présentation des peintures synchronistiques

lundi, avril 28, 2014

L'appel des sirènes


Gilles Chambon, L'appel des sirènes, huile sur toile, 110x108cm, 2014
On dit que pour la composition des "Demoiselles d’Avignon", Picasso s’était inspiré du tableau de Greco du Metropolitan Museum of Art de New York (L’ouverture du cinquième sceau - voir ci-dessous, à gauche). Il était donc passé allègrement des personnages remplis d'effroi de l’Apocalypse, représentés de façon si peu conventionnelle par le Greco, aux péripatéticiennes de la rue d’Avignon, tout aussi peu conventionnelles.
Les personnages du Greco sont extraordinaires : ils frappent par leur puissance expressive et leur gestuelle un peu sauvage, avant même de servir à l’illustration de tel ou tel épisode des écrits testamentaires. Ils attirent donc les peintres, qui sont incités à s’en saisir pour les réutiliser, chacun à sa manière.

Les créatures du Greco constituent donc évidemment des morceaux de choix pour la peinture synchronistique. 
Transposés ici dans un décor cubiste copié du port normand peint par Braque en 1909 et conservé à l'Art Institute of Chicago (ci-dessous, à droite), le St Jean levant les bras au ciel et un groupe de trois personnages, tous issus de “L’ouverture du cinquième sceau” du Greco, sont associés à un St Pierre éploré ("Les larmes de St Pierre", Hôpital Tavera, Tolède).


Et voilà que surgit de la toile tout autre chose : le mythe grec des sirènes, avec ses trois créatures fatales dont le charme attire inexorablement les matelots imprudents qui passent à leur portée.

lundi, avril 14, 2014

Femme-apparition, ou le miroir brisé



La composition synchronistique ci-dessous utilise le visage du nu allongé de Modigliani conservé à Stuttgart (1917), une nature morte avec verre et journal, de 1916, par Juan Gris, et un petit tableau issu d’une série sur l’Atlantide que j’ai exécutée en 2000. 

Gilles Chambon, Femme-apparition, ou le miroir brisé, huile sur toile 64x47cm, 2014

Sous le regard impassible d’une énigmatique femme-apparition, notre civilisation millénaire, livrée aux coups de boutoir du présent, vole en mille morceaux, comme un miroir brisé.

mardi, avril 08, 2014

L'offrande


Gilles Chambon, L'offrande, huile sur toile 56x57cm, 2014
Rapprochement synchronistique entre l’ « Otahi » (solitaire) de Gauguin (1893), « l’usine à Horta », de Picasso (1909), et une élégante « nature morte avec buste », due au liégeois Scauflaire (vers 1945-50). 


 Rapprochement hasardeux de trois tempéraments artistiques que tout semblait écarter : Gauguin le mystique sauvage, Picasso l’expérimentateur malicieux, Scauflaire le poète rêveur. Et pourtant cette réconciliation picturale s’est effectuée ici presque naturellement, dans une synthèse figurative évoquant quelque énigmatique cérémonie : l’usine devient temple, la vahiné boudeuse se transforme en prêtresse, et la nature morte apparaît comme l’offrande au dieu éphèbe.

