présentation des peintures synchronistiques

Affichage des articles dont le libellé est mélanges. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est mélanges. Afficher tous les articles

vendredi, mars 22, 2024

Theatrum Mundi

Gilles Chambon, Theatrum mundi,

huile sur toile 50 x 65 cm, 2024

Le théâtre du Monde : « la vie de l'homme sur Terre est une comédie, où chacun oublie qu'il est en train de jouer un rôle » (Jean de Salisbury, Le Policratique, Genève, 1372).


... Et dans cette grande tragi-comédie humaine, civilisation et barbarie ne cessent, depuis l'origine, de s'entremêler, de s'affronter, et de conduire les plus brillantes sociétés vers la décadence et la catastrophe finale. L'Atlantide en fut un symbole. C'est pourquoi elle est présente dans cette peinture synchronistique, faite de la rencontre (et de l'affrontement) entre un tableau d'une série sur l'Atlantide que j'avais composée en 2000, et d'une toile de André Lanskoy (1902-1976) «Composition circa 1974», huile sur toile 14x18 cm. Quant aux deux Colosses, qui symbolisent les violentes forces antagonistes ébranlant de plus en plus notre Theatrum mundi contemporain, je les ai empruntés à Francisco Goya : celui du Prado (huile sur toile 116×105 cm, après 1808) et une gravure à l'aquatinte (entre 1814 et 1818).

mardi, août 30, 2022

Vision synchronistique face au vide

 

Gilles Chambon, "Au-dessus du vide (vision synchronistique)", huile sur toile 73 x 54 cm, 2022
 

Les rêveries d’un vieillard l’angoissent ; il est face au vide, et les farouches combats pour atteindre les sommets sont perdus ; tout est maintenant derrière lui.

 

L’âge finit par nous rapprocher tous du grand vide où les formes, les couleurs, les êtres même se déferont peu à peu. C’est peut-être ce qu’avait ressenti Goya dans la quinta del sordo. J’ai réutilisé synchronistiquement deux détails des peintures noires qui ornaient ses murs :

-       Les deux personnages énigmatiques d’« Asmodée »,

-       Et le visage, retourné symétriquement, de l’un de ses « deux vieux ». Je les ai fusionnés dans un décor  inspiré d’Albert Bitran (1931-2018), dont la peinture abstraite ruisselait toujours d’une sourde et inquiétante énergie.

lundi, juin 20, 2022

Narcisse

 

Gilles Chambon, Narcisse, huile sur toile 46 x 61 cm, 2022

Que nous dit la légende de Narcisse ? Laissons de côté les célèbres « pervers narcissiques » de la psychanalyse, et déprenons-nous de l’interprétation éculée qui voit dans la légende grecque la métaphore d’un égotisme exacerbé et morbide.

Concentrons-nous plutôt sur le mystère de l’image réfléchie à la surface de l’eau. Elle n’a pas la netteté de celle du miroir, elle se trouble et se déforme au moindre souffle d’air, et  derrière le reflet de surface, le monde étrange et sombre qui vit dans l’eau profonde se mêle au scintillement éphémère de l’image réfléchie. L’eau est un miroir fluant que l’on peut pénétrer, et dans lequel on peut se perdre.

Narcisse, en se regardant dans la source, fait un rêve immobile, et comprend que sa beauté est évanescente, comme celle des fleurs, qui renaissent chaque printemps parce qu’elles s’enracinent dans la terre humide. Alors il décide d’arrêter le temps, et de prendre lui aussi racine auprès de la source vive.

C’est ce que cherche à exprimer cette toile synchronistique qui transpose un Narcisse inspiré de Pier Franscesco Mola (1612-1666), dans un paysage où le reflet se mêle, renverse, et recolore le « voyage dans le temps », toile abstraite (1959) de Michelangelo Conte (1913-1996).

vendredi, juin 10, 2022

La danse des anges

 

Gilles Chambon, La danse des anges, huile sur toile 60 x 86 cm, 2022

Deux anges dansent sur un pont au-dessus de l’enfer…

Dans la tradition musulmane, le sirât est le pont qui surplombe l’enfer, dans lequel chacun risque un jour de verser. Les anges Harout et Marout, qui dérivent des dieux mazdéens Haurvatat et Ameratat (qui protégeaient de la faim et de la soif), personnifient ceux qui succombent à la tentation érotique, notamment à cause de l’ivresse (d’où l’interdiction du vin dans l’Islam).

