présentation des peintures synchronistiques

dimanche, mars 22, 2015

L’enlèvement des Sabines

Gilles Chambon, L'enlèvement des Sabines, huile sur toile, 50 x 60 cm, 2015

Encore une peinture synchronistique, qui entremêle trois réminiscences picturales :

-    La nostalgie de l’infini, de Giorgio de Chirico, 1912, New York, MoMA
-    Cathédrale, d’Albert Gleizes, 1912, Hanovre, Sprengel Museum
-    L’enlèvement d'Hélène, de l’atelier de Giovanni Francesco Romanelli, XVIIe s., collection privée

Tous les mythes ont affaire avec la synchronicité. On pourrait même dire que c’est elle qui caractérise tout grand récit mythologique. En effet, comme Freud l’a montré pour l’histoire d’Œdipe, la polysémie du mythe fait qu’il est capable d'enjamber le temps, et de cristalliser à chaque époque une signification particulière liée aux problématiques et à l’imaginaire collectif du moment.

L’enlèvement des Sabines est lié à la fondation de Rome par Romulus, mais il nous parle aussi de mythes plus anciens se référant au culte de la Grande Déesse et aux rituels de mariage indo-européens (voir L'enlèvement des Sabines, ambivalence et double jeu).

Quel écho trouve-t-il encore aujourd’hui, au XXIe siècle ? Peut-être faut-il relire la théorie mimétique de René Girard, qui nous dit la violence universelle engendrée par la convoitise, et les drames rituels à l’origine de chaque société, qui ont permis de canaliser cette violence ? On sait que la réponse archaïque à la convoitise – universellement symbolisée par la beauté féminine, est l’oppression de cette dernière; son ablation sociale, pourrait-on dire.

L’enlèvement des Sabines devient alors une métaphore de l’interrogation sur la violence (la nôtre mais aussi celle de nos ennemis) qui naît de toutes les formes de convoitise suscitées par la société de consommation, dans un monde occidental contemporain ayant fait le choix de la liberté, pour le meilleur et pour le pire.

samedi, mars 14, 2015

RÊVERIE

Gilles Chambon, "Te souviens-tu ?", huile sur toile 56 x 58 cm, 2015

Ce tableau est une métaphore de la rêverie.

L’attitude de la jeune femme, empruntée à Gauguin, qui lui-même l’a utilisée dans deux de ses peintures (1), exprime cette douce nonchalance, ce demi abandon – avec le regard tourné vers les évocations intérieures – qui caractérisent la rêverie. On pourrait définir cet état mental comme une concentration involontaire de l’attention sur des réminiscences ou des imaginations qui s’enchaînent sans autre cohérence que l’affinité mnémonique. Il n’y a pas de structure ni de signification préétablie dans la rêverie ; elle vagabonde, elle va là où l’écho l’appelle, elle passe volontiers au travers de mille choses importantes, auxquelles elle ne prête pas attention. Elle se focalise plutôt sur des détails qui la séduisent, ou sur des silhouettes qui lui ouvrent les portes des souvenirs heureux.

Dans la peinture de Gauguin, il y a surtout des souvenirs heureux ; c’est pourquoi j'ai pris encore chez lui les trois figurines qui, dans mon tableau, paraissent suscitées par la rêverie de la jeune Tahitienne : un couple (2) (une ancienne amitié ?) et un chien famélique (3) (qu’un jour peut-être elle a nourri). Quant au décor dans lequel se situent la rêveuse et ses évocations, je l’ai, à dessein, repris du travail d'un peintre abstrait : la rêverie, comme le rêve, n’a en effet besoin d’aucune continuité ni d’aucune espèce de cohérence spatiale figurative entre les entités parmi lesquelles elle se promène. Le fond est donc transposé d’un tableau, sans titre, qu’Albert Bitran (aujourd’hui âgé de 86 ans) a peint en 1970.

1 - Femmes de Tahiti : une version de 1891 est au musée d’Orsay, et une autre version, de 1892, à la galerie Neue Meister de Dresde.
2 - Scène de plage, Martinique, 1887.
3 - Arearea, 1892, musée d’Orsay

mercredi, mars 11, 2015

Des villes imaginaires à la peinture synchronistique : à découvrir en ligne

Le livre de G. Chambon "Des villes imaginaires à la peinture synchronistique" est téléchargeable en ligne (cliquez sur l'image) - spécimen de démonstration, consultation partielle -.

http://erewhon.free.fr/des villes imaginaires ala peinture synchronistique2015.pdf

Il est à vendre 22 € - plus frais d'envoi - adressez votre demande à erewhonowhere@yahoo.fr

Vous pouvez également le trouvez dans les points de vente suivants :

à Bordeaux :  librairie La machine à lire, et magasin Boesner
à Orléans : librairie Les temps modernes
à Libourne : librairie Madison Nuget
à St Emilion : Little Gallery (rue Guadet)

dimanche, février 22, 2015

Le rêve inquiétant

 
Gilles Chambon, Le rêve inquiétant, huile sur toile 60 cm x 80 cm, 2015
Cette composition synchronistique rapproche une eau-forte de la série des disparates de Goya, intitulée « Cheval ravisseur », et une grande huile sur toile de Zao Wou-Ki, titrée « 26.01.60 ».

C’est l’association entre le grand et le petit ; entre la force désordonnée, chez Zao Wou-Ki, des éclats de lumière épars luttant contre la matière sombre d’une étendue imprécise, et la prégnance insolite, chez Goya, d’une vision ésotérique, chargée de prémonitions inquiétantes.

Combat violent de la peinture blanche contre la toile noire, et combat inégal du grand cheval cabré contre la fantomatique jeune fille blanche.

Tout cela donne assurément matière à un rêve inquiétant.

lundi, février 16, 2015

Vernissage rue Sainte Anastase

Ce samedi 14 février, après être allé admirer les nombreuses pépites de l’Hôtel Salé, parmi lesquelles ma préférence va à celle-ci….
Picasso, Minotaure et jument morte devant une grotte (1936), Gouache et encre de Chine - 50x65 cm Musée Picasso, Paris

… Je suis revenu à la galerie Art&Miss, à une centaine de mètres de là,  pour le vernissage de l’expo « Corps et âmes », qui accueille quelques unes de mes peintures récentes, dont certaines rendent hommage à Picasso.