samedi, avril 05, 2014

La Kabylie vue par Marius de Buzon

Marius de Buzon, Vallée de la Soumam, huile sur panneau, 31x35 cm

Marius de Buzon, (Bayon-sur-Gironde 1879 – Alger 1958) est l’un des principaux peintres de ce que l’historienne Elisabeth Cazenave a appelé l’École d’Alger. Dès avant la première guerre mondiale, il avait été lauréat de la villa Abd-el-Tif et s’était donc rendu en Algérie, en 1913. Mobilisé en 1914, il part d’abord sur le front de Macédoine, puis est affecté en 1915 en Kabylie où il reste plus d’un an, dans la région de Michelet (Ain el Hammam) et de Fort-National (Larbaâ Nath Irathen). Il parcourt alors toute la Kabylie et prend de nombreux croquis : "je découvrais des êtres, expliqua t-il ensuite, la végétation, l'atmosphère et le reste, afin de parvenir, par la magie de l'émotion, à transférer la couleur en matière vivante" (Marius de Buzon cité dans "L'Afrique du Nord Illustrée", Félix Gros, Noël 1928, page 8). Après la guerre, il reste à Alger où il est professeur de dessin dans les lycées et collèges. Il sera par la suite nommé président du comité de patronage de la villa Abd-el-Tif, après avoir obtenu pour ses œuvres de nombreux prix et médailles au début des années 1920. En 1924-25, il réalise pour l’exposition des Arts Décoratifs de Paris une toile de 3m sur 8m représentant une synthèse allégorique des échanges de Bordeaux avec le Maghreb, l'Afrique Noire, et les îles lointaines, comme l’Océanie (cette toile est aujourd’hui visible au musée d’Aquitaine à Bordeaux).

Marius de Buzon est en général étiqueté comme peintre orientaliste, mais il est davantage un peintre ethnographe, attaché à restituer dans ses tableaux la vérité des coutumes, de l’architecture, et des paysages ruraux maghrébins ; particulièrement ceux de la Kabylie qu’il connaît si bien et qu’il a particulièrement aimés. Quelques-unes de ses plus grandes toiles sont pourtant des sortes d’allégories, « instrumentalisant » la ruralité de l’Afrique du Nord, en lui conférant d’ailleurs une dimension symbolique plus proche de la sensibilité Nabi que du romantisme exotique caractérisant généralement l’orientalisme (exemple de la « bucolique kabyle » du musée des Beaux-Arts de Bordeaux, qui rappelle Maurice Denis). Mais la plupart de ses œuvres sont des restitutions directes des ambiances croquées sur le terrain.

Marius de Buzon, La bucolique kabyle, 112x186 cm, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux

Pour la Kabylie, il a laissé un grand nombre de petites peintures à l’huile de format compris entre 20x30cm et 30x40, faites sur panneaux légers (contreplaqué ou carton), faciles à transporter et à poser sur les genoux ou fixer sur un chevalet sommaire. Elles ont, semble-t-il, pour la plupart, été exécutées sur le motif, ce qui leur donne cette vérité, cette énergie, et cette richesse des lumières et des couleurs ; donc tout l’opposé de l’orientalisme qui habituellement reconstruit en atelier des images stéréotypées et formatées au goût exotique des occidentaux.

Ces petites peintures sont aujourd’hui très dispersées chez les collectionneurs privés, surtout depuis la vente à Marseille en mars 2012, des restes de son atelier. Il a évidemment aussi réalisé de nombreuses toiles de format intermédiaire, compris entre 50cm et 110cm. Les deux exemples ci-dessous montrent chaque fois deux versions très proches du même paysage, dont l’une a probablement été exécutée sur place – la seconde, copiée, gardant cependant l’esprit « esquisse ».
M. de Buzon,  vue des collines de Kabylie, huiles sur panneaux
M. de Buzon, vue du sommet des collines, huiles sur panneaux


L’une de ses peintures de Kabylie servit à graver un timbre poste, en 1955, soit trois ans avant sa mort. Marius de Buzon posa devant sa toile pour la promotion du timbre :





Voici quelques photos de ses petits tableaux de Kabylie, récoltées sur Internet, pour l’essentiel exécutés entre 1921 et 1945. Ils sont un émouvant témoignage de la beauté des paysages de cette région, et de l’amour que de Buzon leur portait. On y découvre son remarquable sens plastique, la sûreté de ses cadrages, la prestesse de sa touche, l’harmonie suave et la justesse de sa palette, attentive aux ocres de la terre, glissant parfois vers des gris pourprés, ou vers des beiges mordorés suggérant l'herbe brûlée par le soleil; prompte aussi à restituer de façon limpide et simple les frondaisons et les branchages, le vert profond des feuillages et le gris des écorces qui se marient avec le bleu de l'air. Enfin on ne peut qu'admirer son art consommé de restituer les effets de lumière et d’ombre sur les djebels lointains, avec un degré de subtilité des nuances et des contrastes rarement atteints par les autres peintres; avec aussi une fidélité qui frappe d'emblée tous ceux qui connaissent ces régions d'Algérie.

