présentation des peintures synchronistiques

mercredi, avril 27, 2016

Saint Jacques Matamore

Ambrosius Benson, détail du panneau central du triptyque de la bataille de Clavijo, circa 1520, musée Mayer van den Bergh, Anvers
Aux onzième et douzième siècles, sur fond de razzias normandes sur les côtes et le long des fleuves, de croisades au Moyen-Orient, et de reconquête en Espagne, se créent à travers l’Europe chrétienne différents ordres de moines chevaliers, ou moines-soldats. Bernard de Clairvaux disait d'eux : « Il est aussi singulier qu'étonnant de voir comment ils savent se montrer en même temps, plus doux que des agneaux et plus terribles que des lions, au point qu'on ne sait s'il faut les appeler des religieux ou des soldats, ou plutôt qu'on ne trouve pas d'autres noms qui leur conviennent mieux que ces deux-là, puisqu'ils savent allier ensemble la douceur des uns à la valeur des autres » (De Laude novae militiae).

Les premiers sont les chevaliers de Saint Pierre, créés en 1053 par Léon IX pour lutter contre les Normands en Italie. Puis viennent les chevaliers du Saint Sépulcre de Jérusalem (1099), les chevaliers dits Hospitaliers (ordre de St Jean de Jérusalem, 1113), les chevaliers du Temple (1120), les chevaliers teutoniques (1197), et enfin les chevaliers espagnols de Saint Jacques-de-l’Épée (ordre de Santiago, ainsi dénommé en 1161, et confirmé par Innocent III en 1200).

C’est ce dernier ordre qui nous intéressera ici, dans la mesure où il est à l’origine de l'iconographie nouvelle liée à la figure de Saint Jacques le Majeur, choisi comme patron de cet ordre guerrier, et qui sera volontiers qualifié de Saint Jacques Matamore (c’est-à-dire « tueur de Maures »).
Dans la mythologie chrétienne, les deux figures belliqueuses traditionnelles sont l’archange Saint Michel, qui tient l’épée et terrasse Lucifer, chef des anges rebelles, et Saint Georges (Georges de lydda, IVe siècle), qui vainquit de sa lance le terrible dragon qui ravageait la région de Lydda (Judée) et devait dévorer la fille du roi… Saint Georges est d’ailleurs devenu naturellement le patron de l’ordre du Temple et de l’ordre Teutonique, comme de la plupart des ordres guerriers non religieux qui ont pu être créés par la suite.

L’originalité des chevaliers de Saint-Jacques-de-l’Épée est d’avoir choisi comme figure princeps non l'archange où le héros militaire, mais un apôtre du Christ, fils de pêcheur, et prêcheur pacifique.
Ce choix a bien sûr été dicté par l’importance que Saint Jacques le Majeur revêtait alors pour l’Espagne : ses ossements étaient censés avoir été transportés à l’endroit où se trouve St-Jacques-de-Compostelle, et redécouverts miraculeusement au IXe siècle par l’ermite Pelayo. Mais dès la fin du VIIIe siècle, le moine Beatus Liebana désignait déjà le saint apôtre comme « chef resplendissant de l'Espagne, notre protecteur et patron de notre pays ».

Notons que quelques traits spécifiques de la légende de Jacques le Majeur ont facilité le glissement vers une icône militaire.

-    D’abord il se rapproche de Saint Georges : premièrement par le supplice qui lui est appliqué, car tous deux furent décapités par l’épée ; deuxièmement par une analogie de leur épopée mythique: Saint Georges, monté sur un cheval blanc, avait tué le dragon pour sauver la fille du roi, et pareillement, Saint Jacques, en apparition miraculeuse montée sur un cheval blanc, avait permis à Ramire Ier de remporter sur les Sarrasins la bataille de Clavijo (844), et de libérer ainsi cent jeunes filles vierges promises comme tribut au harem de l’émir de Cordoue Abd al-Rahman II.