Ambiance bon enfant comme il se doit… Mais beaucoup d’absents pour cause de vacances ou autres imprévus… Aussi je signale à ceux qui ont raté le vernissage que je serai à nouveau à la galerie le samedi 28 février en fin d’après-midi pour le finissage… Avis aux amateurs !


mercredi, janvier 28, 2015

Des villes imaginaires à la peinture synchronistique


Je viens d’éditer (à 250 exemplaires – il faut se dépêcher de l’acheter, il n’y en aura pas pour tout le monde !) un livre-album qui retrace mon évolution picturale depuis les années 80 : villes imaginaires, mythologie buissonnière, et enfin peinture synchronistique… 72 pages, dont 19 pages de texte et 53 pages d’illustrations couleur.

Sur la couverture, une petite vue de l’aquarelle « Antichtone », et ma cène synchronistique intitulée « Cent titres », grand tableau de deux mètres de long exécuté cet été, et que les parisiens pourrons découvrir du 4 au 28 février 2015 à la galerie Art&Miss, 14 rue Sainte Anastase, près du musée Picasso.



Je vous invite à venir nombreux… Le samedi 14 février en fin de journée, lors du vernissage de l’exposition, je dédicacerai mon livre à ceux qui le souhaitent. Merci à Priscilla De Roo d’avoir accepté d’être ma préfacière.


dimanche, janvier 18, 2015

L’âge d’or


Gilles Chambon, L'âge d'or, huile sur toile, 65x71cm, 2015
L’âge d’or est cet âge mythique où la vie des hommes s’écoulait comme du miel, dans la paix et la sérénité, alors que le dieu Cronos régnait sur le monde et prolongeait chaque instant en une sorte d’éternité.
Les créatures de ce temps vivaient dans l’innocence, inconscients de leur beauté ou de leur laideur.
Je leur ai donné l’aspect des « monstres » que Francis Picabia élabora entre 1924 et 1927, en partant d’œuvres des maîtres du passé qui lui servirent à inventer une série d’êtres étranges: ils sont à la fois beaux et laids, empreints d’une poésie aux accents jazzy.

Voici les trois peintures de Picabia que j’ai utilisées, à côté du modèle qui a servi de base à chacune d’elles.


J’ai donc réuni les créatures de Picabia en un âge d’or synchronistique, dont le paysage, encore voilé par la lumière dorée de l’aube des temps, est adapté d’une toile de Zao Wou-Ki (toile titrée 5 juin 1999; 162 x 130 cm).

samedi, janvier 10, 2015

La chute des anges


Gilles Chambon, La chute des anges, huile sur toile 60 x 66 cm, 2015
Lucifer, le puissant archange, sorte de Prométhée judéo-chrétien, défia Dieu et fut précipité en Enfer avec ses cohortes d’anges rebelles… Devenu Satan, il donna à Eve et Adam le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, entraînant leur exil du paradis, exactement comme Prométhée, qui, ayant dérobé le feu céleste de Zeus pour le donner aux hommes, fut pour cela enchaîné au Caucase et supplicié pour l’éternité.

Au début du XXe siècle, Malevitch, Kandinsky, Mondrian, suivis par la cohorte des avant-garde, se sont rebellés contre les lois de la représentation figurative qui régnaient jusqu’alors sans partage sur le monde de la peinture. Ils ont ouvert la boîte de Pandore, et ils ont provoqué la chute des arts visuels dans l’enfer contemporain de l’art total, sans règles et sans limites. Mais à l’instar du prince des démons tel que l’avait imaginé John Milton dans Le paradis perdu, beaucoup d’artistes d’aujourd’hui préfèrent « régner dans l’Enfer que servir dans le Ciel ». Milton fait encore dire à Satan : « [En Enfer] du moins nous seront libres. Le Tout-Puissant n’a pas bâti ce lieu pour nous l’envier ; il ne voudra pas nous en chasser. Ici nous pourront régner en sûreté ; et, à mon avis, régner est digne d’ambition même en Enfer. »

L’enfer est-il forcément le prix de la liberté, en art comme ailleurs ? Si c’est le cas, l’avenir de l’humanité est très sombre. Mais gageons que si la liberté peut se conquérir par l’orgueil – qui mena Lucifer en Enfer, et qui préside à tous les aveuglements, elle peut aussi se gagner par la raison, qui éclaire notre esprit et nous fait prendre conscience que toute vraie liberté demande de l’humilité parce qu’elle est relative : elle n’est pas toute puissance, mais partage…

J’ai voulu dans cette toile synchronistique, partager la puissance inchoative abstraite de Zao Wou-Ki (22.07.64, 1964, huile sur toile, 162 x 200 cm) avec l’élégance maniériste de trois figures angéliques, dérivées pour l’une d’un dessin représentant la chute des anges de Palma le Jeune, et pour les deux autres de la toile du Greco représentant le martyre de saint Maurice (Monastère San Lorenzo de l’Escorial).

mercredi, janvier 07, 2015

Je suis CHARLIE


Ce soir l’esprit français est en deuil…
Vive Charlie Hebdo ! Mort aux cons !

Après l’attaque de Charlie Hebdo et la mort de Cabu, Wolinski, Tignous, Charb, Maris, et Philippe Honoré, l’esprit français a été meurtri dans ce qu’il a de plus joyeux, irrévérencieux, talentueux, et libertaire.

Nous pleurons tous maintenant ceux qui nous ont offert tant de franches rigolades. La figure noire de la haine et de la bêtise, incarnée à travers le monde par l’Islam radical, a gangrené une partie de la jeunesse de nos banlieues et doit être combattue sur tous les fronts, sans état d’âme, et sans relâche. Il y va de la santé de nos démocraties, qui ne peuvent s’accommoder d’une menace fanatique, exercée par ceux qui conçoivent la vie comme une chape de plomb, le bonheur comme l’obéissance à une série d’interdits rituels plus stupides les uns que les autres, et le plaisir comme le viol et le massacre de ceux qui ne partagent pas leur folie sectaire.

