présentation des peintures synchronistiques

samedi, juillet 18, 2009

COSMICITÉ / ACOSMICITÉ














Augustin Berque, dans « La pensée paysagère » (Archibooks+Sautereau éditeur, 2008), petit essai très roboratif qui bouscule les discours esthétiques contemporains habituels, utilise un mot-concept forgé au IXe siècle par le poète chinois Li Shangyin, le « tue-paysage », pour désigner la culture décosmicisée qui caractérise le « POMC » (paradigme occidental moderne classique).

Selon lui, la pensée moderne repose sur un dualisme qui oppose le monde objectif, extérieur et mesurable, et l’intériorité subjective individuelle. Cette conception moderne de l’univers consacre la fin du Kosmos comme monde du lien fusionnel, de la résonance, de l’harmonie entre les créations humaines et les oeuvres de la nature.

Aujourd’hui la pensée sur le paysage, productrice d’analyses sémio-sociologiques amorales, et acosmiques, capables de justifier la laideur (puisque la laideur devient un simple point de vue subjectif sans lien avec l’objectivité du monde), remplace la pensée paysagère en acte qui caractérisait le monde prémoderne, et qui était une pensée recherchant explicitement l’harmonie et la beauté.

Mais l’homo rationalis moderne ne peut cependant surmonter ce lien brisé entre son existence vécue et un monde chosifié, enlaidi, désenchanté : « l’existence humaine est un fait, et ce fait même tend nécessairement et inlassablement à requalifier l’environnement dans sa propre perspective, c’est-à-dire à le recosmiser en un monde. ». La destruction moderne des paysages engendre donc deux symptômes caractéristiques : la consommation boulimique (et mortifère), à travers le tourisme de masse généralisé, des sites et des cultures révélant encore l’harmonie prémoderne et l’harmonie naturelle ; l’engouement irrationnel pour toutes sortes de mystiques de l’harmonie universelle, comme par exemple le fengshui, qui a paraît-il le vent en poupe.
Augustin Berque regrette ces pratiques aliénantes, qui ne sont que succédanés, et appelle à « un véritable dépassement de la modernité ».

Je ne peux que le rejoindre dans ses analyses et dans ses souhaits, moi qui depuis quinze ans prêche pour que la « modernité s’ouvre - ou se rouvre - à l’étendue du monde et du temps, aux évolutions lentes, à la diversité, à la synergie entre plusieurs strates du développement. Qu’à la modernité sprinteuse, nez dans le guidon, sommaire dans ses raisonnements, s’oppose{ra} de plus en plus une modernité qui prendra le temps de la connaissance, qui réinterprètera ses déplacements par rapport à un voyage au long cours, qui cherchera une forme de ré-adéquation distanciée à la nature. Ré-enracinement dans l’épaisseur temporelle retrouvée ; modernité de la concordance des temps. Après la grande fièvre de la culture de l’artificiel (conçue comme procès de libération de la nature), apparaîtra une culture qui cherchera au contraire à réinscrire ses produits dans le métabolisme général de la nature (culture naturalisée, ou naturalisable) ; donc nouvelle alliance culture/nature. » (Itinerrances, p. 134).

J’étais cette semaine à Prague, qui est un des hauts lieux européens du paysage urbain prémoderne. L’exubérance des créations baroques (comme celle, en exergue de cet article, du couronnement d’un orgue du Clementinum sur lequel a probablement joué Mozart) nous rappelle, comme dans les symphonies du maître salzbourgeois, que l’esprit des formes doit naturellement tendre vers le cosmos, et non vers je ne sais quelle adéquation aux laideurs du monde contemporain, comme ce stupide homard de Koons.



samedi, juin 27, 2009

La pensée, la parole, l’écrit…et l’art


L’écriture, alphabétique, et plus anciennement syllabique, que nous pratiquons en occident depuis trois mille ans, est une transcription directe de la morphologie sonore de la langue. Dans ce système de codage, chaque langue, à un moment donné, a son écriture spécifique, différente de celle d’une autre langue, même si elle utilise le même jeu de caractères.

Par contre l’écriture idéogrammatique, ou hiéroglyphique ancienne, apparue il y a cinq mille ans, et qui n’a survécu qu’en Orient, n’est pas - à l’origine du moins - une transcription de la forme sonore de la langue ; c’est une transcription directe du sens, par symboles ou composition de symboles (il en existe paraît-il douze mille en chinois) ; et cela sans passer par la forme sonore du langage ; d’ou dissociation de l’écriture et de la langue, celle-ci venant a posteriori traduire, par une parole (phonétique), les énonciations sémantiques des caractères écrits.

On pourrait dire que l’écriture de type phonétique raconte les pensées, tandis que l’écriture idéogrammatique les montre, sans passer par le verbe. Un peu comme une histoire qui dans un cas nous serait racontée à la radio, et dans l’autre montrée (mimée) par un film muet, ou une bande dessinée sans phylactère.

Or la pensée, aussi bien dans l’évolution ontogénétique que phylogénétique, apparaît avec le langage parlé, donc bien avant l’écrit. Mais cependant l’écrit, qui est comme une mémoire spatialisée, permet de stratifier, de capitaliser, et donc de complexifier la pensée.

On imagine bien alors que les transcriptions écrites de type phonétique et de type idéogrammatique ne complexifient pas la pensée tout à fait de la même façon.
Dans un cas, on code la forme de la langue, langue qui est elle-même une codification symbolique de notre rapport au réel ; dans l’autre cas, on code le sens de la langue, c’est-à-dire que l’on produit graphiquement un système de symboles analogique à celui qui structure les signifiants langagiers. Peut-être parce qu’en Chinois, la langue est ainsi structurée que les phonèmes eux-mêmes sont déjà des signifiants langagiers, qui s’articulent entre eux pour en former d’autres. Dans ce cas, on reste dans une double articulation un peu redondante du langage, tandis que dans l’autre, le codage phonétique écrit nous fait passer dans une sorte de « triple » articulation de la langue, donnant sans doute à la pensée complexe plus de volubilité, puisque moins enracinée dans un système symbolique global contraignant.
En réalité, les choses ne sont pas si tranchées : les écritures de type phonétique charrient au cours de leur histoire un formalisme grammatical et un codage symbolique indépendant de la phonétique pure, et les écritures idéogrammatiques en viennent pour elles à coder des sonorités.

