un peu au hasard, comme appartenant à trois autres artistes signant aussi E. Robert, et qui sont pourtant l’un sculpteur sur pierre, l’autre sculpteur sur bois, et le troisième ferronnier d’art.

Peintures de E. Robert attribuées à ses homonymes

Le ferronnier est le plus connu et le mieux documenté : il s’agit d’Emile Robert, né en 1860 à Mehun-sur-Yère, dans une famille de ferronniers, et mort en 1924. Repéré pour son talent dès la fin des années 1880, il construit, en collaboration avec Karbowsky le pavillon des Arts décoratifs de 1900. Dans la génération montante des artistes des arts appliqués, il fait partie du groupe des Lalique, Gallé, Baffier, Dampt, Delaherche, qui forment une sorte d’avant-garde. On lui doit la grille du cimetière des Chartreux à Bordeaux, la porte du musée des Art Décoratifs au pavillon de Marsan, la grille du théâtre de Lille, certaines grilles du Sacré-Cœur à Monmartre,  ainsi que celles du musée de paléontologie, et celles du Consulat de France à Bruxelles ; ses œuvres sont conservées dans de nombreux musées : musée Galliera, musées de Hambourg, Christiana, Londres, Bâle, Lviv, etc. Jean Prouvé se formera notamment en 1916-18 dans son atelier d’Enghien. Emile Robert mourut alors qu’il était en train de mettre en place la prestigieuse exposition des Arts-déco de 1925.

Le second E. Robert, dont l'identité complète est Eloi Emile Robert, dit Emile Robert, est un sculpteur français né en 1880 et mort en 1948 ; représentatif du style Art Déco, il sculpte, généralement sur bois, des personnages et animaux aux formes quelque peu géométrisées, souvent inspirées par l’exotisme colonial.

Le troisième est Eugène Robert, sculpteur statuaire, né en 1831 et mort en 1912. On lui connaît deux participations aux Salons des artistes français : en 1880, avec "Jeune colporteur", statue en bronze haute de 1,25m ; et en 1882, avec le buste en plâtre de "Pierre Simon Bourzat, bâtonnier de l'Ordre des Avocats de la ville de Brive (Corrèze)", acquis par le Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts. Une sculpture de lui de 1894, intitulée « Le réveil de l’abandonné », est au Musée de l’Assistance Publique, à Paris. 

Ces trois artistes n’ont bien entendu rien à voir avec notre peintre provençal E. Robert. Est-ce un Emile ou un Eugène ?… Peut-être un Eric, un Edouard, un Edgar, ou un Edmond. Si, parmi ses descendants, certains lisent ces lignes et ont gardé suffisamment de traces de sa mémoire pour reconnaître ses peintures, qu’ils me le disent, afin de lui restituer enfin sa véritable identité. 


Autres peintures de E. Robert
C'est aujourd'hui chose faite : depuis 2013, les gens qui l'ont connu, et surtout sa petite nièce Ariane Svare (que je remercie vivement pour les photos de son grand oncle qu'elle a bien voulu me communiquer) m'ont apporté les éléments de biographie qui permettent de rendre un visage et une âme à cet artiste de talent injustement oublié.
 


Mise à jour 29 mai 2013:
Un lecteur amateur de E. Robert a mené des recherches et a trouvé un article paru dans "Le Mémorial d'Aix" le 5 avril 1936, commentant une exposition de soixante peintures de notre artiste, comprenant des paysages et marines de Provence, de Corse, des Baléares et de la Riviera italienne. L'exposition avait lieu dans le cadre de l'association "Les Amis des Arts", fondée en 1894, et où ont exposé notamment Paul Cézanne, Paul Clément, Marcel Arnaud, Marcel Sahut, Louise Germain, et Renée Jullien.
Le nom complet du peintre y est donné : Etienne Robert ; c’est un artiste établi à Marseille. L'article, très élogieux, précise que "Les Aixois connaissent depuis longtemps l'art si savant de ce paysagiste, réputé entre tous. On peut en saisir le secret dans quelques études superbement enlevées [...] Quelques traits rapides de mise en place, puis l'esquisse minutieusement abordée, où rien n'est négligé, recherche de la forme, des grandes lignes, des grandes masses dans les premiers plans, de l'équilibre des maisons, de l'attache des branches, de la perspective des routes et sentiers."


