présentation des peintures synchronistiques

samedi, mars 26, 2011

Rêverie sur la maison

Gaynor Chapman, Khirokitia, in "Aux portes de l'histoire", Hachette 1962
 J’ai compté une bonne soixantaine de mots en français pour nommer des types généraux ou spécifiques d’habitations humaines, alors que pour désigner celles d’autres espèces animales, il n’y a en général qu’un mot, comme le nid ou le terrier.
Cela démontre, s’il en était besoin, que l’habiter a revêtu depuis très longtemps une importance fondamentale dans les cultures humaines, et par conséquent aussi dans les imaginaires.

Gaston Bachelard a jadis montré dans un livre remarquable, La poétique de l’espace, comment l’homme occidental rêve sa maison, de la cave au grenier. Les peintures de Vermeer ou de Pieter de Hooch nous font encore sentir combien les intérieurs bourgeois hollandais du siècle d’or savaient capter la lumière du ciel. Comment les rais d’un soleil pâle éclaboussaient les tomettes fraîchement lavées d’une fine pluie d’or, et arrosaient de douceur infinie le bonheur familial, symbolisé par ces femmes en train de lire, coudre, s’occuper des enfants, ou vaquer aux tâches ménagères. Carl Larsson, au tournant des années folles, a peint lui aussi de façon remarquable le plaisir d’habiter dans les grandes maisons en bois du nord, simples et claires, où la blancheur des murs et la blondeur des parquets sont chaudement rehaussées par un mobilier aux nuances bleuâtres ou rougeoyantes, et une décoration à la fois pratique et raffinée, qui semblent cristalliser la joie de vivre au quotidien, avec les odeurs de fleurs coupées, les jeux des enfants et leurs brusques éclats de rire amortis par l’ambiance feutrée.

Pieter de Hooch, Intérieur avec une mère épouillant son enfant,  Rijksmuseum


Carl Larsson, La chambre de maman et des petites filles, aquarelle.

Aujourd’hui, beaucoup de jeunes ressourcent leur imaginaire casanier dans la primitivité des tipis ou des yourtes, subitement réhabilités par l’écologisme ambiant. Dans notre monde de plus en plus fini, à la fois saturé de richesses et incapable de bien les répartir, la peur du loup, de l’agresseur, se déplace vers l’horreur des catastrophes naturelles et autres dérèglements engendrés par les activités trop industrieuses et irresponsables de l’homme moderne. Les insouciants Nif-nif et Nouf-nouf prennent leur revanche sur le sérieux Naf-naf… La paille et le bois supplantent le béton et la brique dans l’imaginaire constructeur des années 2000.

Personnellement, j’habite depuis trente ans une vieille grange en moellons, belle et grande, avec en son centre un massif pilier de pierre supportant la charpente maîtresse, et de solides crèches en bois auxquelles la patine a donné un aspect soyeux.

ma grange
Elle est un peu fissurée, et très peu écologique, gourmande en chauffage hivernal parce que mal isolée. Pourtant, je ne l’échangerais pour rien au monde contre ces prétentieuses maisons en bois BBC, habillées de beaux bardages, et cousues de laine de chanvre, mais sans racines imaginaires. 

G. Chambon, Cheminée dans la grange, encre, 1979

Ma grange, outre son passé agricole qui ressurgit à chaque instant pour qui sait lire entre les pierres, rejoint dans ma rêverie l’image placée en tête de cet article : due à l’illustratrice anglaise Gaynor Chapman, elle est extraite d’un livre sur l’aube des civilisations, qui a marqué mon imagination enfantine ; elle représente une reconstitution idéale du village néolithique de Khirokitia à Chypres.
Du point de vue de l’imagination, cette case primitive est comme l’embryon dans lequel toutes les vraies maisons, de l’humble chaumière au fastueux château, sont déjà contenues, ou encore comme la perle précieuse cachée entre les chairs molles et excentriques des grandes coquilles architecturales sophistiquées qui forment le tissu historique de nos villes.

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