présentation des peintures synchronistiques

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mardi, mars 07, 2023

Venise paramnésique

 

Gilles Chambon, Venise paramnésique, huile sur toile 46 x 65 cm, 2023

Venise, pour beaucoup d’entre nous, est à la fois un souvenir et une rêverie. C’est un lieu qui stimule toutes les évocations, dans lequel se mélangent toujours le rêve et la réalité.

 

Déjà au XVIIIe siècle Canaletto, en plus de ses célèbres « vedute » d’une précision photographique, peignait aussi des « caprices » de sa ville, c’est-à-dire des représentations où il mêlait le vrai et le faux, l’architecture réalisée et l’architecture fantasmée.

 

La paramnésie est un trouble psychologique qui intrique le réel et l’imaginaire dans la mémoire. Ma Venise paramnésique est aussi une Venise synchronistique, dans laquelle se croisent des fragments inspirés de pastels et de gouaches de Dimitri Bouchène (1893-1993) et la réminiscence d'une composition lumineuse de Christine Boumeester (1904-1971).

jeudi, juin 02, 2022

Perspective philosophique

 

Gilles Chambon, Perspective philosophique, huile sur toile 45 x 70 cm, 2022

La philosophie s’est construite en Grèce, au contact de la Méditerranée, des oliviers, des collines desséchées de soleil, et des femmes harmonieusement enveloppées dans leur chiton. C’est la beauté qui seule a procuré l’énergie nécessaire à l’esprit humain pour réfléchir au monde en s’affranchissant de toutes les peurs et de tous les tabous.

 

Ce tableau est perspective philosophique, dans la mesure où il révèle synchronistiquement la transformation miraculeuse du contexte méditerranéen antique en concepts abstraits et géométrie pure. Les collines en terrasse sont inspirées de Joseph Inguimberty (1896-1971), la géométrie de Georges Collignon (1923-2002), et les sculptures de Giorgio de Chirico (1888-1978).

lundi, mai 23, 2022

Loin

 

Gilles Chambon, Loin, huile sur toile 50 x 70 cm, 2022

Palabre imaginaire dans un paysage imaginaire, loin, très loin des grisailles de nos vies, et de nos villes, là où les montagnes chantent encore malgré l’orage menaçant…

 

Dans cette toile synchronistique j'ai pris un morceau de ciel à Joseph Inguimberty, né en 1896, j'ai converti en montagne une composition abstraite de Alex Smadja, né en 1897, et j'ai introduit des personnages d’André Maire, né en 1898… Ils ne s'étaient sans doute jamais rencontrés auparavant.

samedi, avril 02, 2022

Paysage et peinture : derrière les apparences

 

Photo d'un paysage de Saint-Emilion, et toile de Joaquín Peinado (1898-1975) Composition à la fenêtre et aux poissons 38 x 55 cm

Vous visitez une région. Vous empruntez des routes pittoresques qui vous délivrent des paysages magnifiques… Du coup vous décidez de vous installer dans ce coin qui vous a séduit par de tels points de vue prometteurs. À partir de ce moment, vous multipliez les balades à pied, et les petits chemins vous font pénétrer dans l’intimité et les multiples circonvolutions des paysages que vous aviez admirés de loin. Quand, beaucoup plus tard, vous repassez aux endroits panoramiques qui vous avaient charmé d’abord, vous les appréciez toujours autant, mais d’une façon différente, parce que vous comprenez mieux ce qui se déploie derrière chaque détail, vous savez où se cachent dans ce décor les merveilleuses pépites découvertes dans vos pérégrinations pédestres.

 

C’est un peu la même chose quand vous découvrez les belles œuvres d’un peintre que vous ne connaissiez pas. La curiosité vous pousse à vous renseigner sur sa biographie, et sur toutes les connexions qui peuvent le relier à son temps, sa région, son école de peinture. Vous essayez de comprendre ses préoccupations, et les finalités qu’il recherchait pour son art. Puis vous apprenez aussi à distinguer les différentes périodes de son travail artistique, et à suivre ses évolutions, à comprendre les influences qui ont pu le marquer.