Mise à jour 11 septembre 2014:
Un autre lecteur, dont les parents et grands parents connaissaient Étienne Robert depuis 1913, l'a lui-même rencontré vers 1950, alors que le peintre habitait dans les collines Ruissatel et Garlaban, entre Aubagne et Marseille ; il signale également qu'Étienne Robert partait de temps à autres faire des expositions en Suisse. Voici deux tableaux dont il a eu l'amabilité de m'envoyer les photos.
E. Robert, Amandiers en fleurs près d'Allauch, 1913                                                    E. Robert,  l'arrivée vers la plage de  la Ciotat, 1920
Voici encore d'autres oeuvres d'E. Robert (photos glanées sur Internet) :

Mise à jour  2015 :
Contacté par les descendants d'Etienne Robert, notamment sa petite nièce, les précisions suivantes peuvent être apportées : 

Etienne Robert était Suisse, né à Le Locle dans le canton de Neuchâtel le 25 mars 1875, et mort à Marseille, fin juillet 1959, âgé de 84 ans.

Etienne Robert en 1920

Il était le cadet d'une famille nombreuse, dont le père possédait une petite ferme et travaillait à domicile à de l'horlogerie. Etienne a reçu une formation de dessin, de peinture, et de calligraphie. Probablement sur les conseils d'un de ses amis, il déménage à Marseille où se trouvait alors une importante colonie suisse. Il travaille comme calligraphe dans une entreprise, sur la Cannebière, et pratique la peinture sur le motif, avec d'autres amis peintres. Peu à peu, il fait de la peinture son activité principale. Il habite avec sa femme marseillaise une petite maison en haut du boulevard Vauban, dans laquelle il a installé son atelier. 
Etienne Robert peignait surtout la Provence. Disposant d'un cabanon au pied du Garlaban, il rayonnait dans la campagne à la recherche de sujets. Il dessinait une esquisse in situ, puis revenait dans son atelier pour réaliser les tableaux définitifs. Il a peint aussi l'Italie, la Corse, et un peu la Suisse, qu'il trouvait cependant trop verdoyante : "La Suisse, disait-il, est un grand plat d'épinards".

En 1922, il épousa Elisabeth Goldsmid, d'origine Suisse (sa famille était à Marseille depuis deux générations), qui lui donna trois enfants : Alice en 1924, Marie-Jeanne en 1927, et Charles en 1928. De 1920 jusqu'à la veille de la guerre, il exposait chaque année, alternativement à Marseille et en Suisse, où il avait une clientèle. Etienne a peint jusqu'à l'âge de 84 ans, et laisse derrière lui une importante production, presque exclusivement consacrée au paysage.

En 1960, après sa mort, exposition organisée autour de son autoportrait
Etienne Robert en juillet 1940
Etienne Robert sur la corniche marseillaise


Mise à jour septembre/octobre 2015 :
Encore deux oeuvres d'Etienne Robert passent en vente à Lauzanne le 6 octobre, et sont attribuées à tort à Emile Robert !

Chapelle Pleumna 27x41cm, 1922

Temps d'orage à Aix en Provence,  27x41 cm, 1922,
 

dimanche, septembre 16, 2012

La danse


Hyacinthe ROYET (1862-1926), La danse, huile sur toile 48 x 65cm, collection privée
Le Souvenir de Mnasidika


Elles dansaient l’une devant l’autre, d’un mouvement rapide et fuyant ; elles semblaient toujours vouloir s’enlacer, et pourtant ne se touchaient point, si ce n’est du bout des lèvres. 
 

Quand elles tournaient le dos en dansant, elles se regardaient, la tête sur l’épaule, et la sueur brillait sous leurs bras levés, et leurs chevelures fines passaient devant leurs seins. 
 

La langueur de leurs yeux, le feu de leurs joues, la gravité de leurs visages, étaient trois chansons ardentes. Elles se frôlaient furtivement, elles pliaient leurs corps sur les hanches. 
 