Mais dans l’imaginaire occidental, surtout depuis le mouvement hippie, les anges préfèrent céder à la tentation, en dansant pacifiquement et amoureusement au-dessus du gouffre, plutôt que de combattre l’ennemi qu’un Dieu belliqueux leur inventa pour qu’ils cèdent à l’autre grande tentation, celle de la violence.

 

Cette composition synchronistique détourne deux anges de Goya (extraits de « L'Adoration du nom de Dieu » fresque de 1772 qui orne le dôme de la Basilique de Nuestra Señora del Pilar à Saragosse) et les inscrit dans un paysage mouvant et turgescent, fait de la rencontre entre « Paysage au viaduc Gryon », de Rodolphe-Théophile Bosshard (1889-1960), et une aquarelle de 2003 de Bernard Schultze (1915-2005), titrée « Ce n’est pas un profil ».

mardi, juin 07, 2022

Est-ce parce que je ne crois pas à ce que je sais que je dois croire à ce que je ne sais pas ?

 


« Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien », Socrate.

 

Qu’est-ce qu’une fourmi peut comprendre à l’univers ? Elle ne comprend que la partie avec laquelle ses quelques neurones, ses sens – et son activité pratique - sont connectés. Alors que nous, humains, savons que la réalité est beaucoup plus vaste, englobant étoiles, galaxies, et trous noirs, que nous décrivent si scientifiquement nos savants. Mais la sagesse ne nous conseille-t-elle pas de nous voir aussi comme des fourmis, ignorant une quantité incalculable de choses, qui échappent à nos sens et à leurs prolongements technologiques ?

 

En fait, la compréhension, qui est représentation, ne concerne toujours qu’une plus ou moins faible partie du réel, et il ne pourra jamais en être autrement. On peut dire ainsi que par définition, l’univers réel est hors de portée de la compréhension des êtres vivants, quel que soit leur développent intellectuel.

 

On doit donc, pour se faire une idée (le mot n’est pas vraiment approprié, mais je n’en ai pas trouvé d’autre) de l’univers, s’appuyer sur autre chose que sur nos sens et nos sciences qui, pour nous donner une représentation assez exacte de notre déjà vaste voisinage spatio-temporel, nous enferment dans un microcosme propre à notre espèce. Il faut plutôt se laisser pénétrer par tous les effluves spatio-temporels qui imprègnent notre être… Il ne faut plus sentir, voir, analyser, répertorier, mais simplement ressentir, s’abandonner aux impressions et aux images qui naissent spontanément en nous du simple fait d’être là. C’est en ce sens que les fables religieuses ou mythologiques sont potentiellement plus vraies que la connaissance scientifique, concernant le réel absolu, parce qu’elles se sont construites sur un ressenti universel, dont elles restent cependant une expression naïve. 

Simplement gardons-nous des certitudes : celles-ci ne s’appliquent jamais qu’à un tout petit bout de la réalité.

 

La question qui taraude l’entendement humain depuis ses tous premiers balbutiements, est celle de la vie et de la mort individuelle. Quel sens donner à la dialectique être/néant ? Qu’est le néant, si la conscience y prend naissance et y retourne ? Dire que le monde matériel dans lequel nous mourront tous n’est qu’une apparence, et qu’il existe un ou des arrières mondes réels où l’esprit demeure, cela est-il un ressenti émanant d’une intuition plus profonde du réel, ou simplement un espoir vain inventé pour calmer notre peur de la disparition ?

Toutes les fibres du réel sont connectées dans un enchevêtrement spatio-temporel d’une extrême complexité, dont les tenants et les aboutissants nous resteront impénétrables. Le cerveau s’est construit pendant des centaines de milliers d’années sur tous les retours et ajustements de l’expérience humaine individuelle et collective, nécessaires à la survie et à l’évolution de l’espèce. Mais pas pour nous livrer les clefs de l’être. Notre raison est trop petite pour comprendre le réel absolu, et même notre imagination est trop étroite pour ne serait-ce qu’esquisser cette réalité profonde et vertigineuse, qui va bien au-delà des limites de ce qui est mentalement représentable.