On voit à travers ces remarques que la pensée, l’expression directe (en temps réel) des paroles, et l’expression différée, « recuite », des écrits, entretiennent des rapports compliqués, et différents selon le type de construction de l’expression « recuite ». L’art, que certains considèrent à tort comme un langage, est plutôt quelque chose comme une expression recuite de l’émotion.

Et, comme pour l’écriture phonétique ou idéogrammatique, il y a aussi deux sortes d’art : l’un - comparable à l’écriture idéogrammatique - qui en quelque sorte mime analogiquement ou symboliquement l’émotion elle-même (c’est grosso modo tout ce qui relève de l’art magique, de l’art vivant, et de l’art dit contemporain ou d’avant-garde), et l’autre - comparable à l’écriture alphabétique ou syllabique - qui code (analogiquement, figurativement, ou symboliquement) non l’émotion elle-même, mais la forme qu’elle prend, c’est-à-dire les situations diverses dans lesquelles cette émotion est ressentie, à l’intérieur d’une culture donnée (cette catégorie regroupe d’une façon générale ce que nous appelons les arts traditionnels et les arts savants).

Et si, depuis à peu près un siècle, les élites du monde moderne occidental montrent un engouement grandissant pour la première catégorie, c’est parce qu’elle provoque sur elles la même curiosité et le même dépaysement que l’écriture idéogrammatique a pu engendrer sur des esprits occidentaux formatés par des millénaires de codage écrit de type phonétique. Il n’en reste pas moins que, de la même façon que ce dernier codage écrit semble mieux adapté au développement libre d’une pensée complexe que ne l’est le codage idéogrammatique, l’art qui code non l’émotion elle-même, mais sa forme culturelle « en situation », paraît mieux à même de faire évoluer, et de raffiner encore notre sensibilité au monde.

samedi, mai 30, 2009

Le paysage urbain dans la peinture

Dans le milieu très conformiste des architectes, que j’ai fréquenté (parfois à contrecœur) depuis mes études à UP8 et UP6 Paris, il existait - et il existe encore - sinon une pensée unique, du moins une forte pression, un systèmes de valeurs esthétiques où les avant-gardes, la ligne pure, et le minimalisme, occupent le haut de l’échelle tandis que le pittoresque et le décoratif sont généralement méprisés. Héritage du Bauhaus et du Mouvement Moderne, mais aussi, dans la période actuelle, dialogue permanent avec l’Art Contemporain.

Il y eu pourtant, pendant les années 70 et au début des années 80, dans le sillage de mai 68 et en relation avec le pop’art, une floraison de contestations de cette esthétique architecturale avant-gardiste dominante : le post-modernisme de Venturi et Michael Graves, l’architecture rationaliste urbaine autour d’Aldo Rossi et des frères Krier, les courants d’auto-construction et d’urbanisme participatif dominés par le modèle de l’Egyptien Hassan Fathy, ou encore l’historicisme chic d’un Spoerry (Port-Grimaud), ou d’un Quinlan Terry.
Ces mouvements ont sans doute laissé une trace dans l’enseignement, mais ils ont été un feu de paille et n’ont pas résisté au retour du High-Tech, du conceptuel, et de la radicalité plastique recherchés par les élites bourgeoises.

Pour tous ceux qui, comme moi, sont plus sensibles aux beautés pittoresques de la ville traditionnelle qu’aux lignes monotones et décharnées des quartiers dessinés par les architectes du XXe siècle, d’Auguste Perret à Rem Koolhaas, la tâche n’a jamais été facile. C’est pourquoi, dans les années 90, il m’a semblé important de montrer, à travers l’étude des peintures représentant la ville, que l’esthétique des paysages urbains historiques, vantée et analysée au XIXe siècle par Camillo Sitte, avait été ressentie et comprise dès la Renaissance (et sans doute pressentie dès le moyen âge) même si elle n’avait jamais vraiment été théorisée, parce qu'elle s'opposait à la théorie classique du beau. Par ailleurs, ma fréquentation des écrits de mathématiciens comme Benoît Mandelbrot et René Thom, m’a donné le sentiment que les concepts de la géométrie fractale et de la topologie pouvaient justement appuyer une théorie esthétique des formes régulées mais morcelées, et mettant en jeu les emboîtements d’échelles, formes spécifiques des paysages urbains traditionnels. De là est née en 1996 une recherche, aidée par le Bureau de la Recherche Architecturale : Le paysage urbain dans la peinture au Moyen-âge et à la Renaissance : l'émergence d'une esthétique fractale ; elle n’a malheureusement jamais pu être publiée.

Je la mets aujourd’hui, grâce à internet, à disposition de tous ceux que ce sujet intéresse (pour la télécharger au format pdf, il suffit de cliquer sur le lien du titre).

dimanche, mai 17, 2009

LES MYTHES REVISITÉS

EXPOSITION PROLONGÉE JUSQU'AU 4 JUILLET

Que seraient les mythes, sans la vie que leur donnent les peintres ?

Ceux qui, comme moi, aiment à se délecter de peinture dans tous les musées d’Europe, ceux qui fréquentent assidûment les grands maîtres de Giotto à Picasso et Dali, mais aussi ceux qui préfèrent les mandalas asiatiques, ou les frises égyptiennes, ou les mosaïques hellénistiques, ou les représentations du temps du rêve des aborigènes, tous ceux-là se trouvent constamment confrontés aux mythes, contés, racontés, et reracontés à travers les œuvres picturales.