Et tout à coup, elles sont tombées, pour achever à terre la danse molle... Souvenir de Mnasidika, c’est alors que tu m’apparus, et tout, hors ta chère image, me fut importun.


extrait de Pierre Louÿs
Les Chansons de Bilitis, 1894

mercredi, août 29, 2012

Les Klimt de la collection Lederer détruits à Immendorf


G. Klimt, détail de la "Frise Beethoven", 1901-02, conservée au Palais de la Sécession, Vienne

Gustav Klimt, mort en 1918 à l’âge de 55 ans, a laissé derrière lui une œuvre considérable, aujourd’hui universellement admirée, et qui a donné lieu, en cette année 2012, cent cinquantième anniversaire de sa naissance, à de nombreuses expositions. Les principales sont évidemment à Vienne (tableaux au Belvédère, dessins au Wien Museum, contexte de l’avant-garde viennoise au Musée autrichien du théâtre, Frise Beethoven à la Sécession, documents d’archives au Künstlerhaus, collection textile d’Emilie Flöge, créatrice de mode qui fut sa muse et sa compagne, au Musée d’étude des folklores) ; citons également l’exposition de Venise, au Musée Correr.

Klimt a cela d’extraordinaire qu’il se situe à la croisée des chemins :

- A la croisée des siècles entre le XIXe siècle académique et le XXe avant-gardiste ;

- A la croisée des cultures : Vienne, capitale de l’empire de François-Joseph, qui comptait alors plus de 50 millions de sujets, regroupait 15 nations ; les groupes ethniques et religieux les plus divers s’y côtoyaient, parmi lesquels la communauté juive. L’ébullition intellectuelle et artistique était alors à son apogée (Freud et Schnitzler en médecine, Otto Wagner, Josef Hoffmann, Joseph Maria Olbrich, et Adolf Loos, en architecture, Gustav Klimt, Egon Schiele, Koloman Moser, et Oscar Kokoschka, en peinture, Hermann Bahr, Karl Kraus, Peter Altenberg, Rainer Maria Rilke en littérature, Gustav Mahler, Schönberg et son groupe d’élèves Alban Berg, Webern, Wellesz… en musique.)

- A la croisée des arts, entre peinture d’histoire, arts décoratifs, et illustration.

- A la croisée des influences : classicisme, japonisme, byzantinisme, cubisme, impressionnisme, symbolisme…

Sa peinture est une sorte d’heureuse et puissante synthèse, qui réconcilie dans une hallucinante beauté l’art le plus traditionnel et l’art le plus révolutionnaire. Etant le chef de file de la Sécession, et osant bousculer toutes les conventions, il a bien sûr été très critiqué par les académistes de son temps, puis par la terrible idéologie national-socialiste. Cependant, on croit souvent que les Nazis ont brûlé en 1945, dans l’incendie du château Immendorf, 14 tableaux du maître viennois, issus de la collection August et Serena Lederer, parce qu’ils le considéraient comme un peintre dégénéré ; mais la réalité est très différente.

En fait, le collectionneur d’art juif August Lederer, qui avait réuni ces peintures (parmi lesquelles d’authentiques chefs d’œuvre dont la célèbre « Frise Beethoven », qu’il avait acquise en 1903 après l’exposition de la Sécession de 1902, détaché des murs et roulé en 7 morceaux) est mort en 1936, deux ans avant l'Anschluss, annexion de l'Autriche volontaire à l'Allemagne nazie. La collection a été confisquée à sa veuve Serena par le pouvoir Nazi en 1940 ; Serena s’est alors enfui à Budapest, où elle est morte trois ans plus tard.
La Gestapo a transféré la collection (à l’exception de la frise Beethoven, heureusement stockée ailleurs) au château Immendorf, dans le sud de l’Autriche, pour la protéger des bombardements des Alliés sur Vienne ; preuve qu’ils appréciaient l’art de Klimt et que s’ils en avaient spolié les Juifs, ils comptaient bien s’approprier les œuvres plutôt que de les détruire.
En 1943, le Troisième Reich avait d’ailleurs parrainé une exposition des œuvres de Klimt à Vienne. Si les nazis haïssaient l’art moderne en général qu’ils qualifiaient d’art «dégénéré», il y avait cependant des nuances dans leur position : en Autriche, Gustav Klimt était même célébré comme un symbole national.