 

Alors, devant ce constat d’impuissance conceptuelle, il nous reste l’intuition naïve, l’humilité, l’espoir, l’amour… et la poésie.

samedi, mai 21, 2022

Dérapages (billet d'humeur)

 


Les écologistes se veulent défenseurs de la diversité et donc des minorités : d’où l’écriture inclusive revendiquée, le burkini dans les piscines accepté, la stigmatisation du capitalisme et du colonialisme occidental revendiquée comme un incontournable de l’enseignement, etc…

 

Alors, les écologistes ne seraient-ils pas les « idiots utiles » de l’hydre communautariste aux cent visages identitaires, qui de plus en plus gangrène les démocraties ?

 

Le regard éloigné, dont Claude Lévi-Strauss a fait le titre d’un de ses livres, manque cruellement aux intellectuels engagés, et particulièrement aux jeunes d’aujourd’hui dont la grille d’intervention sur le réel se résume à deux colonnes : lutte contre le réchauffement climatique et lutte contre les inégalités/injustices. Il ne s’agit pas de nier l’importance de préserver l’équilibre métastable de l’écosystème global de la terre, ni celle de garantir à chaque individu les mêmes droits et les mêmes moyens d’accès aux services qu’est en mesure d’offrir à ses citoyens chaque société humaine.

Mais les jeunes intellectuels confondent bien souvent combat contre les nuisances climatiques avec combat contre les modes de vie, et combats contre les inégalités/injustices avec combat contre les hiérarchies et les différences… Et cela les porte à un relativisme où toute façon de comprendre et de vivre le monde se vaut, les seuls critères de jugement étant de nature morale, comme la position sur l’axe dominants/dominés, et sur l’axe riches/pauvres. Relativisme et moralité simplistes qui les aveuglent et ne leur permettent plus de comprendre les grandes problématiques auxquelles est confrontée l’espèce humaine.

 

Le déséquilibre qui fait craindre dans un avenir assez proche une détérioration de l’environnement biologique global est essentiellement dû à la prolifération de l’espèce humaine à la surface du globe. Elle est logique dans la mesure où toutes les communautés humaines géographiques, organisées en états, cherchent à se développer et ont bénéficié des acquis médicaux du siècle dernier, en particulier les antibiotiques et les vaccins, qui limitent la mortalité infantile, celle-ci étant jadis un sérieux régulateur s’opposant à la prolifération.

 

Il suffit de regarder ce graphique pour comprendre d’où vient le déséquilibre, qui non seulement réchauffe le climat, mais détruit la biodiversité, et réduit les zones à l’abri des actions humaines néfastes : 

 


Le meilleur équilibre était probablement celui de 1950, avec une population de moins de trois milliards d’individus.

Alors il reste une seule alternative : soit nous arrivons à réduire pacifiquement et progressivement notre nombre global, en préservant/reconstituant les écosystèmes et la biodiversité, soit le stress et la conflictualité que génèrent le surnombre conduiront à des déflagrations guerrières catastrophiques en termes d’écosystèmes. Dans les deux cas la population mondiale réduira, mais dans la seconde hypothèse, l’humanité et son évolution se trouveront beaucoup retardées, voire appelées à disparaître, et la biodiversité mettra plusieurs millénaires à retrouver sa richesse.

 

Les seuls combats qui vaillent aujourd’hui sont donc ceux qui s’attaquent à la prolifération humaine, et à la conflictualité. Le problème est que l’idéologie et la morale humaniste n’ont pas forcément facilité les choses depuis un siècle à l’échelle mondiale : créer une multitude d’états pour donner à chaque peuple le droit à l’indépendance a été le meilleur moyen pour générer de la prolifération démographique et de la conflictualité entre communautés. Aussi choquant que cela puisse paraître, l’impérialisme et le colonialisme se sont avéré historiquement meilleurs régulateurs de la démographie et de l’environnement que les états modernes. En grande partie parce que ceux-ci regardent toujours le monde par le petit bout de leur lorgnette, et ont du mal à s’organiser spontanément pour réfléchir ensemble, l’Europe étant à ce propos un cas d’école.