Ce soir nous sommes tous affligés… et déterminés à continuer de porter haut le flambeau de l’humour et de l’art.

dimanche, décembre 21, 2014

Les saints ermites de Maerten de Vos


Saint Guthlac l'ermite, gravure de Johannes Sadeler d'après un dessin de Maerten de Vos, 1594
De la seconde moitié du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle (ce qui correspond à peu près à la période maniériste), Anvers est le centre incontesté de la production et de la diffusion des estampes faites à partir de gravures sur cuivre, lesquelles succèdent aux xylogravures et aux gravures sur fer.

Lors de la prise de la ville en 1585 par les troupes d'Alexandre Farnèse, le régent italien des Pays-Bas espagnols, certains artistes luthériens, comme la famille des Sadeler, graveurs renommés, ou des peintres comme les van Valckenborch, Hans Bol, Gillis van Coninxloo, quittent Anvers pour Munich, Francfort, Frankenthal, ou Cologne. Ils restent cependant en contact avec les Anversois et collaborent avec eux. D’ailleurs la majorité des artistes sont restés : la guilde de St Luc compte toujours entre mille et deux mille inscrits chaque année ; elle comprend notamment les membres de la chambre de rhétorique De Violieren (la Giroflée) dont la plupart était acquis aux idées protestantes – ils organisaient avec les peintres des concours de blasons, dans lesquels ils devaient résoudre et expliquer les énigmes emblématiques proposées par ces derniers. Les artistes travaillent aussi bien pour les commandes d’églises que pour la clientèle privée des protestants. Maerten de Vos est de ceux-là. Il avait beau être sympathisant des idées luthériennes, il n’en était pas moins ouvert à la commande catholique et rompu à son iconographie, aux scénographies et thèmes maniéristes de la contre-réforme, qu’il avait notamment étudié dans sa jeunesse en faisant le voyage d’Italie : il était passé par Rome et Venise, chez les peintres les plus prestigieux.

En réalité, Maerten de Vos semble avoir adhéré à une philosophie ésotérique qui transcendait les clivages religieux ; il appartenait au groupe Familia charitatis, proche des Roses-Croix, qui avait émergé à Anvers au milieu du XVIe siècle, et qui diffusait ses idées dans différents pays européens notamment à travers les gravures, qui transmettaient la symbolique associée à sa philosophie. Ces gravures sortaient de l’atelier de Christophe Plantin, sous l’enseigne Au Compas d’Or, maison prestigieuse qui se maintint dans la ville flamande jusqu’au milieu du XIXe siècle, et essaima plusieurs succursales, en particulier à Paris. Plantin, qui était un membre éminent de Familia charitas, a formé notamment Johan Sadeler, qui lui-même a beaucoup travaillé dans les années 1580-1590 avec Maerten de Vos.

Pour comprendre cette particularité des Pays-Bas et de leurs artistes, opposés à la brutalité qu’induisent les guerres de religion, il faut revenir en arrière, au XVe siècle, quand, sous la houlette de Johannes Busch, les chanoines de Windesheim diffusent la « devotio moderna », courant de spiritualité remontant à Gérard Groote (1340-1384), de Deventer. Cette dévotion moderne se répandit vite dans l’Europe chrétienne touchée par le souffle humaniste. Dans ce nouveau courant de pensée religieuse, qui infiltrait catholiques et protestants, le fidèle, en quête de nouvelles formes de religiosité moins formelles et plus intérieures, se mettait à chercher le salut dans une foi plus intense et plus personnelle. De nouveaux manuels de piété furent publiés pour guider les fidèles et leur permettre d’établir une relation intime avec le divin. Cette spiritualité a conduit au retour d’une vision affective de la vie chrétienne, dans laquelle la solitude et la contemplation étaient à l’honneur.

D’où la recrudescence d’intérêt pour l’érémitisme. Ainsi, toujours aux Pays-Bas, Denys le Chartreux avait écrit vers le milieu du XVe s. deux ouvrages faisant l’éloge de la vie solitaire : La vie et la fin du solitaire (1445), et Eloge de la vie en solitude (1455) ; voici un passage du premier :

« Pourquoi, d’ailleurs, m’attarder davantage, alors que ceux qui ont professé cette vie [solitaire] sont si nombreux et si grands qu’on ne peut les décrire dignement et parfaitement. Les saints Pères se présentent à la mémoire : les deux Paul, Antoine, les deux Macaire, Arsène, Hilarion, Pambo, Bessarion, Pasteur, Sérapion, Abraham et Moïse qui n’étaient pas inférieurs aux Hébreux portant le même nom, Sisois, Motois, Agathon, Paphnuce, d’autres encore, sans nombre, parmi lesquels Mutius et Apollonius. La langue humaine est incapable de faire leur éloge. Leur vie, et celle d’autres qui leur ressemblaient, leur solitude, leurs vertus, leur vieillesse, tout cela a été raconté par des auteurs célèbres comme Jérôme, Palladius, Cassien, Grégoire. De plus, la bienheureuse solitude n’a-t-elle pas reçu l’ornement du sexe féminin ? Ne remarque-t-on pas chez les femmes ce que peut la solitude ? Les femmes remarquables que l’on peut citer montrent qu’elles ont soutenu et illustré la solitude, et cela d’autant plus fortement que leur sexe est faible et leur sensibilité plus influençable. La façon dont la cellule, de très viles qu’elles étaient, les a rendu très pures, cela éclate particulièrement en elles, si je les contemple comme il convient. Comment pourrais-je parler comme elles le méritent de ces courtisanes bienheureuses, mais repenties véritablement et efficacement, Pélagie, Théodora, Marie l’Egyptienne, Thaïs, convertie par Paphnuce, et Marie, la parente de l’ermite Abraham ? Comme elles sont placées ailleurs en pleine lumière, je les laisse de côté. Si nous regardons avec attention, nous verrons vraiment que, comme le dit notre honoré père Guigues, la douceur des psalmodies, l’étude des lectures, la ferveur des oraisons, la pointe de la contemplation, les extases des rapts, les ruisseaux de larmes, la connaissance vraie et pleine de soi-même, tout cela ne peut être favorisé que par la solitude. » (traduction Michel Lemoine et un chartreux, édition Beauchesne, 2004).

C’est peut-être pour cela que Maerten de Vos est amené à dessiner, pour les éditeurs et graveurs Johan Sadeler et son frère Raphaël, mais aussi pour Adriaen Collaert et pour Jan van Londerseel, plus d’une centaine de modèles à la plume, représentant chacun un ermite parmi ceux répertoriés dans les nombreuses vies de saints publiées aux XVe et XVIe s. (par exemple Vies des Saints, Duval, Paris, Chesneau, 1577, in-fol). La plupart de ces saints ermites, populaires à l'époque, sont aujourd’hui totalement oubliés.