Après, lorsqu’à nouveau les tableaux qui vous l’avaient fait connaître sont devant vous, vous les admirez toujours, mais ils résonnent différemment dans votre esprit, avec beaucoup plus d’harmoniques, liées aux connaissances que vous avez acquises sur l’artiste et sur son contexte.

 

La beauté d’un paysage, comme celle d’une œuvre d’art, émane de configurations formelles qui nous touchent parce qu’elles sont l’expression d’une profondeur et d’une richesse cachées, qui nous attirent et nous invitent à en explorer les multiples strates, quitte à nous y perdre, amoureusement.

dimanche, octobre 03, 2021

La Roche-Maurice, près de Landerneau, un ancien dessin retrouvé

Auguste Mayer, (1805-1890, peintre de la Marine), vue de la Roche-Maurice, à côté de Landerneau, 1857, fusain, crayon noir, craie blanche, et estompe sur papier bistre 35,5 x 56 cm.

Au début des années 1840, le jeune Auguste Mayer (1805-1890, natif de Bretagne et peintre de la Marine) ainsi qu’Eugène Cicéri (1813-1890) et Léon Gaucherel (1816-1886), furent recrutés par le baron Taylor, concepteur et éditeur, avec Charles Nodier et Alphonse de Cailleux, des monumentaux « Voyages pittoresques et romantiques de l’ancienne France » (1820-1878), pour illustrer les deux volumes consacrés à la Bretagne, parus en 1845-1846. 
 

Pour faire ces illustrations, les jeunes artistes allaient dessiner d’après nature sur les sites remarquables, et faisaient de nombreux croquis selon divers points de vue. Ces esquisses une fois réalisées, certaines étaient choisies pour être affinées et traduites en lithographies, avec ajout de détails et de personnages (parfois exécutés par un autre dessinateur).

 

La Roche-Maurice, à côté de Landerneau, faisait partie de ces sites remarquables et fut illustrée dans les Voyages pittoresques par cinq lithographies. Le lieu est en effet très romantique : on y voit, sur un promontoire rocheux dominant le cours sinueux de l’Elorn et le village de La Roche-Maurice, les ruines de l’ancien château médiéval de Roc’h Morvan (XIIe siècle) qui, durant les guerres de religion, fut détruit par un incendie, puis abandonné : il servit dès lors de carrière de pierre aux habitants du village en contre-bas.

 

Reconstitution idéale du château médiéval du Roc'h Morvan (in http://andre.croguennec.pagesperso-orange.fr/lr/rochmorvan.htm)

Auguste Mayer (dessinateur) et Eugène Cicéri (lithographe), De la Martyre à La Roche-Maurice, in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France",1845-46

Léon Gaucherel (dessinateur) et Eugène Cicéri (lithographe), Château de La Roche, in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France",1845-46

Léon Gaucherel (dessinateur) et Eugène Cicéri (lithographe), La Roche Morice (sic), in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France",1845-46

Eugène Cicéri (dessinateur et lithographe), Château de La Roche, in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France", 1845-46

 

Eugène Cicéri (dessinateur), Bellet (lithographe), Château de La Roche, in "Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France", 1845-46

Sur les cinq lithographies des Voyages pittoresques montrant le Roc’h Morvan (ci-dessus), deux sont d'après des dessins de Gaucherel, deux d'après ceux de Cicéri, et une seule d'après un dessin de Mayer ; et ce n’est pas celle qui correspond au point de vue du dessin retrouvé, présenté en début d’article. Ce dessin, exécuté par Mayer au crayon noir, fusain, et craie blanche sur papier bistre, montre le monticule et les ruines au milieu d’un paysage calme, où l’Elorn et le pont qui le franchit ont une importance aussi grande que le Roc’h Morvan lui-même. Quand Mayer a présenté l’esquisse correspondant à ce point de vue, il faut imaginer que le baron Taylor lui a préféré celle de Gaucherel prise à l’opposé, depuis le sud-ouest, qui montre au premier plan des blocs rocheux plutôt que des maisons, et donne ainsi du site un aspect plus sauvage, correspondant mieux à la vision romantique.