 

Nous sommes véritablement sur un chemin de funambule, car il est nécessaire de limiter les appétits et prétentions de chaque peuple, mais il est aussi nécessaire de ne pas engendrer trop de frustrations, pour ne pas provoquer davantage de conflictualité. Et vis-à-vis de ces problèmes cruciaux, j’ai peur que tout notre tintouin actuel sur l’empreinte carbone et les économies d’énergie de soit qu’un emplâtre sur une jambe de bois.

 

Les vrais problèmes du XXIe siècle sont l’organisation et la régulation des rapports entre états, et la mise en place d’une gouvernance mondiale capable de définir des objectifs démographiques pour chaque état, et de les faire respecter. L’ONU semble hélas très impuissante pour mettre en place cette gouvernance… Sans doute parce que les trois « empires » politiques que sont les États-Unis, la Chine, et la Russie tirent les ficelles en coulisse et ne cherchent qu’à étendre leur « sphère d’influence », jolie expression pour nommer le colonialisme/impérialisme contemporain. À ces trois empires, il faut sans doute aussi adjoindre la Oumma musulmane et l’Europe des lumières, qui sans être des empires politiques constitués, n’en sont pas moins des empires culturels influents.

 

En résumé, je dirai que les marottes de la gauche radicale auxquelles se joignent maintenant celles de l’écologie politique, sont des miroirs aux alouettes : l’égalitarisme, l’anticapitalisme, l’identitarisme intersectionnel (néo-féminisme, indigénisme, islamo-gauchisme) sont autant de chiffons rouges destinés à entretenir ou créer du dogmatisme, de la suspicion, et donc de la conflictualité.

Et sous prétexte de défendre ces causes, on détruit tous les liens secrets, et toute la richesse culturelle constituée au fil des siècles, qui font le ciment d’un peuple réuni à l’intérieur d’une nation. C’est une banalité que de dire que le bien collectif exige parfois des renoncements aux intérêts particuliers de telle ou telle catégorie. C’est la loi de la démocratie, dont les représentants doivent tenir leur cap et ne pas céder aux revendications des groupes de pression.

Alors pour en revenir aux premiers mots de ce billet, l’écriture inclusive et le burkini, non seulement ils ne sont pas nécessaires à l’épanouissement de la littérature et des relations entre sexes, mais encore ils lui font une réelle entrave pouvant avoir de graves conséquences. La langue de Molière et la laïcité sont des trésors précieux qu’il nous faut savoir chérir et protéger. 

 


mardi, avril 12, 2022

Le peuple assassiné, Boutcha, printemps 2022

 

Gilles Chambon, "Le peuple assassiné, Boutcha, printemps 2022", huile sur toile 65 x 55 cm, 2022

Boris Cyrulnik rappelle dans son dernier livre (Le laboureur et les mangeurs de vent) que la croyance en une civilisation qui se construirait sans guerre et sans violence, n’existe qu’en occident, et seulement depuis deux générations. Et la triste actualité de la guerre d’Ukraine nous ramène en arrière : ce qui se passe aujourd'hui, et qui est symbolisé par le génocide de Boutcha, ressemble à toutes les boucheries qui ont accompagné les guerres de conquête et les guerres civiles, de l’antiquité à Guernica et Oradour, en passant par les exactions des guerres napoléoniennes, dont Francisco Goya a tiré une série de quatre-vingt-deux eaux-fortes poignantes, «Los desastres de la guerra ». 