Nous connaissons toutes les gravures issues des dessins de Maerten, publiées dans quatre recueils : « Trophaeum Vita Solitariae », « Solitudo Sive Vitae Partrum Eremicolarum », « Solitudo sive vitae Foeminarum Anachoritarum » et « Monumenta Anachoretarum (parfois dénommé Sylvae Sacrae) ». 
Voici ces gravures (elles ne sont pas données ici dans l'ordre des quatre recueils publiés):










Les recueils ont été repris au début du XVIIe s. et publiés à Paris par Thomas de Leu puis Jean Leclerc et Jacques Honervogt, et à Venise par Giovanni Merlo. Imprimées inversées par rapport aux estampes de Sadeler, ces gravures ont ensuite servi de modèles à de nombreux tableaux ; par exemple, onze peintures actuellement au Musée de l'Université de Puebla au Mexique, appelées Série des Bienheureux Anachorètes de Puebla, et un dans la Collection J. Francisco Ysita del Hoyo ; ou encore les neuf toiles et cinquante-sept panneaux du Cabinet des Pères du désert, dans le château Gaillard de Vannes.

Lorsqu’on regarde toutes ces figures imaginées par Maerten de Vos, la première chose qui frappe est leur air de famille : les personnages se ressemblent : ermites avec leur barbe blanche, leur chapelet à la ceinture, leur crucifix ou leur bâton de pèlerin ; leur froc à capuchon, leur tunique de bure, ou leur torse dénudé. Les attitudes aussi convergent en quelques catégories : l’attitude de prière, debout, assis, à genoux, ou même allongé au sol ; l’attitude d’étude ou de méditation, la plupart du temps assis devant un livre ouvert ; en mortification, avec une pierre ou un fouet à la main ; enfin quelques-uns au travail dans l’ermitage, ou en déplacement. Les décors aussi sont un peu toujours les mêmes : la grotte et la cabane, le paysage de forêt ou de montagne, avec au loin une ville, un temple, une église, ou une vaste étendue d’eau. L’habileté de Maeten de Vos à composer des images équilibrées avec ces quelques ingrédients typologiques est incontestable ; d’où certainement leur popularité et les nombreuses reprises – ou adaptations qui en ont été faites en peinture au XVIIe siècle.

Passée cette première impression de ressemblance et de redite entre toutes les compositions gravées par Sadeler, Collaert, et van Londerseel, il est intéressant de remarquer que si certaines paraissent sans grand intérêt parce que trop stéréotypées, d’autres offrent une scène plus personnalisée, et font véritablement référence à un moment particulier de l’histoire légendaire de l’ermite, ou à une anecdote qui permet de l’identifier et donne davantage prise à la créativité imaginative de Maerten de Vos.

Examinons deux d’entre elles : celle dédiée au célèbre saint Antoine (±251-356) ; et celle qui nous montre un ermite méconnu hors d’Angleterre, saint Guthlac de Croyland (673-714). Autant les représentations picturales de saint Antoine abondent depuis le Moyen-Âge jusqu’au XXe s., autant celles de Guthlac sont rares hormis le dessin qu’en a livré M. de Vos. Je ne connais pour ce saint que le cycle de 1210, illustrant sa vie, dans le Harleian Guthlac Roll, conservé à la British Library de Londres.

Toutes deux nous parlent de la résistance à la tentation, enjeu principal ayant poussé ces hommes au retrait du monde, et dur combat qu’ils ont eu à livrer contre les passions impures qui continuaient de les assaillir pendant leur retraite. La tradition rapporte que si le Christ fut tenté par le diable pendant quarante jours, saint Antoine dut lutter avec ses démons pendant quarante années.


Saint antoine, gravure de Johannes Sadeler d'après un dessin de Maerten de Vos, 1583-1588

Dessin original de M. de Vos pour Saint Guthlac l'ermite,  et gravure de Johannes Sadele
Saint Guthlac, issu de la famille royale de Mercie en Grande Bretagne, avait été un chef de guerre peu scrupuleux, se livrant à de nombreuses exactions. Frappé par la foi à vingt-quatre ans, il laissa ses armes et se fit moine. Peu après, il se retira sur une île déserte au fond des marais situés au sud-ouest de l’estuaire du Wash, sur la cote est de l’Angleterre. Il y mena une vie ascétique mais, comme saint Antoine, il fut tenté par des démons, qui lui parlaient dans la langue des anciens bretons (tribus qu’il avait eu à affronter quand il était militaire). Il aurait certainement succombé s’il ne s’était pas mis sous la protection du saint apôtre Barthélémy, qui lui envoya un ange pour l’assister.
C’est cette scène qu’a représentée Maerten de Vos. Curieusement les démons n’ont pas l’air bien méchant : ils s’inspirent des animaux composites plutôt comiques de Bosch et de Bruegel ; l’accent est mis sur la déférence de Guthlac devant l’ange ; point de combat contre les démons comme on en voit souvent dans les tentations de saint Antoine ; les créatures bizarres censées venir de l’enfer, ne sont finalement là que comme les « attributs » symboliques attachés à Guthlac.

Le dessin original de M. de Vos, par rapport auquel la gravure est inversée, ce qui est normal, nous montre la sûreté du trait et de la composition, et l’impeccable précision des formes malgré la légèreté du dessin. D’ailleurs Sadeler, le graveur, qui apporte la précision des traits et le contraste des ombres, reste très fidèle au dessin.

Examinons à présent la gravure de saint Antoine : même constat que pour Guthlac, Antoine reste indifférent aux démons qui cherchent à capter son attention, et se concentre sur son livre, face à un crucifix. Deux des créatures maléfiques, derrière lui, sont de curieuses chimères, en particulier celle de droite qui à un corps de lévrier, une tête en forme de spatule, une queue en tire-bouchon (allusion au cochon de st Antoine ?) et des pattes d’aigle. La diablesse ailée et dénudée sur le côté, qui tient un miroir et une queue de paon – attributs de la séduction et de la vanité, est une allusion directe aux plaisirs de la chair.
Dans une autre composition de Maerten représentant la tentation de saint Antoine, gravée par Joan Baptista Vrients, on voit aussi l’association entre les démons bruegeliens et une créature féminine poitrine nue, tenant cette fois un hanap et un sac d’or, symbolisant la séduction des plaisirs terrestres (ivresse, lubricité, appât du gain). Là encore, le saint ne semble pas avoir trop de difficulté à ignorer les tentations envoyées par le diable.