Marius de Buzon, diverses scènes de la vie rurale en Kabylie, huiles sur toiles et panneaux

M. de Buzon, villages de Kabylie, huiles sur toile ou panneaux


M. de Buzon, villages de Kabylie, huiles sur toile ou panneaux
 

M. de Buzon, paysages de Kabylie, huiles sur toile ou panneaux
Marius de Buzon, Kabylie, 1916, huile sur carton toilé, 41x26cm, collection privée
(Mise à Jour mars 2018) : quatre ans après ce petit paysage de Kabylie, M. de Buzon a composé une toile plus grande avec des personnages, en réutilisant le même décor naturel :
Marius de Buzon, Le repos autour d'un puits en Kabylie, 1920, hst 65x92cm, vente d'atelier R&C, Paris, mars 2018

M. de Buzon, paysages de Kabylie, huiles sur toile ou panneaux

M. de Buzon, paysages de Kabylie, huiles sur toile ou panneaux

M. de Buzon, paysages de Kabylie, huiles sur toile ou panneaux


M. de Buzon, diverses scènes kabyles, en bas à droite, le fort de Bougie - huiles sur toile ou panneaux

mercredi, avril 02, 2014

Peintures synchronistiques au SM’ART 2014, Salon d’Art Contemporain d’Aix-en-Provence

Du 1er au 5 mai 2014, sur 1,2 ha du parc Jourdan à Aix-en-Provence, sous les ombrages, le 9eme Salon d’Art Contemporain accueillera 200 artistes plasticiens, peintres, sculpteurs, photographes, vidéastes, graveurs, designers confirmés ou émergents, et 12 galeristes ; innovation, diversité artistique, qualité et pertinence du travail ont été privilégiés par les organisateurs.

J’y tiendrai personnellement un stand de 18m2 où je présenterai diverses facettes de mon travail pictural ; l’accent sera mis sur ce que j’ai appelé récemment la peinture synchronistique, et dont j’ai montré les premiers exemples sur ce blog. J’organise le samedi 3 à partir de 18h un vernissage sur mon stand, où tous les amateurs sont conviés.

Infos pratiques :

Le Sm’art du 1er au 5 Mai 2014 – Parc Jourdan Aix en Provence - Rue Anatole France 13100 Aix-en-Provence www.salonsmart-aix.com - smartaix@wanadoo.fr

· Jeudi 1er Mai de 10h-22h

· Vendredi 2 mai de 10h-22h

· Samedi 3 Mai de 10h à 20h

· Dimanche 4 Mai de 10h à 20h

· Lundi 5 Mai de 10h à 18h

Me contacter par email pour plus d’informations sur les œuvres exposées.

dimanche, mars 23, 2014

Olympia à la pastèque

Gilles Chambon, Olympia à la pastèque, huile sur toile 63x55 cm, 2014
 
Dans ce nouveau tableau synchronistique, convergent la première « moderne Olympia » de Cézanne (1870), et la première nature morte postcubiste de Dali (1924). Ces deux oeuvres, caractéristiques de la modernité, peuvent symboliser la renaissance de la peinture figurative après que l’hiver académique ne l’eut figée.

Parallèlement, on peut lire la pastèque comme un symbole de fécondité, qui donne  donc métaphoriquement vie à la nature morte. Quant à Olympia, elle dérive d’un conte de Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, « L’homme au sable », où elle n’est autre qu’une poupée inanimée,  à laquelle le physicien Spalanzani, avec l’aide de l’alchimiste Coppelius, a donné la vie pour en faire sa fille. Ainsi Olympia apparaît comme une résurgence du mythe de Pygmalion et Galatée. Et en définitive, tout cela nous ramène au mystère de l’artiste démiurge, qui par l’alchimie de son art, tente de faire passer un souffle de vie dans chacune de ses créations.

