Bernardino Luini, Le Christ parmi les docteurs (anciennement attr. à Léonard de Vinci), National Gallery, Londres |
On peut voir à la National Gallery de Londres un curieux "Christ parmi les docteurs", anciennement attribué à Léonard de Vinci, et donné maintenant à Bernardino Luini (l’exécution probable du tableau se situerait entre 1515 et 1530, ce qui est assez vague). Ce petit tableau est étrange sous deux rapports :
- En premier lieu le Christ semble avoir une vingtaine d’années, et non douze ans, comme le rapporte le passage suivant de l’Evangile selon Saint Luc : « Ses parents se rendaient chaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Et lorsqu’il eut douze ans, ils y montèrent, comme c’était la coutume pour la fête. Une fois les jours écoulés, alors qu’ils s’en retournaient, l’enfant Jésus resta à Jérusalem à l’insu de ses parents. Le croyant dans la caravane, ils firent une journée de chemin, puis ils se mirent à le rechercher parmi leurs parents et connaissances. Ne l’ayant pas trouvé, ils revinrent, toujours à sa recherche, à Jérusalem. Et il advint, au bout de trois jours, qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant : et tous ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses ». Cette incongruité a conduit certains commentateurs à penser que le tableau ne représentait pas le Christ parmi les docteurs, mais plutôt le Christ adulte disputant avec les Sacrificateurs, après avoir chassé les marchands du temple (Matthieu 21).
- En second lieu, le cadrage de la scène n’est pas habituel pour la représentation de cet épisode de la vie du Christ ; on voit généralement Jésus à l’intérieur d’un vaste espace représentant le temple, et le nombre des docteurs ne se limite pas à quatre personnes. Bernardino Luini a lui-même peint, entre 1523 et 1532, dans l’église Notre-Dame des Miracles de Saronno, qu’il décorait alors, une grande fresque représentant Jésus parmi les docteurs dans une conception s’accordant avec la tradition. On y voit notamment la Vierge et Joseph venant admirer le jeune garçon debout devant la chaire, entouré d’une foule de savants.
- En premier lieu le Christ semble avoir une vingtaine d’années, et non douze ans, comme le rapporte le passage suivant de l’Evangile selon Saint Luc : « Ses parents se rendaient chaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Et lorsqu’il eut douze ans, ils y montèrent, comme c’était la coutume pour la fête. Une fois les jours écoulés, alors qu’ils s’en retournaient, l’enfant Jésus resta à Jérusalem à l’insu de ses parents. Le croyant dans la caravane, ils firent une journée de chemin, puis ils se mirent à le rechercher parmi leurs parents et connaissances. Ne l’ayant pas trouvé, ils revinrent, toujours à sa recherche, à Jérusalem. Et il advint, au bout de trois jours, qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant : et tous ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses ». Cette incongruité a conduit certains commentateurs à penser que le tableau ne représentait pas le Christ parmi les docteurs, mais plutôt le Christ adulte disputant avec les Sacrificateurs, après avoir chassé les marchands du temple (Matthieu 21).
- En second lieu, le cadrage de la scène n’est pas habituel pour la représentation de cet épisode de la vie du Christ ; on voit généralement Jésus à l’intérieur d’un vaste espace représentant le temple, et le nombre des docteurs ne se limite pas à quatre personnes. Bernardino Luini a lui-même peint, entre 1523 et 1532, dans l’église Notre-Dame des Miracles de Saronno, qu’il décorait alors, une grande fresque représentant Jésus parmi les docteurs dans une conception s’accordant avec la tradition. On y voit notamment la Vierge et Joseph venant admirer le jeune garçon debout devant la chaire, entouré d’une foule de savants.
Bernardino Luini, Le Christ parmi les docteurs, fresque de l'église N-D des Miracles, Saronno |
Pour comprendre et bien interpréter le tableau de la National Gallery, il est nécessaire de revenir à Léonard de Vinci. Nous verrons qu’il est certainement l’auteur du dessin qui a servi de modèle à Luini. Commençons par écarter l’hypothèse d’une représentation du Christ adulte interrogé par les Sacrificateurs, selon le récit de Matthieu. Le Christ de Luini présente une gestuelle particulière des mains, il semble compter sur ses doigts. Compter les arguments sur les doigts de la main, dans une discussion théologique, est une pratique médiévale traditionnelle, qui a très souvent été employée dans la représentation du Christ enfant parmi les docteurs. Elle est donc, ici aussi, caractéristique de cet épisode ; elle ne se comprendrait pas dans le dialogue entre les Sacrificateurs et Jésus adulte, d’une tout autre nature.