Si l’on compare le programme iconographique de ces gravures avec celui des représentations de saint Antoine peintes sur les retables, notamment le retable de la cathédrale d’Anvers dû à M. de Vos (conservé au Royal Museum of Fine Arts d’Anvers) on est frappé par la différence : Sur la grande peinture du retable, l’artiste nous met en face d’une sorte d’épopée où sont représentées sur le même panneau l’enterrement de saint Paul en bas, la tentation de saint Antoine dans le ciel, et à l’arrière-plan, plusieurs épisodes des rencontres de Paul et Antoine. La scène de tentation nous montre le combat dramatique et délirant que livre le saint avec des démons grimaçants qui l’agrippent et l’entraînent dans les airs, le menaçant avec toutes sortes d’ustensiles. On est là dans la continuité des tentations fantasmagoriques imaginées par Bosch, Schongauer, ou Grünewald.
M. de Vos, Tentation de st Antoine et enterrement de st Paul, retable de la cathédrale d’Anvers, conservé au Royal Museum of Fine Arts d’Anvers

Les gravures sont dans un tout autre registre : ce sont de simples images pieuses. Si «l 'originalité est un des critères généralement retenus pour décider de la valeur artistique d'une œuvre, […] les images cultuelles – et plus particulièrement l'imagerie imprimée – ne s'en soucient nullement. Au contraire : plus l'estampe se conforme à un type iconographique traditionnel et plus elle a des chances d'être considérée comme une image sainte. » (Marlène Albert-Llorca, L'image à sa place, Approche de l'imagerie religieuse imprimée, in revue Terrains, mars 1992). Donc, même si les gravures d’ermites de M. de Vos intègrent les conquêtes de la scénographie picturale de la Renaissance, comme le paysage et d’une manière générale le relatif réalisme des scènes, qui témoignent du courant maniériste, elles n’en restent pas moins avant tout des images de dévotion dont le caractère emblématique surdétermine le traitement iconographique. Pour nous aujourd’hui, c’est peut-être cela qui leur confère ce charme un peu désuet.

dimanche, novembre 23, 2014

Retour de pêche synchronistique

Gilles Chambon, "Retour de la pêche, ou l'abondance", huile sur toile 54x73cm, 2014
 Le retour de la pêche est un thème récurrent de la peinture du XIXe siècle et du début du XXe ; on y voit généralement des voiliers qui rentrent au port, de préférence en Bretagne, et des matelots hâlés, souvent attendus par leurs femmes sur la grève. Mais ici, le retour de pêche devient très ambivalent : les deux jeunes pêcheuses sont très dénudées, et dans un environnement plutôt urbain, avec table et bouteille évoquant un bar… Leur panier de maquereaux serait-il alors une allusion à la prostitution ? Avec mon âme romantique, je préfère y voir simplement une allégorie de la prospérité et de l’abondance.

Les deux figures viennent pour l’une d’un tableau de Jean Souverbie, « Jeune femme avec un panier de poissons », et pour l’autre d’une peinture de Mario Sironi, « Nu avec arbre ». Le décor est  conçu à partir d’un assemblage de deux paysage urbains, également de Sironi, et d’une « nature morte avec moulin à café et bouteille », de Juan Gris.

mercredi, novembre 19, 2014

La Tour Triangle, un beau gâchis


Depuis plus de six ans des architectes, des ingénieurs, et des chargés de communication travaillent sur ce grandiose et symbolique projet pour la porte de Versailles à Paris, aux frais de la Chambre de Commerce de la Région Paris-Ile de France – c’est-à-dire aux frais du contribuable, et il semble qu’il ne verra finalement pas le jour.
La tour Triangle, à tort ou à raison, a cristallisé en elle les principaux affrontements idéologiques et culturels qui animent le débat autour de l’urbanisme du XXIe siècle. Tant d’erreurs ont été faites au XXe siècle, qu’il est permis de réfléchir un peu avant de prendre une position de principe.

Passons donc en revue les principaux arguments des pro-tour et des anti-tour :

Les pro-tour :
-    Les tours sont un progrès technologique et un symbole de modernité mis en œuvre dans toutes les grandes capitales mondiales, pourquoi Paris devrait-il y échapper ?
-    Les détracteurs de la tour triangle sont des passéistes, comme ceux de la tour Eiffel voilà plus d’un siècle – et l’histoire leur a donné tort.
-    La conception architecturale de la tour – due à Herzog & De Meuron, deux des plus grands noms actuels de l’architecture, permet de respecter les grandes perspectives urbaines du Paris haussmannien ; et l’environnement immédiat, souvent défectueux au pied des tours, est ici bien réfléchi.
-    À densité égale, la construction en hauteur permet de libérer de l’espace au sol pour les « espaces verts » et les équipements.

Les anti-tour :
-    Les tours c’est comme les centrales nucléaires : c’est dangereux (on l’a vu avec les twin towers) et ce n’est pas parce que c’est un progrès technologique qu’il faut en construire partout.
-    Paris est une exception, une ville unique dans le monde par la qualité et la préservation de son l’urbanisme haussmannien ; il faut le protéger contre toute volonté hâtive d’y libérer la création tous azimuts ; une tour triangle, ou tétraèdre, ou branculée de n’importe quelle façon, ne sied ni à Paris, ni à Venise, ni dans aucun des hauts lieux du patrimoine mondial.
-    La prise de conscience écologique condamne à terme les tours, très énergivores, au bilan carbone désastreux, et au coût d’entretien énorme. Comme les dinosaures, elles sont vouées à disparaître…
-    Les tours symbolisent en fait le mauvais côté de la mondialisation, à savoir celui de la toute puissance de l’argent.
-    Pourquoi construire des dizaines de milliers de m2 de bureaux alors qu’on sait que beaucoup de ceux qui sont à louer à Paris restent vides ou sont reconvertis en logements ?