mercredi, mars 19, 2014

Seize peintres figuratifs contemporains vivants dont l’œuvre me touche


Face au paradigme de l’art contemporain (Cf. le dernier livre passionnant de Nathalie Heinich sur le sujet), on peut observer, même si elle reste en retrait sur le marché officiel de l’art, la persistance chez les artistes d’aujourd’hui d’une pratique de la peinture sur support plat et généralement rectangulaire, et dont la visée esthétique ne fait aucun doute. Cette peinture, postmoderne ou postclassique, souffre évidemment d’un grand éparpillement, dû à un manque de doctrine, ainsi qu’à un certain désintérêt manifesté par la critique d’art qualifiée, qui a sans doute peur de se fourvoyer et préfère se rabattre sur les artistes de l’AC qui font le buzz dans les milieux branchés. Ajoutons à cela une démission des enseignants face à l’apprentissage des techniques dites traditionnelles, et une difficulté évidente pour cette peinture à sortir de l’idiosyncrasie et à porter un message audible, signifiant, en phase avec les préoccupations de la société contemporaine. Donc une peinture qui a du mal à exister et à trouver des débouchés, qui survit plutôt qu’elle ne développe, même si elle est produite en grande quantité, et par un grand nombre d’artistes.

Heureusement, quelques grandes figures ont su inscrire le travail postclassique/postmoderne dans le contexte et les problématiques spécifiquement contemporaines. Nous avons en France Ernest Pignon-Ernest, qui a fait sortir l’œuvre des limites de l’atelier et de la galerie pour la  confronter et l’adapter au paysage urbain et à sa mémoire, tout en gardant la puissance et la beauté d’un dessin postclassique.
Il est donc ici le premier d’une liste de seize artistes figuratifs vivants dont le travail me fait espérer un renouveau de la peinture et du dessin au XXIe siècle. Certains, comme lui, sont connus et reconnus, d’autres pas du tout. Car mon choix ne tient pas compte de la notoriété, et reste très subjectif. J’essaierai une autre fois d’expliquer ce qui a retenu chez chacun d’eux mon attention.
Je me contente aujourd’hui de montrer une œuvre de chaque artiste et de donner un lien renvoyant à son travail ou à sa biographie.

Ernest Pignon-Ernest































Mise à jour juin 2015:
Et un dix-septième
Earthstone Chu




Mise à jour octobre 2015:
Et une dix-huitième
Florence Dussuyer 



Mise à jour décembre 2015
Un dix-neuvième artiste
Grasky


Mise à jour juillet 2019
Un vingtième artiste
Igor Bitman


 

vendredi, mars 14, 2014

Pêche miraculeuse

Gilles Chambon, Pêche miraculeuse, huile sur toile 70x58cm, 2014

Cachée derrière « Le port, hiver, printemps 1909 » de Georges Braque (National Gallery of Art, Washington), où s’entrechoquent les barques (qui sont d’ailleurs une anagramme de Braque), j’ai décelé une pêche miraculeuse. 
Il fallait pour cela jeter le filet synchronistique du côté d'un paysage précubiste de Giotto, et d'une fresque médiévale entrevue dans la basilique Sant’Angelo in Formis de Capoue… et il fallait pour finir, ressusciter un extatique christ de Tintoret.

lundi, février 24, 2014

La fin d’un rêve

Gilles Chambon, "La fin d'un rêve", huile sur toile 50 x 62 cm, 2014

En composant  « La fin d’un rêve », j’ai pensé à deux romans d’Arturo Perez-Reverte :

-    « Le tableau du Maître flamand », où il est question d’une partie d’échec représentée sur une peinture de Van Huys, énigmatique maître flamand du XVe siècle : pour qui sait décrypter cette peinture, elle contient la clef du meurtre commis sur la personne d’un des deux joueurs, le chevalier/cavalier, ami de Van Huys…

-    l’autre roman, « Le peintre de batailles », raconte l’histoire d’un photographe de guerre reconverti dans la peinture, et qui cherche à retrouver dans l’espace pictural d’une vaste fresque synthétisant toutes les batailles, une sorte de topologie de la mort, que ses photos de guerre lui avaient peu à peu révélée.