Sans qu’ils y prennent garde, ces images récurrentes s’enroulent dans leur imaginaire et, en fin de compte, qu’ils croient ou non aux histoires divines, qu’ils y attachent ou non un sens symbolique, un message philosophique, elles s’installent dans leur inconscient et ce sont elles qui les aident à réenchanter le monde.

Et en ces temps de crise, qui n’aurait pas le désir enfantin de réenchanter le monde ?

C’est sans doute là le rôle premier de la peinture figurative.
Alors à mon tour, je me suis emparé joyeusement des mythes, sacrés ou profanes. Je me suis amusé à faire quelques clins d’œil aux œuvres magistrales des peintres qui m’ont précédé, et à l’actualité du siècle. J’ai voulu entremêler l’ironie, la poésie, et la ferveur esthétique, pour donner un air nouveau aux ritournelles éternelles.

Beaucoup des tableaux exposés à la médiathèque de Barbezieux (mais pas tous) ont déjà été présentés sur ce blog.
Alors venez nombreux, c’est l’occasion de les découvrir « en vrai ».

samedi, mai 09, 2009

FEMMES D’ALGER DANS MON APPARTEMENT

Femmes d'Alger dans mon appartement, huile sur toile, Gilles Chambon, 2009
Le tableau de Delacroix de 1834, représentant trois femmes algériennes dans leur appartement, a fasciné depuis l’origine les critiques et les artistes. Alors que Renoir trouvait, cinquante ans après, qu’«il n’y a pas de plus beau tableau au monde», Picasso, pendant la guerre d’Algérie, s’empara du thème pour produire une suite de compositions retournant la douceur, l’intimité et la mélancolie exprimées par Delacroix, en une violence âpre de femmes nues sous une lumière crue.

Assia Djebar dira que Picasso, en libérant les Femmes d’Alger de l’image des femmes soumises du harem, préfigurait les combattantes appelées "porteuses de feu", pendant la Bataille d’Alger.

Soit. Je reconnais bien volontiers le panache et l’à propos du peintre catalan. Mais je dois dire que je n’ai jamais eu le moindre désir d’avoir aucune de ses disgracieuses et inexpressives «femmes d’Alger» dans mon appartement, alors que je rêvais toujours d’avoir celles de Delacroix, si savamment mises en scène dans cet appartement clair-obscur.

Pour réaliser ce rêve, et ayant définitivement renoncé à voler au Louvre le chef d’œuvre orientaliste, j’ai finalement décidé d’incorporer son « eidolôn » au grand miroir de mon atelier. Ainsi les fumeuses de narguilé et leur esclave noire se retrouvent mêlées au reflet de jeunes femmes contemporaines au type méditerranéen, bien réelles celles-là, qui discutent, nonchalamment adossées sur mes tapis algériens.

Grâce au miroir magique de la peinture, j’ai donc bien réussi à mettre les femmes d’Alger de Delacroix dans mon appartement, et du même coup j’ai aussi mis en abîme, à presque deux siècles de distance, les ancêtres soumises du sérail et les libres filles de la modernité.

vendredi, mai 01, 2009

Les projets pour le Grand Paris: Nouvelle pensée urbaine, ou délires d’architectes ?

Projet MVRDV


Comme toujours, l’histoire se répète. L’explosion contemporaine des grands centre urbains, liée à la mondialisation, pose à nouveau, comme elle s’était posée dans la seconde moitié du XIXe s. et à l’orée du XXe siècle, avec la concentration industrielle et le développement de la pensée technologique, le problème du devenir des grandes agglomérations humaines, inexorablement sécrétées par l’avènement de l’ère moderne.
Rappelons-nous en effet que le monde n’a quitté que depuis peu l’ère agraire, qui pendant plus de 5000 ans, a vu les sociétés humaines se structurer autour de l’agriculture, et produire bourgs et villes fermées, où était enserrée la richesse accumulée, et où siégeait le pouvoir. Grâce au commerce, ces cités fermées sont devenues les foyers du capitalisme naissant.

L’urbanisme en tant que discipline est né de la nécessité de penser spatialement ce changement d’ère. Il impliquait non plus un processus de développement des villes closes de murs, par absorption successive dans leur enceinte concentrique, des faubourgs naissants autour des portes fortifiées, mais un processus ouvert, tentaculaire, fragmentaire, et éclaté, lié à la disparition des limites matérielles, au développement des moyens de transport rapides, et aux mécanismes de la spéculation foncière.

On pourrait dire que Cerda, l’auteur du plan d’extension quadrillé de Barcelone, est le dernier penseur classique de la ville, tandis qu’à la même époque, son compatriote Soria, inventeur de la cité linéaire structurée autour de l’axe des transports, est le premier penseur de la mégapole moderne.

Au XXe siècle, la pensée urbanistique, avant-gardiste et tapageuse, a été incapable de prendre la juste mesure des nouvelles problématiques urbaines et de maîtriser le développement tentaculaire des métropoles. L’utopie hygiéniste et fonctionnaliste du Mouvement Moderne, largement idéologique et si peu scientifique, a cependant encadré le développement des territoires de banlieue, créant les ghettos d’anti-urbanité que sont les grands ensembles, et vouant aux gémonies les quartiers pavillonnaires, laissés aux appétits des promoteurs et à l’incompétence des géomètres. Aujourd’hui, malgré une dévotion encore très forte envers Le Corbusier, tous les urbanistes reconnaissent le fiasco et tentent de forger de nouveaux outils théoriques pour enfin organiser positivement les mégapoles.