Que s’est-il passé alors à Immendorf ?
Il faut d’abord se rappeler que le 8 mai 1945, date de la destruction des œuvres, est aussi le jour de la capitulation sans condition du Troisième Reich : Hitler s’était suicidé une semaine plus tôt dans son bunker de Berlin. Les unités SS en déroute, commettaient alors les pires exactions. L’une d’elles, arrivée le 7 mai au château d’Immendorf, avait découvert par hasard les œuvres d’art entreposées. Le propriétaire du château a rapporté plus tard, que les officiers SS avaient admiré les peintures de Klimt ; l’un d’eux aurait déclaré que ce serait un «péché» de laisser les Russes mettre la main sur elles. Selon un rapport de police de 1946, les officiers SS "ont organisé une orgie toute la nuit dans les appartements du château".
Le lendemain, l'unité de SS a posé des explosifs dans les quatre tours du château avant de s’enfuir. Un homme est retourné pour allumer le feu dans l’une des tours. Le feu s’est propagé et tout a finalement explosé. Le château d’Immendorf a brûlé pendant quatre jours. Rien n’a pu être sauvé de tout ce qu’il contenait ; ses ruines ont ensuite été démolies.

Voici la liste des tableaux de Klimt détruits à Immendorf, dont nous avons connaissance par des photos anciennes :

D’abord les plus célèbres, trois toiles (« La Philosophie », « La Médecine », et « La Jurisprudence »,1900-1907) commandées en 1886 pour illustrer les voûtes du plafond de l'Aula magna, le hall d'accueil de l'université de Vienne, mais que l’université lui avait finalement refusées en raison de la polémique qu’avaient déchaîné les deux dernières toiles.
La Philosophie, Klimt, 1900

La Médecine, Klimt, 1901

La Jurisprudence, Klimt, 1902-07

Dans le même esprit, « Le défilé des morts » (1903):

Une œuvre symboliste, « Musik II » (1898), faisant suite à une autre de 1895 « Musik I », visible à la Neue Pinakothek de Munich

Une autre œuvre inspirée par la musique, plus impressionniste, « Schubert au piano » (1899)

Une série de paysages, entre symbolisme et post-impressionnisme :
« Le Pommier d’or » (1903)

« Malcesine sur le lac de Garde » (1913)

« Gastein » (1917)

« Sentier de jardin avec des poulets » (1913)

« Jardin de ferme avec crucifix » (1912)

Un tableau tardif, dans le même esprit que sa célèbre « Danaé » de 1907 : « Léda » (1917)

Un « Portrait de Wally » (1916), postérieur et très différent de celui qu’avait fait Egon Schiele en 1912, également volé par les Nazis, mais repris par les troupes américaines et remis à l’Office fédéral autrichien ; aujourd’hui exposé au Belvédère.

Enfin un tableau très art nouveau « Les petites amies » (1916-17), typique des figures féminines de Klimt.

Nous ne les verrons donc jamais, comme tant d’autres chefs d’œuvre disparus au cours de l’histoire.

mercredi, août 15, 2012

Le corps du Christ mis en scène par la Contre-Réforme

Dans son effort artistique pour faire valoir le dogme catholique face à « l’hérésie » protestante, l’église catholique, après le Concile de Trente, a fortement encouragé les thèmes susceptibles d’émouvoir les fidèles et de marquer la différence d’avec les croyances réformées. Ainsi toutes les représentations liées aux Saints intercesseurs ont été mises en avant, à commencer par celles de la Vierge Marie, triomphatrice de toutes les hérésies ; parmi les autres Saints abondamment mis en scène, ceux « spécialisés » dans la pénitence - les diverses confessions protestantes ne reconnaissant pas le Sacrement de Pénitence – sont particulièrement présents dans l’iconographie (Saint Jérôme dans le désert et Marie-Madeleine pénitente sont ainsi beaucoup représentés, notamment dans de petits tableaux destinés à la dévotion privée).

Mais ce qui nous intéresse en particulier ici est la représentation du corps du Christ.


Domenico Tintoretto, Le Christ mort soutenu par un ange, vers 1600, collection privée

Selon la doctrine catholique, il est contenu dans l’eucharistie : il y a transformation physique et matérielle des deux espèces de la Communion, en véritable chair et en véritable sang du Christ, lors de l'eucharistie ; les Protestants, eux, ne croient pas à cette transsubstantiation. Beaucoup de représentations du Christ mort se développent donc après le Concile de Trente, pour magnifier cette chair et ce sang partagés dans l’eucharistie : Déposition de croix, Mise au tombeau, Christ aux plaies, déploration du Christ, sous forme de « Pietà » ou de Christ mort soutenu et pleuré par un ou plusieurs anges.