Quant à l’argument de l’âge, qui a fait croire à certains qu’il ne s’agissait pas de l’épisode rapporté par Luc, il ne tient pas non plus si l’on considère que Léonard est bien l’auteur de la composition : on sait en effet que le maître florentin avait l’habitude de prendre des libertés avec les conventions de représentation, et cherchait, au-delà de la vraisemblance apparente, une cohérence plus profonde : dans la Sainte Anne (Louvre), par exemple, la mère et la fille sont figurées ensemble avec un âge qui paraît être le même ; la symbolique que recherche Vinci s’accommode bien de cette sorte de condensation du temps. Typique aussi de sa démarche, cette façon d’aller à l’essentiel en supprimant le décorum et en concentrant l’expressivité de la peinture sur les visages et les mains, sublimés par l’ombre et la lumière.
Essayons donc de voir comment Léonard en est arrivé à représenter ainsi Jésus parmi les docteurs, et pourquoi le tableau n’est pas de sa propre main, mais de celle de Luini.
Il faut d’abord rapprocher la peinture de de Bernardino Luini, du "Christ Salvator Mundi" de Léonard de Vinci.
Elève de Léonard de Vinci ?, Salvator Mundi, anciennement dans la collection du marquis de Ganay |
Léonard de Vinci ? Boltaffio ?, Salvator Mundi, redécouvert dans les années 1950, collection privée |
Léonard de Vinci, étude du buste et d'un bras du Salvator Mundi, Codex Atlanticus, feuillet 25525, Windsor |
On sait par les feuillets 25524 et 25525 du Codex Atlanticus conservé dans les Collections Royales de Windsor, que Léonard travaillait entre 1504 et 1508 à un « Christ Salvator Mundi » ; on sait qu’il y a eu une commande officielle de Louis XII, en 1507 ; au même moment Dürer élabore aussi un Salvator Mundi qui présente des points communs.
Albrecht Dürer, Salvator Mundi, peinture inachevée, Metropolitan Museum of Arts, N-Y |
Le tableau de Léonard, aujourd’hui disparu, est attesté au milieu du XVIIe s. dans le monastère des Clarisses de Nantes, où il aurait été déposé par la duchesse Anne, femme de Louis XII. Il est alors reproduit en gravure par Hollar, puis on perd sa trace à la fin du XVIIIe siècle, quand le monastère est démantelé.
Wenceslas Hollar, vres 1640, gravure du Salvator mundi d'après le tableau de Léonard de Vinci |
Il en existe plusieurs copies, attribuables aux disciples du vieux maître. Aucune ne semble être de la main de Léonard, malgré les récentes affirmations d’experts concernant une version retrouvée par hasard dans les années 1950, dernièrement restaurée, et exposée en 2011-2012 à la National Gallery de Londres (voir image plus haut, Christ avec le manteau bleu). Quoi qu’il en soit, très peu de tableaux sont de la seule main de Léonard. Il semble qu’il abandonnait fréquemment le travail à ses élèves, son esprit se laissant vite accaparer par d’autres projets et recherches ; on sait même qu’il était raillé par ses confrères (et notamment par Michel-Ange) tant il lui arrivait souvent de ne pas terminer ses commandes.
Mais examinons les peintures : le Christ de Luini et le "Salvator Mundi" de Vinci montrent quelques convergences : la frontalité d’un portrait en buste, le fond obscur et sans décor, la tunique barrée d’une sangle croisée en croix de St André (on la devine déjà sur le dessin préparatoire 25525 de Winsor). Ils s’écartent évidemment sur d’autres points, comme la présence des quatre personnages, absents du "Salvator Mundi", et la physionomie de Jésus, barbu et plus mûr sur le "Salvator Mundi".
Regardons maintenant trois autres tableaux de peintres contemporains : le "Christ bénissant et les quatre apôtres", de Vittore Carpaccio (1480), le "Salvator Mundi" de Sodoma (1503), et le "Christ parmi les docteurs" de Dürer (1506).
Vittore Carpaccio, Christ bénissant et les quatre apôtres, 1480, Florence, collection Contini Bonacossi |
Il Sodoma, Christ bénissant et les quatre apôtres, collection italienne privée |
Albrecht Dürer, Le Christ parmi les docteurs, 1506 huile sur panneau. Madrid Musée, Thyssen-Bornemisza |
Léonard de Vinci a certainement vu le tableau de Carpaccio lors de son passage à Venise au début de l’année 1504. La solution de Carpaccio a pu l’intéresser, d’autant qu’Isabelle d’Este, dont il avait fait quelques années avant le célèbre dessin de profil, et qui n’arrivait pas à obtenir la finalisation de son portrait, venait de lui demander, comme pis-aller, un Christ parmi les docteurs. Léonard ne semble pas avoir donné suite à cette demande, mais elle le poussa peut-être à imaginer des solutions nouvelles pour représenter cette scène. Parallèlement, il travaillait dans le même esprit sur le "Savator Mundi", comme le laisse supposer le tableau de son élève Sodoma, qui constitue en quelque sorte le chaînon manquant entre son propre "Salvator" et le "Christ parmi les docteurs" de Luini.