L’exercice du Grand Paris est une sorte d’application pratique de ces nouveaux outils théoriques. Le résultat est, à mon sens, assez mitigé, et pour tout dire pas vraiment convaincant.
Si les principales questions sont bien posées par la plupart des concurrents (les transports collectifs structurants, la poly-centralité, l’équilibre entre bâti et végétal, la revalorisation des lieux existants sans table rase, le « dézonage »), beaucoup n’en cèdent pas moins aux deux clichés en vogue de la pensée dominante actuelle : l’habitat écologique, et les tours, si chères aux architectes.

On voit ainsi fleurir des gadgets écologiques, allant des toits verts et éoliennes sur le centre historique (Rogers)

ou sur les centres d’affaire (Nouvel),
aux bâtiments affublés d’une pilosité végétale improbable (Castro, Lion, Nouvel),

en passant par les toits photovoltaïques à la dimensions de terrains de football (Nouvel) ;

et on découvre, à travers des images dignes des couvertures de romans SF, des délires de tours accommodées à toutes les sauces (Nouvel).



Cependant tous ne cèdent pas aux rêveries visuelles faciles : ainsi Djamel Klouche et MVRDV sont très pusillanimes en matière d’image ; mais ils ne s’en gargarisent pas moins de mots magiques (collecteurs métropolitains, songlines, stimulation des substances urbaines, de Djamel Klouche ; ville compacte, écoles suspendues, de MVRDV), palliant ainsi à bon compte ce qui semble être en fait un manque de solutions concrètes.

On voit aussi, dans le travail de plusieurs équipes, resurgir, comme une panacée possible au conflit entre densité urbaine et nature, des variantes pas très souhaitables du Central Park de Manhattan, transplantées à Vincennes (Lion),

et à La Courneuve (Castro, Nouvel).


L’idée même de limite, qui semble contradictoire avec la définition d’une mégapole, est réintroduite par Nouvel, sous forme fractale, avec sa lisière boisée.


Réapparaissent enfin deci delà quelques vieux poncifs futuristes de la science-fiction : trains aériens (Porzamparc),

références à l’astronautique (Castro),

ou tour de Babel (Nouvel).


Images grandiloquentes, mais à la hauteur du sujet, penseront certains. Du grand Paris à la folie des grandeurs, il n’y a parfois qu’un pas : Grumbach propose par exemple d’étendre le grand Paris jusqu’au Havre, idée qui ne pouvait que plaire au Président.


Si un modèle théorique clair sur la planification des mégalopoles contemporaines ne ressort donc finalement pas de cet exercice situé, il ne faut pas non plus sous-estimer les quelques pistes intéressantes travaillées par les concurrents. Maillage et nœuds des axes de déplacements à plusieurs échelles, porosité des territoires (Studio 09) ; réintégration de certains grands axes routiers dans le réseau des espaces publics urbains, avec de sympathiques images produites par l’équipe Descartes (Lion-Mangin), qui je crois illustrent bien un des aspects réalistes de la requalification des mégapoles, cette réorganisation des trajets et de leur insertion spatiale en fonction des plus ou moins grandes vitesses.


Mon sentiment est que les obsessions du moment, écologie, égalité-mixité, densité, qui sont en fait des problèmes récurrents non particuliers aux mégapoles, lorsqu’ils sont survalorisés dans la réflexion, empêchent de bien discerner ce qui concerne spécifiquement la structure de la mégapole, et que je crois pouvoir résumer en quelques points :

  • Extension permanente (superposition et/ou coexistence) d’axes de déplacements à vitesse lente, moyenne, et rapide (sur ce point, il est à noter que la problématique des rocades de contournement, liées au paradigme de la ville ancienne fermée, devra peu à peu être remplacé par celle des axes traversants souterrains à grande vitesse)
  • Nécessité permanente de remailler localement, en axes de circulations lentes et moyennes vitesses, les pôles secondaires de la mégapole (les axes moyenne vitesse doivent aussi être déchargés d’un partie des flux automobiles pour devenir porteurs d’urbanité).
  • Nécessité de connexions rapides entre tous les pôles liés aux transports nationaux et internationaux, entre eux et avec les grands pôles d’activité
  • Différentiel important des situations urbaines liées aux distances, entraînant une survalorisation foncière des centres attractifs, à effet ségréguant. La réduction des distances relatives par l’amélioration des transports, semble le meilleur moyen de modérer cette tendance ségrégative.
  • Nécessité de poumons verts importants, et donc gel de vastes superficies (le zonage semble alors impératif), pour permettre aux espaces naturels (parcs, agriculture et maraîchage de proximité, réserves naturelles boisées, protection des grands sites naturels, etc.) de résister aux pressions foncières et d’irriguer largement la mégapole
  • Enfin nécessité d’une gouvernance intégrée de l’aménagement spatial, responsable devant les citoyens (donc, probablement, réforme des strates administratives).

La mégapole réelle et la mégapole rêvée se sont confondues dans ces projets du Grand Paris, et pourtant elles ne seront jamais superposables. Mais l’une et l’autre peuvent néanmoins se féconder.
Sur le monde antillien que j’avais imaginé dans le roman "Souvenirs d'Antillia", les mégapoles sont installées au sommet de chaînes de montagnes (ce qui, je l’admets, n’est peut-être pas très écologique) : la puissance des reliefs permet d’intégrer facilement les masses architecturales de surface, et dans l’intérieur des roches, peuvent se développer à l’infini, et sur de nombreux niveaux, des systèmes de galeries reliées à la surface par des puits géants. Une termitière, certes, mais une termitière harmonieusement inscrite dans l’espace sauvage, et couronnant sa beauté d’un diadème infini.

les hauts d'Erewhon, aquarelle de G. Chambon, détail

dimanche, avril 12, 2009

Egarement

Goya, Disparate joyeux (gravure)

Tension extrême de l'esprit vers l'incompréhensible
Impossible saisie des multiples mystères
Sur notre terre, dans notre trou,
Pareils aux fourmis ignorantes de nos manigances
Nous-mêmes ne pouvons reconnaître nos dieux.