 

Mayer, habitué à dessiner rapidement depuis les bateaux sur lesquels il naviguait, était un artiste prolixe, et ses carnets devaient regorger de dessins et croquis, dont tous n’aboutissaient pas d’emblée à une estampe ou un tableau. On lui doit une série de dessins composés à partir des esquisses faites en 1838-1840 depuis la corvette « la Recherche » pour une expédition française dans l’atlantique nord et les îles scandinaves, à but scientifique, naturaliste et ethnologique.

 

Auguste Mayer, Expédition "La Recherche", 1938, Fusain, crayon, craie blanche, estompe sur papier bistre 28 x 43.5 cm

Auguste Mayer, La corvette « La Recherche » à Bjørnøya le 7 août 1838

En 1850, nommé professeur de dessin à l’école navale de Brest, et navigant moins, il eut sans doute parfois le désir de retravailler et d’aboutir certains de ses croquis restés sans lendemain. C’est le cas pour le dessin retrouvé, présenté en en-tête de l’article, signé et daté de 1857 ; il est aussi élaboré et travaillé qu’une lithographie, et vient vraisemblablement, comme je l’ai dit, de l‘esquisse faite une quinzaine d’années plus tôt dans le cadre de son contrat avec le baron Taylor, mais non retenue.

 

Et il est amusant de constater que, si la technique lithographique avait été inventée à la fin du XVIIIe siècle pour reproduire au mieux les dessins, c’est ici le dessin qui finit par vouloir imiter la lithographie !

 

Pour bien mesurer la différence entre esquisse faite sur le motif et image définitive (lithographie ou dessin fignolé), j’ai pris deux exemples de lithographies dont les dessins préparatoires ont été conservés à la bibliothèque nationale :

 

-       D’Eugène Cicéri, une esquisse de la Roche-Maurice, et sa lithographie réalisée par lui-même.

Eugène Cicéri, Vue du chateau de La Roche, esquisse et lithographie

 

-       D’Auguste Mayer, une esquisse du « pavé » de Morlaix, et sa lithographie réalisée par le lithographe Victor Petit.

 

Auguste Mayer, esquisse pour le "Pavé de Morlaix" et lithographie correspondante de Victor Petit

Il est étonnant de voir dans cette dernière, que mis à part le redressement des perspectives et l’ajout de quelques anecdotes comme le linge aux fenêtres, le lithographe est resté très fidèle au dessin original en ce qui concerne le paysage. Par contre, alors que Mayer avait pris la peine de croquer sur le vif les personnages, montrant l’animation du lieu, Victor Petit a cru bon de les remplacer par des silhouettes en costume breton, beaucoup plus convenues et figées que celle de l’esquisse d’Auguste Mayer. J’aimerais retrouver l’esquisse originale de la vue de La Roche-Maurice de Mayer, tant il paraît évident que lui-même, imprégné par l’esprit de la lithographie, a rajouté au premier plan de son dessin des personnages convenus, comparables à ceux que Victor Petit exécutait pour ces lithographies des Voyages pittoresques et romantiques de l’ancienne France.


vendredi, novembre 27, 2020

Corps-à-corps, hommage à Gustave Courbet

 

Gilles Chambon, Corps-à-corps, hommage à Courbet, huile sur toile 80 x 80 cm, 2020

Ma façon synchronistique de rendre hommage à Courbet est très différente de celle de Yan Pei-Ming, et le titre de ma toile ne se réfère pas à l’exposition récente de ce peintre, conçue pour le bicentenaire de la naissance du maître d’Ornans.

 

Pour moi, Courbet le réaliste, qui rêve d’une peinture « démocratique », est avant tout un peintre de la matérialité, de la substance lourde, parfois sale. 

 

Il met amoureusement les mains dans le cambouis du réel, geste qu’il préfigure d’ailleurs avant de peindre, en enduisant ses toiles de goudron noir. Il est au corps-à-corps avec une humanité crue. Et pendant les dix dernières années de sa vie, il est aussi au corps-à-corps avec le paysage et ses caprices atmosphériques, accompagnant ainsi les impressionnistes dans leur découverte du réel in situ.

 

J’ai rapproché ici deux toiles de Courbet qui expriment chacune le corps-à-corps, mais dans des visions antithétiques et sexualisées à l’extrême :

 

-       D’abord l’empoignade violente de ses lutteurs (1853), dont la musculature bandée et les contorsions indiquent cette fraternité agressive de l’effort et de la sueur, qui signe la virilité dans ce qu’elle a de plus rude et ancestral.