Dans un cas comme dans l’autre, l’espace de représentation devient une équation complexe dont la morphologie, comme dans la théorie de catastrophes de René Thom, décrit brusquement une rupture de symétrie, un basculement. Subitement, ce qui était insignifiant devient primordial.
La synchronicité de Jung est du même ordre : sans cause logique, une configuration banale prend soudainement un sens universel et s’impose à l’esprit.

C’est ce type de configuration que cherche à recréer la peinture synchronistique.

Sur mon tableau, la mystérieuse chute du cavalier, empruntée à une peinture de bataille d’Antonio Tempesta (1612), elle-même reprise d’un dessin d’Otto Van Veen, semble due à une brisure de l’espace et du temps provoquée par la violente collision entre « L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi » (1912) de Giorgio de Chirico, et la « Nature morte à l’échiquier » (1915), de Juan Gris. Au même moment, la première guerre mondiale créait, dans l’espace réel cette fois, une terrible fêlure où s’engouffrèrent dix neuf millions de morts.

mercredi, février 19, 2014

Peindre à rebours, peindre à côté, peindre avec : plaidoyer pour une peinture synchronistique

Gilles Chambon, "Les dés sont jetés", huile sur toile 54 x 61cm, 2014

Cette année, je travaille à rebours : d’abord je retourne les toiles et peins le côté écru, non préparé. Le support fait alors buvard : il boit la peinture avec beaucoup d’avidité, et les pigments prennent cette tonalité rude et matte qui exclut toute transparence. Les blancs ajoutés sont de vrais blancs épais et intenses, et les couleurs, qui ne se mélangent plus à la clarté du fond, prennent aussi davantage de force matérielle.  Les traits de limites entre les surfaces sont absorbés par le grain de la toile et donnent au rendu des formes une sorte d’imprécision, comme une petite vibration un peu floue.

Mais là n’est pas l’essentiel : je travaille aussi à rebours de ma manière figurative habituelle, en faisant retour vers l’éclatement et la fragmentation propres à l’espace cubiste, que je confronte – ou mélange ? – à l’expressivité irréelle de certaines figures « extatiques » de la peinture occidentale.

Ce n’est pas par pur caprice d’artiste.

Je tente en fait de développer un nouvel espace pictural, apte à associer la logique esthétique et la poésie distanciées du réel, propres au cubisme, avec la prégnance de figures hypersuggestives, propres la tradition picturale occidentale de Giotto à Van Gogh, en passant par Léonard, Caravage, Rembrandt, Goya, et tant d’autres. 
En diffractant les figures pour respecter leur doctrine, les cubistes les avaient en effet rendues oniriquement et sentimentalement inactives, comme un vaccin rend inactif le principe infectieux qu’il utilise. 

Mon hypothèse est que la fusion, le maillage d’un espace cubiste avec les figures dramatiques de la grande peinture classique peuvent recréer une association musicalité / théâtralité, comparable à celle que produisent l’opéra et la comédie musicale dans le domaine du spectacle.

Dans la grande dissertation moderne de la peinture, après la thèse réaliste qui explora successivement toutes les nuances du monde visible, jusqu’à la surréalité, et son antithèse cubiste, qui découvrit les immenses ressources de la déconstruction figurative, poussant jusqu’à l’abstraction, il manquait une synthèse capable de réensemencer notre imaginaire pictural ramolli par un demi-siècle d’errance. N’étant sans doute pas assez créatif pour produire ex nihilo cette nouvelle peinture synthétisante, je vais m’aventurer dans une peinture plutôt "synchronistique" (rappelons-nous la "synchronicité" de C.G. Jung), puisqu’elle fait coexister en une association nouvelle et mystérieusement signifiante, des fragments ou des réminiscences d’œuvres du patrimoine, proche ou lointain. C’est donc en m’appuyant sur les béquilles que me prêtent les grands maîtres du passé que je peux avancer, et les tableaux produits sont aussi pour moi une façon de leur rendre hommage.