En fait, les arguments de fonctionnalité et d’usage en faveur de la tour ne tiennent pas : il y a effectivement pléthore de bureaux à Paris, et suffisamment de friches urbaines pour créer des équipements et des jardins publics ou collectifs, sachant que la surface d’un espace vert est souvent inversement proportionnelle à la qualité de son aménagement. L’argument du verdict de l’histoire – avec pour exemple la tour Eiffel, ne tient pas non plus. Certes, la tour Eiffel est devenue le symbole incontournable de Paris, et personne aujourd’hui n’imaginerait s’en passer. Mais si les anti-tour avaient gagné et qu’elle n’avait pas été construite, non seulement personne ne la regretterait aujourd’hui, mais peut-être même que nous serions contents d’avoir échappé à une énième utopie comme les architectes et les ingénieurs en produisent des quantités à chaque siècle. Mais reconnaissons que si certaines de ces utopies, comme le plan Voisin, mettaient réellement en péril la cohérence de la ville, ni la tour Eiffel, ni la tour Triangle, n’ont à elles seules le pouvoir de détruire l’harmonie générale de Paris ; et tant que l’utopie réalisée reste un épiphénomène, une fantaisie limitée dans l’espace, on ne peut la rejeter sous prétexte qu’elle détruit le paysage urbain. 
Remarquons toutefois que si la tour Eiffel est réellement transparente et aérienne, ce n’est pas vraiment le cas de la tour Triangle ; gageons que si elle était construite, les courants d’air générés au pied d’une telle masse rendraient à coup sûr ses abords bien peu agréables. De plus la tour Eiffel n’a quasiment pas d’autre fonction que symbolique, et c’est pourquoi elle est restée unique. Mais ce n’est pas le cas de la tour Triangle, qui est plutôt destinée à constituer un précédent, et à ouvrir la porte à une ribambelle d’autres objets de grande hauteur lardant ce pauvre tissu haussmannien qui n’en pourra mais.

Alors on voit que la vraie question sous-jacente est : quels symboles notre temps doit-il inscrire dans l’espace de la capitale ? 
Ceux qui s’engouffrent dans la mode des tours, sous prétexte de vivre avec leur temps, ne font-ils pas la même erreur que les adolescents qui croient affirmer leur personnalité en arborant sur leur blouson une marque de vêtement chic ? L’intelligence nous pousse à écarter ces enfantillages, poussant chaque pays à rivaliser de prouesse architecturale avec ses voisins, du type : c’est moi qui est la plus haute, ou la plus belle, ou la plus chic…
Efforçons-nous de laisser une trace plus solide pour les générations futures. Le fait de résister à une mode n’est pas forcément se cramponner au passé. Ouvrons donc l’espace parisien aux véritables idées innovantes, approfondies, révolutionnaires… Et pas aux bâtiments gadgets, qu’ils soient triangulaires ou ogivaux, ou en chou-fleur, et même s’ils sont signés Herzog & De Meuron, Jean Nouvel, ou Frank Gehry. À moins qu’on considère que ce qui caractérise le mieux notre temps est justement la toute puissance du gadget et de l’argent, comme on peut le croire si l’on s’en remet à l’art contemporain, avec les chiens-jouets géants de Jeff Koons et le plug-sapin de Noël de Paul McCarty…

mardi, novembre 04, 2014

Bucéphale


Gilles Chambon, "Bucéphale", huile sur toile, 54x54cm, 2014

La légende raconte que le cheval d’Alexandre le Grand, nommé Bucéphale (ce qui pourrait se traduire par tête de bœuf), descendait des juments carnivores de Diomède, qu’Hercule avait ramenées au roi Eurysthée, puis apprivoisées.

La nature morte au crâne de taureau de Picasso (1939), et quelques chevaux peints sur les parois de Lascaux (il y a 17000 ans), m’ont donné prétexte à cette nouvelle fantaisie synchronistique. On devine aussi dans les motifs du fond de la composition, quelques fragments d’une autre oeuvre cubiste du maître espagnol : la nature morte à la bouteille de rhum (1911).

samedi, octobre 25, 2014

Les natures mortes post-cubistes d’Edgar Scauflaire


Edgar Scauflaire, Nature morte aux mandarines, huile sur panneau, 77x51cm, 1957, collection privée
Hors de la Belgique, peu de gens connaissent le peintre Liégeois Edgar Scauflaire (1893-1960). Il fut pourtant l’un des meilleurs représentants de la  peinture moderne de Wallonie, de 1920 aux années cinquante. Proche de certains peintres du mouvement de l’Art déco en France, comme du Novecento milanais, mélangeant modernité et classicisme, il peut être rapproché, en particulier pour les natures mortes, du Bordelais André Lhote et, dans une moindre mesure, de l’Italien Gino Severini. Quelques exemples permettront de comparer ces peintres.

Mais avant cela, situons rapidement le contexte. L’histoire artistique d’Edgar Scauflaire commence en 1917 : à la fois peintre et journaliste-poète, après avoir terminé ses études à l’Académie des Beaux Arts de Liège, il participe au groupe des « Hiboux » fondé par son collègue Luc Lafnet. Et pendant toute la décennie suivante, lui et ses amis peintres ou poètes liégeois ne vont cesser de créer de petits cercles artistiques, comme «le Cénacle», «L’Aspic» ou «La Caque» dans lesquels Scauflaire côtoie notamment Jeph Lambert, Auguste Mambour, et le jeune Georges Simenon  (il n’a que dix-sept ans lorsqu’il publie «Les ridicules», petite brochure où il lance quelques piques à Lafnet et Scauflaire). En 1923, c’est le groupe « Sélection », puis en 1926, le groupe « L’escalier » qui intègrent un nouveau venu, Robert Denoël, le futur éditeur âgé alors de 22 ans. Denoël se lie avec Scauflaire, écrit un article sur lui en 1923, lui commande son portrait, puis lui fait réaliser en 1925 le portrait de son ami le poète Mélot du Dy pour la couverture de son recueil de poèmes « Amours », qui paraîtra à la NRF en 1929. Peu de temps avant, en 1924, André Lhote, qui assurait la critique d’art à la NRF, avait aussi fait le portrait de Mélot du Dy pour la couverture de « Hommeries ».
Extrait du site Robert Denoël, éditeur (www.thyssens.com)