-    Ensuite, les évangiles rapportent que Jésus appelait les deux fils de Zébédée (Jacques et Jean) les « fils du tonnerre », parce qu’ils étaient prompts à s’emporter et avaient le verbe haut ; on découvre cette "agressivité" notamment dans Luc, 9, 51 à 56 : « Lorsque le temps où il devait être enlevé du monde approcha, Jésus prit la résolution de se rendre à Jérusalem. Il envoya devant lui des messagers, qui se mirent en route et entrèrent dans un bourg des Samaritains, pour lui préparer un logement. Mais on ne le reçut pas, parce qu'il se dirigeait sur Jérusalem. Les disciples Jacques et Jean, voyant cela, dirent : Seigneur, veux-tu que nous commandions que le feu descende du ciel et les consume? Jésus se tourna vers eux, et les réprimanda, disant: Vous ne savez de quel esprit vous êtes animés. Car le Fils de l'homme est venu, non pour perdre les âmes des hommes, mais pour les sauver. Et ils allèrent dans un autre bourg. »

Comme « Saint Georges terrassant le dragon », « Saint Jacques Matamore à la bataille de Clavijo » est devenu un thème courant de la peinture occidentale, et pas uniquement en Espagne : L’une des premières représentations connues est une fresque de l’église bolognaise San Giacomo ; attribuée au pseudo Jacopino, elle date des années 1315-1320, et est conservée à la Pinacothèque de Bologne. L’image du saint sur son destrier n’est pas encore connotée des signes guerriers : il est en toge, auréolé, et dépourvu de toute arme.

Attribué au pseudo Jacopino, St Jacques à la bataille de Clavijo, vers 1315-1320, Pinacothèque de Bologne

Les représentations picturales de Saint Jacques Matamore vont se multiplier dès la fin du XVe siècle, et la caractérisation militaire va devenir la règle. L’image la plus célèbre, qui a sans doute diffusé cette nouvelle scénographie, est une gravure de Martin Schongauer, exécutée vers 1475-1480 ; la violence du combat est affirmée, avec plusieurs cadavres en bas au premier plan ; Saint Jacques est toujours en toge, mais il a troqué son auréole pour le célèbre chapeau de pèlerin où figure la coquille, et surtout il brandit une épée.
Martin Schongauer, Saint Jacques à la bataille de Clavijo, gravure vers 1470-80

Sur un retable datant de la fin du XVe siècle d’une chapelle du château de l’Alcazar à Ségovie, Saint Jacques figure avec la même gestuelle, mais est représenté d’une façon simplifiée : on est dans un registre où le contexte de la bataille n’est plus l’essentiel de la composition comme chez Schongauer, mais simplement évoqué de façon allusive ; ici par quatre têtes de sarrasins coupées sur le sol. Autre différence : la toge de l’apôtre a maintenant été remplacée par une armure arborant la croix rouge en forme de glaive, symbole des chevaliers de l’ordre de Santiago. 

Anonyme fin XVe siècle, St Jacques tueur de Maures, château de l'Alcazar, Ségovie

On peut citer trois autres tableaux, du début du XVI siècle, qui présentent les mêmes caractéristiques, mais avec un traitement pictural beaucoup plus élaboré. Le premier est au Portugal et attribué au maître de Lourinha; le deuxième, attribué à Sodoma, est une fresque de l’église San Spirito de Sienne, dans la chapelle des Espagnols; et le troisième est d'un maître valencien (entourage de Hernando de los Llanos):
Attribué au Maître de Lourinha, Saint Jacques combattant les infidèles, vers 1510-1530, Museu Nacional de Arte Antigua, Portugal
Giovanni Antonio Bazzi, dit Il Sodoma, Saint Jacque Matamore, chapelle des Espagnols, église San Spirito, Sienne
entourage de Hernando de los Llanos, St Jacques matamore, première moitié du XVIe s. huile sur panneau 99x81cm.
Examinons maintenant quelques tableaux qui, comme la gravure de Schongauer, mettent en scène Saint Jacques au milieu d’une bataille.
D’abord un tableau de l’Italien Paolo da San Leocadio, vers 1515, dans l’église San Giacomo de Villa Real près de Valencia ; haut en couleurs, il s’inspire très librement de la gravure de Schongauer ; Saint Jacques n’a pas d’armure et est coiffé de son traditionnel chapeau de pèlerin à coquille, le reliant symboliquement au pèlerinage de St-Jacques-de-Compostelle. L’artiste se rappelle sans doute aussi les représentations de Saint Georges sur son cheval blanc affrontant le dragon avec une lance, car plutôt qu’une épée, il place dans la main de Saint Jacques ce qui fait penser à une lance, mais qui est en réalité un bourdon de pèlerin.