 

C’est à partir de l’une de ces gravures (« Tanto y mas », N°22), que j’ai composé cet hommage aux victimes de la barbarie impérialiste poutinienne en Ukraine. J’ai réinterprété synchronistiquement le groupe de cadavres entassés de Goya, en l’associant à la violence graphique d’une composition abstraite d’Albert Bitran (1931-2018), que j’ai détournée et mise aux couleurs de l’Ukraine.

samedi, avril 02, 2022

Paysage et peinture : derrière les apparences

 

Photo d'un paysage de Saint-Emilion, et toile de Joaquín Peinado (1898-1975) Composition à la fenêtre et aux poissons 38 x 55 cm

Vous visitez une région. Vous empruntez des routes pittoresques qui vous délivrent des paysages magnifiques… Du coup vous décidez de vous installer dans ce coin qui vous a séduit par de tels points de vue prometteurs. À partir de ce moment, vous multipliez les balades à pied, et les petits chemins vous font pénétrer dans l’intimité et les multiples circonvolutions des paysages que vous aviez admirés de loin. Quand, beaucoup plus tard, vous repassez aux endroits panoramiques qui vous avaient charmé d’abord, vous les appréciez toujours autant, mais d’une façon différente, parce que vous comprenez mieux ce qui se déploie derrière chaque détail, vous savez où se cachent dans ce décor les merveilleuses pépites découvertes dans vos pérégrinations pédestres.

 

C’est un peu la même chose quand vous découvrez les belles œuvres d’un peintre que vous ne connaissiez pas. La curiosité vous pousse à vous renseigner sur sa biographie, et sur toutes les connexions qui peuvent le relier à son temps, sa région, son école de peinture. Vous essayez de comprendre ses préoccupations, et les finalités qu’il recherchait pour son art. Puis vous apprenez aussi à distinguer les différentes périodes de son travail artistique, et à suivre ses évolutions, à comprendre les influences qui ont pu le marquer.

Après, lorsqu’à nouveau les tableaux qui vous l’avaient fait connaître sont devant vous, vous les admirez toujours, mais ils résonnent différemment dans votre esprit, avec beaucoup plus d’harmoniques, liées aux connaissances que vous avez acquises sur l’artiste et sur son contexte.

 

La beauté d’un paysage, comme celle d’une œuvre d’art, émane de configurations formelles qui nous touchent parce qu’elles sont l’expression d’une profondeur et d’une richesse cachées, qui nous attirent et nous invitent à en explorer les multiples strates, quitte à nous y perdre, amoureusement.

mardi, janvier 11, 2022

Voyage en Jordanie

Fragment de la mosaïque au sol de l'église St Georges à Madaba, datant de la fin du VIe siècle et représentant la Terre Sainte (en bas à droite, Jérusalem, et en haut la mer morte et le Jourdain)

Nous fûmes sans doute un peu présomptueux, ma femme et moi, de vouloir découvrir la Jordanie cet hiver 2021-2022, alors que le Covid et ses variants obnubilent tous les pays autour de la planète…

 

D’abord un avion raté à cause d’un test PCR sans QR code, puis l’attente interminable à l’aéroport d’Amman, pour refaire à nouveau un test. Mais une fois ses tracasseries passées, nous pûmes enfin nous élancer à la découverte de ce territoire contrasté, fait de tissus urbains denses et tentaculaires se développant à partir de la capitale, longeant les collines et les vallées pierreuses, parsemées d’oliveraies, de bois de pins, et de cultures variées. Mais l’urbanisation laisse intacte les vastes étendues désertiques aux reliefs décharnés qui constituent l’essentiel du pays.

 

Notre première destination fut Madaba et le mont Nébo, au nord. Se haussant au-dessus des plateaux de Transjordanie, le mont Nébo offre un point de vue étendu, surplombant la mer morte, la plaine du Jourdain, et à l’horizon les terres de Palestine et d’Israël. La légende dit que c’est en arrivant au mont Nébo que Moïse découvrit la terre promise et put enfin terminer ses jours en paix.

 

Vue de la vallée du Jourdain depuis le Mont Nébo

De retour à Amman, nous avons visité le centre-ville densément étagé au flan des collines, fait de bâtiments modernes aux gabarits réguliers et cubiques, encerclant les ruines de la citadelle et le théâtre antique (implantation romaine, byzantine, puis Omeyyade).