Donc Robert Denoël pourrait bien être celui qui a rapproché Scauflaire de Lhote. Le jeune éditeur quitte Liège pour s’établir à Paris à partir de 1926, mais garde des liens avec ses amis peintres wallons. On peut supposer qu’il les mit en contact avec ses nouvelles relations, parmi lesquelles André Lhote occupe une place importante, puisqu’il publiera, entre 1933 et 1943, quatre de ses livres sur la peinture : « La peinture – le cœur et l’esprit », 1933 ; « Parlons peinture », 1936 ; « Peinture d’abord », 1942 ; « Petits itinéraires à l’usage des artistes », 1943.
Ajoutons à cela qu’Edgar Scauflaire, s’il est resté toute sa vie à Liège, n’en a pas moins voyagé à travers l’Europe et le monde au fil de ses commandes et expositions. À côté des expositions personnelles dans les principales villes belges et à Paris, il a participé à la plupart des manifestations officielles de l'art belge à l'étranger. À la Biennale de Venise en 1924, 1938 et 1948, à la Biennale de Sao Paulo en 1951 et 1953, à la Biennale de Menton en 1953, au Salon des Tuileries en 1949, et à l'Exposition Universelle de Bruxelles en 1958. Nous n’avons cependant pas trace d’un contact direct avec André Lhote, mais il est très probable qu’ils se sont souvent croisés. Et comme Edgar Scauflaire enseignait aussi, les écrits de Lhote sur la peinture lui étaient familiers, comme en a témoigné Auguste Francotte (un de ses disciples - voir Edgar Scauflaire, peintre-poète, D. Quirin et L. Maraite, 1994, p. 111).

La plupart des natures mortes post-cubistes de Scauflaire ont été exécutées entre 1942 et 1957. On a dit qu’elles reflétaient l’influence de Georges Braque, mais il paraît en fait plus proche des post-cubistes issus de « La section d’or » (groupe constitué à Puteaux en 1911 chez Jacques Villon, par opposition à Braque et Picasso établis à Montmartre), comme Louis Marcoussis et surtout, bien sûr, André Lhote ; ils développeront comme lui une conception décorative et harmonique, les rapprochant parfois un peu de Matisse.

Les quelques exemples ci-après montrent la parenté évidente entre Scauflaire et Lhote, même si ce dernier a généralement une palette un peu plus contrastée et un tracé plus nerveux.





Pour d’autres sujets, comme le « Marin et la Martiniquaise » que Lhote a peint en 1920 et repris en 1930, il semble qu’Edgar Scauflaire s’en soit directement inspiré.

On trouve également certaines similitudes de compositions dans leurs nus :

À gauche, "Nu aux oranges" (étude de Scauflaire non datée); à droite, "Femme nue allongée" de Lhote, 1930


Regardons maintenant un autre artiste dont les natures mortes post-cubistes ont aussi un air de famille avec celle d’Edgar Scauflaire. Il s’agit du peintre italien Gino Severini (1883-1966), qui a appartenu successivement au mouvement futuriste et au mouvement Novecento milanese, pour revenir au cubisme et finir par ouvrir une école d’art à Paris, en 1956. La plupart de ses natures mortes post-cubistes datent de la même période (années 40-50) que celles de Scauflaire. Comme lui, il semble influencé par la Section d’or : il écrit en 1921 un ouvrage intitulé « Du cubisme au classicisme – Esthétique du compas et du nombre », qui montre les mêmes préoccupations mathématiques que celles de la Section d’or, dont le théoricien était en l’occurrence André Lhote. Il est à noter aussi que Gino Severini était ami avec l’architecte Auguste Perret, qui lui-même avait fréquenté le groupe de Puteaux.

Voici quatre natures mortes (deux de Scauflaire, deux de Severini), qui montrent bien la ressemblance des types de compositions, du dynamisme géométrique lignes/aplats, de la manière de juxtaposer des objets géométriques (cruche ou bols) et des trames décoratives, enfin de l’utilisation des couleurs complémentaire et de la simplification des contrastes.

On pourrait, j’imagine, leur associer bien d’autres artistes encore, car ils furent nombreux dans toute l’Europe à explorer les possibilités plastiques infinies ouvertes à la nature morte par Braque, Picasso, Gris, et Matisse. Edgar Scaufflaire, que l’on surnommait en Belgique le peintre-poète, me semble mériter cependant une attention particulière, tant pour la simplicité raffinée de ses compositions, que pour leur équilibre, et pour la subtilité harmonieuse de sa palette chromatique.
Autoportraits des trois artistes : à gauche Ed. Scauflaire (détail), au centre A. Lhote, à droite G. Severini (détail)

dimanche, octobre 19, 2014

La clairvoyance du cyclope

Gilles Chambon, La clairvoyance du cyclope, huile sur toile, 60x73cm, 2014


Cette peinture fait l’hypothèse que la vision cubiste est une vison prémonitoire. Un jour (peut-être) l’holoproencéphalie sera maîtrisée et apparaîtront des cyclopes post-humains. Ceux-ci pourront voir le monde au travers de leur œil unique et cybernétique ; ils capteront en une seule image, assez semblable aux toiles de Braque ou Picasso, les multiples facettes de la réalité invisible.

Il s’agit bien sûr encore d’une oeuvre synchronistique, faisant appel à un tableau de Georges Braque (« Les usines du Rio-Tinto à l'Estaque », 1910, Centre Pompidou), à la fragmentation d’une fresque de Simone Martini (« Prise de la Rocca de Montemassi par Guidoriccio da Fogliano », 1328 Palais Public de Sienne), et à une peinture de Giogio de Chirico (« Le Vaticinateur », 1915, MoMA, New York).

vendredi, septembre 12, 2014

Une transposition synchronistique de la Cène de Léonard de Vinci


Gilles Chambon, "Cent titres", huile sur toile, 200 x 77 cm, 2014
Cinq cent seize ans après la fascinante, géniale, et mystérieuse Cène du réfectoire de Santa Maria delle Grazie, qui faisait 8m de long, et treize ans après l’infecte dévoiement qu’en a fait le Chinois Zeng Fanzhi, qui fait 4m de long et qui s’est vendue 23,8 millions de dollars (jusqu’où peut allez la bêtise et le mauvais goût des milliardaires ?), j’en propose une version synchronistique de seulement 2m de long, mais qui tente de montrer que l’art contemporain n’est pas forcément laid et idiot.