Paolo da San Leocadio, Saint Jacques à la bataille de Clavijo, vers 1515, eglise San Giacomo, Villa Real
Un élément nouveau est introduit sur un très beau triptyque datant des années 1520, dû à Ambrosius Benson (élève de Gérard David), actuellement au musée Mayer van den Bergh d’Anvers (voir détail en tête d'article) : Saint Jacques lève une épée de la main droite et porte dans la main gauche un étendard rouge montrant un blason. Son cheval est revêtu d’un caparaçon également rouge, orné des mêmes blasons faits de croix ancrées cantonnées de quatre coquilles, inspirés certainement des armoiries du Royaume de Jérusalem (croix potencée d'or, cantonnée de quatre croisettes du même). 

Ambrosius Benson, triptyque de la bataille de Clavijo, circa 1520, musée Mayer van den Bergh, Anvers

On retrouve dans plusieurs tableaux flamands de la première moitié du XVIe siècle cette croix sur le caparaçon du cheval ou sur l’étendard, choisie pour caractériser Saint Jacques de préférence à la  croix des chevaliers de l’ordre de Santiago, qui semble plutôt associée aux représentations dans lesquelles le saint porte une armure de chevalier. Pour exemple ce tableau, attribué à l’entourage de Juan de Flandres, certainement inspiré du triptyque de Benson :


Vers les années 1570-1580, une gravure exécutée par Pieter Balten (mais dont le dessin n'est pas de lui; peut-être de Stradanus ou du jeune Antonio Tempesta ? - j'invite d'ailleurs le lecteur spécialisé à me communiquer toute information permettant d'attribuer cette composition), va diffuser un modèle de scénographie de la bataille de Clavijo qui sera repris par beaucoup de peintres flamands.

Pieter Baltens (graveur), Saint Jacques patron de l'Espagne ( bataille de Clavijo, exemplaire du British Museum

Cette gravure, dont je ne connais qu’un exemplaire dans les collections du British Museum, est un peu oubliée aujourd’hui, mais a certainement beaucoup circulé en Flandre. Voici pour preuve trois tableaux flamands anonymes sur cuivre du début du XVIIe siècle qui reprennent plus ou moins fidèlement tout ou partie de la gravure :


Les deux premiers ont été attribués, à tort, à l’anversois Pauwel Casteels, parce que, spécialiste des grands affrontements guerriers, il a lui aussi donné une bataille de Clavijo (vente Tajan, 2012) qui s’inspire visiblement de la gravure de P. Balten; mais elle s’en distingue cependant par un trait spécifique à ses compositions : l’envergure donnée au paysage, accentuant le grouillement des combattants et rendant plus discrète l’expression des acteurs principaux des scènes représentées.

Pauwel Casteels, la bataille de Clavijo, huile sur toile, 60x98cm

lundi, avril 11, 2016

Au cirque, 11 avril

Gilles Chambon, Au cirque, 11 avril, Huile sur toile, 55x60cm, 2016

Ce tableau synchronistique est un hommage à Henri de Toulouse-Lautrec. Deux ans avant sa mort (survenue en 1901 alors qu’il n’avait que 36 ans), il fut interné par sa famille quelques mois à la Folie Saint-James, asile luxueux installé dans un hôtel particulier à Neuilly, suite à une crise de delirium tremens. Il se battait contre la folie, et pour démontrer qu’il avait recouvré sa santé mentale, il demanda des pinceaux, du papier, de l’encre, et de l’aquarelle, et réalisa, d’imagination, quelques dessins sur le thème du cirque : une écuyère, un clown, un dompteur, un équilibriste, etc.. Après sa mort, une série de lithographies reprenant ces dessins fut publiée.

J’ai utilisé l’un des dessins, un dresseur de chien, daté du 11 avril 1899, et dédicacé à son ami Arsène Alexandre « en souvenir de ma captivité » (il existe aussi un croquis préparatoire du dresseur de chien, voir ci-après):
Toulouse-Lautrec, croquis préparatoire et dessin d'un clown dresseur, 1899
J’ai marié les protagonistes du dessin – le dresseur, un caniche, et un éléphanteau - à une petite aquarelle sans titre (1943… peut-être le 11 avril ?) de Maurice Estève, à la limite de l’abstraction, dans laquelle on distingue toutefois deux cruches, ce qui n’a a priori rien à voir avec le cirque.