L'univers ainsi va :
Chacun, animal ou humain, aussi fort qu'il se pense,
N'appréhende des choses qu'un infime fragment
Et vit téléguidé alors qu'il se croit maître.

Mon esprit égaré entre mille infinis
Usant de la raison comme d'un tapis volant
Qui sans cesse se roule et risque de verser,
Mon esprit a parfois le désir de se perdre
Cédant à tout jamais aux chants de la folie.

Si la vie est raison et la mort folie,
Que l'amour est folie, que la mort hait la vie...
Tout se mélange ici... et pourtant
Tout se sépare aussi.

Rien n'arrive d'autre que ce qui doit arriver
Mais tout se joue ailleurs, dans un endroit secret
Où l'envers et l'endroit ne cessent de tourner
Et de faire basculer
La raison dans la nuit
Et le rêve dans la réalité.

G. Chambon
Tendances nuageuses

jeudi, mars 19, 2009

VISIONS D'ARCHITECTE


C’est le titre de ma prochaine exposition de peintures (petits formats), à la médiathèque de Gensac, charmant village de l’Entre-Deux-Mers. Mon travail de peintre a en effet presque toujours été surdéterminé par la vision architecturale:

  • Dans les thématiques figuratives abordées :

o Villes imaginaires à l’aquarelle, mariant dans une sorte d’intemporalité des fragments d’architecture pris à l’histoire et d’autres totalement inventés (avec une référence à Piranèse, qui était architecte et artiste visionnaire) ;

o Villes analogues et caprices, brodant de façon fantasmatique sur le paysage de villes connues, comme Rome ou Bordeaux ;

o Mythe de l’Atlantide, dans lequel les villes s’abîment et s’engloutissent ;

o Architectures « antilliennes », en référence à un conte de science fiction où je développe une vision alternative de la conception architecturale.

  • Dans la sensibilité au paysage et au décor urbain :

o Beaucoup de scènes peintes, sur des thèmes divers, comme ceux liés à la mythologie religieuse occidentale, font une place importante au cadre urbain ;

o Il y a aussi les peintures de voyages, représentant des paysages traversés, et dans lesquels la ville et l’architecture sont toujours très présentes.

  • Dans la composition spatiale des oeuvres :

o Dans la plupart des peintures, mêmes celles qui sont à la limite du figuratif (notamment la série impressions Japon), l’espace se veut construit et équilibré : rapport entre les blancs, les gris, et les noirs, entre les touches de pinceau, courtes ou longues, tendues ou souples ; rythmique scripturale de la composition en deux dimensions.

À voir du 8 avril au 7 mai 2009, aux heures d’ouverture de la médiathèque; prolongation jusqu'au 26 mai.
rue Fromagère, 33890, Gensac – tél 05 57 47 49 19
  • mardi 14h-18h
  • mercredi 10h-12h / 14h-18h
  • vendredi 9h-12h / 14h-18h (vernissage le 10 avril à 18h)
  • samedi 9h30-12h30

mercredi, mars 04, 2009

Daniel Schlier

2 personnages à la tête de vache (bleue), 2006,
acrylique et huile/toile, 154 x 147 cm, Daniel Schlier
Sa peinture est une figuration forte, basée sur le collage informatique d’images retravaillées artisanalement à l’acrylique, et parfois à la feuille d’or. Ce qui pourrait n’être qu’une simple recette prend chez lui une puissance imaginaire et plastique qui subjugue. Sens des couleurs violentes opposées aux gris, sens du mélange des graphismes, mais aussi confrontation toujours pertinente de figures hétéroclites rassemblées par un inconscient très affûté. Ses images ne sont pas comme celles du plus grand nombre des peintres contemporains, qui témoignent sempiternellement d’eux-mêmes et nous lassent de leurs univers plastiques calculés. Schlier propose des images/ icônes, ou des images/ archétypes, qui parlent d’emblée, et hors du temps, à l’imaginaire collectif.

Quand il s’exprime sur les peintres qu’il admire, reviennent Poussin, Picasso, ou Grünewald. Mais je vois personnellement l’ascendant de Salvador Dali et Max Ernst, peut-être aussi de Bacon et Klimt.

S’il ne se laisse pas enfermer dans la perfection de sa technique, et dans le plaisir d’accoucher facilement d’œuvres à l’évident pouvoir évocateur, ce peintre arrivera peut-être à redonner de la convergence à la peinture contemporaine et à rendre une sacralité (laïque) à l’acte de peindre.

Daniel Schlier à découvrir en ce moment dans la Collection moderne et contemporaine du Musée de Picardie, Maison de la Culture d’Amiens.

samedi, février 21, 2009

La baie d'Alger, 2009

La baie d'Alger, huile sur toile, Gilles Chambon

Hommage à Albert Marquet qui, après s’être rendu régulièrement chaque hiver en Algérie pendant 25 ans, n’y retournant plus, se languissait et soupirait après le ciel d’Alger…

L'arrière port de l'Agha, un jour nuageux, Albert Marquet

J’ai visité récemment au musée de la marine l’exposition consacrée aux « itinéraires maritimes de Marquet ». Entre fauvisme et post-impressionnisme, ce grand amoureux des rivages et des ports, modèle au fil des tableaux la lumière brumeuse, sous laquelle tout contour devient esquisse, les contrastes violents, qui creusent dans les paysages des ombres plates et profondes, les reflets mobiles, qui donnent ce frémissement léger, cette palpitation de vie qui irrigue toujours, avec une régularité d’horloge suisse, la peinture du maître Bordelais.