 

-       Ensuite l’enlacement délicat et doux des deux amies (1866), qui s’abandonnent mollement au sommeil, laissant planer au-dessus d’elles les fantasmes érotiques liés à une féminité exacerbée (le commanditaire turc de ce tableau est le même qui commanda « l’origine du monde »).

 

Mes deux couples antagonistes sont transplantés sur un rivage, marqué lui aussi par le contraste : calme horizontal de la grève à marée basse, et mouvement déchaîné des nuages à l’approche de l’orage (interprété d’un tableau de Courbet et de son atelier – vente Sotheby’s du 23 juin 2011).

 

Le corps-à-corps, qui peut donc signifier tantôt la confrontation violente et le combat, tantôt l’abandon sensuel et l’étreinte amoureuse, est un moment essentiel et paroxystique des relations humaines, dont la « distanciation sociale » nous prive depuis bientôt une année. C’est peut-être ce manque qui m’a inconsciemment poussé à faire ce tableau.

jeudi, octobre 29, 2020

Découvrir Louis Bernasconi (1905-1987), peintre de l’école d’Alger

Louis Bernasconi dans sont atelier d'Alger, devant un de ces tableaux du port (les photos proviennent du livre de Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

De la création de la résidence Abd-el-Tif en 1907 (équivalent algérien de la villa Médicis, et de la casa Velasquez), jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en 1962, Alger fut un foyer très actif pour les artistes, et notamment pour les peintres. Ils se fréquentaient à l’école des Beaux-Arts d’Alger, à la villa Abd-el-Tif, au Salon des Orientalistes, à l’Académie Figueras (créée en 1926), et dans les cercles culturels, en particulier ceux animés par Edmond Charlot (libraire, éditeur, et galeriste), et Albert Camus (Théâtre du Travail, puis Théâtre de l’Equipe). Des rivalités entre anciens et modernes, mais aussi de forts liens d’amitiés se sont créés parmi eux au fil des ans, mêlant les artistes d’origine métropolitaine avec les natifs d’Algérie, comptant majoritairement des pieds-noirs, mais aussi quelques maghrébins.

 

Leur production est diversifiée, et c’est pourquoi certains critiques refusent l’appellation d’« École d’Alger ». Cependant l’écosystème culturel dans lequel ils baignent tous, donne à leur travail un particularisme qui les distingue des grands courants picturaux qui marquent la métropole entre les deux guerres. Ainsi la plupart sont figuratifs, et le paysage d’Afrique du Nord y occupe une place prépondérante. C’est qu’ils sont tous sous l’influence de deux grands paysagistes : Léon Cauvy le classique, lauréat Abd-el-Tif dès 1907, puis directeur de l’école des Beaux-Arts d’Alger de 1909 jusqu’à sa mort en 1933, et Albert Marquet le moderne, ami de Matisse, créateur avec lui du fauvisme, et qui est devenu célèbre pour la simplicité et la perfection avec lesquelles il savait rendre les ambiances et les lumières des villes portuaires qu’il affectionnait particulièrement, et qu’il dessinait le plus souvent depuis les fenêtres où les terrasses de ses lieux de résidence.

 

Léon Cauvy, Marchands sur le port d'Alger, Huile sur toile, 65 x 81 cm, collection privée

 

Albert Marquet, "Port d'Alger (La Douane ou l'Amirauté)", 1941, Collection M. Akinori Nakayama, Courtesy Galerie Tamenaga (ADAGP, Paris 2016)

À partir de 1920, chaque hiver, Marquet quitte Paris pour se rendre à Alger ; il y rencontre l’écrivaine pied-noir Marcelle Martinet qu’il épousera en 1923, et il habitera dans la ville blanche pendant toute la seconde guerre mondiale.

 

Il a gardé jusqu’à la fin de sa vie un lien très fort avec les peintres d’Alger. Un an avant sa mort, il patronne à la galerie parisienne Champion-Cordier, en 1946, l’exposition de deux inséparables amis peintres de l’école d’Alger, Rafel Tona et Louis Bernasconi. L’un est Espagnol Catalan, arrivé à Alger en 1926 avec son compatriote Alfred Figueras, et a fondé avec lui l’Académie « ARTS » (ou académie Figueras) ; l’autre est pied-noir, d’origine tessinoise.