Avant son retour à Milan, Vinci rencontra probablement Dürer en 1506 à Florence, et il n’est pas impossible qu’il lui ait montré les études se rapportant à son hypothétique "Christ parmi les docteurs" et à son "Salvator". Le maître de Nuremberg a pu alors s’en inspirer pour son propre "Christ parmi les docteurs" de 1506, exécuté, selon ses dires, en cinq jours seulement. De fait, la peinture de Dürer apparaît comme le premier tableau sur ce thème resserrant le cadrage, éliminant le décor, limitant le nombre des personnages autour de Jésus, et travaillant les physionomies et la gestuelle des mains (on lui connaissait auparavant un autre tableau sur le même thème, de 1494 – aujourd’hui conservé à la Gemäldegalerie Alte Meister de Dresde - qui suivait une scénographie traditionnelle).
Dürer, Christ parmi les docteurs, C. 1494, Gemäldegalerie, Dresde |
Léonard, en 1507, reçu la commande officielle pour un "Christ Sauveur du Monde" ; il se peut que cette commande ait été motivée par la connaissance qu’avait Louis XII de dessins préparatoires déjà réalisés, voire même d’une peinture d’un de ses collaborateurs (Boltraffio ? – et qui pourrait être le Salvator Mundi au manteau bleu, récemment daté de 1499 ; cela accréditerait aussi l’hypothèse d’une influence possible du "Salvator Mundi" léonardesque sur l’autoportrait à la fourrure de Dürer, daté de 1500, et sur son "Salvator Mundi" non terminé, daté autour de 1503 -voir image plus haut- ; mais ce ne sont là que conjectures). Ce qui est certain, c’est que Léonard a travaillé pendant la même période sur le "Salvator Mundi" et sur le "Christ parmi les docteurs", d'où les éléments de ressemblance dont il a été question plus haut.
S’il a finalement peint de sa main le Christ Sauveur pour roi de France, il a laissé à Luini, juste avant son départ pour Amboise (ou peut-être sous son contrôle direct lors de son dernier séjour à Milan), la réalisation du Christ parmi les docteurs, imaginé à Florence une dizaine d’années plus tôt. On ne sait hélas pas qui fut le commanditaire de cet énigmatique tableau de Luini, peut-être le plus léonardesque de tous.
Signalons enfin un autre Salvator Mundi très léonardesque aussi, conservé au musée Pouchkine à Moscou, et attribué à un autre élève proche du maître, Giampietrino.
Attribué à Giampietrino, Christ Salvator Mundi, Musée Pouchkine, Moscou |
Il a la particularité de représenter le Christ avec un visage d'adolescent éphèbe quasi féminin, légèrement incliné. On retrouve donc là la liberté de Léonard, par rapport aux stéréotypes d’âge, comme dans le "Christ parmi les docteurs", mais inversée, cette fois: le Christ est en effet beaucoup plus jeune que le veut la tradition. Remarquons que la proportion du visage et l’expression se ressemblent beaucoup dans les deux tableaux de Luini et Giampietrino.
Sous certains de leurs aspects, ces représentations novatrices, comme beaucoup d’inventions picturales de Léonard, furent exploitées par les générations suivantes. On vit ainsi Lorenzo Lotto faire un Christ avec la femme adultère (c. 1528, Louvre) dont la composition s’inspire à la fois du "Salvator Mundi", du "Christ parmi les docteurs", et un peu aussi de la "Cène" de Santa Maria delle Grazie.
Sous certains de leurs aspects, ces représentations novatrices, comme beaucoup d’inventions picturales de Léonard, furent exploitées par les générations suivantes. On vit ainsi Lorenzo Lotto faire un Christ avec la femme adultère (c. 1528, Louvre) dont la composition s’inspire à la fois du "Salvator Mundi", du "Christ parmi les docteurs", et un peu aussi de la "Cène" de Santa Maria delle Grazie.
Lorenzo Lotto, Le Christ et la femme adultère, ca 1528, huile sur toile, 124 × 156, Paris, Louvre |
Un siècle après, José de Ribera et Bartolomeo Manfredi (élève du Caravage) donnèrent des versions du "Christ parmi les docteurs" où ils supprimèrent le décor et focalisèrent leurs compositions sur les visages et les attitudes de personnages cadrés à mis corps, et mis en relief par le clair-obscur. Mais la mystérieuse douceur, la grâce simple, la précision et la majesté, restèrent l’apanage du vieux maître florentin, et de ses meilleurs disciples lombards, Bernardino Luini et Giampietrino.
José de Ribera, Le Christ parmi les Docteurs, ca 1630, Vienne, Kunsthistorisches Museum |
Bartolomeo Manfredi (copie), Le Christ parmi les docteurs, collection privée |