La peinture que je présente ici est née d’un mélange au départ improbable entre une « étude avec crâne » de Georges Braque, et le terrible tableau de Goya représentant les Moires : Clotho, qui tisse le fil de l’existence, Lachésis, qui le mesure, et Atropos, qui le coupe. Le point commun des deux œuvres réside seulement dans le fait qu’elles font l’une et l’autre référence à l’inexorabilité du destin.

Francisco Goya, Atropos, ou les Parques, transposé sur toile, 123x266 cm, Madrid, musée du Prado

Georges Braque, Studio avec crâne, huile sur toile 92 x 92 cm, 1938, Collection privée
C’est pourquoi j’ai intitulé ma toile « Les dés sont jetés ».
Ceux qui connaissent mon histoire récente trouveront peut-être aussi un sens à la petite figure qui orne le pot d’étain.

dimanche, février 09, 2014

La mathématique du plaisir


Gilles Chambon, "La mathématique du plaisir", 2014, huile sur toile 65 x 54 cm
La mathématique du plaisir... Pour certains, cette formule sonne sans doute comme un oxymoron. 
Mais sous des dehors arides, les mathématiques sont pleines de mystère et de ressources infinies, exactement comme le plaisir. Aussi j'ai cherché dans cette peinture à tracer une infaillible épure du plaisir, selon les lois paranoïaques-critiques découvertes par Dali.
Cette épure repose donc sur les données suivantes, que l'on peut considérer comme le sous-titre du tableau :

Etant donné :
a) La naissance de Vénus
b) Le grand roque
c) La géométrie hyperbolique du dollar
d) La parade nuptiale du Grebe
e) La localisation du point G

Pour aider le lecteur à y voir plus clair, voici deux strophes extraites d’un poème de Federico Garcia Lorca « Ode à Salvador Dali », dans une traduction de Paul Eluard

…/…
Un désir nous gagne, de formes, de limites.

Voici l’homme qui voit à l’aide d’un mètre jaune.

Venus est une blanche nature-morte.

Voici que les collectionneurs de papillons s’effacent.
…/…
Le courant du temps s’apaise et s’ordonne

Dans les formes numériques d’un siècle, et d’un autre siècle.

La Mort vaincue se réfugie en tremblant

Dans le cercle étroit de la minute présente.
…/…

samedi, janvier 25, 2014

Le retour des pêcheurs


Rodolphe Defontaine (1878-1962), Retour de pêche à Douarnenez, vers 1920, huile sur panneau, collection privée
On sait que le Romantisme a redécouvert, dans la première moitié du XIXe, une France profonde jusque-là ignorée, voire méprisée par les élites : celle des provinces, de leurs histoires oubliées, de leurs monuments médiévaux, de leurs paysages spécifiques, de leurs modes de vie et de leur traditions. Les voyages pittoresques de l’ancienne France de Taylor et Nodier ont beaucoup contribué à élaborer et diffuser ce regard à la fois nostalgique, rêveur, et attentif aux spécificités locales.

Cette glorification de la beauté mémorielle des provinces fait une large place au paysage rural, souvent représenté dans les lithographies avec un pathos inspiré par les peintures romantiques d’un Caspar Friedrich d'un Carl Joseph Vernet, ou d’un Eugène Isabey, surtout lorsqu’il s’agit des régions montagneuses ou des contrées maritimes. Ces dernières sont aussi explorées dans « La France Maritime » d’Amédée Gréhan (1837-1842). La Normandie et Bretagne sont particulièrement intéressantes dans leur représentation picturale : on y voit converger l’attrait pour le paysage maritime, et l’intérêt nouveau que l’on pourrait qualifier d’ethnographique porté sur la population des bourgs et villages de pêcheurs.