 

À gauche, Bernasconi, à droite Albert Marquet et Rafel Tona devant un tableau de Bernasconi lors du vernissage de l'exposition à la galerie Champion-Cordier, en 1946, (© Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

Les deux artistes, à peu près du même âge (Tona est de 1903 et Bernasconi de 1905) se sont rencontrés à l’Académie Arts à Alger, et, même si leur expression picturale est très différente, ils ont entamé un compagnonnage professionnel et amical qui ne s’est jamais démenti au cours de leur vie : notamment pendant la seconde guerre mondiale, où ils réalisent ensemble, en 1944, sous l’égide du journal Combat, l’exposition de photos « Kollaboration » qui dénonce le régime de Vichy, ou encore à Alger, Oran, et Tunis, les Salons de la Résistance, qui sont des expositions-ventes de tableaux au profit de la Résistance (un Marquet a été vendu dans ce cadre pour la somme de 1 455 000 F). 

 

Rafel Tona (à gauche) et Louis Bernasconi (à droite) préparant en 1944 l'exposition "Kollaboration"

Notons enfin que tous deux sont également photographes, et qu’ils ont contribué à la réalisation de décors de cinéma aux studios Paramount de Joinville : Tona entre 1928 et 1932, où il participe à la réalisation des décors de « Marius » de Pagnol et Korda et de « L'Opéra de quat’sous » de Pabst ; Bernasconi entre 1932 et 1939, où il collabore avec Pabst, Duvivier, Renoir, Allégret, et Feyder, faisant notamment en 1939 les décors de « Quartier sans soleil » de Dimitri Kirsanoff.

 

images des écors du film "Quartier sans soleil", conçus par Louis Bernasconi

J’ai découvert le peintre Louis Bernasconi par un ami né en Algérie, dont l’oncle, Jean Degueurce, était aussi un peintre de l’école d’Alger, militant communiste,  et participant au même groupe de « copains » artistes que Bernasconi (certains tableaux de Bernasconi représentent d’ailleurs le jardin de la villa des Degueurce, au Télemly, où la mère de Jean recevait les intellectuels engagés à gauche, dont Camus):

 

Louis Bernasconi, Le jardin des Degueurce à Alger, gouache, collection privée

 

Louis Bernasconi, Jean Degueurce, et Rafel Tona, cliché © François Léonardon

La peinture de Bernasconi me parle : elle n’a évidemment pas l’envergure ni la géniale perfection tranquille de celle de Marquet ; elle est plus fragile, avec moins de certitudes, se heurtant parfois à des impasses picturales. Mais elle trace un sillon sincère et personnel dans la recherche d’une représentation à la fois fidèle et distanciée du paysage réel, emprunte de douceur et de rigueur. 

 

Louis Bernasconi, "La baie", vue sur Alger, huile sur toile, (© Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

Une des caractéristiques de sa peinture est l’absence de personnages. Bernasconi n’a peint que des paysages habités, mais sans les habitants. Peut-être la séquelle de son activité de décorateur, lorsqu’il lui fallait planter un cadre vide dans lequel devrait se dérouler une action qui ne dépendait pas de lui.

 

Percevoir le réel comme un décor lui a parfois été reproché. Son collègue artiste Louis Bénisti parlait de lui en insistant davantage sur sa qualité d’organisateur hors pair, que sur sa qualité de peintre (il disait d’ailleurs qu’il était meilleur photographe que peintre).

 

Mais cette façon originale de se démarquer du réel en en éliminant l’action humaine introduit une dimension intemporelle dans sa peinture, et peut-être aussi une dimension de vérité : en effet, le peintre paysagiste dessine ce qui est fixe : les lignes, les masses, les ombres et les lumières… Et quand il y a des personnages, ils sont souvent rapportés après : parce que peindre un être vivant ou une foule en mouvement est un travail différent (les peintres paysagistes de l’âge classique s’associaient souvent à d’autres collègues spécialistes des personnages, pour « habiter » leurs tableaux). Marius de Buzon, grand peintre paysagiste de l’École d’Alger, peignait des paysages d’après nature, et il faisait ensuite d’autres tableaux à partir de ses esquisses, en y insérant des scènes pittoresques:

En haut, Marius de Buzon, Kabylie, 1916, huile sur carton toilé, 41x26cm, collection privée ; en bas, Marius de Buzon, Le repos autour d'un puits en Kabylie, 1920, huile sur toile 65x92cm, vente d'atelier R&C, Paris, mars 2018

Ce qui intéressait Bernasconi est cette capacité du paysage réel à générer une infinité de compositions formelles en fonction des choix de cadrage. Il ne cherchait pas à en faire une synthèse en les superposant comme les cubistes, mais à styliser le sujet à partir de chaque angle d'observation pour en faire ressortir le squelette géométrique et les grandes composantes formelles : rythme, dialogue des couleurs et des valeurs, typicité des formes: 

 

Louis Bernasconi, huile sur toile 58 x 72cm, collection privée, (© Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

 

La quête de ce savant équilibre entre observation minutieuse et simplification géométrique a parfois été un relatif échec, le conduisant à des toiles naïves, trop bavardes dans les détails, appliquées mais sans véritable respiration. Notamment quelques-unes de celles qu'il fit en 1957-58, lors de ses visites à ses amis de la famille Léonardon, dans le Lot et à Tourrettes-sur-Loup, en Provence. Il eut du mal à retrouver, dans les architectures pittoresques des villages français, les structures géométriques simples et puissantes qu'il savait si bien capter dans les celles du sud méditerranéen : 


Louis Bernasconi, Tourrettes-sur-Loup, huile sur toile 33 x 41cm, collection privée, (© Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

Mais cela ne remet pas en cause la qualité de la grande majorité de ses toiles (années 40-50). 

Il ne peignit pratiquement plus après 1965. Il avait définitivement quitté l'Algérie en décembre 1963, et n'ayant pu vendre sa maison familiale 40 rue Lys du Pac à Alger, dont un projet d'aménagement du boulevard Télemly prévoyait la démolition (projet jamais réalisé), il rentre en France totalement désargenté; "grâce à Malraux à qui il a rappelé son soutien à la Résistance à Alger, il a pu bénéficier d’un atelier à la Cité des Arts sur les quais à Paris quelques mois par an pendant quelques années..."(dixit F. Léonardon). Il y a réalisé quelques belles peintures, mais son art ne lui à pas permis de renouer avec le succès, et il est mort sans ressources en 1987 à Fontainebleau, où il était hébergé par sa sœur.

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Si on se penche maintenant sur l'ensemble de l'œuvre de Louis Bernasconi, pour en dégager les grandes lignes, il est plus significatif de classer ses peintures par sujets, plutôt que par périodes. Je les regrouperai donc en cinq catégories (bien qu'évidemment quelques œuvres échappent à cette classification):

 

- les vues cavalières (sur le port l’Alger principalement)

 

- les vue de Paris

 

- les vues lointaines de villes méditerranéennes

 

- les vues d’architecture

 

- les vues de jardins, avec souvent des perspectives rapprochées

 

1/ les vues cavalières

C’est dans ces peintures que se saisit le mieux la dette de Bernasconi envers Albert Marquet. On raconte que ce dernier, lors de ses premiers séjours à Alger, descendait au Royal Hôtel, dirigé par la tante du futur peintre Louis Bernasconi, âgé alors d’une quinzaine d’années. L’adolescent, qui se destinait à une carrière artistique, a eu l’occasion de venir au Royal Hôtel pour observer Albert Marquet en train de peindre le port depuis la terrasse. Son imaginaire s’en est sans doute fortement imprégné, et, à sa façon, il rend hommage au maître dans ses vues du port d’Alger. Certaines me fascinent parce que j’y vois une sorte d’hybridation entre Marquet et Giorgio de Chirico, et aussi une proximité avec le Précisionnisme américain des années 20 (Charles Demuth, Elsie Driggs et Charles Sheeler)…

 

Bernasconi, Port d'Alger, hst col. priv. © Danielle Richier

 