Le lien direct entre le corps mort du Christ et la Communion trouverait son origine iconographique dans la légende de « la messe de Saint Grégoire » ; il s’agit de Grégoire le Grand, pape au VIe siècle, et l’un des quatre pères de l’Eglise latine avec Saint Ambroise, Saint Jérôme, et Saint Grégoire ; la légende raconte que pendant la célébration de la messe, une femme se mit à rire au moment de la communion, déclarant à son compagnon qu'elle ne croyait pas en la présence réelle. Aussitôt après la prière de Grégoire le Grand, l'hostie se transforma alors en doigt sanglant. D’autres textes ont repris par la suite cette histoire, parmi lesquels la célèbre Légende dorée de Jacques de Voragine, beaucoup utilisée par les peintres, en transformant la vision du doigt sanguinolent, peu adapté à la représentation, en une apparition du Christ de douleur, souvent tenu par un ange. On voit cette scène représentée au XVe siècle dans de nombreuses miniatures (par exemple « les Heures à l’usage de Rome »), et à la même époque dans des peintures gothiques (voir le tableau anonyme provenant de la Chartreuse de Champmol, conservé au Louvre).

Messe de Saint Grégoire,
Heures à l’usage de Rome, XVe s, BM de Tours
    
La messe de Saint Grégoire,
Chartreuse de Champmol, près de Dijon, conservé au Louvre

Le thème du corps du Christ soutenu par un ou plusieurs anges s’est peu à peu libéré de la légende de Saint Grégoire. Déjà Donatello, au début du XVe siècle (donc un siècle avant la Contre-Réforme) l’avait représenté indépendamment sur un bas relief en bronze. 
 
Bronze de Donatello, 1447-50, conservé à Sant’Antonio à Padoue    

Mais les représentations peintes du quattrocento italien montrent un Christ aux plaies baigné dans une douce lumière du jour, assis de face ou de trois quart, présenté plutôt que soutenu par les anges, donc dans une attitude quasi allégorique, où le corps assis ne semble pas vraiment mort (Antonello de Messine, Mantegna, Giovanni Bellini). La peinture inachevée d'Antonello de Messine (musée Correr), d'une beauté absolument fascinante, nous montre un dieu endormi plutôt qu'un corps humain meurtri  sorti du tombeau.


Christ mort soutenu par un ange,
Antonello de Messine, 1475-76, Musée du Prado, Madrid 

Christ mort soutenu par trois anges, Antonello de Messine, 1476-77, Musée Correr, Venise    

Pietà avec le Christ soutenu par deux anges,
Mantegna, 1488-1500, Statens Museum for Kunst, Copenhague 
Christ mort soutenu par deux anges,
Giovanni Bellini, 1465-70, Gemäldegalerie, Berlin
    

Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, que les tableaux vont prendre une allure beaucoup plus dramatique et poignante : la lumière du jour cède la place à un crépuscule enténébré, les anges soutiennent un corps à la renverse, la douleur se lit sur les visages et dans les attitudes, le tombeau et le linceul prennent de l’importance dans le décor. Les « Christ mort soutenu par les anges » de Véronèse, et les Pieta et Mise au tombeau des autres maîtres de Venise, et des Incamminati de Bologne (surtout Annibal et Ludovico Carracci) fixent alors cet idéal, à la fois naturaliste et théâtralisé, avec un sens aigu de la dramaturgie picturale, qui s’accorde si bien aux objectifs de la Contre-Réforme.

Christ mort soutenu par des anges,
Véronèse, avant 1588, Gemäldegalerie, Berlin
    
Christ mort soutenu par des anges,
Véronèse, 1580-88, Museum of Fine Arts, Boston
    
Palma le Jeune, Christ mort soutenu par un ange, localisation inconnue


La déposition du Christ, Le Tintoret, 1555-60, Venise, Gallerie dell'Accademia    
Pietà, Le Titien, 1577, Venise, Gallerie dell'Accademia

Mise au tombeau, Le Titien, Louvre
Pieta, Annibal Carrache, 1599, Gallerie Nazionali di Capodimonte Napoli    




















Aujourd’hui encore, même si nous ne croyons plus ni aux anges ni à la transsubstantiation, notre sensibilité reste touchée par ces œuvres qui nous parlent avec ferveur et humanité du drame universel de la mort d’un être cher.