 

Le théâtre antique d'Amman


Le tissu urbain du centre d'Amman

Tout avait donc bien commencé. Mais ça s’est compliqué après le retour d’une grande escapade dans le nord, à Umm Qaïs: 

 

Les ruines de l'antique cité de Gadara, à Umm Qays

 

Vallée cultivée autour d'Umm Qays

Nous avons parcouru sous un ciel radieux le site de l’antique Gadara et les étroites vallées cultivées creusées par l’érosion qui s’étalent entre les collines ;  il y eut parmi nous toux et nez bouchés, et donc nouveaux tests covid. Nos enfants étaient positifs, du coup Petra, le morceau de choix où nous comptions passer quelques jours, dut être décommandé. Nous restâmes enfermés pendant dix jours de quarantaine dans la maison de Dheir Gbar (quartier cosmopolite de Amman) où fille, gendre et petits enfants nous accueillaient, ma femme et moi. Nous fîmes bien quelques petites entorses en nous promenant à travers ce quartier chic d’habitations, où peu de piétons circulent, mais plus de visites culturelles ! Alors pour compenser, chaque matin, je me suis tenu à faire une aquarelle à partir des lieux visités au début du voyage. Les voici (la dernière fut faite in situ)!

 











Passé la semaine de quarantaine, et de nouveaux tests négatifs, avant le retour en France qui avait déjà dû être repoussé, nous fîmes une dernière virée à Jérash, à une cinquantaine de kilomètres au nord d’Amman. Entre les collines où s’étale la ville contemporaine, le site romano-byzantin de Gérasa, un des plus beaux et des plus étendus que je connaisse, nous rappelle la grandeur et la beauté que devaient revêtir ses villes orientales, du premier au sixième siècle de notre aire : remarquable continuité entre l’architecture romaine et l’architecture byzantine : cardo et decumanus bordés de colonnades corinthiennes et ioniques, théâtres, temples, basiliques, églises, nymphée… et cet extraordinaire place-forum ovale, unique je crois dans l’urbanisme romain.

 

Gérasa, les ruines de la cathédrale byzantine


Gérasa, le forum ovale et le cardo

Le retour vers la France fut aussi un peu chaotique, ma femme n’ayant pu embarquer pour cause d’un nouveau test PCR positif (apparemment une erreur puisque deux jours avant, et les jours suivants, ses tests se sont toujours révélés négatifs !).

Il nous reste donc à réfléchir à un nouveau voyage, après que l’épidémie se soit tassée, avec au programme Petra, Aqaba, la mer morte, le lac de Tibériade, et pourquoi pas Bethléem et Jérusalem ?


samedi, décembre 04, 2021

Pourquoi la peinture synchronistique ?

 

G. Chambon, La clairvoyance du cyclope, huile sur toile, 60x73cm, 2014
 

Le XXe siècle fut le siècle de l’ébullition humaine : mondialisation, progrès scientifique et technologique exponentiels, mais aussi massacres de masse, idéologies totalitaires, et prémices de catastrophes écologiques.

Le XXIe siècle doit donc être un siècle de prise de conscience, peut-être même un siècle réactionnaire, en ce sens qu’il doit s’inscrire en réaction salutaire aux excès du XXe siècle. Nous avons pris conscience que notre globe terrestre est un monde fini et fragile, qui ne peut supporter une expansion continue et insoucieuse de ses conséquences.

 

Dans le domaine de l’art, on retrouve le même schéma : depuis les avant-gardes du début du XXe siècle jusqu’à l’art conceptuel et ses avatars nommés « art contemporain », l’art occidental a voulu se lancer dans une course à la nouveauté, supprimant toutes les frontières, submergeant comme un stunami les anciennes disciplines artistiques, et se lançant à corps perdu dans une fuite en avant, sa seule finalité semblant être dorénavant d’affirmer sa contemporanéité, c’est-à-dire sa rupture avec le passé, avec la mesure humaine, avec la permanence esthétique des messages délivrés.

 

Le résultat est terrible : la sensibilité artistique collective se délite peu à peu, d’autant qu’elle est aussi victime des ravages produits par la culture consumériste et ses publicités, qui la tirent sans cesse vers le bas. Heureusement, le goût pour les musées, les concerts, les spectacles, qui pérennisent les arts traditionnels et savants, n’a pas disparu, et tempère la déliquescence de notre sens artistique.

 

Il est donc temps, en art aussi, de prendre conscience des effets pervers de la marche en avant sans limite, et de réaliser que notre imaginaire, notre sens poétique, ne sont pas malléables à l’infini. D’autant que les sollicitations disruptives de l’art contemporain ne reposent sur aucune nécessité, ni sur aucun projet humaniste.