Rivages de Normandie, Lithographie extraite de "La France Maritime"
Eugène Isabey, Tempête et naufrage, huile sur toile

Joseph Vernet, Port au clair de lune, St Louis Art Museum, Missouri

William Turner, Pêcheurs en mer, 1796, Tate Gallery, Londres

Caspar Friedrich, Les trois états de l'homme, 1835, Musée de Beaux-Arts de Leipzig

Le paysage des rivages maritimes, dont la tradition principale vient des peintres de marines du XVIIe siècle aux Pays-bas, se prête parfaitement aux envolées romantiques faisant ressortir les aspects « sublimes » de la nature : contraste et réverbération des lumières, ciels chargés de nuages menaçants, effets de tempête, de couchés de soleil, ou de clairs de lune ; mais aussi rochers décharnés battus par les vagues, grèves désertes et désolées à marée base, falaises vertigineuses, etc…

Petrus van Schendel, Naufrage, vers 1840, Breda's Museum

Dans ces décors grandioses, l’attrait pour l’activité humaine vient parfois magnifier l’héroïsme - et c’est en particulier tous ces tableaux de naufrages – ou parfois, au contraire,  endiguer la violence potentielle des éléments naturels, en montrant ce petit peuple des pêcheurs, aux conditions de vie certes rudes, mais qui semblent avoir réussi à apprivoiser la sauvagerie des éléments.
Eugène Lepoittevin, La grève de Port-en-Bessin. Huile sur toile, 1832, musée de l'île Tatihou
Le retour des pêcheurs est un thème pictural de prédilection, qui traverse les époques, parce qu’il symbolise le cœur de cette activité maritime traditionnelle ancrée dans un paysage spécifique, et parce qu’il est le point de rencontre entre ces héros ordinaires qui bravent chaque jour la houle imprévisible, assujettis au rythme des marées, et ces petites communautés villageoises littorales dont toute la vie est réglée par la pêche. Au tout début du XVIIe siècle, quand le genre picturale de la "Marine" ne s'est pas encore autonomisé, l'univers des pêcheurs apparaît cependant dans l'illustration de l'épisode évangélique du prêche sur le lac de Tibériade, ou comme "pêche miraculeuse", en arrière plan d'une nature morte de poissons:

Abraham Willaerts, Jésus prêchant sur la rive du lac de Tibériade, première moitié du XVIIe s.
Marcus Ormea et Cornelis Claesz. van Wieringen, Pêche miraculeuse, vers 1625-30

Comme on le voit sur les quelques peintures que je propose ci-après à titre d’exemple, la représentation du « retour des pêcheurs » s’adapte à tous les styles, du « Classicisme topographique » le l’âge d’or néerlandais au fauvisme, en passant par le romantisme, le naturalisme, et l’impressionnisme. (On peut aussi suivre cette évolution à travers les représentations de la plage et du port de Scheveningen, près de La Haye, où sont passés beaucoup de grands peintres, dont Van Gogh ; voir ici et )

Hendrik Cornelisz. Vroom, La plage de Scheveningen, 1623, Gallery Rob Kattenburg, Bergen
Jean-Louis Demarne (attribué), Scène de plage avec pêcheurs, vers 1800, musée de l'île Tatihou

Alexandre Thomas Francia, Retour de pêche, avant 1850
James Clark Hook, Clovelly, retour du pêcheur, 1856, Harris & Art Gallery

Vincenot, Retour de pêche, huile sur bois, seconde moitié du XIXe siècle, collection privée

Eugène Boudin, Femmes de pêcheurs sur la plage, étude
Eugène Boudin, Berk, pêcheurs à marée basse
Claude Monet, Bateaux de pêche, 1883, Art Museum, Denver

Claude Monet, Halage d'un bateau à Honfleur, 1864, Memorial Gallery, University of Rochester, New York

Vincent Van Gogh, La plage de Scheveningen par gros temps, 1882, Van Gogh Museum, Amsterdam
Karl Daubigny,_Le retour des pêcheurs sur la plage de Villerville, 1882, Galerie Ary Jane
Fernand Marie Eugène Le Gout-Gérard (1856-1924), Retour de pêche, vente Trinité-sur-Mer, juillet 2013

Henri Moret (1856-1913), L'attente du retour des pêcheurs, vers 1894, Musée du Petit palais, Genève
Alfred Guillou (1844-1926), Le retour de pêcheurs, 32 x 45 cm, Galerie Doyen, Vannes

André Derain, Bateaux de pêche à Collioure, 1905, MoMA, New York