J’ai deux points communs avec Albert Marquet : Je suis girondin (d’adoption), et je fréquente régulièrement Alger depuis plusieurs mois. Pour le reste, sans doute sa peinture vaut-elle mieux que la mienne, mais mon tableau du port d’Alger, peint cet hiver à partir d’une vue prise récemment depuis l’hôtel Aurassi, me fait penser que quelque chose d’essentiel, malgré la transformation des paysages urbains, traverse le temps. C’est vrai pour Alger, en tout cas, où la baie, depuis les hauteurs, offre toujours un des plus beaux spectacles au monde.

samedi, février 07, 2009

PEINDRE LES BATAILLES

La bataille d'Anghiari, P.P. Rubens, musée du Louvre

La peinture de batailles a rarement eu vocation à représenter la vérité du déroulement d’un fait historique. C’est même en général le contraire d’une photo de reportage. Lorsque Léonard de Vinci peignit pour la Seigneurie de Florence la bataille d’Anghiari, qui opposait Florentins et Milanais (et que l’on connaît par la copie qu’en a donné Rubens, d’après un dessin italien), il ne cherchait ni la vérité historique de la représentation, ni même la vraisemblance de l’affrontement de deux armées, mais une composition personnalisée dont le réalisme accuserait les émotions des personnages et dont la dynamique picturale théâtralisée impressionnerait, et forcerait, par sa virtuosité, l’admiration des spectateurs.

On n’est pas dans le témoignage, ni dans la restitution. On est dans la tragédie, dans l’épopée, dans la chanson de geste, dans cette sorte de distance ritualisée au réel et à la vérité, caractéristique des productions artistiques qui racontent une histoire, depuis les bas reliefs égyptiens jusqu’aux westerns italiens des années 70.

Ce que l’on appelle à tort une peinture d’histoire, n’est pas là pour nous dire la vérité historique, ni pour nous informer sur le réel (bien qu’elle puisse parfois le faire, par inadvertance) ; pas plus que la symphonie pastorale n’est là pour nous informer sur le chant des oiseaux.

étude pour un combat des centaures et des Lapithes, G. Chambon, 2009

L’œuvre figurative contant un fait historique ou racontant un mythe violent, déplace l’émotion négative que provoquerait la confrontation directe à l’acte barbare, vers une émotion positive située dans le registre esthético-poétique.

Ce registre, éminemment ambivalent, parle à notre esprit, à notre imagination, et à notre cœur : une œuvre poétique peut nous faire frissonner, mais sans nous effrayer ; elle peut nous tirer les larmes, mais sans provoquer en nous de véritable tristesse ou d’affliction.

Le plaisir esthétique est bien là : dans cette distance scénographiée au réel, qui, comme dans le jeu, stimule notre imagination et nous fait palpiter le cœur, mais sans nous mettre en danger réellement. Dans cette empathie des formes figurées, qui nous fait rêver à l’enfer comme à un monde lointain où viendraient s’épanouir l’énigmatique beauté des fleurs du mal.

dimanche, janvier 11, 2009

Christine, Edith, et le soleil d’Afrique

"Christine, Edith, et le soleil d’Afrique", huile sur toile, G. Chambon, 2009

Christine, il y a trois ans, habitait à Paris, rue de Tombouctou. C’était prémonitoire : elle vit maintenant à Bamako (il n’y a pas de rue de Bamako à Paris, c’est certainement pour ça que le hasard n’avait pu la faire tomber que sur la rue de Tombouctou).

Ici elle est en train de boire une orangeade au bord d’une piscine, quelque part à Bamako. Pendant que Mathieu la photographie, elle pense très fort à sa petite sœur qui voyage au même moment au pays Dogon. Du coup, le soleil se met à briller si fort qu’il évapore la piscine et fait apparaître l’hôtel de Sanga, en haut de la falaise de Bandiagara, où se trouve Edith, qui, simultanément, rêve d’une piscine et d’une orangeade, en pensant à sa sœur.

vendredi, janvier 02, 2009

Un monde ésotérique

Le capricorne, huile sur papier, G. Chambon
Un grand nombre des choses que nous croisons chaque jour, et tout au long de notre existence, n’ont à nos yeux aucune signification particulière. Le timbre collé au coin d’une vieille enveloppe retrouvée au grenier n’arrête guère mon regard, alors qu’il se reflèterait comme un trésor dans l’œil du philatéliste averti. Un grand match de baseball qui fait vibrer l’Amérique entière n’a pour moi absolument aucun intérêt : je n’en connais pas les règles, je ne sais pas qui sont les champions et les stars, et je ne vois qu’un imbécile encasqué courir d’un point à un autre du terrain de jeu après avoir tapé comme un sourd dans une pauvre petite balle.
Par contre je peux rester des heures devant un tableau de Véronèse ou de Rubens, et y percevoir mille raffinements de composition et de couleurs, témoignant de l’état d’esprit, du talent, et de l’attitude particulière que ces peintres ont adoptés devant tel ou tel sujet classique ; un rappeur de banlieue n’y verrait pourtant qu’un grouillement insipide de personnages démodés, et ne s’y arrêterait que quelques secondes.
En promenade dans la campagne, un botaniste est attentif à toutes les petites plantes du chemin, à leurs différences, à leur vigueur, à leur répartition, tandis que le randonneur moyen, l’œil rivé sur le sommet lointain qu’il s’est mis en tête d’escalader, les piétine allègrement avec ses gros brodequins.

Ce que le monde nous dit se limite, de fait, à ce que nous sommes en mesure d’y entendre. L’image que nous nous en faisons se referme généralement sur le ronron de nos besoins matériels, sur nos obsessions passagères, et sur des clichés scientifiques transmis par les média ou trop vite appris pendant notre scolarité.