 

L’esprit ressemble à un écosystème : si on rompt de manière trop brutale un équilibre, c’est l’ensemble qui ne parvient plus à se réguler. Cela ne signifie pas qu’il faut abandonner toute idée de progrès et d’évolution, mais qu’ils doivent se faire en respectant un certain nombre d’équilibres métastables.

En art plastique, et particulièrement en peinture, il est intéressant de constater que les changements volontairement recherchés, depuis les impressionnistes jusqu’aux abstraits, ont fait sauter successivement plusieurs verrous, mais ont gardé, jusqu’aux années 60, le grand système régulateur qu’était l’expressivité propre aux nuances de la peinture et de la composition picturale, préservant ainsi leur valeur poétique. Mais la boite de pandore s’étant entr’ouverte, Marcel Duchamp et ses épigones de la fin du XXe siècle ont définitivement fait sauter le couvercle, pulvérisant volontairement (et sous forme d’injonctions idéologiques) toute velléité de régulation esthétique. Depuis, le thermomètre n’a cessé de monter, à tel point que bon nombre d’esprits affûtés n’arrivent même plus à comprendre qu’il y a supercherie, et sont prêts à tout absorber, pourvu que l’estampille « art » apposée sur tout et n’importe quoi (par exemple une banane ou des excréments) soit cooptée par les élites financières.

 

Cette folie ne rend pas service à l’évolution civilisationnelle. Croyant se libérer de toutes les chaînes, l’esprit contemporain ne fait qu’éteindre une à une les lampes qui éclairaient son imaginaire, de sorte qu’il finit par errer sans but dans un univers mental obscur et chaotique.

 

L’art doit donc aujourd’hui être repris en main par tous ceux qui croient en son pouvoir d’enchantement du monde. Exactement comme l’écologie croit, d’une certaine manière, à la nécessité de préserver la nature, enchantée par la foisonnante richesse autorégulatrice de ses formes vivantes.

 

Il est vrai que dans une dynamique mondiale hostile, où le matérialisme recroqueville les êtres sur leur quotidien, et où le spirituel quitte la métaphysique pour s’enkyster dans des poches d’obscurantisme et de haine religieuse, il paraît de plus en plus difficile de forger des odes artistiques à la poésie du monde.

 

Et pourtant cette poésie ne demande qu’à renaître. Alors comme pour la végétation, paralysée dans les frimas hivernaux, c’est en puisant une sève épaisse dans ses racines profondes que l’art pourra à nouveau bourgeonner et offrir un printemps prometteur à tous ceux qui veulent croire encore en l’avenir…

Et pour le peintre, puiser dans les racines de son art, c’est tirer de toutes ces œuvres qui irriguent collections et musées, témoignages magnifiques de plusieurs siècles d’art savant, véritables sources de notre imaginaire pictural, une poésie inédite propre à nourrir notre désir de ré-enchantement.

 

C’est l’objectif que j’ai fixé à la peinture synchronistique, en cherchant intuitivement les ponts secrets qui peuvent relier les artistes à travers le temps et l’espace, et en faisant de leurs tableaux confrontés, détournés, et réappropriés, la matière même de mes nouvelles compositions. C’est pour moi en suivant ce chemin que la création du XXIe siècle, s’alignant sur le paradigme de la pensée écologique, se refondera sur le recyclage, et non plus sur le fantasme de conquête boulimique d’un ailleurs peut-être plus alléchant, mais devenu introuvable.

jeudi, décembre 02, 2021

La nuit s'empare du monde

 

Gilles Chambon, "La nuit s'empare du monde", triptyque, huile sur toile 145 x 285 cm, 2021

Pendant la nuit, entre le crépuscule et l’aube, les rêves, les songes, ou les cauchemars viennent assaillir notre esprit endormi. Ils ont un côté terrible parce qu’ils sont déstructurés, et donc toujours ambivalents, à l’image du paysage disloqué inspiré ici d’une composition de Zao Wou-Ki. Les rêves mélangent de façon inextricable désirs, angoisses, souvenirs, prémonitions, mensonges, et illusions. Et lorsqu’on tire un fil pour tenter de percer leur mystère, on ne sait jamais quel verdict va tomber.