 

de gauche à droite et de haut en bas: Bernasconi, Port d'Alger le matin, hst 60 x 73cm col. priv.© Danielle Richier; Marquet, Le port d'Alger, hst 60 x 73cm, 1925, localisation inconnue; Giorgio de Chirico, L'énigme de l'arrivée et de l'après-midi, hst 70 x 86,5cm, 1912, col. priv.; Charles Sheeler, American landscape, hst 61 x 79cm, 1930, MoMA, NY

Louis Bernasconi, Vue des hauteurs d'Alger, huile sur toile, collection privée, (© Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

Louis Bernasconi, Vue du port d'Alger, huile sur toile, collection privée, (© F. Léonardon)
 Certaines de ses vues cavalières sur le paysage sont prises depuis une fenêtre qui forme un cadre géométrique sombre, ourlé de fleurs, en contrepoint du paysage lumineux qui se perd dans la brume des lointains:

 

Louis Bernasconi, Vue d'Alger depuis  la villa Degueurce, huile sur toile, collection privée,

 
Louis Bernasconi, Vue d'une terrasse d'Alger, huile sur toile, collection privée,© Danielle Richier

 

2/ les vue de Paris

 

Les tableaux de Bernasconi sur Paris sont essentiellement des paysages des quais de la Seine. La plupart sont de la fin des années cinquante. Il habitait Alger mais venait de temps en temps à Paris, notamment pour les expositions. Sur quelques-unes de ses toiles, l’influence de Marquet se fait aussi sentir, même si les angles de vue sont différents (chez Bernasconi les paysages sont à hauteur de piéton – peut-être travaillait-il à partir de photos qu’il prenait pendant ses ballades, tandis que Marquet peignait en surplomb, depuis la fenêtre d’un appartement qui donnait sur les quais). 

 

Louis Bernasconi, Quai de la Seine en automne, hst 60 x 73 cm, collection privée

 

Albert Marquet, Paris, quai des Grands-Augustins, vers Notre-Dame, 1938, huile sur toile, 65 x 81 cm, galerie de la Présidence, Paris

Dans ses tableaux de Paris, Bernasconi met en œuvre une partition assez réussie entre les lignes sombres et inclinées des troncs d’arbres, les volumes allongés et raides des bâtiments, rythmés de petites fenêtres et estompés par la perspective atmosphérique, et le fleuve, qui dans ses reflets accentue les contrastes entre la luminosité du ciel et les franges sombres des berges.

 

Louis Bernasconi, La Seine, hst 65 x 100cm, collection privée,
Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

 
Louis Bernasconi : à gauche "Péniche à quai à Paris", collection privée; à droite "Atelier 415 à la Cité des Arts", collection privée;
Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

 

Louis Bernasconi, "Le square Louvois à Paris", collection privée
Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

3/ les vues lointaines de villes méditerranéennes

 

Bernasconi a visité le Maroc, l’Espagne, et le Portugal. Certaines vues lointaines des villes qu'il a peintes rappellent le décor inspiré de la Casbah, qu’il avait conçu en 1934 pour le film « Golgotha » de Julien Duvivier, avec des décors construits à Fort-de-l’Eau (banlieue Est d’Alger).


Louis Bernasconi, Fès, Maroc, huile sur toile 66,5 x 105 cm, , collection privée
Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

Louis Bernasconi, Tolède, Espagne, huile sur toile 66 x 100 cm, , collection privée
Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)


Une des grandes toiles de Bernasconi  représentant jérusalem (tour Antonia), décor du film de dDuvivier "Golgatha", sorti en 1935


4/ les vues d’architecture

 

Bernasconi s’intéresse à l’architecture. Pour la pureté géométrique des lignes, pour les grands aplats des surfaces ensoleillées, pour les symétrie, pour les tranches d’ombre aux contours nets. À tel point que certains de ses tableaux sont presque des relevés d'architecte:


Louis Bernasconi, Grand bassin de l'Alhambra, huile sur toile 58 x 73 cm, , collection privée
Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

Louis Bernasconi, Minaret Sidi Bou Saïd, Tunisie, hst 60x 53 cm, collection privée,
Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

Louis Bernasconi, Rue du Soleil à Sidi Bou Saïd, gouache sur papier 40x50cm, collection privée,
Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)
 
Mais il aime aussi faire jouer l'exubérance souple et colorée du végétal en contrepoint des raideurs architecturales, ce qui nous amène à la dernière catégorie caractérisant son travail pictural, les peintures de jardins.