Maurice Estève, Sans titre, aquarelle 22,5x25cm, 1943
 Pourtant, l’envolée lyrique vaguement circulaire de la composition, et son dynamisme joyeux, m’ont poussé à en faire, ce 11 avril 2016, une sorte d’évocation de la piste circassienne à laquelle rêvait Henri Toulouse-Lautrec, et ainsi faire faire un nouveau tour de piste, 117 ans après, à ses personnages si remarquablement campés.

dimanche, mars 20, 2016

Marcel Bach, 1879-1950, un peintre bordelais à redécouvrir

Marcel Bach, La vallée du Célé (ou du Lot), huile sur carton, 46x62, collection privée

Cité dans le Dictionnaire des Petits Maîtres de la peinture (1820-1920), de Gérald Schurr et Pierre Cabanne (Amateur, Paris, 2008) Marcel Bach,  né à Bordeaux le 20 mai 1879, mort dans la même ville le 2 novembre 1950, est enterré au cimetière de la Chartreuse, dans le tombeau des artistes lyriques (édifié en 1859), au côté de chanteurs, de comédiens, d’acteurs, et de peintres comme lui.

Tombeau des artistes lyriques, édifié en 1859 grâce à la philanthropie du luthier bordelais, Jean Lauriol ; l'ange est de Jean Sporrer. Plus de 120 artistes sont inhumés dans ce tombeau

 Mise à jour août 2022 : ci-après  la photo de M. Bach, extraite du petit livre que lui a consacré Félix Laine en 1928 (éd. Gaillac-Monrocq & cie), que m'a aimablement transmise M. Pierre Dupuy :
 

 

Sa peinture a évolué d’un naturalisme inspiré de l’école de Barbizon dans sa prime jeunesse, jusqu’à une abstraction décorative dans les dernières années de sa vie.
Marcel Bach, deux paysage de la première période : Paysage automnal, 1911, huile sur toile 61,5x91cm, et Champ de blé, 1900, huile sur toile 81x116cm

Elle se caractérise néanmoins dans la plus grande partie de ses œuvres, par un dessin rapide et sûr, un goût des belles harmonies de tons sourds, et une certaine rugosité de la touche, parfois cernée de contours plus sombres, à la manière du cloisonnisme. 

Marcel Bach, Église de village, 1920, huile, 65x54cm
Marcel Bach, Paysage aux grands arbres, huile sur toile, 49x65cm

Marcel Bach, Nature morte aux oranges, 1927, huile sur toile 38x61cm
Marcel Bach, Esquisse de paysage, huile sur carton 26,5x35cm
Marcel Bach, Souvenir de mardi gras, 1908, huile sur toile, 33x45cm

Son parcours l’a mené de Bordeaux à Paris, avec un épisode provençal entre 1920 et 1925, et un retour vers le sud-ouest, à Marcilhac-sur-Célé (Lot) où il avait une maison. 

Marcel Bach, Vue de Marcilhac-sur-Célé, huile sur toile, 81x100cm, Christie's Londres 1998
L’essentiel de sa peinture est constitué de paysages et de natures mortes, mais il s’est aussi essayé avec bonheur aux scènes de la vie quotidienne, et à la peinture de guerre (il a combattu en 1914, et a été fait prisonnier de guerre). Ces peintures lui ont valu un premier prix ex-aequo au concours sur « l’art de la guerre » organisé par « Le Matin »; plusieurs sont visibles au musée de la guerre à Versailles.

Marcel Bach, Scène de marché, huile sur panneau48,5x56cm
Marcel Bach, Devant Verdun, 29 août 1916

Il commence son activité artistique en 1895, année où il entre à l’Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux. Il partira ensuite à Paris rejoindre l’Atelier de Fernand Cormon. Il demeure dans le XVe arrondissement (7, rue Alain-Chartier). Dès 1906, la prestigieuse galerie Bernheim lui prend quelques toiles. À partir de 1908 et jusqu’en 1932, il expose régulièrement au Salon des Indépendants, puis au Salon d’Automne (entre 1920 et 1931) et au Salon des Tuileries (de 1924 à 1933). 