 

Le triptyque se développe suivant la mécanique synchronistique de l’imaginaire pictural, dont j’ai fait ma spécialité depuis quelques années.

 

Dans le panneau central (La nuit), vole Nyx, déesse de la nuit, qui porte dans ses bras les deux terribles jumeaux Hypnos et Thanatos. Elle est empruntée à un dessin de Michel Dorigny, reproduisant une fresque de Simon Vouet pour le plafond du château de Chilly, aujourd’hui disparue.

 

Le panneau de gauche (Le rêve de la femme-objet), est une allégorie qui évoque la femme-objet née de la corruption du désir par l’argent. On peut reconnaître : 

 

-       La reprise d’une interprétation ironique de la Vénus anadyomène de Botticelli, imaginée le graphiste polonais Tomek Karelus (« bad dream Mr Botticelli »),

 

-       Un fragment de dessin d’étude de Raphaël pour Dieu le père,

 

-       Une cible et un dollar volant, qui viennent d’un de mes propres tableaux (« la mathématique du plaisir », 2014),

 

-       Un fragment de ville, inspiré des lointains paysages des peintres flamands de la Renaissance.

 

Quant au panneau de droite (L’opprobre), il exprime la honte que ressentent les hommes devant leurs fantasmes inassouvis, et devant la violence qu’ils engendrent parfois. L’homme recroquevillé est repris d’un croquis d’étude de Raphaël, et le paysage urbain lointain s’inspire d’un tableau de Lucas Gassel (Loth et ses filles).

mardi, mai 04, 2021

Le pouvoir ne se partage pas

 

Gilles Chambon, "Le pouvoir ne se partage pas", huile sur toile 45 x 60 cm, 2021

« Le pouvoir ne se partage pas ». C’est le précepte qu’aurait suivi Romulus en tuant son jumeau Rémus, lors de la fondation de Rome. 

 

Cela évoque tous les meurtres accomplis depuis, et dans tous les continents, pour écarter ceux qui menacent celui qui prétend au pouvoir, ou qui le détient déjà. 

 

Mais on peut aussi y voir la réminiscence de l’ancien rituel des rois sacrés, décrit par James G. Frazer et par Robert Graves. Trace d'un matriarcat originaire, prédominant en Europe et en Asie à époque préhistorique, ce rituel aurait été lié au culte d'une déesse-mère chtonienne, avec élection d'un éphémère roi sacré, sacrifié au moment de l’année déclinante et remplacé chaque saison par son alter-ego.

 

C’est peut-être la raison qui fait que le thème de l’affrontement gémellaire se rencontre dans beaucoup de mythologies et cosmogonies indo-européennes et moyen-orientales :

 

-       Chez les Celtes, la lutte de Gwyn et Gwythur pour la main de Creiddylad (mythe que reprend Shakespeare dans Le roi Lear).

-       En Inde la lutte de Sundas et Upasundas pour la belle Tilottomâ.

-       En Islande celle de Cormac et de Corc Ouibne.

-       En Iran celle de Ohrmazd et Ahriman et celle de Aexsaert qui est tué par Aexaertaeg.

-       Chez les Egyptiens, le meurtre d’Osiris par son frère jumeau Set.

-       Dans le récit biblique : Caïn et Abel, Esaü et Jacob, mais aussi la querelle sur la préséance de Pérèc (la brèche) ou de Zérah (le fil écarlate) [neveu de Joseph, fils de Juda].

-       La même problématique est exprimée sur un mode métaphorique dans le Nouveau Testament avec la parabole de l’enfant prodigue.

 

De nombreux autres exemples pourraient aussi être trouvés dans les mythologies ou cosmogonies africaines et sud-américaines.

 

Ce tableau symbolise donc l’acte de violence initiale, envers soi-même ou son double, qui préside à toute fondation et à tout renouvellement. Il associe synchronistiquement un tableau de Vuillard (La boîte à ouvrage) que j’ai fortement détourné, avec des personnages de Georges Moreau de Tours (1848-1901) et d’un dessinateur anonyme du XVIIIe s.