Et pourtant la profondeur de ce qui advient à chaque instant et en chaque lieu devrait nous donner le vertige ; le nombre et la richesse des liens qui relient tous les événements et les êtres entre eux, proprement insondable, devrait résonner en nous comme une symphonie universelle. Mais de même qu’un CD n’est qu’un disque plat vaguement scintillant, semblable à tous les autres tant qu’il n’est pas inséré dans l’appareil qui peut délivrer à nos oreilles la mélodie gravée, de même les événements et les choses du monde ne sortent pas de la banalité et de la quasi insignifiance tant que notre esprit ne possède pas certaines clefs, tant que notre cerveau n’arrive pas à tirer ici ou là un fil pour commencer à dénouer un bord de ce prodigieux écheveau ébouriffé du réel.
Certains fils, trop faciles à tirer, peuvent cependant être décevant parce qu’ils ne sont que de petits bouts lovés sur eux-mêmes et séparés de la grande pelote globale. Ce sont ceux-là que saisissent maints experts, ingénieurs, scientifiques, collectionneurs, qui se referment sur leur spécialité au lieu que celle-ci ne les ouvre au monde.

La vérité est qu’il vaut mieux tirer plusieurs fils à la fois, et savoir abandonner en chemin ceux qui ne mènent nulle part. Et ne surtout pas avoir peur de voir grand et large : beaucoup restent à jamais blottis sur leur petit monde de certitudes étriquées, par peur de se perdre en chemin dans cet inextricable et déroutant réseau de significations mouvantes que nous tend la réalité.
Alors dès que notre attention, pour une raison ou pour une autre, se porte sur un objet, un être, un sujet, ne restons pas devant l’apparence figée ; quelle qu’éloquente qu’elle soit, ce n’est qu’une porte ; le réel se déploie derrière. Comme Alice, regardons par le trou de la serrure, voyons tous les chemins qui y arrivent et qui en partent. Passons le seuil mystérieux, et voyageons à travers le lumineux labyrinthe des promesses entremêlées du monde.

mercredi, décembre 24, 2008

L’homme qui n’en savait pas assez et l’homme qui en savait trop

Hexagramme de la vie intérieure, encre sur papier, Gilles Chambon

Qui n’a pas rêvé, au sortir de l’adolescence, de faire le tour du monde, d’aller par des routes inconnues vers des pays lointains, sans rien connaître, sans rien savoir d’eux que la sonorité magique de leur nom : Savannakhet, Lahore, Oulan-Bator… New York, San Francisco, Valparaiso. Le choc de l’inconnu, la rencontre d’une imagination enfiévrée et d’une réalité à l’apparence si différente, et pourtant si semblable à la nôtre. C’est la première confrontation à la diversité du monde ; la séduction exotique nous renvoie finalement à nous-même, mettant notre identité en abîme.

Puis les années passent, on s’habitue à voyager, on apprend à connaître les gens et les lieux différents. Avant de partir, on voit des centaines d’images, on lit des dizaines d'articles et de livres, plus ou moins savants, sur les pays où on se rend, et avant d’y avoir posé le pied, on sait déjà ce qui est intéressant ou pas, ce qui est bienséant ou pas, ce qui est dangereux ou pas. Le voyage n’est plus vraiment l’aventure, ni la découverte. On vient simplement vérifier, au mieux approfondir ce qu’on savait déjà. Tout s’organise sans surprise. Plus de dépaysement, plus d’émotion, plus de fascination.

Les voyageurs savants ne sont plus dupes des apparences, ils ont perdu la faculté d’émerveillement qui marque l’émotivité des ignorants.
Si l’homme qui n’en sait pas assez peut passer pour un rêveur naïf inconséquent, manquant de discernement et de profondeur, l’homme qui en sait trop est bien souvent un sceptique blasé, une sorte de collectionneur qui, tel Don Juan, ne jouit plus que de la comptabilité de ses expériences.

Sauf si, malgré la répétitivité de ses expériences, il cherche toujours, au-delà de ce qu’il sait ou croit savoir, l’étincelle de mystère qui, où qu’il soit dans le monde, peut surgir au hasard d’un regard imprévu, et transfigurer encore le réel.

Bon noël à tous

samedi, novembre 29, 2008

LAOCOON


Gilles Chambon, ,Laocoon, huile sur toile, 65 x 81 cm,  2008
Laocoon, prêtre d’Apollon sur les rivages de Troie. Seul parmi les Troyens il avait pressenti quelque chose de terrible dans ce cheval laissé là par les Grecs en déroute, et l’avait conjuré de sa lance. Il allait découvrir le piège d’Ulysse. Laocoon pouvait sauver son peuple. Apollon envoya contre lui deux énormes serpents (pour le punir, dit-on, de ne pas avoir respecté son vœu de célibat). Ils dévorèrent d’abord ses fils, puis Laocoon lui-même.

Le double serpent se retrouve dans beaucoup de mythologies. Il représente les forces chthoniennes antagonistes, forces de permutation, forces qui mettent l’homme devant toutes les frontières. Entre la vie et la mort, entre le bien et le mal, entre la vérité et l’illusion. Qui les apprivoise possède les dons de clairvoyance et de guérison (comme Apollon). Qui les affronte, risque de sombrer dans la folie, le mensonge, ou la mort. Le bâton-sceptre du pouvoir sacré (caducée) se change alors en reptiles diaboliques, tout se trouble, et l’unité devient division. Diable, du grec διαβολη, signifie en effet division.

Pas étonnant que dans ma peinture, les deux serpents avancent masqués, avec des masques ridicules ou terrifiants, comme ceux des malfaiteurs, mais aussi comme ceux des danses sacrées africaines. Le mythe est toujours un masque qui recouvre un grand nombre d’histoires et les représente en une fable sacrée ou poétique.

Ici, le cheval de Troie, emprunté aux « Divins chevaux d’Achille » de Chirico), est la dernière séduction métaphysique, le dernier piège qui cache l'écroulement imminent de l’art traditionnel sous les assauts de l’art contemporain. Et pour faire taire ce pauvre Laocoon, prêtre-guerrier dévergondé et un peu kitsch, qui dénonce la supercherie, le dieu de l’art moderne envoie les terribles, désopilantes, et humoristiques machines de Tinguely, contre la puissance subversive desquelles le défenseur du vieux bastion de la peinture ne fait pas le poids. Comme Troie, l’art traditionnel a aujourd’hui été détruit.