Marcel Bach, La récolte des pommes de terre, 1925, huile sur toile 46x55cm, exposée au Salon d'Automne de 1925
On sent aussi dans beaucoup de ses toiles de paysages l’influence de l’impressionnisme, qu’il a découvert en fréquentant les salles du Louvre, et chez le marchand Ambroise Vollard, qui le sensibilise à l’art de Cézanne.

Marcel Bach, Village de montagne (?), huile sur toile 33x41cm
Marcel Bach, Paysage, huile sur toile 51x61cm

Parallèlement à sa peinture, Marcel Bach participe à Bordeaux à la création de décors pour les spectacles du Grand théâtre, dont il dirige l’atelier dans les années 30, à la suite de Jean Artus. On lui connaît aussi, de la même période, et attribuée à son atelier, une décoration murale dans la salle des mariages de la mairie de Pauillac, dans le Médoc.
Atelier de Marcel Bach, décorations murales de la salle des mariages de la mairie de Pauillac

 Il est aussi sociétaire des Artistes Indépendants Bordelais, ainsi que de la société arstistique « L’œuvre », de réputation plutôt académique.

S’il pratique un art qui ne veut pas choquer et recherche avant tout l’harmonie, Bach n’est cependant pas du tout un peintre académique. Au début des années 20, on le voit ainsi à Paris participer à deux revues artistiques à tendance anarchiste : « La vache enragée » (en 1920, ce journal est sous-titré : "Journal officiel et bimensuel de la Commune libre de Montmartre, le plus vache, le plus cher, le plus rare") ; et la revue « Partisans »(1924-1930), dont il fait partie du comité directeur en 1924. Sous-titrée revue coopérative internationale, « Partisans » "plaide pour un réalisme en peinture, contre le surréalisme et l'abstraction. Mais d'un point de vue politique, Partisans se signale l'année de sa création, en 1924, par la publication d'une pétition protestant contre l'exclusion des artistes russes et allemands de l'Exposition des arts décoratifs qui devait avoir lieu à Paris l'année suivante. À la même époque, la revue projetait d'organiser elle-même une exposition d'art antimilitariste franco-allemand" (in Histoire des droites en France T2 Cultures, sous la direction de Jean-François Sirinelli). Par la suite (1928) la revue s'est droitisée, rejetant les artistes étrangers, accusés de dénaturer la recherche artistique de la beauté.

Bien qu’attaché à la figuration, Marcel Bach finira – peut-être sous l’influence d’Elisabeth Calcagni de vingt ans sa cadette, et qu’il a longtemps hébergée dans sa maison de Marcilhac – par s’essayer à l’abstraction. Comme le dit Thierry Saumier dans un article du catalogue d’une vente récente à Bordeaux, "Gageons en effet que ses confrères ont été surpris, en 1947, de découvrir « Rythmes chromatiques passant par trois points perdus » sur les cimaises du Musée des Beaux-Arts !" – tableau aujourd’hui non visible, en dépôt à la préfecture de Gironde – mais on peut se faire une idée du travail abstrait de Marcel Bach à partir des deux œuvres suivantes :

Marcel Bach, Composition abstraite, huile sur papier, 46x33cm
Marcel Bach, Projet de vitrail, c. 1946, huile sur carton, 80x60cm

samedi, février 20, 2016

La mythologie selon Gilles Chambon

Gilles Chambon, La transfiguration, huile sur toile, 106x100cm, 2006
Petit retour en musique sur mes peintures "mythologiques" exécutées entre 2002 et 2012.

Elles sont ma mythologie "buissonnière", mon interprétation onirique et décalée des grandes histoires gréco-romaines ou chrétiennes qui structurent l'imaginaire occidental. Je m'y amuse à faire rimer humour et poésie, en télescopant les références aux toiles de maîtres, les clins d’œil au monde contemporain, et l’imaginaire urbain auquel je suis toujours très attaché.


La musique qui accompagne ce voyage imaginaire, interprétée par Sarmila Roy, est le Svetasvatara Upanisad, issu du Mahabharata de Peter Brook. Je trouve ce morceau d'une grande beauté, à la fois sensuelle, dépaysante, onirique, et emprunte d'un formidable hiératisme aux accents universels.

lundi, février 15, 2016

Prélude au printemps, Iris et Zéphyr

Gilles Chambon, Prélude au printemps, Iris et Zéphyr, huile sur toile 60x50cm, 2016


On dit qu’Iris, la messagère des dieux, glisse sur la lumière d’un arc-en-ciel. Elle s’attarde sous les nuages chargés d’ondées que Zéphyr pousse.