Ne dérogeant pas aux règles de la démarche synchronistique, mon tableau fait converger des œuvres qui normalement n’auraient pas du se rencontrer : les apôtres de « la cène » de Léonard de Vinci (tels qu’il ont été notamment transmis par la copie de Giampietrino) ; une adaptation du célèbre « Guernica » de Picasso ; le paysage créé par Giorgio de Chirico dans « la lassitude de l’infini », inversé et redimensionné pour rappeler la perspective géométrique et l’éclairage de la peinture de Léonard ; et enfin la photo qu’a fait Halsman de l’installation humaine « in voluptas mors », tête de mort – vivante – réalisée par Dali avec sept corps de femmes.

De ces rapprochements insolites naît une symphonie plastique nouvelle, et une multitude de significations : d’où l’intitulé « cent titres ». En effet, contrairement aux nombreuses œuvres d’art moderne ou contemporain baptisées « sans titre », le plus souvent par défaut de signification, la mienne affiche glorieusement un excès de significations (c’est aussi un clin d’œil à « La femme 100 têtes », recueil de collages qu’avait élaboré Max Ernst, ce grand précurseur de l’art synchronistique).

Les cent titres possibles du tableau sont inscrits sur la nappe à la place des broderies qu’avait tracées Léonard de Vinci. Le format de la photo présentée dans cet article ne permettant pas de les lire, les voici in extenso, tels qu’ils sont écrits de gauche à droite :

Cène synchronistique
Le rire glacé de Dieu
L’infinie lassitude de la foi
Enfin la fin de l’infini
In voluptas mors
La complexité du monde
La simplicité du monde
Messe dite à Guernica
L’angoisse du dénouement
Le mystère de l’eucharistie
La disparition du corpus christi
Les douze mouvements de l’âme
Les sept vierges de la vie éternelle
Le gâteau d’anniversaire de Dieu
Le train de la relativité
Plus vite que la lumière
La vanité de Dieu

La conjuration de Jérusalem
Ceci est notre destin
Gauche et Droite face à la Sainte trahison
Le monde séparé en deux par la lumière divine
Apothéose de la synchronicité
Parabole de l’Amour infernal
Ceci n’est pas une cène
Hommage à Vinci, Chirico, Picasso, Dali et Halsman
L’œuf-surprise
Sous l’ampoule électrique de Satan
Une mort peut en cacher mille autres
Spectrographie de l’instant T-1
Le cadavre exquis annonce une mort voluptueuse
La disparition de l’éternité
L’éternelle disparition
La cuisine érotique de Dieu

La crise de foi
Jésus a fui en train avec le saint esprit
La mort mimant les sept péchés capiteux
Rêve provoqué par une indigestion eucharistique
La treizième porte
Le vrai visage de la compassion universelle
Le bon côté des choses
Le mauvais côté des choses
Les facéties du Christ
La révélation insolite
L’invitation impromptue
Le théorème des catastrophes
La Sainte pulsion de mort
La vie spirituelle est aussi une maladie mortelle
Les derniers sarcasmes
La stupéfiante énergie du vide théologique

La mort annoncée des bons sentiments
Explosion inopinée de la foi
Vision miraculeuse du crâne de st Jean-Baptiste
Le vrai combat de l’ombre et de la lumière
Veni, vidi, Vinci
Les Douze
Les vapeurs méphitiques de l’Esprit Saint
La foi engendre des monstres
Les apôtres admirant l’oeuvre diabolique de Dieu
La découverte fortuite de l’inconscient
La multiplication des corpuscules érotiques
La mort mise en cène
La grande controverse sur Eros et Thanatos
L'ombre persistante du désir
Jeu de massacre
Nul n'est irremplaçable
La Sainte confusion des pulsions

Où sont passés Jésus et Marie-Madeleine ?
Les apôtres scandalisés par la vérité nue
Les apôtres de la surréalité
Les délices de la mort charnelle
Les charmes de l’au-delà
Prémonition du Golgotha
La dernière glissade du Saint Esprit
La terrible lucidité de Judas
À quoi rêvent les apôtres
L’énigme de la métempsychose
La tentation du martyre
Le dernier mirage
Le corpuscule des dieux
L’histoire sainte racontée aux sourds-muets
Erotisme de la transsubstantiation
L’ambivalence de la vie éternelle
Il n’y en aura pas pour tout le monde

La mariée mise à nu par 12 célibataires, même
Dîner de cons
Le mauvais endroit au mauvais moment
Le triomphe de la mort tentatrice
La vie mouvementée des saints
Mieux vaut avatar que jamais
Les fantômes du catholicisme
Dieu est 7 femmes ?
La mâchoire de Dieu
La synchronicité apostolique, paranoïaque, et critique
Pétition contre le LSD dans les hosties
À boire et à manger
L’odyssée JC-1
Dieu est une bombe à retardement
Métaphysique d’un instant d’éternité
La dragée haute
À la vie, à la mort !

lundi, août 25, 2014

Nouvelle exposition septembre 2014

Retour dans la capitale pour une exposition de groupe à la Galerie ART’ ET MISS, 14 rue Sainte Anastase 75003 PARIS, à partir du 3 septembre.

La thématique est centrée sur le rêve, naïf ou fantastique… L’occasion pour moi de présenter quelques peintures « synchronistiques » récentes, et quelques compositions oniriques représentatives de mon travail des années 2000.

Le vernissage a lieu le samedi 13 septembre en soirée. J’y serai ; venez nombreux….


jeudi, août 14, 2014

Découvrir ou redécouvrir le village de Saint Émilion

 
 
Habitant à quelques kilomètres de ce haut lieu de la viticulture, j’ai le privilège de pouvoir admirer la variété de ses paysages au fil des saisons… Pour ceux qui y viennent en visite seulement une journée ou deux par ans, voici de nouvelles petites toiles qui rendent compte de la richesse expressive du lieu. C’est un peu comme faire le portrait de quelqu’un : gai ou triste, serein ou mystérieux, de profil, de trois-quarts, ou de face, en pleine lumière ou en clair-obscur… La façon de rendre un paysage, comme celle de rendre un visage, offre des possibilités quasi infinies.

À voir à la Little Gallery