Louis Bernasconi, Entrée du 12bis bvd du Telemly (villa Degueurce), hst collection privée,
Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

 

5/ les vues de jardins, avec souvent des perspectives rapprochées.

 

Louis Bernasconi adorait les jardins, à plusieurs titres : d’abord son père, Trésorier de la Société d’Horticulture d’Algérie, l’initia dans son enfance à la botanique et l’emmena souvent avec lui au Jardin d’Essai d’Alger. Il lui fit connaître le jardinier en chef de l’École de Médecine. Ainsi arrivé à l’âge adulte, il adorait s’occuper des plantations de fleurs, dans les jardins particuliers qu’il fréquentait, en particulier chez les Degueurce (12bis bvd du Télemly), et à la villa Djenan Ben Omar, magnifique maison turque située sur les flancs de la Bouzaréah, à Montplaisant, non loin de celle d’Albert Marquet. Djenan Ben Omar, pourvue d’un luxuriant jardin, avait appartenu dans l’ancien temps à un peseur d’or israélite. Elle avait été louée dans les années 1930 par une femme écrivaine et peintre, Louise Bosserdet (1889-1972), qui y accueillait une colonie de vacance pour les enfants démunis. Après la guerre, la colonie ne reprenant pas, les amis peintres de Louise décidèrent, sous la houlette de Bernasconi et de Tona, d’y organiser le plus souvent possible des rendez-vous d’artistes, et des repas, les W-E et jours de fête. Il y avait notamment Benisti, Sanchez-Granados, Chouvet, Bouviolle, Terracciano, Galliero, et de temps en temps Claro, Assus, et Durand. Si Rafel Tona s’occupait de la cuisine, Louis Bernasconi soignait le jardin, et aimait y organiser des siestes sous les ombrages. Dans un entretien avec Edmond Charlot à radio-Alger, il déclarait : « je suis bien avec la nature, les arbres et les fleurs ». C’était une sorte d’épicurien modeste et flegmatique, et l’image romantique du peintre torturé ne le tentait pas du tout. C’est souvent après de bonnes siestes « qui étaient des festivals », disait-il, que la vision du peintre est le plus clair : « Quand on reprend les pinceaux, tout s’ordonne plus facilement que lorsqu’on est fatigué. »

 

Louis Bernasconi, Vue de Djenan Ben Omar à Bouzareah, 1944, aquarelle sur papier, dimension et localisation inconnue

Voici donc pour terminer cette brève présentation du peintre Bernasconi, quelques exemples de son art d’accommoder les courbes des arbres, buissons, et fleurs dans ses compositions toujours marquées par la géométrie : 
 

Louis Bernasconi, Djenan Be,n Omar, hst 73 x 60 cm, collection privée (© Priscilla De Roo)

Louis Bernasconi, Entrée de la villa Ben Omar, hst 55 x 46 cm,  collection privée,
Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)


Louis Bernasconi, Coin pour la sieste à Djenan Be,n Omar, hst 45 x 54 cm, collection privée
Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)

Louis Bernasconi, Les zinnias, jardin des Degueurce,  hst, collection privée
François Léonardon)

Louis Bernasconi, jardin des Degueurce, 12b bvd Telemly,  hst 56 x 46,5cm, collection privée,
Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)
 

Louis Bernasconi, Sidi-Lacène (Tlemcen), 1942, gouache 47 x 64 cm, collection privée,
Danielle Richier "Louis Bernasconi, mon oncle, artiste peintre algérois", 2005)
L'œuvre de Louis Bernasconi n'a jamais été répertoriée, mais sa nièce Danielle Richier, à partir des album que son oncle constituait méthodiquement lors de chacune de ses expositions, estime qu'il peignit deux cent quatre-vingts tableaux. Entre 1940 et 1976, il fit de part et d'autre de la Méditerranée un grand nombre d'expositions, et obtînt en 1952 le Grand Prix de la ville d'Alger. Le Gouvernement général d'Algérie fit l'acquisition d'une vingtaine de ses œuvres. Cinq de ses toiles ont été choisies pour les musées d'Algérie: trois pour le musée national des Beaux-Arts d'Alger, et deux pour celui d'Oran.