Un sourire ensoleillé les rapproche ; il paraît même qu’un printemps, elle fit du vent d’Ouest son amant. Et le gentil Cupidon, naquit de cette union…

Vent, pluie, et soleil, c’est la météo chaotique qui toujours annonce le printemps sous nos climats… 
L’arc-en-ciel naît du rapprochement des contraires, et mon tableau aussi. J’ai fait glisser synchronistiquement deux personnages imaginés par Tiepolo, sur un fragment du funiculaire de l’Estaque, peint par Raoul Dufy en 1908.

lundi, février 08, 2016

Exposition au SIAC de Marseille en mars 2016

Du 11 au 14 mars 2016, a lieu le Salon International de l'Art Contemporain, au parc Chanot à Marseille. C'est la 16e édition, et la première pour moi. J'y aurai le stand n° 92. J'espère bien sûr y retrouver de nombreux lecteurs de ce blog, et leur faire découvrir en vraie grandeur mon travail pictural récent.

Voici le plan du salon... Fichtre, on se croirait chez Ikea!!! Mais, comme l'écrivait Musset, "Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse? Faites-vous de ce monde un songe sans réveil."...

L'important est de jouir de la peinture, malgré ce Palais des Évènements qui n'incite pas à la rêverie. 


Il suffira, le soir, de se retrouver quelque part dans les parages du vieux port, ou dans le creux du Vallon des Auffes... Que mon père, Jean Clarieux, avait peint dans les années 50, sur cette toile qu'il m'a laissée. À Marseille, je penserai à lui, qui est disparu trop tôt il y a déjà quarante-six ans.
Jean Clarieux, Le vallon des Auffes à Marseille, c. 1955-1960

lundi, janvier 25, 2016

Le Christ aux limbes (hommage à Agnolo Bronzino et à Alberto Burri)

Gilles Chambon, Le Christ aux limbes, huile sur toile 90 x 65cm, 2016
La première épître de Pierre indique que le Christ, après avoir été mis au tombeau, et avant sa résurrection (c’est-à-dire entre le Vendredi saint et le jour de Pâques), s’est rendu en enfer, dans les limbes plus exactement, pour « prêcher aux esprits en prison » (3, 19). Les limbes étaient ce lieu où se trouvaient assignés à résidence les âmes des justes qui, nés avant la rédemption qu’apporta Jésus aux hommes, ne pouvaient accéder au paradis, puisqu’ils étaient souillés malgré eux par le péché originel.
La scène du Christ aux limbes a souvent été représentée par les peintres. Au Moyen-Âge, c’était généralement prétexte à imaginer la gueule de l’Enfer entourée de démons ; Jésus venait y délivrer Adam, Eve, et tous les anciens patriarches. 

Psautier de St Alban, le Christ descend aux enfers, c. 1135, Hildesheim, Dombibliothek MS. God. 1
À la Renaissance, Martin Schongauer, Friedrich Pacher, ou encore Pieter Bruegel l'Ancien, suivaient toujours plus ou moins cette tradition.

Martin Schongauer, La descente du Christ aux limbes, gravure sur cuivre, c. 1480

Friedrich Pacher, Le Christ aux Limbes, 1460, Musée des Beaux-Arts de Budapest

Pieter Bruegel l'Ancien, La descente du Christ aux limbes, gravure, 1561
Mais une rupture avec l'« image d’Épinal » d'un enfer peuplé de monstres viendra  d’Italie, évidemment : c'est Mantegna, d'abord, qui accomplit une véritable révolution : il invente en 1468 pour Ludovic Gonzague une version très osée du Christ aux limbes, dans laquelle le Christ, en position centrale tourne le dos au spectateur. Il n’y a plus ni diablerie (deux diables volent cependant encore dans la première version), ni gueule d’Enfer, juste le travail minutieux des anatomies et des drapés, et une porte brisée, qui sera remplacée dans la seconde version de 1470-75 par l’entrée d’une simple grotte, très naturaliste. 