Mais rien n’est jamais vraiment fini : Virgile raconte qu’Enée s’est échappé de Troie livrée aux flammes, et sa descendance a fondé Rome.

samedi, novembre 22, 2008

Sur les ailes du papillon démocratique




Quarante deux voix d’avance pour Martine ; autant dire une goutte d’eau, un battement d’aile de papillon… et l’avenir du PS s’en trouvera cependant totalement différent de ce qu’il aurait été si vingt-deux votes avaient basculé en faveur de Ségolène.


C’est le pire scénario possible, ont dit les journalistes.

Et pourtant. On sait bien que les scores trop massifs en faveur de tel ou tel candidat sont souvent le signe d’un pouvoir autoritaire qui jugule toute opposition. La quasi-égalité des forces opposées ne serait-elle pas alors un paradoxe normal dans tout vrai système démocratique ?
Le principe même de la démocratie repose sur l’alternance, c’est-à-dire sur le basculement ; sur une sorte de mouvement rotatif à oscillation pendulaire. Et ce mouvement, comme celui des grandes balançoires de fêtes foraines, suppose deux points d’équilibre : l’un est l’arrêt au point bas, stable, sans dynamique propre, et que seule une force motrice importante venant de l’extérieur pourra rompre, en remettant la machine en mouvement. Il est comparable aux cas extrêmes de régimes où le parti au pouvoir écrase d’une chape de plomb les forces d’alternance, annihilant le balancier démocratique. L’autre point d’équilibre se situe à l’opposé, en haut de l’axe vertical de la grande balançoire ; il est métastable, et le moindre souffle de vent médiatique, le moindre grain de sable dans les roulements à billes des appareils politiques, rompant l’équilibre précaire, va entraîner la dynamique populaire dans un sens ou dans l’autre, pour un cycle nouveau. En ce point d’équilibre électoral, l’effet papillon, l’indécidabilité du sens dans lequel va basculer le mouvement, vers la droite ou vers la gauche, est une chose absolument normale. Il faut s’habituer dans le monde moderne à n’avoir toujours qu’à moitié raison.

Nos personnalités politiques doivent donc rester zen, et méditer sur l’enlacement harmonieux, bien que cannibale, du yin et du yang.

dimanche, novembre 02, 2008

La vérité reste invisible si on ne l’habille pas de rêves

Canaletto, Caprice avec le pont de Palladio. Parme, Galleria Nazionale

La mémoire et l’imagination humaines sont structurées par un grand flot d’histoires… Rapportées par des témoignages, ou vécues, ou révélées, ou patiemment reconstituées, ou interprétées et embellies, ou cryptées, ou prophétisées, ou seulement imaginées et inventées… Ce flot d’histoires, qui charrie vérité et mensonge, peurs ancestrales et espoirs récurrents, s’est d’abord perpétué par traditions orales, récits mouvants, puis s’est accumulé sous forme d’œuvres fixes, figées par l’écriture.

Les hommes divisent ces récits en trois domaines, sensés ne pas avoir le même degré de vérité, quant aux événements qu’ils relatent.

  • Il y a ainsi les textes religieux, qui racontent des histoires anciennes plus ou moins réelles, souvent métaphoriques, mais dont la vérité supposée se trouve plutôt dans le sens symbolique, dans l’interprétation qu’en donnent les sages ou les mystiques illuminés.

  • Il y a, en second, les chroniques et livres d’histoire, qui témoignent d’événements réels ou s’efforcent de les reconstituer selon des méthodes scientifiques à partir de diverses traces. Leur ensemble constitue la mémoire collective de chaque société.

  • Il y a enfin les œuvres d’imagination, contes et romans, histoires inventées, dont le but est de distraire, mais aussi de faire réfléchir, ou même de faire connaître un contexte réel à travers le regard et les aventures de personnages créés de toutes pièces.

Les frontières entre ces trois genres ne sont pas si étanches qu’il y paraît à première vue. Ainsi la science historique, qui travaille sur la mémoire, directe ou transmise, et sur les traces des événements, est incapable de reconstituer tout ce qui n’a laissé aucune trace ; et les choses qui, en disparaissant, ne laissent aucune trace, représentent l’essentiel, peut-être 80% de la réalité d’une période historique donnée. On peut donc supposer que des historiens qui disposeraient d’autres récits et d’autres traces que celles qui ont été effectivement sauvées de l’oubli et transmises aux générations suivantes, reconstruiraient une histoire des civilisations et des hommes totalement différente de celle que nous connaissons ; elle n’en serait pas moins vraie. Ou tout aussi fausse. La vérité est qu’il faut bien admettre que toute vision globalisante du continuum historique comporte nécessairement une part importante de reconstructions hypothétiques, ou l’imaginaire joue un rôle de premier plan.

Notre mémoire collective, qui s’accorde sur un récit officiel et documenté de l’histoire, est donc aussi une sorte de récit mythologique. La principale différence avec les mythes anciens n’est pas sa vérité face à des billevesées (ou des contes de bonne femme, comme Michel Onfray qualifie les récits religieux) ; mais cette différence réside seulement dans le nombre beaucoup plus grand de faits et d’événements distincts intégrés dans le récit global de l’histoire, par rapports aux récits mythologiques, qui intègrent sans doute moins d’histoires particulières, et qui les synthétisent à travers des personnages princeps, en quelque sorte transhistoriques.

Quant aux romans et contes, qui revendiquent leur caractère imaginaire, il arrive certainement souvent qu’ils se rapprochent d’histoires réelles restées inconnues ; ils ne sont donc pas mensonges face à la vérité de l’histoire, mais expression intuitive de vérités erratiques, non situées par un témoignage ou une trace historique avérée.

Tout cela pour dire que la distance entre le rêve et la réalité n’est pas aussi grande que notre esprit rationnel voudrait nous le faire croire.