Andrea Mantegna, La Descente aux limbes c. 1468, plume, encre et lavis brun sur vélin, (dessin de la fresque de la chapelle du Castello di San Giorgio de Mantoue, détruite) Paris, Ecole nationale supérieure des Beaux Arts, inv.189
Andrea Mantegna, La descente aux limbes, c. 1470-75, tempera sur toile, The Frick Collection, New York
Un demi-siècle plus tard, le maniérisme redonnera davantage de théâtralité à l'épisode : non plus à la façon pittoresque et fantastique du Moyen-Âge, mais en imaginant une scénographie complexe des corps, avec des déhanchements exagérés, appelées figura serpentina et contrapposto. Domenico Beccafumi, Agnolo Bronzino, excelleront dans cet exercice, et avant eux Sebastiano del Piombo, qui travailla à Rome auprès de Raphaël.
Domenico Beccafumi, Descente du Christ aux limbes, c. 1530-35, Pinacothèque nationale de Sienne
Agnolo Bronzino, La descente du Christ aux limbes,1552, Musée de l'Œuvre de Santa Croce, Florence
Sebastiano del Piombo, Le Christ aux limbes, 1516, musée du Prado, Madrid
Le Christ aux limbes de Sebastiano del Piombo me servira de trait d’union avec la peinture moderne ; il a en effet été repris et réinterprété par Cézanne (il ne nous reste hélas qu’un fragment de sa composition générale, peinte à l’origine directement sur le mur de la maison du Jas de Bouffan, aux environs d'Aix-en-Provence).
Paul Cézanne, Le Christ aux limbes, c. 1867, huile transposée sur toile, Musée d'Orsay, Paris

Le dessin est fidèle au tableau du Piombo, mais l’écriture violente, qui semble se souvenir de Goya, l’accentuation des contrastes, la simplification des lignes et des couleurs, l’abandon des finitions, du sfumato, et de la perspective, en font une composition éminemment moderne…

J’ai souhaité moi aussi traiter le thème du Christ aux limbes (voir image en tête de l'article) de façon à la fois  moderne et connectée à l’univers maniériste. Je suis donc parti d’une feuille d’étude d’Agnolo Bronzino :

Agnolo Bronzino, feuille d'étude avec deux nus et un bras droit, c. 1542-43, Musée des Offices, Florence

Cette feuille n’a en fait aucun lien avec son grand Christ aux limbes de Santa Croce (voir image plus haut). On y trouve d’un côté l’esquisse de deux des personnages du « Moïse frappant le rocher d’Horeb (appelé aussi allégorie du printemps) » de la Chapelle Eleonora de Toledo au Palazzo Vecchio, et de l’autre l’étude de la main droite du portrait de Stefano IV Colonna.

Deux oeuvres de Bronzino : à gauche, Moïse frappant le rocher, 1542-43, chapelle Eleonora de Toledo, Palazzo Vecchio, Florence ; à gauche, Portrait de Stefano IV Colonna, 1546, Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome
 
--> Fidèle à ma méthode synchronistique, je les ai jetés tels quels dans les limbes de la fournaise abstraite d’une œuvre sans titre d’Alberto Burri.

Alberto Burri, Sans titre, 1953, huile sur toile avec sable et morceaux de tissu, Courtesy Mazzoleni Art, Londres

La main de Stefano Colonna devient ainsi dans mon tableau la main rédemptrice d’un Christ invisible, et les deux Hébreux harassés deviennent les justes de l’ancien temps, libérés par le Christ descendu en enfer.
Curieusement, comme souvent dans la méthode synchronistique, le choix intuitif de la feuille d’étude de Bronzino pour incarner l’épisode du Christ aux limbes, se révèle porteur d’une convergence de sens. En effet le rocher d’Horeb frappé par Moïse a un sens symbolique directement relié à la rédemption offerte par le Messie: de même que des eaux vivifiantes s’élançaient du rocher frappé par le bâton de Moïse, de même du Messie, « frappé par Dieu, meurtri et brisé à cause de nos iniquités » (Ésaïe 53 : 4, 5), jaillit le fleuve du salut appelé à sauver notre humanité perdue. Comme le rocher avait été frappé une seule fois, le Messie serait « offert une seule fois pour ôter les péchés de tous » (Hébreux 9:28).

Et pour plaisanter un peu, je dirai que beau travail d’Alberto Burri, maintenu jusqu'à présent dans les limbes de la peinture abstraite, se voit, grâce à mon intervention synchronistique et à l'action rédemptrice des dessins de Bronzino, propulsé dans le paradis de la peinture figurative!